Politique

Et Mélenchon inventa la machine à perdre

Natacha Devanda ·

Dimanche soir, au 20 heures de TF1, Jean-Luc Mélenchon a dégainé sa candidature pour 2022, espérant se placer en leader de la gauche. L'occasion était belle de vous conseiller la lecture de « Mélenchon, la chute, comment la France insoumise s'est effondrée ». Le journaliste de Marianne Hadrien Mathoux revient sur les trois dernières années du mouvement de Jean-Luc Mélenchon et livre une analyse au scalpel de la dégringolade politique, numérique et morale d'un mouvement hier prometteur pour la gauche.

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C’est l’histoire d’une dégringolade qui n’en finit pas. L’histoire de Jean-Luc Mélenchon et de La France Insoumise (LFI). Un mouvement, mis sur les rails en février 2016, tonitruant et éparpillé, à l’image de son créateur, le bouillant ex-sénateur et ex-ministre socialiste qui entendait renouveler la politique jusqu’à conduire la gauche et le peuple au pouvoir.

23 avril 2017, Jean-Luc Mélenchon y croit dur comme fer. Et il n’est pas loin d’avoir raison. Il frôle la qualification au second tour de l’élection présidentielle, recueillant 19,58 % des voix, soit plus de sept millions d’électeurs. Quelque 600 000 voix supplémentaires et c’était bon. L’ancien apparatchik socialiste aura d’ailleurs du mal à reconnaitre publiquement sa défaite, réfutant sondages et premières estimations et attendant la confirmation des résultats par le ministère de l’Intérieur, avant d’accepter le verdict des urnes et de ravaler son orgueil pour continuer la bataille.

Ces 600 000 voix vont le hanter. Il fera désormais tout, quitte à faire n’importe quoi, pour aller les chercher. C’est ce qui ressort à la lecture de ce livre-enquête, fruit de deux ans d’entretiens avec les principaux leaders du mouvement et ceux qui l’ont quitté, d’analyses de textes et de stratégies politiques qui offrent une radioscopie impitoyable du gâchis Mélenchon.

De Mélenchon à « Mélenchute »

N’importe quoi, c’est par exemple le folklore de révolutionnaires d’opérette comme l’arrivée de dix-sept députés Insoumis aux cris de : « Résistance ! Résistance ! » sous les ors de l’Assemblée nationale ou, plus marquant encore, la colère homérique et le pétage de plombs médiatique du leader de LFI lors de la perquisition du siège du mouvement dans une affaire de financement de sa campagne et d’attachés parlementaires. Ses glapissements (« Ne me touchez pas. La République, c’est moi ! ») resteront dans les annales de la mégalomanie politique et entameront la confiance que de nombreux sympathisants de La France Insoumise avaient mis dans Jean-Luc Mélenchon.

Mais, au-delà du caractère volcanique de son leader et de la construction finalement très pyramidale d’un mouvement qui se présente comme « gazeux », démocratique et horizontal, l’échec de La France Insoumise est à rechercher du côté de ses errances idéologiques. Mois après mois, année après année, les positions intransigeantes de Jean-Luc Mélenchon sur la laïcité vont s’étioler au profit d’une vision de la société où la question sociale s’efface derrière les problématiques « sociétales », où la lexicologie très particulière des minorités va finir de donner le ton à tout le corpus idéologique de La France Insoumise. Et tant pis pour les valeurs d’universalisme chères à la gauche française. Trop vieille école sans doute pour les nouvelles recrues de La France Insoumise et pour toutes ces voix à trouver.

Un formidable sentiment de gâchis

Après tout, ces 600 000 voix manquantes peuvent bien justifier quelques aménagements avec le programme présidentiel de l’Avenir en commun, première version : « Étoffé et à l’offensive sur le plan de la laïcité », comme l’écrit Hadrien Mathoux dans Mélenchon, la chute (Éditions du Rocher, 2020).

Certains à La France Insoumise soufflent à Jean-Luc Mélenchon qu’il faudrait aller chercher ce réservoir de voix du côté des banlieues, où les-laissés-pour-compte de la société française ont le droit de vote mais ne s’en servent guère. Parmi ces aiguillons, deux jeunes femmes députées FI, Danièle Obono et Clémentine Autain. Toutes les deux sont également membres d’Ensemble !, un groupuscule au sein La France Insoumise, dont l’influence au sein de LFI semble inversement proportionnelle à son importance numérique et à son existence dans la société française.

En quelque 300 pages, Hadrien Mathoux revient sur la jeune histoire de LFI et se pose la seule question qui vaille : comment peut-on dilapider à ce point son crédit en à peine trois ans ? Trois ans durant lesquels la stratégie LFI a échoué à faire reculer le gouvernement sur les questions sociales. La convergences des luttes tant espérée n’a pas eu lieu, ou pas suffisamment, pour faire bouger les lignes gouvernementales. Ni avec les syndicats lors des manifestations contre les lois travail, ni avec le mouvement spontané et nihiliste des « gilets jaunes » en 2018. Cet échec-là aussi est cuisant et en dit long sur la faiblesse du mouvement social.

Faut-il alors regarder ailleurs ? En se rattrapant au plan sociétal par exemple et en faisant feu de tout bois, quitte à se brouiller avec les plus laïques de ses sympathisants et à devenir un puissant soutien de la manifestation nauséabonde du CCIF de novembre 2019 ?

La stratégie choisie par Jean-Luc Mélenchon a tout de l’enfermement sociologique, du rétrécissement « de la base ». En un mot du suicide politique.

« Le jour où il y aura une gauche qui s’adressera aux ouvriers, qui luttera réellement contre les discriminations et les inégalités économiques et sociales de manière volontariste sans être dans la naïveté et le déni sur les questions de sécurité, sur les question de laïcité, pour moi, cette gauche-là, elle a un boulevard. »

Caroline Fourest dans l’émission 24h de David Pujadas (LCI)

Bien qu’ils ne lui soient pas destinés, les propos de Caroline Fourest, tenus sur LCI dans l’émission 24H de David Pujadas, peuvent être adressés au leader de La France Insoumise tant ils collent à la réalité de ce qu’est devenu LFI, un mouvement en plein délitement politique et moral. Jean-Luc Mélenchon retirera t-il ses œillères pour éviter de se prendre une claque magistrale en 2022 ? Rien n’est moins sûr. ●

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