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Les relations internationales à laube du 21ème siècle, ou "le nouveau désordre mondial" | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Le nouveau visage de la guerreIl y a tout juste cent ans, Kropotkine écrivait que la guerre était la "condition normale" de l'Europe. Et pourtant, pendant une longue période -- près dun demi-siècle -- la réalité a semblé démentir cette désolante perspective. Dans la foulée de la deuxième guerre mondiale, le capitalisme mondial a connu une période de forte croissance économique. Cette croissance, conjuguée avec le partage du monde entre limpérialisme américain et lURSS, constituait la base objective dune relative stabilité des relations entre les classes et entre les États nationaux. La soi-disant "paix" des cinquante années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale sexplique par léquilibre de la terreur entre la puissance du stalinisme russe dune part, et celle de limpérialisme américain de lautre. C'est cette lutte entre deux systèmes sociaux mutuellement antagoniques que lon appela "guerre froide". Aujourdhui, cet équilibre a été renversé. Les deux camps avaient divisé le monde le monde entier en blocs et en zones dinfluences apparemment immuables. A lépoque, lagression contre la Yougoslavie ou le bombardement de lIrak auraient été hors de question. De tels événements auraient signifié une guerre entre lUnion Soviétique et les États-Unis. Or, une telle guerre était précisément impossible pendant un demi-siècle, pour des raisons anticipées par Friedrich Engels il y a plus de cent ans. En effet, vers la fin de sa vie, Engels avait postulé que les moyens de destruction accumulés par les puissances européennes avaient atteint un niveau qui rendait improbable une nouvelle guerre européenne. A son époque, lidée de Engels nétait pas valable, comme la démontré le grand carnage de 1914-1918. Par contre, elle létait pour la deuxième moitié du vingtième siècle. Au cours de cette période "paisible", aucune des contradictions fondamentales entre les intérêts des différents camps de domination internationale nétait résolue. Bien au contraire. Dénormes contradictions saccumulaient, comme en témoigne la folle course aux armements qui dévorait une part importante des richesses. La question est de savoir pourquoi ces contradictions nont pas mené à une guerre entre les États-Unis et lUnion Soviétique. Jusquà la révolution française, les armées permanentes nexistaient pas. Les États monarchiques du 18ème siècle entretenaient de petites armées professionnelles. La révolution française bouleversa cette situation. Avant la révolution française, il nétait pas rare de voir des généraux de camps opposés conclure un "accord de gentilhomme" et décider à l'amiable de qui avait "gagné", évitant ainsi d'engager la bataille. Cest que la guerre était alors une affaire très coûteuse! Cette pratique fut compromise, dabord par la guerre révolutionnaire dindépendance en Amérique du Nord, lorsque les milices coloniales ont refusé, pour reprendre lexpression dEngels, de danser le menuet militaire avec les forces de la couronne anglaise. Mais elle fut définitivement détruite par la révolution française, qui, pour la première fois, présenta à lEurope réactionnaire et féodale le spectacle dun peuple révolutionnaire en armes. De brillants généraux révolutionnaires comme Lazare Carnot développèrent des tactiques et des méthodes entièrement nouvelles, notamment la "levée en masse", mobilisant un peuple tout entier capable de lemporter sur tout ce quil trouve sur son chemin. Bismarck retint cela de la révolution française. Déjà en 1807 Hardenberg écrit au roi de Prusse : "Nous devons faire den haut ce que les Français ont fait den bas." Les Prussiens se sont inspirés de lidée dun "peuple en armes" de Carnot, mais en la mettant au service dun militarisme réactionnaire. La machine militaire prussienne emporta une série de victoires spectaculaires. Ceci permit au junker conservateur Bismarck de réaliser lunification allemande, une tâche historiquement progressiste, même si elle était accomplie dune façon réactionnaire, c'est-à-dire sous la domination de la Prusse aristocratique et bureaucratique. Dès les années 1890, lÉtat prussien, depuis toujours de caractère militariste, était devenu un monstre énorme, consacrant à larmement dimmenses sommes. Les Français, entre autres, ont naturellement suivi cette tendance. LEurope toute entière se transformait alors en un immense camp militaire. Se rendant compte de laccroissement des moyens militaires de lAllemagne et des autres puissances, ainsi que du développement des nouveaux moyens de destruction, Engels en conclua que leffondrement des États pourrait bien en être la conséquence. Il pensa également quune nouvelle guerre européenne était devenue fort improbable. Le cours ultérieur de lhistoire donna tort à Engels sur ce point. Les antagonismes entre lAllemagne, la France, l'Angleterre, la Russie et lAutriche-Hongrie menèrent à la première guerre mondiale, dont la mèche fut allumée dans les Balkans. Cette guerre causa la mort dau moins dix millions de personnes et a réduit lEurope à un tas de ruines. La deuxième guerre mondiale, quant à elle, fit 55 millions de morts et a bien failli mener à la destruction de la civilisation humaine. Cependant, même si Engels se trompait à son époque, en estimant que la guerre y était devenue trop coûteuse, ses arguments sont valables aujourdhui. Ce que décrivait Engels concernant les dépenses darmement et le militarisme na rien de comparable à la situation actuelle. Ces temps-ci, les dépenses annuelles darmement, à léchelle mondiale, dépassent les mille milliards de dollars. Ce fut une période de "paix", du moins en ce qui concerne les grandes puissances. Pour la majeure partie de la terre, la paix est restée un rêve hors de portée. Ces 50 dernières années, le monde na connu que 17 jours de paix. Sans cesse des guerres se déroulaient quelque part dans le monde, généralement dans les pays sous-développés. Il y a eu de longues guerres de libération au Kenya, en Algérie, en Angola, au Mozambique et ailleurs. Il y a eu des guerres importantes menées par des "intermédiaires", comme la guerre au Nicaragua ou en Afghanistan. Il y a eu, entre autres, la guerre de Corée et celle du Vietnam, la guerre du Golfe, et finalement la guerre au Kosovo, qui fut la première guerre européenne depuis cinquante ans. La guerre au Kosovo constitue un tournant décisif qui aura toutes sortes de répercussions bien au-delà des questions qui se posent immédiatement dans les Balkans. La question de la guerre se pose de manière concrète. Pourquoi ny a-t-il pas eu de guerres entre les grandes puissances depuis cinquante ans? Pourquoi, malgré toutes les contradictions criantes, ny a-t-il pas eu de guerres entre la Russie et les États-Unis? La réponse est évidente. Avec le développement des armes nucléaires, la nature même de la guerre a changé. La classe capitaliste ne part pas en guerre pour assouvir des envies de sensations fortes, ou par patriotisme, ou pour sauver les Kosovars, ou pour sauver la Belgique, ou pour un quelconque objectif de cet ordre. Elle fait la guerre en vue du profit, pour des marchés, pour des matières premières et pour des zones dinfluence. Les capitalistes ne font pas non plus la guerre pour tuer des gens. Le but des guerres capitalistes est de conquérir des marchés, pas dexterminer des populations entières. Or justement, une guerre nucléaire aurait abouti à la destruction, au minimum, de la Russie et des États-Unis. Ceci na aucun sens du point de vue du capitalisme. Ceci dit, certains généraux insensés se sont livrés à des calculs arithmétiques afin de prouver que même si une guerre nucléaire devait tuer quelques dizaines de millions dAméricains, ce nétait pas si grave puisque les États-Unis en sortiraient vainqueur ; un point de vue que lestablishment américain na pas pris au sérieux et qui ne fait que confirmer lappréciation portée par le président Truman sur les capacités intellectuelles des chefs militaires américains, lorsquil disait que la guerre était une affaire beaucoup trop grave pour être confiée aux généraux. Comparées aux sommes dargent consacrées de nos jours aux armements, les dépenses militaires de Bismarck ou même de Hitler sont des pacotilles. Après la chute du mur de Berlin, on a beaucoup entendu parler en Occident des "dividendes de la paix". La perspective avancée était