Ce
récit relate l'attaque unique et mémorable menée
par le squadron 617 sur les barrages
de la Möhne et de L'Eder en mai 1943. Le raid était
dirigé par le Wing Commander Gibson, un vétéran
du Bomber Command, qui avait commandé le squadron 106, également
équipé de Lancaster, avant de former le Squadron 617
ne comprenant que des as du bombardement. Avant le raid sur les
barrages, Guy Gibson avait bouclé
3 tours d'opérations, soit 173 missions de bombardement.
Âgé de 25 ans, il était décoré
de la DFC et de la DSO. Il disparut en septembre 1944 alors qu'il
pilotait un Mosquito an tant que "master bomber", lors
de l'attaque sur Rheydt.
Extrait du livre "Les briseurs de barrages"
par Paul Brickhill. Éditions Flammarion, collection
"L'aventure vécue", Paris 1954.
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Guy
Penrose Gibson
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Gibson
eut l'impression de voir la maquette : c'était la même
cuvette remplie d'eau, les mêmes champs aux alentours
et, barrant l'extrémité du lac, le même
rempart massif couronné de ses deux tours. Dans l'éclairage
diffus, la muraille ressemblait à une monstrueuse forteresse
flottante, à un cuirassé amarré entre
deux corps morts.
-"Seigneur !" murmura quelqu'un. "Vous croyez
que l'on peut démolir ça ?"
Soudain le barrage s'anima. Des jets de traceuses jaillirent
des tours, balayant le ciel dans toutes les directions.
"Plutôt agressifs les Fritz !" remarqua Trevor-Roper.
Les trois pilotes dégagèrent adroitement et
se mirent à contourner le lac, prenant bien soin de
rester hors de portée de la DCA. Gibson essaya de compter
les canons. Il y en avait au moins un de chaque côté
du lac, près du barrage, et moins quatre dans chaque
tour. Il appela les appareils de la vague suivante, et ils
répondirent l'un après l'autre, à l'exception
d'Astell.
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Mais Astell était mort depuis une heure. A la fin,
Gibson, comprenant qu'il ne valait mieux pas insister, annonça
à son équipage :
"- Eh bien je pense qu'il faut y aller."
Puis, passant à la transmission radio, il appela les
autres appareils :
- Attention, tout le monde. Je vais attaquer. Tenez-vous prêt
à foncer à votre tour. Hallo, "Mother".
Vous prendrez le commandement s'il m'arrive quelque chose.
- OK, chef. Bonne chance ! Fit la voix calme de Hopgood. Gibson
prit du champs, s'éloignant jusqu'aux collines à
l'extrémité du lac. Puis, virant progressivement,
il fonça de toute la puissance de ses 4 moteurs. Lentement,
l'appareil s'aligna, jusqu'au moment où, droit devant,
à environ 5 kilomètres, surgit le barrage surmonté
de ses deux tours. Débouchant de l'eau, à 400
km/h, Gibson hurla les dernières instructions :
"- Vérifiez l'altitude ! Contrôler la vitesse
! Attention les mitrailleurs ! allumez les lumières
!"
Le navigateur alluma les deux projecteurs fixés sous
le ventre de l'appareil et, guettant le moment où les
faisceaux allaient se toucher à la surface, se mit
à débiter son refrain :
"Plus bas... Plus bas... Un peu plus haut... C'est bien,
c'est très bien...
Comme le Lancaster s'établissait à exactement
20 mètres au dessus du lac, les canonniers allemands
aperçurent les lumières. Aussitôt les
jets de traceuses convergèrent sur la cible jusqu'alors
invisible. Les balles semblèrent d'abord arriver lentement,
pour se précipiter ensuite à mesure que l'appareil
approchait du barrage.
Gibson, parfaitement calme, dirigea le Lancaster droit entre
les deux tours. Spafford, l'oeil vissé au trou du viseur
en contre-plaqué, attendait, la main sur le bouton
de déclenchement. Tout à coup un vacarme terrible
éclata dans le nez de l'appareil : le mitrailleur avait
ouvert le feu sur les deux tours.
Gibson eut l'impression que le barrage, mur cyclopéen
éclaboussé de feux follets, allait s'écraser
sur lui. L'odeur de la poudre et du métal surchauffé
le prit à la gorge, et il songea : "Dans une minute,
nous seront tous morts." Puis, Spafford poussa un cri
: "Bombe lachée !", l'appareil s'engouffra
antre les deux tours, et Hutchinson lança une fusée
rouge pour annoncer aux autres qu'ils étaient sains
et sauf.
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"Gibson,
parfaitement calme, dirigea le Lancaster droit entre les deux
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L'instant
d'après, Trevor Roper, dans sa tourelle arrière,
envoya ses quadruples rafales aux artilleurs allemands. Ils
se ressaisirent pendant que le Lancaster plongeait en titubant
dans la vallée, rasant le sol pour échapper
à la DCA. Une fois hors de portée, Gibson monta
au dessus des collines, vira sec et regarda vers le barrage.
