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Interview

"J'ai trouvé que Cohn-Bendit n'était pas un sot"

Par Jean-Marie Pontaut et , publié le 19/03/1998

Préfet de police en mai 68, Maurice Grimaud raconte.

Maurice Grimaud a eu la redoutable tâche de diriger la préfecture de police en mai 1968. Cet homme mince à l'oeil pétillant a conservé, à 84 ans, cette vivacité et cette humanité que tous les acteurs des événements lui reconnaissaient à l'époque. Il reste celui qui a permis que la fête de Mai ne dégénère jamais en bain de sang. Trente ans plus tard, il retrace, pour L'Express, les moments les plus intenses, les plus durs et, parfois, les plus méconnus de ces quarante jours qui ébranlèrent Paris. 

- La police parisienne a-t-elle craint, à certains moments, d'être débordée par les manifestants?

Je n'ai jamais eu peur d'être dépassé par les événements, ni même cru que la «révolution» allait l'emporter. Nous disposions de moyens très importants, avec des effectifs qui dépassaient, certains jours, 25 000 policiers. En face de nous, nous n'avions, somme toute, que des étudiants et des lycéens. Ma vraie crainte, c'était une provocation qui nous aurait conduits à utiliser nos armes. Je connais bien mon Histoire: à Paris, toutes les crises sanglantes ont commencé par une provocation. J'avais 20 ans le 6 février 1934: c'est un coup de feu parti du quai des Tuileries qui a déclenché, sans ordre, la charge de la garde (14 morts). En mai 68, la provocation pouvait venir de n'importe où, d'extrémistes de gauche comme de droite. 

- Mais comment les éviter?

C'était évidemment très difficile. Pour le maintien de l'ordre, il fallait éviter de laisser des unités de police trop isolées sur le terrain, car, agressées, elles risquaient, dans un réflexe de peur, d'ouvrir le feu. Nous avons d'ailleurs, à deux reprises, frisé la catastrophe. La première fois, un car de police secours qui transportait un petit garçon avec une jambe cassée est tombé au plein milieu de la manifestation du 13 mai, place Denfert-Rochereau. Pendant que le conducteur appelait des secours par radio, un brigadier a été molesté par la foule. Des collègues du poste de police le plus proche se sont alors précipités en voiture avec des armes pour le dégager. Par bonheur, au même moment, l'ancien ministre Pierre Cot, qui participait à la manifestation, m'a appelé personnellement pour me demander de ne pas envoyer de nouvelle équipe, notre homme étant à l'abri. J'ai arrêté de justesse le véhicule qui se dirigeait sur les lieux. Nul ne peut imaginer ce qui se serait passé s'il avait pénétré dans la foule.
Autre moment très angoissant: lors de la deuxième nuit des barricades, le 24 mai, des manifestants ont mis le feu à des voitures de police qui stationnaient devant le commissariat du Panthéon. Les flammes risquaient de gagner l'intérieur. Or le boulevard Saint-Michel et la rue Saint-Jacques étaient bloqués par la foule. J'ai vu le moment où j'allais donner l'ordre à mes hommes de sortir les armes à la main. C'est le commissaire Petit qui nous a tirés d'affaire: arrivé de la Bastille avec une trentaine d'hommes, il a réussi à se faufiler à travers les petites rues derrière le Panthéon et à dégager au pas de charge le commissariat. 

- Mai 68, tout le monde s'en est félicité, a été une révolte sans morts sur le pavé parisien. Pourtant, les archives font état du décès d'un manifestant, apparemment par arme blanche. Que s'est-il vraiment passé?

On a découvert, au cours des barricades du 24 mai, un étudiant, Philippe Mathérian, grièvement blessé. Après sa mort à l'hôpital, les premières constatations ont conclu à un coup de couteau. En réalité, un examen plus approfondi a révélé qu'il s'agissait d'éclats de grenade, sans que l'on sût s'il avait reçu la grenade ou s'il tentait de la renvoyer. Ce décès aurait pu provoquer une réaction très violente. Mais ce jeune homme était plutôt lié à des organisations de droite. Son père est venu nous dire qu'il ne voulait pas que les étudiants exploitent la mémoire de son fils. Sa famille a donc gardé le silence. S'il avait appartenu à l'autre bord, le retentissement aurait sans doute été très différent. Mais ce sera le seul mort des barricades parisiennes. Cela tient au courage et à la discipline des policiers et à l'organisation extraordinaire de la préfecture de police. 

- Vous avez, d'ailleurs, envoyé des messages personnalisés à vos troupes...

Les policiers étaient insultés à longueur de journée; leur mission était très âpre. La hiérarchie s'inquiétait au sein des effectifs de quelques prises de position dures qu'il fallait tuer dans l'oeuf. J'ai donc écrit à chaque policier, à son domicile, pour lui dire que j'approuvais son courage mais que je serais ferme sur la déontologie. 

- Que pensez-vous de Daniel Cohn-Bendit?

Je ne l'ai jamais rencontré à l'époque. Mais, en l'observant sur le terrain, je l'avais considéré comme un élément «raisonnable». Par exemple, à la fin de la manifestation du 13 mai, place Denfert-Rochereau, certains avaient lancé un mot d'ordre de marche vers l'Elysée. Nous ne l'aurions évidemment pas toléré. Cohn-Bendit a alors fait un grand discours à sa façon: "Nous avons fait reculer le pouvoir, allons en tirer les conclusions sur le Champ-de-Mars!" J'ai considéré, ce jour-là, qu'il n'était pas un sot. 

- Quelles étaient vos relations avec le pouvoir politique, qui est apparu comme plutôt absent?

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