celle dun nouvel ordre mondial grâce auquel les hommes allaient pouvoir jouir dune longue période de paix et de prospérité sous laile protectrice des États-Unis, la seule super-puissance mondiale. Dans les faits, il en a été autrement. Lencre du discours de Georges Bush nétait pas encore sèche quand la guerre du Golfe a éclaté. Et maintenant, au Kosovo, nous venons de vivre la première guerre sur le sol européen depuis 1945. Loin de se désarmer, les États-Unis continuent à sarmer jusquaux dents. Aux États-Unis, 804 dollars par habitant et par an sont dépensés en armement. La France occupe la deuxième place du palmarès, avec une dépense annuelle de 642 dollars par habitant. En Grande-Bretagne, un pays qui, malgré la perte définitive de son importance économique et industrielle, aime faire semblant de figurer encore parmi les grandes puissances, le chiffre correspondant est de 484 dollars, une somme absurde pour un pays qui a été relégué depuis longtemps aux derniers rangs des grandes puissances mondiales. Pendant la guerre du Kosovo, Tony Blair sest comporté comme le représentant dune super-puissance. Mais sa tentative dimiter Churchill na trompé personne. Étant donnés les doutes et les hésitations des autres alliés européens, Clinton était enclin à brosser son ami de Londres dans le sens du poil et, du moins pour le moment, à conforter ses illusions de grandeur. Dautres, aux États-Unis, ny voyaient rien damusant. Ils murmuraient que les Britanniques, avec leurs cris perçants en faveur de la "guerre à outrance", voulaient en fait se battre jusquà la dernière goutte de sang américain. Car, dans léventualité dune intervention terrestre, ceut été aux Américains, et non aux Britanniques ou aux Français, dassurer le plus dur des combats et dessuyer la majeure partie des pertes. La question se pose : quelle est la finalité de cette course aux armements? Pendant la guerre froide, elle sexpliquait par le prétendu danger de lURSS. Mais cette excuse nest plus valable. La raison "officielle" est le besoin de sauvegarder la paix et la démocratie. Ceci ne convaincra personne qui est capable de réfléchir. Les démarches des impérialistes sont déterminées uniquement par ce que les Allemands appellent la realpolitik, cest à dire le calcul le plus cynique de leurs intérêts propres. Bien sûr, aux yeux de lopinion publique, la diplomatie doit toujours être présentée sous une lumière flatteuse ("missions humanitaires", "forces de maintien de la paix", "politique étrangère éthique" et ainsi de suite). Ceci na rien de nouveau. Le cynisme et légoïsme sont depuis toujours le fil conducteur de la diplomatie capitaliste. Par exemple, quand il convenait dapaiser Hitler dans lespoir quil tournerait son attention vers lEst et attaquerait lUnion Soviétique, la classe dirigeante "démocratique" de la Grande Bretagne na pas hésité à offrir la Tchécoslovaquie à la tendre bienveillance des Nazis, tel un homme qui jette un os à un chien affamé. En évoquant la Tchécoslovaquie, en 1938, le Premier ministre Chamberlain la décrivait comme "un pays lointain, dont nous connaissons peu de choses". La guerre entre lIran et lIrak a provoqué la mort dun million dhommes. Mais ce conflit na guère retenu lattention puisquil ne touchait pas les intérêts vitaux de loccident. En fait, que les Irakiens et les Iraniens se massacrent mutuellement arrangeait plutôt les affaires de lOccident, puisque cela menait à lépuisement des deux camps. En vérité, Saddam Hussein a été vivement encouragé et fourni en armes par la Grande-Bretagne et les États-Unis, jusquau moment où, avec linvasion du Koweït, il leur a marché sur les pieds. La même indifférence cynique sest manifestée dans lattitude de lOccident envers lhorreur du génocide rwandais. Ces exemples ne servent quà souligner lhypocrisie des interventions prétendument "humanitaires" de limpérialisme en Bosnie, au Kosovo, ou au Timor Oriental. Dans chaque cas, il importe de dissiper le brouillard diplomatique afin dexposer les intérêts de classe que voilent les manuvres et la propagande officielle. Derrière les discours sur laide humanitaire et le maintien de la paix se cachent des intérêts égoïstes sordides. La guerre des États-Unis contre lIrak nétait pas davantage motivée par le sort du pauvre petit Koweït que la première guerre mondiale ne létait par celui de la Belgique. Le souci principal des États-Unis concernait la menace constituée par laugmentation significative du pouvoir de lIrak dans une région stratégiquement importante pour la fourniture de pétrole aux États-Unis. Le bombardement de lIrak adressait un avertissement aux peuples du Moyen-Orient et du Golfe : "Si vous sortez du droit chemin, voyez ce quon vous fera!" Presque dix ans plus tard, le bombardement de lIrak se poursuit, même sil est évident aux yeux de tous que lIrak est à terre et ne peut en aucun cas constituer une menace sérieuse pour les États-Unis. Les bombardements et le harcèlement militaire sont accompagnés dun embargo économique non moins monstrueux, qui comprend, entre autres, une interdiction dimporter des crayons -- décidément de très dangereuses armes dans les mains des écoliers irakiens! Les pays sous-développés et les limites de la puissance américaine Le fait que limpérialisme américain soit devenu la seule puissance mondiale de cette envergure, loin devant les autres, crée une situation internationale sans précédant. Les États-Unis sont aujourdhui la puissance la plus contre-révolutionnaire que lhistoire ait jamais connue. Elle est toujours prête à user de tous les moyens pour ébranler les gouvernements qui lui déplaisent. En Afrique, en Asie, en Amérique latine, elle nhésite pas à donner de laide aux pires bandits, pourvu que ceux-ci sattaquent aux forces quelle estime sopposer à ses intérêts stratégiques. Ces cinquante dernières années, le bas prix des matières premières a joué un rôle vital dans le développement du capitalisme occidental. Cela nest pas une considération de second ordre. Le contrôle des débouchés du pétrole et des autres matières premières est un facteur majeur de la politique internationale des États-Unis, ainsi que des autres puissances impérialistes. Cest pourquoi ils sont prêts à recourir aux méthodes les plus brutales pour intimider les peuples du monde sous-développé. Au cours de ces années de "paix" mondiale évoquées plus haut, le phénomène le plus marquant a été la révolution anti-coloniale. Ce fut le plus grand mouvement des peuples depuis la chute de lempire romain : en Chine, en Inde, en Indochine, en Afrique, ce magnifique soulèvement des peuples opprimés a mobilisé des centaines de millions d'hommes et de femmes qui n'étaient guère plus que des esclaves, des bêtes de somme. Lhistoire ne connaît rien de comparable à cette lutte des peuples pour leur émancipation sociale et nationale. Dans cette lutte titanique, limpérialisme fut vaincu. Ce mouvement fortement progressiste a été anticipé par le dirigeant de la révolution russe Léon Trotsky, à la veille de la deuxième guerre mondiale. Trotsky écrivait alors qu'à terme il ne serait plus possible de soumettre les peuples coloniaux par des moyens directs. Les impérialistes britanniques ont été les premiers à comprendre cette réalité. Ils ont vu quil était impossible dasservir les populations coloniales, en Afrique et en Inde, par la force militaire. Les Britanniques ont été expulsés par un mouvement de masse. On ne sait pas, généralement, que limpérialisme britannique a conquis lInde et sy est établi au moyen de troupes indiennes. Autrement, ils n'auraient pas pu y maintenir leur contrôle. Avant la conquête, lInde était morcelée en de nombreux petits États. Il ny avait pas de conscience nationale indienne. Paradoxalement, cest limpérialisme britannique qui a crée une conscience nationale en Inde. Lors du soulèvement populaire en 1947, le gouvernement britannique a demandé au général Auchinleck combien de temps il pensait pouvoir tenir en Inde. Les Britanniques étaient confrontés à des mutineries dans larmée, à des émeutes, des grèves et des manifestations. Le général a répondu : "Pas plus que trois jours". Dès lors que le peuple indien a pris conscience de lui-même en tant que nation et sest retourné contre ses oppresseurs, ce fut le début de la fin de la domination directe de la Grande-Bretagne. Dans un pays après l'autre, les impérialistes étaient forcés de renoncer au contrôle militaire et bureaucratique de leurs possessions coloniales. En France, De Gaulle