Tout d'abord, il ne vit rien. Puis soudain, le plan d'eau
découpé par les silhouettes des tours se souleva.
Un immense cône blanc creva la surface et monta vers
le ciel. Le lac bouillonnait, et comme la colonne atteignait
son point culminant et planait tel un fantôme à
plus de 300 mètres, le grondement de l'explosion frappa
l'avion. Saisis d'épouvante, les hommes virent une
vaste cascade se déverser par-dessus le barrage. L'espace
d'un seconde, ils crurent que la muraille avait éclaté.
Peu à peu le lac s'apaisa, et
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ils constatèrent que le barrage était toujours
à sa place. Était-il seulement ébranlé
? Quelques minutes plus tard, pendant que le Lancaster tournait
en rond au-dessus des collines, Gibson jugea l'eau suffisamment
calme pour une seconde tentative.
"- Hallo "Mother", appela t-il. Allez-y maintenant.
Bonne chance.
- OK, Chef. On y va, fit la voix toujours nonchalante de Hopgood.
Émergeant d'un trouée entre les collines, il
se dirigea droit sur le barrage. Les autres équipages
l'observait anxieusement. Les projecteurs sous le ventre de
son appareil s'allumèrent, les deux ronds lumineux
glissèrent sur l'eau et se réunirent. Hopgood
avait trouvé la bonne altitude, mais, déjà,
la DCA ouvrait le feu. Imperturbable, il continua à
foncer. A cinq cents mètres de la muraille, l'appareil
fut pris dans un tourbillon de traceuses ; une lueur rouge
apparut autour du réservoir du moteur intérieur
de tribord, puis la queue vomit une longue flamme. La bombe,
déclenchée un fraction de seconde trop tard,
dépassa le parapet et tomba sur le centrale électrique
au pied du barrage
"Mother" franchit la muraille et, aussitôt,
se cabra. Hopgood chercha à prendre de la hauteur pour
permettre à l'équipage de sauter. Tout à
coup, les réservoirs explosèrent, une aile se
détacha, et le Lancaster frappé à mort
descendit en vrille, éjectant une pluie de débris
incandescents. Juste comme il allait s'écraser, la
centrale sauta dans une orgie de lumière. Dix secondes
plus tard, le drame était consommé.
"-Pauvre Hoppy..." murmura une voix.
Gibson, le visage figé comme un masque, appela Martin
:
-"Hallo, Popsie. Vous êtes prêt ?
- archiprêt, chef. J'y vais.
- Quand vous attaquerez, je vais survoler le barrage pour
essayer d'attirer le feu de la DCA.
- OK, chef, et merci !"
Quand Martin déboucha déboucha des collines,
Gibson se lança au-dessus du lac, suivant une ligne
parallèle au barrage mais en restant hors de portée
efficace des canons. Dès que les projecteurs de Martin
commencèrent à glisser sur l'eau, Gibson vira
sur l'aile, et ses mitrailleuses ouvrirent le feu. Les 6 jets
de traceuses qui convergeaient vers les tours détouraient
l'attention des allemands qui n'aperçurent l'appareil
de Martin qu'au dernier moment, alors qu'il n'était
plus qu'à 800 mètres du barrage. Néanmoins,
3 canons réussirent à tendre un rideau de feu
entre les deux tours, - rideau meurtrier que Martin devait
inévitablement franchir.
A l'instant précis où Bob Hay annonça
"Bombe lachée !", l'appareil eut un violent
soubresaut. Deux obus avaient pénétré
dans l'aile de bâbord, et l'un d'eux avaient explosé
dans le réservoir intérieur. Puis, l'appareil
franchit le barrage et plongea dans la vallée.
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L'équipage,
anxieux, guettait l'aile endommagée. Tout à
coup, voyant que le réservoir n'ait toujours pas prit
feu, le navigateur se mit à hurler : "Ça
c'est un coup de veine ! Ce sacré réservoir
était vide !" Martin, souriant, se frotta le menton
avant de crier dans le micro :
- "Bombe lachée, chef !.
- Parfait, "Popsie". Hallo, "Apple". Etes-vous
prêt ?
- Oui, chef.
- Alors, allez-y. Avertissez quand vous êtes en position,
et je vais amuser ces messieurs de la DCA. Hallo, Popsie.
Êtes-vous touché ?
- Ouais, deux trous dans l'aile bâbord, mais tout le
monde indemne. On arrivera à rentrer, je pense.
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L'attaque
victorieuse de Maltby
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Le
lac se mit de nouveau à bouillonner,
la même colonne blanche jaillit
à des centaines de mètres,
la même cascade déferla
par-dessus la muraille. Mais quand
la furie de l'eau se fut apaisée,
le barrage était toujours là.
