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La femme barrage
Grök. La femme est un barrage.
Krokine. Ah oui !? C'est nouveau ça. Explique.
Grök. Comme un barrage, elle est impressionnante, dure, épaisse…
Krokine. C'est vrai qu'en matière d'épaisseur, toi tu t'y connais…
Grök. Attends, tu vas comprendre. Oui, même toi. Donc la femme
paraît, comme un barrage, immense, quasiment infranchissable.
Krokine. Je ne vois pas.
Grök. Ce que je veux dire, c'est que lorsque l'on rencontre une
femme, elle cache son jeu, ses sentiments si tu veux. Comme une sorte
de barrage, qui garde en ses eaux dormantes ses secrets, elle est énigmatique.
On avance en pays inconnu.
Krokine. Parce qu'avec vous, c'est certain, c'est clair. Trop
clair même quelquefois…
Grök. N'empêche que c'est déstabilisant, une femme barrage. On
ne sait pas ce qu'il y a derrière. Comment s'y prendre, l'angle d'attaque
pour y aller voir, tout ça. Bref, on cherche où mettre le marteau-piqueur
pour attaquer sur son point faible cette sorte de forteresse…
Krokine. La forteresse, je comprends…
Grök. A la réflexion, c'est un mauvais exemple, car c'est d'un
barrage dont il s'agit. Une forteresse offre elle quelques ouvertures,
un pont-levis, des échauguettes, des mâchicoulis… Pas un barrage.
Krokine. Stop ! On ne comprend plus rien. Revenons au barrage
: il laisse passer de l'eau quand même…
Grök. Très peu, c'est juste pour dire (une histoire de niveau)
ou pour des raisons hydrauliques… La femme aussi laisse passer quelques
petites choses, mais très peu en vérité. Pour en savoir plus, il faut
de la ténacité et de la persévérance…
Krokine. Et ce ne sont pas ces qualités qui vous étouffent. Bon,
on avance ? Ton barrage, il en est où ?
Grök. Donc, l'homme attaque ce fameux barrage par tous les moyens
mis à sa disposition. Il est gentil, attentionné, prévenant, doux, la
complimente, l'étonne, la fait rire ou sourire, bref il séduit…
Krokine. Il est surtout cauteleux !
Grök. Si tu veux (pas compris).
Krokine. Bref, il utilise son ridicule petit marteau-piqueur
dans tous les sens, un peu partout, pour trouver la faille qui va la
faire tomber. Ah, ça me dégoûte…
Grök. Mais ça marche !
Krokine. C'est bien ça qui me dégoûte. Pauvre femme naïve !
Grök. Tu n'étais pas loin avec ta " faille ". Effectivement,
l'homme cherche la faille. Et quand il l'a trouvée, il fonce. Il l'agrandit,
l'élargit, l'ouvre de plus en plus afin de s'y engouffrer.
Krokine. La femme a du mal à résister au romantisme, on le sait
bien. Il profite de sa faiblesse sur ce point, voilà tout.
Grök. Son point faible, voilà ce que je cherchais ! Il trouve
son point faible, et voilà, c'est gagné. Y'a plus qu'à ! Enfin, c'est
ce qu'il croit…
Krokine. Ah, enfin une bonne nouvelle ! Il se fait avoir, le
cauteleux ? Elle le jette ? Il repart avec sa médiocrité ? Sa vie insipide
? Son sexe tout petit ridicule inemployé ?
Grök. Mais non ! Et puis dis donc, tu sais ce qu'il te dit "
son sexe tout petit ridicule inemployé " hein, tu sais ce qu'il te dit
?
Krokine. Il dit sûrement quelque chose, mais il ne le dit pas
fort, il n'en a pas les moyens… Continue plutôt, cela t'évitera de te
rendre une fois de plus ridicule.
Grök. Je préfère surseoir, mais ma haine est latente…
Krokine. C'est ça, continue je te dis.
Grök. Bon, j'en étais à quand il a trouvé la faille et qu'il
pense avoir gagné, tout ça. Et c'est là où il est submergé, le pauvre.
Krokine. Submergé ?
Grök. Englouti, devrais-je m'exprimer. Il prend une immense,
formidable, tétanisante masse d'eau de besoin d'amour inassouvi sur
la tête. Il suffoque sous l'avalanche de sentiments, perd pieds dans
les tourbillons tentaculaires d'une sensualité enfin débridée…
Krokine. Sois plus clair.
Grök. Bon. La fille, froide, distante au début, rend les armes.
Le barrage s'est fendu. Et quand un barrage est fendu, il lâche tout.
Donc, la femme inaccessible devient aussitôt une furie, aimante certes,
mais qui en demande trop, trop d'un coup…
Krokine. Cela devrait vous arranger. C'est ce que vous cherchez,
non, que l'on vous aime.
Grök. Mais c'est trop vite, trop fort, trop immédiat. Cela fait
trop peur, cette exigence !
Krokine. Pauvre chou ! Tu aurais préféré qu'elle t'offre son
petit corps d'amour sans rien te demander. Une gourdasse en quelque
sorte…
Grök. Pas du tout. Enfin, ce que je veux dire, c'est que ce n'est
pas parce qu'elle est séduite (je la comprends remarque) qu'elle doit
me demander d'être présent tout le temps, de faire des concessions,
des projets… C'est trop !
Krokine. Donc, j'ai raison : tu fais tout pour la rendre amoureuse,
et ensuite, tu n'assumes pas.
Grök. C'est vrai, je n'assume pas son passif amoureux. Je ne
veux pas recevoir sur la tête les mois ou les années de frustrations
amoureuses…
Krokine. Doucement, espèce de lâche ! Tu ne te sens pas médiocre
à dire et surtout à penser des choses pareilles ? Ose encore une fois
médire sur la pauvre petite abjectement séduite et je te brise un os
sur le crâne, et un gros !
Grök. Mais nous aussi, nous avons besoin d'amour !!! Mais nous
sommes plus… mesurés, plus… en intériorité… en pudeur… Nous aussi, nous
sommes des barrages…
Krokine. Laisse-moi doucement rigoler… Un barrage, toi ? Un labyrinthe
oui ! Ouvert à tout vent ! N'importe qui peut entrer chez vous, dans
votre simili cœur. Mais pour en sortir, c'est une autre histoire !
Grök. Tu vois, tu le dis toi-même, c'est dur de sortir de notre
coeur car il est gros comme ça !
Krokine. Gros comme l'os que je vais te briser sur le crâne,
oui ! Ah je rage ! Ah j'exclame ! Tu sais pourquoi il est dur d'en sortir,
de ton cœur ? Parce qu'il n'y a rien, un labyrinthe vide c'est, ton
coeur ! On a beau chercher, on n'y trouve rien. Pas une parcelle, une
once, un exemple de sentiments. Rien ! Ton cœur est vide, vide, vide…
Et nous, on erre, on erre…
Grök. Ne te fâche pas… En cherchant bien… dans les coins, je
suis sûr que…
Krokine. Fuis ! Hors de ma vue ! Crapule !
Grök. Bon, je file te préparer un petit café.
Krokine. Voilà tout ce qu'il trouve à dire : " Je vais te préparer
un petit café ". Et c'est ça l'homme d'aujourd'hui ?! Pfuitt !