était confronté à la même réalité en 1958. Arrivé au pouvoir sur le slogan de l'Algérie française, il s'est rendu compte de ce que lui coûtait la guerre contre le peuple algérien, et a décidé de se retirer. Il en est résulté une crise sociale et politique qui aurait bien pu mener à une révolution, si le PCF avait eu une politique réellement communiste. Ceci indique à quel point une révolution anti-coloniale peut avoir de profonds effets dans les métropoles. La même chose sest produite au Portugal en 1974-75, lorsque la tentative de soumettre lAngola, le Mozambique et la Guinée-Bissau a déclenché une révolution au Portugal. Enfin, en 1960, la Belgique a du quitter le Congo, après avoir délibérément provoqué le chaos qui y règne aujourdhui. La révolution anti-coloniale fut une grande victoire, un grand pas en avant. Mais dans le cadre du capitalisme, aucun des problèmes fondamentaux de ces pays ne pouvait trouver de solution. Après un demi-siècle de soi-disant indépendance, la classe capitaliste na résolu les problèmes ni du Pakistan, ni de lInde. Le problème agraire ny est pas résolu, pas plus que celui de la modernisation de la société. En Inde (et aussi dans certaines régions du Pakistan) le système des castes, cette relique du passé féodal, est toujours en place. Ni lInde ni le Pakistan nont résolu non plus le problème national, dont les conséquences peuvent être explosives, en particulier dans le Kashmir. En réalité, aucun de ces pays, en dépit des ornements de leur indépendance formelle, n'est réellement libre. Au contraire, ils sont aujourdhui plus encore sous domination impérialiste quils ne létaient il y a 50 ans. Les récents développements du sous-continent indien révèlent lexistence dinsoutenables contradictions. Les deux puissances nucléaires (Inde et Pakistan) ont frôlé la guerre. Pour détourner lattention du grand désordre qui règne au Pakistan, Nawaz Sharif a fait un coup de bluff désespéré au Kashmir. Peut-être voulait-il profiter de la crise gouvernementale en Inde ; quoi quil en soit, dans ces événements les Pakistanais ont non seulement échoué, mais en outre cet échec a déclenché le processus qui a mené au coup dÉtat. Les Pakistanais ont essayé doccuper des territoires, dans les montagnes du Kashmir. Au lieu de les reprendre, larmée indienne a perdu des centaines dhommes. Étant donné les difficultés que représente un assaut frontal à de telles hauteurs, larmée indienne considérait activement la possibilité de lancer une manuvre latérale, ce qui serait revenu à violer la frontière avec le Pakistan. Une telle initiative aurait rendu inévitable une guerre ouverte et aux conséquences incalculables entre les deux pays. Seule la pression exercée sur Nawaz Sharif par Washington a permis déviter une telle perspective. Mais en cherchant à se justifier devant lopinion publique pakistanaise, Nawaz Sharif a commis lerreur impardonnable de faire porter à larmée la responsabilité de la défaite. Son sort en fut scellé, et immédiatement un nouveau coup dÉtat militaire secouait le Pakistan. Ces événements à eux seuls révèlent limpasse totale du capitalisme dans les pays ex-coloniaux. Inutile de dire, en outre, que le problème du Kashmir nest pas résolu, et porte en lui les germes de nouvelles guerres. Partout les pays ex-coloniaux sont ravagés par la guerre et linstabilité. Il est impossible pour eux de résoudre leurs problèmes dans le cadre du capitalisme qui, comme le disait Lénine, est "une horreur sans fin". En ce moment, en Afrique, se déroulent quatre ou cinq terribles guerres, caractérisées par des massacres ethniques, et même des irruptions de cannibalisme. Certaines de ces guerres se déroulent dans des pays potentiellement très riches, comme lAngola, ou le Congo. Avec une hypocrisie caractéristique, les impérialistes font la moue et publient des articles plus ou moins racistes qui présentent les Africains comme de sauvages sous-hommes. Les guerres y sont décrites comme des guerres tribales alors quen réalité la plupart dentre elles sont des guerres par procuration que se livrent les puissances capitalistes dans leur lutte pour acquérir des marchés et des matières premières. Des pays comme lAngola ou le Congo possèdent dénormes ressources minérales qui suscitent beaucoup dintérêt chez les impérialistes. Le cas du Congo est particulièrement frappant. Ce pays potentiellement riche a été réduit à létat de poussière. De vastes régions du pays sont sous le contrôle des rebelles et des troupes étrangères. Le Zimbabwe, lAngola et la Namibie soutiennent le gouvernement de Kabila, qui ne maîtrise pas la moitié du pays. LUganda et le Rwanda contrôlent les rebelles, et le Burundi y intervient également. Tous attendent de pouvoir mettre la main sur les mines du Congo, ou sur toute autre richesse naturelle. En dépit de toutes les tentatives de cessez-le-feu, le conflit du Congo se poursuit. Cest une guerre réactionnaire des deux côtés. Les États-Unis et la France se livrent bataille sur le territoire africain à travers des armées intermédiaires. Aussi sont-ils très largement responsables de tout le chaos qui vient dêtre évoqué. Jamais dans lhistoire na existé de puissance militaire et économique aussi colossale que lactuel impérialisme américain. Jamais la planète na été si largement dominée par un seul pays. Dans ses relations avec les autres pays les États-Unis font preuve dune extraordinaire arrogance. A légard de la Yougoslavie, la position initiale de Washington était : "Faites ce quon vous dit ou nous vous bombarderons." Cependant, à y regarder de plus près, on se rend compte que le colosse a des pieds dargile. Sa puissance est limitée y compris dans les domaines où il semble invincible. A ce propos, Trotsky avait prévu que les États-Unis sortiraient vainqueurs de la deuxième guerre mondiale et domineraient alors le monde, mais il ajoutait que ses fondations seraient "chargées de dynamite". Nous en sommes précisément là. Si, il y a un siècle, limpérialisme britannique a pu tirer dalléchants profits de la mise à feu et à sang de ses colonies. Les États-Unis ont hérité de la Grande-Bretagne le rôle de gendarme du monde, mais dans un contexte complètement différent. En période de déclin du capitalisme, les États-Unis vont beaucoup plus perdre que gagner à ce jeu. A long terme, les inconvénients de ce rôle auront de profonds effets sociaux au sein même des États-Unis. Les récentes manifestations qui se sont déroulées à Seattle, lors de la conférence de lOMC, sont une illustration graphique de cette réalité. La guerre du Vietnam fut un tournant de lhistoire. Cétait, de toute lhistoire des États-Unis, la première quils perdaient. Ce traumatisme a contribué à former un comportement bien particulier de la classe dirigeante américaine en ce qui concerne la guerre. Noublions dailleurs pas que limpérialisme américain na pas été battu au Vietnam, mais à lintérieur de ses propres frontières. Il y a eu un soulèvement, une mobilisation des masses américaines, dont les connotations étaient révolutionnaires. Larmée américaine au Vietnam était tellement démoralisée quun général américain a déclaré que lhumeur des troupes névoquait rien de moins que la situation de Petrograd en 1917. La plus importante puissance impérialiste jamais vue dans lhistoire devait reculer devant une armée paysanne marchant pieds nus. Cela eut de profonds effets sur la stratégie militaire des États-Unis. Après la guerre du Vietnam, limpérialisme américain ne peut plus envisager une intervention terrestre dans aucun pays, exception faite de lArabie Saoudite. Du fait de l'importance de lArabie Saoudite pour léconomie américaine, les États-Unis, si nécessaire, seraient poussés à intervenir, probablement jusquà loccupation des aires littorales, où se trouve le pétrole, ne laissant que le désert aux Saoudiens. LArabie Saoudite est extrêmement instable. Sa dette publique sélève à présent à 10% du P.N.B. La clique dirigeante qui sappuie sur la famille royale ne peut plus se permettre les grandes concessions quelle faisait, dans le passé, à la population. Les divisions au sommet de la société que reflètent les querelles au sein de la famille royale, sont lexpression des tensions qui samplifient dans la société saoudienne. Le spectre de la révolution hante la péninsule arabique. Et pas seulement en Arabie Saoudite. Du fait des fluctuations violentes que subit le prix du pétrole, il ny a pas un seul régime capitaliste stable dans tout le Moyen-Orient. Lhistoire des révolutions