Il était même encore
debout après l'explosion de
la troisième bombe, placée
par "Apple" avec une précision
admirable.
De nouveau Gibson attendit que le
colonne blanche fut tombée,
puis il ordonna à Maltby de
tenter sa chance. Cette fois-ci, Gibson
et Martin, l'un venant de gauche,
l'autre de droite, se lancèrent
en même temps au dessus du lac,
faisant feu de toutes leur mitrailleuses,
allumant même leur lumière
de position pour disperser le tir
de la DCA. Une fois de plus, l'énorme
éruption bouleversa la surface
noire de la Moehne, une fois de plus
le geyser jaillit tout près
de la muraille. A présent,
la vapeur d'eau recouvrait toute la
vallée, et il était
difficile de se rendre compte du résultat
de l'explosion. Gibson, légèrement
nerveux, venait d'ordonner à
Shannon de lâcher sa bombe quand
une voix délirante hurla dans
les écouteurs :
"- Ça y est, le barrage
est par terre ! regardez !
C'était Martin, qui cerclant
autour de la vallée, avait
assisté à l'effondrement
du rempart. L'immense masse de béton
avait brusquement éclaté,
et tout un pan s'était écroulé
sous la poussée de l'eau. Une
brèche large de 100 mètres
et haute de 30 béait au centre
de l'ouvrage, et le flot furieux,
- 134 millions de tonnes - s'engouffrait
entre ses flancs déchiquetés.
Gigson dut se ressaisir pour dire
à Shannon de "laisser
tomber".
L'un après l'autre, les appareils
survolèrent le barrage vaincu.
Sous la lumière indifférente
de la lune, un mur liquide haut de
7 mètres dévala la pente
de la vallée ; Un allemand,
peut être être l'unique
survivant des tours, ouvrit tout à
coup le feu sur les bombardiers ;
quelques rafales bien ajustées
le réduisirent vite au silence.
Peu à peu, l'émotion
générale se transforma
en une joie sauvage ; seul Hutchinson
ne participait pas à la conversation
animée, passablement décousue
et extrêmement bruyante. Assis
devant son manipulateur, il envoyait
en morse très lentement, très
distinctement un mot lourd de signification
: "Nigger", Le nom du Terre-neuve
de Gibson, et aussi le nom de code
qui devait annoncer le succès
total de l'opération.
Déjà, l'eau et les traînées
de vapeur effaçaient complètement
la vallée. Gibson ordonna à
Martin et à Maltby de rentrer,
puis il emmena les autres équipages
vers l'est, et au dessus de l'Eder
Ils allaient tenter d'achever l'uvre
commencée.
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LA
BOMBE "REBONDISSANTE"
UPKEEP
et son inventeur, Barnes Wallis
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L'extraordinaire
arme qui permit aux lancaster
du squadron 617 de briser les
barrages de la Ruhr avait été
conçu par un ingénieur
civil, Barnes wallis. Malgré
le manque d'enthousiasme de
l'état-Major pendant
les premières études,
Wallis poursuivit ses expériences
et démontra la fiabilité
de son projet. Il fallut procéder
à des essais qui prirent
des formes aussi diverses que
le cataplutage dans l'eau de
blocs de marbre enfermés
dans des boîtes métalliques,
le lancement de projectiles
enflammés sur un lac
ou l'explosion de petites charges,
le long de la porte d'un réservoir
d'eau. Pendant l'hiver 1942-43,
un bombardier Wellington équipé
d'un système
de largage spécial fit
une série
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d'essais
avec des cylindres d'entraînement
à Chesil Beach, près
de Weymouth. Une charge véritable
fut ensuite expérimentée,
et la RAF réceptionna les
fameuses bombes en avril 1943.
Malencontreusement, les bombes
d'exercice se brisaient à
l'impact ou été
déviée de leur trajectoire.
Wallis renforça alors l'enveloppe
extérieure, et les bombes
furent opérationnelles.
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Dans
sa forme finale, Upkeep
(nom de code de la bombe)
était un cylindre
de 4190 kg, d'une longueur
de 1,52 mètres et
d'un diamètre de
1,27 mètres. La charge
explosive constituée
de 2290 kg de torpex, était
mit à feu par trois
pistolets hydrostatiques
conçus pour se déclencher
à 9 mètres
sous l'eau. Un mécanisme
d'autodestruction entrait
en action 90 secondes après
le largage. Les allemands,
qui analysèrent une
de ces armes retrouvées
sur un Lancaster abattu,
la qualifièrent de
"charges tournoyante
de profondeur". Bien
que ce terme soit assez
juste, l'invention de Wallis
est néanmoins entré
dans l'histoire sous le
nom de bombe rebondissante.
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