"Messieurs, est-il constitutionnel d’utiliser du purin contre les manifestants ?" La veille des manifestations le chef de la police des Grisons posait la question lors d’une émission télévisée qui réunissait outre lui des experts et des paysans. Les paysans interrogés lui ont répondu que le purin en hiver est solide et que d’autre part pour eux il était un moyen de fertilisation. L’un d’entre eux a ajouté qu’il ne voyait pas bien le rapport entre le purin et la mondialisation économique.
Samedi 27 janvier
environ 1500 manifestants contre le World Economic Forum n'ont pas eu la
possibilité de manifester. Arrêtés, encerclés, contenus violemment par l'armée
et la police, leurs libertés de déplacement, d'expression et de libre
association leur ont été déniées.
"Messieurs,
est-il constitutionnel d'utiliser du purin contre les manifestants?" La
veille des manifestations le chef de la police des Grisons posait la question
lors d'une émission télévisée qui réunissait outre lui des experts et des
paysans. Les paysans interrogés lui ont répondu que le purin en hiver est
solide et que d'autre part pour eux il était un moyen de fertilisation. L'un
d'entre eux a ajouté qu'il ne voyait pas bien le rapport entre le purin et la
mondialisation économique.
La région de Davos
était militarisée depuis quelques jours. Des centaines de kilomètres de fils
de fer barbelés longeaient les routes, aux endroits stratégiques: ceux par
lesquels les manifestants auraient pu s'échapper lors des contrôles, autour
des voies ferrées. La protection du WEF a entraîné un dispositif si imposant
que les habitants eux-mêmes ont fini par s'en émouvoir. Les rues de Davos
quant à elle étaient toutes fermées par des grilles de fer gardées. Il y en
a environ tous les 500 mètres. La dernière au centre de la ville, quelques
centaines de mètres avant le palais des congrès, est impressionnante. Les
militaires y sont particulièrement vigilants. Elie Wiesel, sorti du camp
retranché pour aller discuter avec un ami s'est retrouvé bloqué plus de 30
minutes avec sa femme car il n'avait pas sur lui le badge. La petite troupe qui
gardait le passage barbelé et grillagé, uniformes noirs, cagoules noires, n'a
rien voulu entendre. La presse n'est pas mieux traitée.
La veille à Zurich
lors de la conférence internationale qui a réuni 800 participants, un très
grand succès, pour une après-midi et une soirée extrêmement studieuses
autour de thèmes variés, un photographe de l'agence Gamma m'explique comment
un barrage l'a arrêté, fouillé et refoulé. Son crime? Avoir son matériel
avec lui qui comprenait comme pour toute manifestation de grosses lunettes afin
de protéger ses yeux des gaz lacrymogènes. Confisquées! Accréditation, coups
de téléphone d'un attaché de l'ambassade suisse de Paris, rien n'y a fait.
Les militaires et la police ont le pouvoir. Les représentants de l'état suisse
ne peuvent plus rien.
Tôt le matin,
samedi, sept bus affrétés par ATTAC Suisse partent de Zurich direction Davos.
L'ambiance est tendue. Les informations reçues depuis la veille ne prêtent pas
à l'optimisme, bus et voitures refoulés à la frontière, autoroute complètement
fermé, celui du Sud qui vient de l'Italie. D'autres groupes choisissent de
prendre le train. Depuis la veille, des voitures privées et le train ont permis
à quelques manifestants d'atteindre Davos, fouilles complètes au programme et
déguisement du touriste parti pour un week-end à la montagne obligatoire.
Après deux heures
de route, premier barrage à 50 kilomètres de Davos, au tout début de la vallée
juste à la sortie de l'autoroute où de loin en loin voitures et camionnettes
de police surveillaient étroitement tous les déplacements suspects. Une
auto-mitrailleuse blindée barre la route, des rangs d'hommes en uniformes noirs
et cagoulés entourent chaque bus. Quelques délégués sortent pour aller négocier
avec les autorités après s'être rendus compte qu'il nous serait impossible de
continuer notre chemin.
"J'ai reçu
l'ordre de tenir la position" déclare le responsable utilisant un langage
plus militaire que policier. Nous n'irons pas plus loin. Il nous est interdit de
poursuivre notre chemin alors que tout le monde est en règle et que personne ne
possède avec lui un objet pouvant s'apparenter à une arme, même pas un
couteau suisse... Nous décidons alors nous aussi de tenir la position et tout
le monde descend des bus calmement, se masse sur la chaussée. Le ton devient
menaçant. Le gradé utilise le chantage et dit qu'il peut attaquer la compagnie
de bus pour lui retirer sa licence de transporteur, il peut aussi attaquer les
chauffeurs pour retirer leur permis de conduire.