nous montre que celles-ci commencent non à la base, mais au sommet, par des divisions au sein de la classe dominante. Le célèbre sociologue et historien français Alexis de Tocqueville a étudié ce processus en détail et décrit ce qui se passe lorsque lancien régime rentre en pleine crise. Une partie de la classe dominante dit : si lon ne réforme pas, il y aura une révolution ; lautre partie dit : si on réforme, il y aura une révolution... et les deux ont raison. Cette analyse correspond parfaitement à la situation à laquelle la monarchie arabe fait face en ce moment. Ces régimes semblent à première vue prospères et très stables. LArabie Saoudite, le Bahrain et le Koweït sont tous dirigés par des familles royales, ainsi que la Jordanie et le Maroc. Et cependant il nest pas une seule de ces familles qui ne soit divisée. Cest lindication dun développement de tensions révolutionnaires dans ces sociétés. Partout le spectre de la révolution commence à réapparaître. En Iran, après 20 ans de réaction fondamentaliste, sous le régime des Mullahs, la population se réveille. Comme toujours, le mouvement commence par les étudiants et les intellectuels, les plus précis baromètres des tensions cachées de la société. Les manifestations de masse de lan dernier ont servi à avertir le régime que la patience de la population est épuisée. Lexplosion des étudiants inaugure une nouvelle révolution iranienne. Certes le mouvement sest replié depuis lété, face à une terrible répression. Mais il refera inévitablement surface, et doublement vigoureux. Les stratèges du Capital en sont très vite arrivés aux mêmes conclusions que nous-mêmes. Dans un récent numéro du Business News, on peut lire : "Plusieurs observateurs des émeutes de juillet dernier ont interprété les affrontements entre les étudiants dun côté, la police et la racaille religieuse dextrême droite de lautre, comme un avertissement au sujet de ce qui se passerait si le gouvernement ne cédait pas. "Khatami est notre dernière chance pour une réforme pacifique" a déclaré Ali Rezar-Alavi-Tabar, un éditeur du Sobh-e-Emrooz journal à Téhéran, et aussi un soutien clé de Khatami." Ces événements sont une anticipation dun processus qui va prochainement traverser le Golfe et le Moyen-Orient. Ils sont très importants non seulement pour lIran, mais aussi pour la révolution à léchelle mondiale et font certainement trembler la classe dirigeante américaine. L'Iran nest pas un pays quelconque. Cest un pays d'une importance stratégique décisive. Or, cest ici que nous touchons aux limites de limpérialisme américain. LIran était tout aussi stratégique en 1979, mais il était hors de question pour les Américains de tenter une intervention pour sauver le Shah, leur allié. Ils en étaient réduits à observer, dans une rage impuissante, le renversement du Shah et la mise à sac de leur ambassade. Si les États-Unis ne pouvaient pas intervenir en 1979, comment le pourraient-ils aujourdhui face à une nouvelle révolution iranienne? Une telle évolution aurait des implications dans tout le Moyen-Orient. Les États-Unis seraient partout sur la défensive. Et si, comme cest hautement probable, ils décidaient dintervenir en Arabie Saoudite pour protéger leurs intérêts liés au pétrole, cela provoquerait des mouvements sociaux dans chaque pays du Moyen-Orient. Pas une ambassade américaine ne resterait debout. Et les effets sen feraient sentir jusquen Asie, en Afrique et en Amérique Latine. Cet orage qui menace déclater explique pourquoi les impérialismes américain, britannique et français sont en train de sarmer massivement. Quoi quil en soit, les limites de la puissance de limpérialisme sont révélées par le fait que, depuis la guerre du Vietnam, le Pentagone se refuse, dans la mesure du possible, au déploiement de troupes terrestres. Durant ces 20 dernières années, si lon fait exception de lIrak, il ne sy est résolu que lorsquil sagissait de petits et faibles pays. Et même là, chaque fois, cela a fini soit pas très bien, soit carrément mal. Au Liban et en Somalie, les États-Unis en ont même été réduits à lhumiliation du retrait de leurs troupes. Selon l'agence Stratfor : "Lintervention en Iraq fut la première dune série incluant la Somalie, Haïti, la Bosnie, et, maintenant, le Kosovo. Toutes nont pas bien fini. La Somalie était, dans une certaine mesure, un échec. Linvasion de Haïti a destitué le gouvernement en place, mais nul noserait affirmer que cela a sorti le pays de sa misère. En Bosnie, lintervention de courte durée annoncée sest transformée en occupation permanente. Mais aucune de ces interventions na forcé les États-Unis à faire face à la question fondamentale : quelles sont les limites de la puissance américaine?" (Rapport Stratfor du 3 mai 1999). Ceci explique la vive opposition américaine à un déploiement terrestre au Kosovo, et sa préférence pour une intervention aérienne. Les États-Unis ne doutaient pas un instant quils auraient perdu beaucoup dhommes dans une intervention terrestre. Et cela aurait des répercussions considérables sur les populations des pays de lOTAN, et tout particulièrement sur la population américaine elle-même. Les manifestations à Seattle eussent parues insignifiantes comparées aux mouvements sociaux sopposant à la guerre. Heureusement pour Clinton, un accord a pu être trouvé, avec laide de la Russie, et la nécessité dune intervention terrestre fut écartée. Les États-Unis vont probablement se lancer furieusement dans le perfectionnement de leur arsenal d'armes de longue portée. Cependant, tôt ou tard, limpérialisme américain se trouvera dans lobligation duser des troupes terrestres, et den assumer les conséquences. La prépondérance de l'Allemagne en Europe La division du monde en blocs régionaux est une des tendances majeures de notre époque. Après la deuxième guerre mondiale, les États-Unis dominaient complètement lEurope de lOuest ; lEurope de lEst était quant à elle sous domination russe, de sorte que lEurope se trouvait être scindée en deux. Tout cela a aujourdhui changé. Mais même avant la chute du Stalinisme, le monde commençait déjà à se diviser en plusieurs blocs économiques rivaux. l'ALENA est un bloc dominé par limpérialisme américain qui inclut, au nord, le Canada, et au sud, le Mexique. En réalité, les États-Unis considèrent la totalité du continent américain comme son territoire privé. De son côté, le Japon sefforce de faire de lAsie sa sphère dinfluence propre. Quant aux capitalistes européens, ils ont formé lUnion Européenne. Le lancement de la monnaie européenne a communément été interprété comme la preuve tangible de lévolution du continent en direction dun État européen, ou tout au moins dune grande Fédération. Cette interprétation méconnaît profondément la réalité de ce qui se met effectivement en place. Il est vrai que le processus dintégration de lEurope est allé plus loin que nous l'avions imaginé possible. Mais il nen demeure pas moins limité, et dans tous les cas le processus est loin davoir éliminé les contradictions profondes qui existent entre les États membres. Il faut surtout souligner quil ny a quune seule véritable grande puissance économique en Europe, à savoir lAllemagne. Ce fait, perceptible depuis longtemps, est graduellement devenu une évidence, surtout depuis le tournant majeur dans lhistoire de lEurope et du monde qu'était la chute du mur de Berlin en 1989. Rétrospectivement, il est probable que lintroduction de leuro sera considérée comme l'apogée de lintégration de lEurope sur des bases capitalistes. Pourtant, à tous les niveaux, se manifestent des conflits dintérêts entre les pays membres de l'Union Européenne. La France est déterminée à défendre son industrie agroalimentaire, y compris pour des raisons politiques et sociales. Cette industrie est menacée par les démarches de l'Allemagne, qui se tourne vers lEst, vers ses anciennes colonies, en République Tchèque, en Pologne et dans les Balkans. La France se tourne vers le Sud, vers ses anciennes colonies en Afrique du nord et vers ses voisins méditerranéens, lEspagne et lItalie, quelle considère comme ses alliés potentiels. La Grande-Bretagne, quant à elle, est un cas un peu spécial. Après des décennies de déclin industriel, elle a perdu la plupart de sa puissance et de son influence, mais pas pour autant ses illusions et sa folie des grandeurs. Dans les faits, elle est largement devenue une économie rentière, comme la France davant la deuxième guerre mondiale, et un semi-satellite des