«La justice l’a reconnue comme femme, à elle de la reconnaître comme mère»

Affaire inédite à la Cour de cassation ce mardi : une femme trans mariée, qui a trois enfants se bat pour être reconnue comme la mère de sa petite dernière, conçue après son changement de sexe à l'état-civil mais avant sa transition.
Elles se sont présentées en robes légères d’été et sandales à talon, avec leur petite fille de 6 ans, queue-de-cheval et blouse à volants, devant la Cour de cassation. Une fois encore ces deux femmes ont revu leur histoire défiler. Une histoire qu’elles aimeraient sans histoires mais qui depuis six ans se fracasse devant les tribunaux. Les faits : il était une fois un homme, Bernard, et une femme, Marie (1). Mariage. Naissance de deux garçons. Mais depuis toujours, Bernard se sent femme. Bernard est une femme. Par jugement, il obtient en 2011 de rejoindre la gent féminine. Bienvenue désormais à Claire qui, avant de se lancer dans sa transition, fait un enfant à Marie (ce que les juristes qualifient de «procréation charnelle»). Cet enfant, c’est la petite fille qui mardi sous les ors et les anges pendus au plafond de la plus haute juridiction française se blottit entre ses deux mères. Ses deux mères ? Là est le hic. Le gros pataquès. La blessure. De jugement en appel, Claire n’est toujours pas parvenue à être reconnue comme telle par la justice. Et s’en remet maintenant à la Cour de cassation, qui jamais auparavant n’avait été saisie d’un tel cas.
Question : qui est Claire au regard de la société par rapport à son enfant ? Son parent biologique assurément. Mais sous quelle «étiquette» doit-elle figurer sur l’acte de naissance de sa fille et sur son livret de famille ?
«Oui, nous sommes deux mères»
«Je veux être reconnue comme mère, quelle autre solution pour moi ? Je suis une femme, que voulez-vous que je sois d’autre pour ma fille ?» explique Claire, la cinquantaine, belle stature, flamboyante chevelure, yeux clairs, avant le début de l’audience, soutenue avec une affection palpable par ses parents qui sont venus. «Oui, nous sommes deux mères», appuie Marie, petite brune, à l’accent chantant.
Début des plaidoiries, sous le regard encourageant de l’avocate de toujours du couple, Clélia Richard. A la barre, Mathieu Stoclet, avocat à la Cour de cassation. Il rappelle qu’en 2013, Marie est tombée enceinte à la suite de son union avec Claire qui avait conservé ses attributs masculins. Qu’en 2014, Claire «a fait établir devant notaire une reconnaissance prénatale de maternité pour l’enfant à naître, en qualité de mère non gestatrice», qu’après la naissance de la petite fille, elle a sollicité la transcription sur les registres de l’état-civil de sa mairie, la reconnaissance de maternité effectuée le 14 mars 2014. Mais que «l’officier d’état-civil a refusé de procéder à une telle transcription en estimant que seul le recours à l’adoption lui permettrait d’établir un lien de filiation avec sa fille».
A lire aussi : La justice crée le statut de «parent biologique» pour une femme trans
Une adoption ? Les deux femmes s’y refusent catégoriquement, au nom du lien biologique de Claire avec sa fille. Claire saisit alors le tribunal de grande instance de Montpellier avec l’espoir de voir enfin retranscrite sa reconnaissance prénatale de maternité sur l’acte d’état-civil. En 2016, elle est déboutée. Dégoûtée mais pas près de lâcher. Direction la cour d’appel de Montpellier qui décide d’accorder à Claire le statut de «parent biologique». Dans le monde pourtant si binaire du droit où l’on est femme ou homme, mère ou père, et où l’on refuse la catégorie «sexe neutre» (comme en a décidé la Cour de cassation en 2017), c’est la surprise. Au nom de l’intérêt supérieur de la petite fille (qu’on imagine mal appeler sa mère «parent biologique»), au nom du respect de ce que Claire est une femme, l’avocat demande que cet arrêt soit cassé, censuré. Et que la famille présente sur les bancs soit simplement composée de deux mères, ce qui depuis la loi sur le mariage pour tous et l’arrivée prochaine de la loi ouvrant la PMA à toutes, est largement entré dans les mœurs.
«Un objet juridique non identifié»
Entrée en scène de l’avocat Bertrand Périer qui représente là, l’APGL (Association des parents et futurs parents gays et lesbiens) et Acthé (Association commune trans et homo pour l’égalité). Il démonte l’arrêt incriminé : «L’enfer est pavé de bonnes intentions, on sent une volonté de ne froisser personne, mais cela aboutit à une situation inacceptable et à une parentalité asexuée […] Un objet juridique non identifié.» Contre ce «faux-fuyant», au nom du droit à l’autodétermination de Claire, de son parcours difficile et exigeant, il lance : «La justice l’a reconnue comme femme, à elle de la reconnaître comme mère.»
La justice, ici l’avocate générale, s’élance en regardant la petite famille. Fait part de ses interrogations : y a-t-il atteinte au droit de l’enfant ? Y a-t-il atteinte aux parents transgenres ? Et finit par le dire : oui, Claire est une femme et Claire est une mère. Oui, Claire est une mère. Mais bémol : elle recommande d’inscrire sur l’acte de naissance de l’enfant le jugement qui a permis à Bernard de devenir Claire. Alors que la petite est dans la salle. Alors qu’elle connaît déjà toute son histoire. Alors que la famille n’a qu’un rêve : qu’on la prenne telle qu’elle est, et avoir «une vie normale». Fin de l’audience. L’arrêt qui devrait suivre l’avis de l’avocate générale et sera rendu le 16 septembre sera sans doute une première. A la sortie, on souffle. Même si Claire le dit : «Je ne crois que ce que je vois, et j’attendrai septembre. Jusque-là, je me disais que le droit marchait sur la tête. Et que vraiment il court loin derrière la société.»
(1) A la demande des intéressées qui souhaitent vivre en paix, les prénoms ont été modifiés.
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