Nous renvoyons les
bus pour les protéger, qui font péniblement demi-tour sur la route étroite
engorgée par un embouteillage monstre causé par le barrage militaire. Un rang
de policiers se met en travers de la voie, l'auto blindée se met en position.
L'homme dont on aperçoit la tête sortir de la tourelle pointe la mitrailleuse
qui se trouve à son sommet. Quelques hélicoptères passent. L'un d'eux descend
vers nous et nous survole lentement pour nous filmer. Le ton du gradé se fait
plus menaçant et nous demande de faire vite...
Les quelques 300,
400 que nous sommes, en plein désarroi, tentons une nouvelle fois de négocier;
peine perdue. Il nous est interdit de nous réunir, il nous est interdit de
poursuivre notre chemin, il nous est interdit d'exprimer notre opinion de manière
publique. Nous nous replions donc lentement vers les bus qui nous attendaient
quelques centaines de mètres plus loin sur le parking d'une station essence.
Au même moment
dans une petite ville à quelques kilomètres de là, Lanqvart, le train qui
relie Zurich à Davos est bloqué. La ville est encerclée par la police et il
nous est impossible d'y pénétrer. Les quelques 400 manifestants qui se
trouvaient dans le train réussissent de sortir. Ils tentent alors de
manifester, tentent de bloquer l'autoroute non loin, se font encercler par un
dispositif policier qui comprend outre les hommes en noir cagoulés et armés,
une auto-blindée et un engin équipé d'un canon à eau. Plus tard on tirera
sur eux avec des munitions spéciales et on les dispersera à coups de canon à
eau.
On apprend alors
que la manifestation à Davos vient de débuter, ponctuelle, à l'heure annoncée:
13H30. 300 manifestants ont réussi à se regrouper en se jouant du dispositif sécuritaire
qui a coûté aux contribuables helvètes une dizaine de millions de francs
suisses. Isabelle nous tient au courant par téléphone cellulaire. La
manifestation est calme, presque festive. Face à eux les troupes se massent. La
neige tombe drue. Il fait un froid pinçant et glaçant. D'un coup on joue du
canon à eau et on commence d'avancer pour refouler les manifestants vers la
gare. On les force de prendre le train pour Zurich.
Oliver, un copain
d'ATTAC Allemagne, et moi décidons de tenter notre chance alors que nos bus
doivent rentrer sur Zurich. Nous nous éclipsons discrètement et attendons que
tout ceci se calme autour de nous. Puis nous choisissons un endroit qui nous
semble adéquat, assez loin du barrage policier pour faire du stop en espérant
que la circulation reprendra après qu'officiellement nous ayons été refoulés.
Nous atteindrons Davos vers 17h00 non sans se faire arrêter quelques fois par
des barrages filtrants. Un couple de davossien nous a pris dans leur voiture
parce qu'ils en avaient vraiment assez de cette folie policière et du quasi-état
de guerre de la région depuis le début de la réunion des puissants. Nous
sommes à Davos et pouvons rencontrer les quelques personnes avec qui nous étions
venus parler. Plus tard dans la nuit, à Zurich quelques actes de violence de la
part de certains des manifestants qui avait été refoulés toute la journée,
dommage... 121 arrestations faites par la police qui n’a pas manqué
l’occasion d’arrêter les « meneurs », malheureusement pas M
Smadja. Davos a montré toute la journée sa faiblesse, combien tout simplement
ces puissants étaient ridicules et en panne.
Alors que le WEF
cette année s'est donnée comme thème "Bridging the divide" (réduire
la fracture) on peut s'étonner de voir àquel point le discours, dont on dit de l'intérieur qu'il joue sur le
pathos et le misérabilisme forcené: "ces pauvres pauvres", et la réalité
sont éloignés. Le "Forum" est devenu une forteresse médiévale
sourde et dangereuse, menaçante et violente. Il a su, alors qu'il s'agit d'une
entreprise privée qui se nomme "World Economic Forum" et organise une
réunion privée, utiliser les ressources de l'état et de la région en
profitant de l'armée et de la police. Face aux petits commerçants de la ville
de Davos qui se plaignaient du manque à gagner durant la tenue de l'événement
et de la mauvaise image de la région défigurée par l'état de guerre dans
laquelle elle se trouve, le WEF leur a rétorqué que ce n'était pas leur problème.