États-Unis. Les autres et plus petites puissances européennes gravitent, comme toujours, autour des trois principales, ici un jour, là le lendemain, en fonction des enjeux du moment. Par exemple, la Grèce est en train de déterminer sa politique par rapport à la Turquie et à la Serbie. Tous les États sont guidés par leur intérêt national propre. Mais c'est l'Allemagne qui détient le pouvoir décisif au sein de l'Union Européenne . A lorigine, la création dune Union Européenne devait lier la France et lAllemagne de manière à rendre impossible une nouvelle guerre entre ces deux pays. Mais lintention de la France a toujours été dêtre la force dominante de cette union. Et, au début, cétait le cas : lAllemagne en était encore à travailler à son retour sur scène, après sa catastrophique défaite de 1945. Mais, plus tard, la croissance de sa base industrielle lui a permis de dépasser la France. Paris se consolait alors à lidée que si lAllemagne était devenue la puissance économique dominante de lEurope, la France conservait la suprématie politique et militaire. Mais à présent, tous ces calculs ne valent plus rien. Fort de sa réunification, lAllemagne émerge comme une super-puissance de plein droit. Et à vrai dire, il était bien utopique dimaginer que sa puissance économique ne finirait pas par se traduire au plan politique et militaire, et que la classe dirigeante allemande se contenterait éternellement de jouer les seconds violons sur la scène internationale. La réunification a fait resurgir tous les vieux rêves de puissance de la classe dirigeante allemande. Aujourdhui, lAllemagne dépense un peu moins dargent dans larmement que la Grande-Bretagne et la France (355 dollars par an et par habitant), mais elle a une base industrielle grandiose, une armée très puissante, et une population de quatre-vingts millions de personnes au cur de lEurope. Elle a déjà réussi au moyen de son économie ce quelle avait tenté d'accomplir au cours des deux guerres mondiales, à savoir lunification de lEurope sous sa domination. Cependant, la puissance politique et militaire de l'Allemagne n'est pas encore à la hauteur de sa puissance économique. L'Allemagne s'imposera davantage en tant que puissance militaire dans les années à venir. Pendant la crise du Kosovo, pour la première fois depuis 1945, les troupes allemandes ont participé à une action militaire sur le territoire dun pays européen. C'était une participation modeste, mais sa signification symbolique est considérable. Des signes évidents nous montrent que lAllemagne simpatiente toujours plus face aux restrictions artificielles à son rôle européen que lui impose la suspicion de ses voisins. En août 1999, le chancelier Schröder déclarait que "lAllemagne a tout intérêt à se considérer comme une grande puissance européenne." Et il ajoutait : "LAllemagne nest ni mieux ni moins bien que les autres pays." Par quoi le chancelier allemand voulait dire : "Je ne sais pas ce que les gens ont contre lAllemagne. Cest un pays comme les autres." A quoi The Economist a répondu : "Oui, monsieur Schröder, lAllemagne nest ni mieux ni moins bien que les autres pays. Elle est juste très grande et au centre de lEurope." Ces dernières lignes expriment admirablement la véritable attitude de la France et de la Grande-Bretagne à légard de lAllemagne. Mais rien ne pourra empêcher lAllemagne de traduire sa force industrielle et économique en puissance politique et militaire. Bismarck définissait l "hégémonie" de la manière suivante : "cest une relation inégale établie entre une grande puissance et une ou plusieurs plus petites puissances qui nen repose pas moins sur une égalité formelle, juridique, entre ces États. Ce nest pas tant un rapport de gouvernant à gouverné que de meneur à suiveur ". Voila qui est une assez bonne description du rapport de force auquel aspire lAllemagne, au sein de lEurope. Cela mènera inévitablement à des collisions avec la France et la Grande-Bretagne, qui ne consentiront pas au rôle subalterne que l'Allemagne veut leur imposer. La politique étrangère de lAllemagne ressemble à celle qu'elle pratiquait il y a cent ans. Sa position historique et géographique, ainsi que ses intérêts économiques, lorientent vers lEst, où elle espère intégrer ses États clients à lUnion Européenne. Ladhésion de pays comme la Pologne ou la Hongrie à lUE signifierait la mort de la Politique Agricole Commune : doù le conflit avec la France, dont les agriculteurs profitent de la PAC. Dun autre côté, la Grande-Bretagne, si elle ne soppose pas à lentrée dans lUE de pays qui constitueront de nouveaux débouchés pour ses produits, elle est par contre violemment opposée à toute idée de changer le système de vote de lUE, qui pourrait mener à labolition de son droit de veto. Mais comment une UE élargie pourrait-elle permettre aux petits États de lEurope de lEst de bloquer ses décisions? Dans tous les cas, la Grande-Bretagne, qui contribue largement au budget de lUE, ne consentira pas à augmenter encore ses frais en subventionnant ces pays... au profit de lAllemagne. Ainsi, la question de lélargissement de lUE jette une grande quantité dhuile sur le feu des désaccords nationaux. La nomination de Berlin comme capitale est une décision historiquement symbolique. Les capitalistes allemands nont pas perdu de temps pour sinstaller en Pologne et dans dautres pays de lEurope de lEst. Ils procèdent à la reconstruction de leurs anciennes colonies et sphères dinfluence, conformément à lancienne politique étrangère de Drang nach Osten, la poussée vers l'Est. Cette même politique a mené à léclatement de la Tchécoslovaquie. Ces actions correspondent clairement aux intérêts de limpérialisme allemand, lequel, après avoir conquis la domination économique de lEurope, affirme à présent son pouvoir politique et militaire. Des alliances et conflits temporaires peuvent engendrer toutes sortes de nouveaux accords et blocs épisodiques, mais le fait le plus important est que le vieil axe entre la France et lAllemagne se dissout à grande vitesse. A ce sujet, The Economist écrit: "La France semble s'inquiéter de temps à autre du rapprochement entre lAllemagne et la Grande-Bretagne. La France commençant à se sentir trahie, une série de petites disputes sest allumée, depuis que M. Schröder est au pouvoir." Ce qui compte ici, ce ne sont pas les disputes, mais le sentiment croissant, à Paris, quil ne faut plus compter sur le soutien automatique de lAllemagne, et que celle-ci est déterminée à suivre sa destinée, que cela plaise ou non à la France. Comme dans la période précédant 1914, on assiste à de constantes manuvres de position entre la France, la Grande-Bretagne et lAllemagne. A l'époque, on pouvait croire dans un premier temps que lAllemagne sunirait avec la Grande-Bretagne contre la France. Mais la puissance grandissante de lAllemagne, qui menaçait de modifier léquilibre des pouvoirs en Europe, a jeté la Grande-Bretagne dans les bras de son vieil ennemi, la France. La question fut réglée par lEntente Cordiale, lorsque la Grande-Bretagne et la France formèrent effectivement un bloc contre lAllemagne. Nous faisons face aujourdhui à une situation identique. Un représentant du Foreign Office britannique a déclaré que "les nations nont pas damis permanents; elles nont que des intérêts permanents." Malgré les accrocs entre la France et la Grande-Bretagne au sujet de lexportation de buf britannique, un rapprochement entre ces deux pays est à plus ou moins long terme inévitable. Les intérêts permanents de la Grande-Bretagne en Europe la pousseront à sunir avec la France pour contrer la puissance de lAllemagne. La guerre dans les Balkans Comme toujours, les causes de linstabilité des Balkans doivent être cherchées en dehors des Balkans mêmes. Le point de départ de la crise des Balkans a été leffondrement de lURSS et la réunification de lAllemagne. Il y a dix ans, la nouvelle unification de lAllemagne constituait un changement fondamental des rapports de force au sein de lEurope. De la même manière, dans la deuxième moitié du 19ème siècle, la montée en puissance de lAllemagne, consécutive à son unification, avait complètement modifié les rapports de force en Europe, et avait notamment préparé le terrain pour trois guerres. Dans les deux cas, les Balkans en furent affectés dune manière déterminante, ce qui a en retour affecté la situation internationale dans son ensemble. Par une ironie de lhistoire, le 21ème siècle commence tout juste comme le 20ème. Jusqu'à récemment, les