Pourquoi tant de « tueurs en série » dans la culture anglo-américaine ? Ou plutôt : pourquoi cette tendance à mettre en scène une violence exorbitante, par le biais de personnages réputés pratiquer le meurtre à la dizaine, voire à la centaine, et cela dans la réalité comme dans la fiction ? Question corollaire : avec l’américanisation des cultures populaires dans nombre de pays, n’est-ce pas aussi la criminalité à l’américaine, et donc celle des serial killers, qui pourrait déferler en Europe, ou qui a peut-être même déjà commencé à le faire ? D’étonnement en inquiétude, il y a là une occasion de réfléchir à ce qui lie ensemble violence, culture et société. Pour autant que la violence n’est jamais laissée sans signification par les sociétés humaines, la façon dont elle est mise en acte, aussi bien que réprimée, dessine la frontière symbolique du territoire civilisé. En ce sens, la grande criminalité est toujours typique de chaque société, aussi bien par le nombre que par le style de criminels dont on souhaite faire le commentaire horrifié, ou parfois l’éloge caché sous la répulsion. Ainsi, en France, l’attention portée au crime est assez différente du regard américain. Une première différence, significative : alors qu’aux Etats-Unis la scénographie du crime terrorisant est produite par des cohortes de narrateurs, de dessinateurs, de commentateurs, de cinéastes, en France, la mise en cause de la société via le crime a été assignée à l’intellectuel, cet hybride de philosophe critique, d’artiste et d’écrivain subversif. Ce fut Voltaire dénonçant l’injustice dans l’affaire Calas, les surréalistes critiquant la criminalisation de l’avortement à travers Violette Nozière, Genet ou Lacan réfléchissant à propos des soeurs Papin sur les paradoxes d’un crime « social », se révélant être un effet de mirage paranoïaque. Ce fut aussi Roland Barthes opposant la pensée d’Etat aux archaïsmes du clan Dominici, Michel Foucault travaillant après coup sur la société de surveillance et de punition à travers l’aveu du matricide Pierre Rivière, Gilles (...)
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