Le WEF a créé un "état d'exception" où les droits les plus
élémentaires n'ont plus été garantis aux citoyennes et citoyens venus
pacifiquement exprimer une opinion qui n'a pas l'heur de plaire à M Smadja. L'état
suisse a fait une fois de plus la démonstration qu'il vaut mieux traiter avec
corrupteurs et bandits (certaines des transnationales représentées au WEF sont
directement impliquées dans des affaires de corruption et d'évasions fiscales)
et les dictateurs même sanguinaires qu'avec des personnes responsables,
pacifiques et souhaitant défendre et utiliser leurs droits normalement garantis
par la constitution et les lois du pays. Samedi 27 janvier entre 08h00 et 20h00
la loi n'existait plus en Suisse du fait de la police, de l'armée et des
transnationales réunies.
En France l’ambassade de Suisse peut être contactée :
Tél. + 33(0)1 49 55 67 00
Fax +33(0)1 45 51 34 77
Email : vertretung@par.rep.admin.ch
Des photos sont aussi en ligne (lien dès la première page) http://attac.org/
Pas
de dialogue avec les gueux
Un duplex par
satellite a créé les conditions physiques d'un échange verbal entre les délégués
du Forum Social Mondial et quelques personnes présentes à Davos. Quatre
personnes du côté suisse, qui à elles seules ont plus de pouvoir que
l'ensemble des participants du Forum Social Mondial, plus encore sans doute, et
une dizaine de représentantes et représentants à Porto Alegre se sont faits
face durant une heure trente.
Faisons dialoguer
chaque partie du "divide" maintenant que le triomphalisme de l'année
passée au WEF, chute du NASDAQ, fin de la "nouvelle économie", n'est
plus de mise dans le Forum et que même là il faut bien que la réalité entre
et chasse le trop d'idéologie aveugle. C'est avec l'idée que les médias
peuvent servir aussi à mettre en relation qu'Article Z a organisé un duplex
entre Porto Alegre et Davos.
Du côté du Forum
Social Mondial la réponse a été claire: dialoguons! Il a donc permis à ce
que l'émission puisse avoir lieu et l'a aidée à se réaliser en lui donnant
quelques moyens de le faire depuis Porto Alegre. Pour le WEF: non.
Pourtant le jour même,
dimanche 28 janvier, recontacté par l'équipe de production il a dû se réunir
de nouveau afin de réévaluer sa position, probablement car la mauvaise presse
de la veille et l'attention même du Financial Times entre autre au Forum Social
Mondial, pouvaient donner matière à discussion. Toujours non. L'argument avancé
est que le WEF ne veut pas discuter, s'il s'agit de le critiquer, en dehors du
WEF. On s'étonnera sans doute de l'argument et de l'attitude des autorités téléguidée
par le WEF, la veille. Il y avait là à portée de main et de voix assez
d'opposants pour que le WEF daigne discuter et favoriser l'expression de la
contradiction et de la critique. Sans doute comme on ne peut pas donner du canon
et de l'armée à Porto Alegre, mieux vaut éviter ces "petites gens là"
surtout quand elles ne se limitent pas à la contradiction mais qu'elles
construisent et se mettent d'accord sur des propositions d'alternatives.
Grâce à une église
protestante le duplex a tout de même pu être organisé dans un endroit un peu
à l'écart du centre de la ville de Davos. L'équipe de production qui
travaillait depuis des semaines à prendre des contacts a réussi à obtenir de
quelques participants du WEF leur accord à titre personnel. Les refus en série
sont aussi démonstratifs.
Le FMI et la Banque
mondiale tout d'abord, l'OMC ensuite. Pascal Lamy a décliné l'offre sous le prétexte
d'un conflit de date. Du côté des multinationales Bill Gates, Jean Marie
Messier, bien d'autres ont refusé de participer. Jeffrey Sachs qui avait accepté
de prendre part à cette émission d'une durée de une heure trente, est arrivé
au début du duplex à 19H30 et est reparti à 19H45 car il avait rendez-vous à
20H00. La liaison satellite ayant eu du retard... personne en dehors des
quelques personnes (beaucoup de journalistes) présents à Davos n'ont pu
entendre son dialogue avec les délégués du FSM qui n'aurait duré que
quelques minutes: juste assez selon lui sans doute pour comprendre et écouter,
discuter et échanger...