Européens simaginaient que la guerre ne touchait que dautres peuples, sur dautres continents. La classe ouvrière européenne avait oublié ce quest la guerre, de même quelle a oublié à quoi ressemblent les révolutions et les contre-révolutions. Le bombardement de civils, le nettoyage ethnique, la folie xénophobe et les camps de concentration étaient supposés nappartenir quau passé. La guerre du Kosovo a imposé un rude réveil à lEurope. Elle constitue un tournant majeur dans lhistoire du continent et du monde entier. Elle rappelle concrètement que nous nen sommes plus à lépoque où léquilibre de lopposition entre deux super-puissances (les États-Unis et lURSS) déterminait la relative stabilité des rapports internationaux. A lépoque, il aurait été hors de question que les États-Unis se permettent dattaquer lIrak ou de bombarder la Yougoslavie. La disparition de lURSS a permis aux États-Unis démerger comme lunique super-puissance mondiale, et lui a permis de développer une politique étrangère plus agressive. Les textes politiques que nous avons publiés au sujet des Balkans ces huit dernières années nous autorisent à dire que nous sommes la seule organisation à navoir pas perdu la tête, et à avoir maintenu sur cette question une position de classe et internationaliste. Quel était la signification de ce conflit? Tout dabord, il constitue une modification majeure de la situation mondiale. Il signifie un changement fondamental des rapports de force internationaux qui se sont développés ces dix dernières années, depuis leffondrement du Stalinisme et de lUnion Soviétique. On a tendance à attribuer à la politique étrangère de Washington une finesse et une capacité d'anticipation qui soit à la mesure de sa puissance militaire. Et pourtant, si l'on considère les actions de limpérialisme américain, il est difficile de discerner, dans les Balkans, une stratégie à long terme cohérente, et qui ne repose pas sur le simple principe de lutilisation de son irrésistible puissance de feu pour agresser le reste du monde et imposer aux gouvernements sa volonté. Le principal -- et peut-être unique -- péché dont sest rendu coupable le gouvernement yougoslave aux yeux de Washington, cest de nêtre pas prêt à se plier à ses dictats. Les seuls qui aient semblé savoir depuis le début ce quils voulaient dans les Balkans, qui ont établi une série dobjectifs bien définis suivant un plan daction précis, ce sont les Allemands. Le premier résultat en fut la désintégration de la Yougoslavie. Bien entendu, celle-ci connaissait déjà des problèmes internes. Labolition de lautonomie du Kosovo -- en elle-même une expression des contradictions du vieux système -- a aggravé les tendances nationalistes que Tito sétait toujours efforcé de contrôler. Mais, comme toujours, les flammes ont été attisées de lextérieur. En simmisçant dans les affaires internes de la Yougoslavie, en poussant la Slovénie et la Croatie à rompre avec la Yougoslavie, lAllemagne a déchaîné des forces que ni elle ni qui que ce soit ne pouvait plus contrôler. Sans doute nont-ils pas anticipé les conséquences de leurs actions. La démission du ministre allemand des affaires étrangères, Genscher, était une façon tacite de reconnaître leur mauvais calcul. Quoi quil en soit, ce sont d'autres -- et en particulier la France et la Grande-Bretagne qui ont dû en assumer les frais. La brutalité impérialiste de l'OTAN Linsolence de limpérialisme américain, qui cherche à imposer ses volontés au reste du monde, sest exprimée tout dabord par lagression de lIrak, puis par le bombardement du Kosovo. Dans le fond, lOTAN nest quune couverture pour les ambitions mondiales des États-Unis. Lors du sommet tenu par lOTAN, début 1999, un nouveau document stratégique a été présenté qui élargissait le pouvoir dintervention de lOTAN. Ce texte constitue une révision fondamentale des normes de la diplomatie internationale, qui sont restées essentiellement les mêmes pendant 350 ans. Depuis le traité de Westphalie en 1648, le principe de base des relations internationales, du moins sur le papier, était celui de non-ingérence dans les affaires internes dautrui. En ce qui concerne le Kosovo, il est difficile de dire si les États-Unis ont agi suivant un plan préconçu. Cest une possibilité, mais cest celle qui semble la moins probable. Il est plus probable que toute la guerre a été la conséquence dun mauvais calcul. Clinton a été poussé par le Département d'État à croire que Belgrade se rendrait aussitôt que quelques bombes auraient été lâchées. Mais les choses ne se sont pas déroulées aussi simplement. Le Président Truman a fait la remarque que les généraux américains étaient incapables de marcher et de mâcher du chewing-gum simultanément. Quoi quil en soit, dans laffaire du Kosovo, pour une fois, le Pentagone sest montré plus intelligent que lactuel Président des États-Unis. Daprès des rapports fiables, il y a eu une lutte entre le Pentagone et le Département d'État au sujet de la ligne daction à suivre. Le Pentagone sinquiétait de cette aventure en Yougoslavie et en particulier d'une guerre terrestre. Pour rassurer les généraux, Clinton a explicitement exclu, dès le début, léventualité dune intervention terrestre une décision qui a été très critiquée par les experts militaires américains et dailleurs. Il est évident que les États-Unis ne voulaient pas être entraînés dans une guerre dans les Balkans. Ce que voulaient les États-Unis, cétait la stabilité des Balkans -- sous leur contrôle. Le problème, avec la Yougoslavie, cest quelle ne se pliait pas aux volontés des États-Unis. Le prestige des États-Unis était aussi un facteur. Le succès des opérations militaires au Kosovo était essentiel pour prouver le sérieux que met lOTAN à atteindre ses objectifs déclarés. Madeleine Albright -- probablement la plus obtuse des secrétaires d'État que les États-Unis aient jamais eu -- a fait tout ce qui était en son pouvoir pour provoquer les Yougoslaves. Larrogance pouvait se lire dans les "accords" de Rambouillet, qui étaient écrits de telle manière quaucun gouvernement souverain de ce monde ne pourrait les accepter. Ces accords étaient comparables à linfâme ultimatum posé par lAutriche-Hongrie à la Serbie, en 1914. Comme il était prévisible, la Serbie les a refusé, et les bombardements ont commencé. Mais d'emblée, les choses ont mal tourné pour lOTAN. Belgrade ne capitulait pas et larmée yougoslave ne pouvait être détruite. Cest pourquoi lOTAN a délibérément bombardé des cibles civiles : des usines, des maisons, des ponts, des hôpitaux, des écoles. Le but était alors de terroriser le peuple yougoslave, pour lobliger à se soumettre à limpérialisme américain, comme en Irak. Mais en Irak, après huit années de bombardements et de blocus économique, Washington est plus loin que jamais dy avoir atteint ses objectifs stratégiques. Et il est très probable quil en sera de même, à long terme, dans les Balkans. La puissance militaire de limpérialisme américain est énorme. Ses moyens de destruction sont extraordinaires et terrifiants. Ceci dit, la propagande américaine exagère en permanence les capacités et la portée de sa technologie militaire. Par exemple, ils ont fait tout un opéra de leurs bombes soi-disant "intelligentes". Elles sont si précises, disaient-ils, que même dune très haute altitude, elles peuvent atteindre la plus petite des cibles. Lobjectif dune telle propagande était de faire croire à lopinion publique américaine quils allaient gagner une guerre "propre", juste en larguant quelques bombes. Or, si toute cette propagande était fondée, il serait difficile dexpliquer pourquoi des cibles comme lambassade chinoise, des colonnes de réfugiés Kosovars, ou encore ces pays alliés que sont lAlbanie et la Bulgarie, ont été bombardés. En réalité, de tels faits démontrent que la théorie de linfaillibilité des bombes "intelligentes" est une pure absurdité. On dit souvent que la vérité est la première victime dune guerre. En 1914, la France et la Grande-Bretagne ont lancé une campagne de propagande visant à diaboliser les Allemands, en les accusant de perpétrer en Belgique, quils occupaient, les pires crimes. Certaines de ces histoires datrocités étaient fondées, dautres ne létaient pas, ou étaient largement exagérées. Cette propagande était en elle-même une sorte dinstrument militaire, dans la mesure où elle préparait lopinion publique au massacre de la première guerre mondiale. De la même manière, toutes sortes de crimes sordides furent attribués aux Serbes. Et sans aucun doute des atrocités ont été perpétrées par les Serbes sur les Albanais du Kosovo, mais pas à léchelle quon nous a présentée. En fait, la plupart des crimes ont été perpétrés après que lOTAN a commencé son bombardement. Et les auteurs en étaient non pas larmée yougoslave, mais les dénommés Tchetniks, cest-à-dire des bandes paramilitaires fascisantes. Le même phénomène a eu lieu dans chaque guerre dans les Balkans. Et il est faux de dire que ces choses-là ont été le monopole des serbes. La Croatie a expulsé 300 000 serbes de terres quils avaient occupées pendant plusieurs siècles. La Croatie a aussi lancé une campagne de nettoyage ethnique contre les musulmans bosniaques de Mostar, en 1993. Mais tout cela fut entièrement accepté par lOccident, en vertu du principe selon lequel "lennemi de mon ennemi est mon ami". Ils ont recouvert ces événements dun silence complice, de même quils se taisent à présent au sujet du nettoyage ethnique et des meurtres de civils serbes perpétrés par lUCK. Dans toutes les guerres, on utilise la propagande comme une arme auxiliaire aux chars, avions et missiles guidés. Mais lavalanche de propagande qui a accompagné ce conflit du premier au dernier jour est probablement sans précédent. Durant les bombardements, les dirigeants de lOTAN ont construit un barrage de propagande visant à convaincre leurs peuples respectifs quil sagissait dune guerre "juste". Il était impossible à la masse de la population dentendre une autre version. Dès lors, même si aucun enthousiasme guerrier nanimait, par exemple, les peuples anglais et américain, la plupart des gens ont accepté la guerre, à contre-cur, comme étant inévitable. Cependant, en Italie et en Grèce, une opposition massive à la guerre sest développée. De même, en Allemagne, l'opposition à la guerre a causé de sérieux problèmes internes au SPD et aux Verts. Les Allemands, à la différence des Anglais, navaient pas connu de guerre depuis 1945, et ne souhaitaient pas renouveler lexpérience. Il est évident que toute la propagande en faveur de la guerre était un tissu de mensonges et que les stratèges de lOTAN n'étaient pas motivés par des préoccupations humanitaires. Leur refus daccueillir les réfugiés sur leur territoire le démontre à lui seul. En réalité, les massacres perpétrées à l'encontre des Albanais kosovars arrangeaient l'OTAN, puisqu'ils servaient à justifier les bombardements. Plus l'OTAN exagérait l'étendue des massacres, plus elle pouvait justifier les bombardements. Limage que lOTAN aime donner delle-même est celle de la grande et heureuse famille des pays démocratiques, unie pour la défense de la paix et de la civilisation. Cette image est cependant loin de représenter la réalité. Après la chute de lUnion Soviétique, lOTAN a taché daugmenter le nombre de ses membres, à travers un processus qui sarrête à la frontière de la Russie. Comme la guerre au Kosovo la démontré, lOTAN a discuté, sans parvenir à un accord, lidée dimposer un embargo pétrolier à la Serbie. Or, imposer un tel embargo aurait signifié sengager dans un conflit avec la Russie, dans la mesure où cela impliquait de bloquer les pétroliers russes. La Russie aurait alors mobilisé une escorte navale, ce qui aurait inévitablement mené à un conflit armé. Pour rendre légal ce type dopération, lOTAN aurait eu à obtenir laccord de lONU. Cependant, la Russie et la Chine, au Conseil de Sécurité, auraient rejeté toute résolution permettant à lOTAN darrêter et de fouiller les bateaux en pleine mer. Cest pourquoi la France, la Grèce et lItalie -- tous trois membres de lOTAN -- se sont opposés en bloc à lidée dembargo. Finalement, lidée a dû être abandonnée, prouvant une fois de plus que lOTAN na pas de politique unifiée, et a bien failli, pendant la durée des bombardements, provoquer une scission dans ses rangs. Pendant toute la durée des bombardements, le gouvernement des États-Unis a du se battre pour maintenir l'unité de lOTAN La stratégie militaire des États-Unis se heurtait aux limites de lopposition à lintérieur même de l'organisation. En mars, le gouvernement italien était en difficulté. Le parlement italien a dû voter pour la réouverture des négociations et pour la suspension des bombardements. Aussi lItalie et la Grèce étaient-ils considérés comme les points faibles de lOTAN. LAllemagne, elle aussi, nétait pas très enthousiasmée par cette guerre. Après une semaine de bombardement, des sondages dopinion établissaient quun allemand sur quatre seulement était en faveur dune intervention terrestre. Au sein même du gouvernement, cette question suscitait des hésitations. Le parti des Verts étaient sous la pression de ses membres dont une fraction significative sopposait à la guerre, et une opposition prenait forme au sein même du SPD. Si une intervention terrestre avait été engagée, l'éclatement de lOTAN aurait été très probable. Cest pourquoi, finalement, lOTAN et les États-Unis ont été obligé de manuvrer avec la Russie pour aboutir à une solution au conflit qui ne comprenait pas dintervention terrestre. LOTAN a-t-elle atteint ses objectifs dans les Balkans? A la fin de la guerre, l'OTAN a prétendu avoir gagné la guerre. Que pouvaient-elle dire dautre? Il fallait donner l'impression que les bombardements étaient parvenus à détruire la machine de guerre yougoslave. LOTAN a prétendu quun tiers des chars serbes, soit des centaines de véhicules, avaient été détruits. Mais en réalité, on na pu en compter que 13 ! Comme le révèle le Guardian du 4/07/99, "il apparaît que les dommages infligés aux forces terrestres serbes sont minimes comparés à ce quen prétendait Jamie Shea lors des conférences de presse enthousiastes que donnait quotidiennement lOTAN." Larmée yougoslave était intacte. Elle sétait enterrée, en attendant le combat terrestre. Il est clair que cette armée sétait préparée au combat. Si un combat terrestre sétait engagé, il nest même pas sûr que les Américains lauraient gagné. Cela aurait été sans aucun doute une affaire très sanglante, infligeant de lourdes pertes des deux côtés. Le terrain de combat aurait été très difficile pour larmée américaine, et sans comparaison possible avec celui de la guerre du Golfe. Cest pourquoi le Pentagone sy est opposé. Dans de telles circonstances, la très fragile unité de lOTAN aurait été soumise à dénormes tensions. Il y aurait eu une très puissante opposition à la guerre dans tous les pays membres de lOTAN, y compris la Grande-Bretagne et les États-Unis. Ce ne sont pas les bombardements qui ont obligé l'armée yougoslave à se retirer, mais plutôt le fait que les Russes, et en particulier Eltsine et Tchernomédine, étaient eux aussi terrifiés à lidée dune guerre en Yougoslavie. Ils en craignaient les effets sur la Russie même. A la fin des bombardements, les correspondants russes tombèrent de perplexité en apercevant les troupes serbes quitter le Kosovo en brandissant des drapeaux et en signant la victoire. "Ca ne ressemble pas à une armée vaincue. Ne savent-ils pas quils ont été battus?" ont-ils demandés. En effet, larmée yougoslave na pas été battue au combat. Elle a été trahie, ce qui est une toute autre affaire. Et cela aura de profondes conséquences en Russie et en Yougoslavie. Daprès un article de Richard Norton-Taylor paru dans le Guardian du 30/06/99, "LOTAN, bien entendu, navait pas dautre choix que de crier victoire. Un bon moyen de clamer le succès alors que les choses ne sont pas allées comme prévu, cest de changer les termes même de lobjectif quon avait fixé." En mars, le deuxième jour des bombardements, le ministre britannique de la défense établissait que lobjectif des bombardements était de "prévenir une catastrophe humanitaire imminente, en contrant les attaques violentes actuelles contre les Albanais du Kosovo perpétrées par les forces de sécurité yougoslaves, et de limiter leur capacité à se livrer, à lavenir, à de telles répressions." Or, le nettoyage ethnique a essentiellement eu lieu après le début des bombardements, et larmée yougoslave est restée quasiment intacte. Le fait que larmée yougoslave nait pas été battue a même été reconnu par certains membres de lUCK Le Guardian du 30/06/99 raconte que daprès Lirak Qelaj, un soldat de lUCK âgé de 26 ans, "les Serbes nont pas été battus. De même les bombardements nont-ils pas été aussi efficaces, au Kosovo, que ne le souhaitaient ce jeune soldat et ses camarades. LUCK, confirme-t-il, avait de grandes peines à faire face aux attaques serbes et nétait pas capable de protéger les milliers de personnes déplacées depuis la fin du mois de mars. Il a aussi révélé que l'exode de centaines de milliers d'Albanais qui ont quitté le Kosovo était plus le résultat des directives de l'UCK que des déportations organisées par les Serbes." Au début des bombardements, les diplomates de lOTAN déclaraient que "lalliance se donne pour objectif dentamer sérieusement, sinon de détruire larmée serbe."