Sans dévoiler le
contenu de l'émission dont vous pourrez voir les retransmissions, sur Arte
Vendredi soir en particulier, sur le site internet www.madmundo.tv
cette semaine, et ailleurs, je résumerai l'attitude des uns et des autres présents
à Davos. Pour George Soros qui se définit comme spéculateur, ce qu'il est,
les conséquences négatives sont bien réelles mais il n'a pas l'air de se
sentir concerné, le véritable responsable c'est en fait la spéculation, pas
le spéculateur. Pour Njörd Edlund (porte-parole de ABB multinationale présente
dans 100 pays et employant plus de 150 000 personnes) il faut créer les
conditions économiques, sociales et environnementales favorables à tous mais
il ne sait pas comment... il en sent le besoin et l'envie sans donner d'autres
éléments que son humanité sans doute réelle et son souci de développement
sans doute sincère. Pour John Ruggie (secrétariat général de l'ONU) il faut
établir un dialogue critique avec les multinationales qui prendrait avant tout
la forme de la diplomatie feutrée et de la politesse anglo-saxonne (il juge
contre productif la colère de cette femme argentine qui accuse nommément les
« gens de Davos » et le système de la dette des enfants qui meurent
par dizaine de milliers dans le monde chaque jour). Pour Marc Molloch-Brown
n'existe pas de salut en dehors de l'économie libérale et de son avatar la
mondialisation, parce comme elle est ouverte elle crée de la croissance et que
la croissance résorbe la pauvreté. L’UNDP publie des chiffres nous dit-il,
ils montrent le besoin de croissance selon lui ; pas un mot comme
redistribution dans sa bouche.
Ils étaient tous
venus sans note, sans papier, sans donnée, sans proposition, ils étaient tous
venus pour écouter les doléances de ce peuple dont on leur a dit sans doute
qu'il existait, par curiosité (« ce qu’ils sont violents » aura
été leur conclusion une fois le lien satellite terminé. Pas un ne se posera
une question où ne proposera d’aller plus loin.), sans cravate pour M Ruggie
car il faut savoir rester simple (mais avec de superbes boutons de manchette
invisibles à la caméra), sans autre langue de dialogue que l'anglais, sans idée
mais avec une infinie bonté et une once de paternalisme.
On demande à M
Soros quel est le volume des échanges sur les marchés financiers et quel est
le nombre d'enfants qui meurent chaque jour. Il ne sait pas... "sûrement
plusieurs milliards pour ce qui concerne les marchés, et plusieurs millions
pour les enfants". M Stedile (MST) à Porto Alegre propose de redonner la
terre à ceux qui la travaillent, de permettre l'accès de la production locale
aux marchés locaux bloqués par les transnationales. M Ruggie donne un exemple
qui doit édifier le brave paysan en lui disant qu'il se trouve à Davos, petit
village d'un pays, la Suisse, qui il y a encore cent ans était avant tout
rural. Son économie aujourd'hui est florissante. En ne résistant pas aux
forces du marché veut-il sans doute expliquer, il a su faire la transition avec
succès. La Suisse a su tirer partie de la mondialisation, pourquoi pas les
paysans du Brésil sous-entend-il. Il est vrai que le Brésil n’est pas encore
un paradis fiscal qui protège tous les trafics et permet tous les crimes
financiers, oublie M Ruggie. Bernard Cassen demande alors aux quatre présents
de faire une pétition de demandant la mise en place de la Taxe Tobin,
l’interdiction des paradis fiscaux, l’annulation totale et sans condition de
la dette des pays du Tiers-monde et de la faire signer à l’intérieur du WEF.
Peine perdue, répond Georges Soros, personne elle ne récoltera aucune
signature.
L'anecdote que vous
ne verrez pas puisqu'elle se déroulait dans la salle a été le regard de désarroi,
bref, et de panique de MM Ruggie et Molloch-Brown lorsqu'on a proposé concrètement
que l'ONU s'engage officiellement a demandé l'annulation totale de la dette du
Tiers Monde sans condition ainsi que la révocation du Global Compact.
L'assistant se lève, plonge entre les deux et échange quelques phrases. On a
l'air satisfait. L'UNDP répond que l'ONU n'est pas engagée là-dedans mais que
ce sont les pays, que ceux-ci proposent un allègement à certains s'ils se
conforment à quelques règles: pour lui le bon fonctionnement de l'éducation
et de la santé.
Comme l'avait déclaré Walden Bello au début nous vivons dans deux réalités
différentes qui n'ont rien d'autre en commun que ce lien satellite aujourd'hui.
Il précise que pour résoudre les problèmes de la planète il suffirait sans
doute de mettre dans une fusée toutes les personnes présentes à Davos et de
les envoyer dans l’espace.
Laurent Jésover, public
attentif à Davos lors du duplex. Rédacteur journal@attac.org