(Financial Times du 27/03/99) Cétait une question de stratégie importante. La domination de la Serbie est une condition cruciale pour la domination de tous les Balkans. Mais fin avril, il était devenu clair que "léchec de cette campagne avait causé un trouble croissant chez les politiciens des deux côtés de lAtlantique."( Financial Times du 23/04/99) Une fois les bombardements terminés, un aperçu plus réaliste de la guerre commençait à émerger. Le Wall Street Journal remarque quil "manquera quelque chose à la fin de cette guerre : le sentiment d'avoir gagné. Après avoir subi, 76 jours durant, lassaut dune si grande force militaire, équipée des armes les plus récentes et puissantes, Milosevic, le chef de ce petit État de seulement 11 millions dhabitants, a été capable de négocier un compromis." Le général Sir Michael Rose, écrivait dans une lettre au Times publiée le 14/07/99 : "Je suis surpris de vous voir accréditer la propagande actuelle menée par les politiciens britanniques et de lOTAN, qui nous répètent inlassablement que la campagne militaire menée par lOTAN au Kosovo a atteint ses objectifs. Car ce nest manifestement pas le cas. Après onze semaines dune des plus intenses campagnes aériennes de toute lhistoire militaire, il est évident que lOTAN a complètement échoué dans la poursuite de ses objectifs initiaux. De milliers de personnes sont mortes, et plus dun million ont dû sexiler. LAlliance a été obligée de reformuler ses objectifs de guerre : il sagissait alors de permettre aux Albanais du Kosovo de retourner chez eux en toute sécurité. Le succès dans cette tâche secondaire ne doit pas obscurcir la leçon fondamentale de cette campagne aérienne : il est impossible dassurer la sécurité dun peuple en larguant des bombes à 5000 mètres daltitude. Au lieu de sengager dans un cynique exercice de propagande, lOTAN ferait mieux de réfléchir aux manières dont elle pourra, à lavenir, engager efficacement des guerres humanitaires. LAlliance devra, pour ce faire, se doter dune meilleure direction et faire preuve dune meilleure préparation au déploiement de troupes au sol. Car, malheureusement, ses deux éléments essentiels semblent aujourdhui faire défaut." La guerre a aggravé l'instabilité des Balkans Bien que cette guerre ait aussi été menée sous le slogan du droit à lautodétermination pour les Albanais du Kosovo, il est évident que la division de la Yougoslavie nétait pas lobjectif de lOTAN Comme le souligne le Financial Times du 27/03/99, "la complète désintégration de la Yougoslavie ne peut pas être un des objectifs de guerre de lOTAN. Celle-ci soppose à lidée dun Kosovo indépendant, comme risquant de déstabiliser toute la région." Initialement, au contraire, lOTAN est intervenue dans le but de prévenir lélargissement du conflit, et avec lintention de stabiliser la situation des Balkans. Mais au lieu de cela, lOTAN a aggravé la situation. Aujourdhui, les Balkans dans leur ensemble sont plus instables que jamais. Laccord de Rambouillet stipulait l'objectif doccuper toute la Yougoslavie. Cest désormais hors de question. Les Américains nen contrôlent pas moins, aujourd'hui, une bonne partie des Balkans : non seulement la Bosnie -- qui est, comme le Kosovo, un protectorat américain -- mais aussi la Macédoine et lAlbanie. A ce stade, les États-Unis doivent décider de ce quils veulent faire de leur position dans cette région. Leur objectif initial était détablir une stabilité des Balkans sous leur contrôle, et den faire ainsi leur protectorat. Mais voilà : linvasion du Kosovo na nullement apporté la stabilité. Non contents davoir réduit la Serbie en cendres, ils lui imposent un blocus économique brutal qui aura pour effet de désorganiser léconomie serbe, et dinfliger alors de terribles souffrances à la population. Or, il n'y a aucune possibilité dune renaissance économique des Balkans sans la reconstruction de la Serbie. Le blocus aura de sérieuses conséquences sur tous les États voisins, qui connaîtront linstabilité et la souffrance. Par ailleurs, la guerre menace aussi le Monténégro, où les occidentaux intriguent à leurs propres fins. Bien que lOTAN veuille éviter un effondrement complet de la Yougoslavie, elle nen cherche pas moins des points dappui pour affaiblir le gouvernement de Belgrade. La présence de troupes occidentales, en Bosnie et au Kosovo, encourage le gouvernement monténégrin dans la voie dune rupture avec la fédération yougoslave. Le gouvernement monténégrin est clairement ouvert aux investissements occidentaux. Il est intéressant de noter que ce gouvernement prévoit de réaliser son propre programme de privatisations à grande échelle. Significativement, il veut aussi introduire sa propre monnaie, en parité avec le Mark allemand. Et pourtant, une telle sécession mènerait probablement à une nouvelle guerre et déstabiliserait toute la région. La Macédoine subit, elle aussi, dénormes pressions. Sept cent cinquante mille Albanais -- soit 23% de la population -- vivent dans lOuest de la Macédoine. Et comme le souligne le Financial Times du 27/03/99, " il est très difficile dimaginer que les Albanais de Macédoine n'en soient pas affectés. En bref, si les aspirations albanaises sont encouragées au Kosovo, le processus de déplacement des frontières et des populations pourrait reprendre... ouvrant une nouvelle période de guerres balkaniques." Le taux de 40% de chômeurs ne fait quaggraver le problème. La présence de 12000 soldats de lOTAN est la seule chose qui maintient une certaine stabilité. Au Kosovo même, lUCK ne cesse de battre le tambour en réclamant lindépendance du Kosovo. Ils veulent sinstaller eux-mêmes au pouvoir, mais leur succès est très improbable puisque les Américains ne veulent pas dun Kosovo indépendant. Cela signifierait en effet la création dune Grande Albanie, et cela aurait de graves conséquences sur le reste de la région. LUCK parle même dinclure dans la Grande Albanie non seulement une partie de la Macédoine, mais aussi une partie de la Grèce. Voilà qui est dangereux ! Cela ne pourrait être quun point de départ pour de nouvelles catastrophes militaires pour tous les peuples des Balkans. Par-dessus tout, léventuelle division de la Macédoine constitue une menace de guerre impliquant militairement non seulement la région elle-même, mais aussi peut-être la Grèce, lAlbanie, la Bulgarie, et même la Roumanie et la Hongrie. Il faut même envisager la possibilité quun conflit général, dans les Balkans, jette face à face ces vieux ennemis que sont la Grèce et la Turquie. Les conséquences de tout cela sur les États-Unis, lOTAN et lUnion Européenne sont incalculables. Cest pourquoi les Américains sont piégés au Kosovo, comme ils le sont en Bosnie. Ils ne peuvent se retirer sans provoquer un bouleversement des Balkans qui impliquerait ses alliés et mènerait à léclatement de lOTAN elle-même. Dernièrement, la Croatie s'est quelque peu calmée. Mais après la mort de Tudjman, le pays court le risque de vivre de nouveaux bouleversements. Franjo Tudjman était encore un de ces anciens staliniens convertis au nationalisme capitaliste. Cet ancien "communiste" utilisait les symboles et le langage du fasciste croate Ustacha, dont le régime était si sanglant que les nazis allemands eux-mêmes en dénonçaient la brutalité. Aussi longtemps que cela servait ses intérêts, limpérialisme américain saccommodait de cette politique de nettoyage ethnique des musulmans serbes et bosniaques. Mais après les événements du Kosovo, les Américains commençaient déjà à prendre leur distance à légard de Tudjman, non seulement parce que ses jours étaient comptés, mais aussi parce quil nétait pas toujours prêt, dans ses choix politiques, à suivre la ligne américaine. Par exemple, Tudjman voulait que les Croates de Bosnie aient leur propre identité politique, ce qui constitue un premier pas vers leur absorption dans une Grande Croatie -- lobjectif à long terme de Tudjman. Or, cette politique était en rupture ouverte avec les accords de Dayton. Dautre part, Tudjman avait prévenu quil y avait des limites à sa coopération avec le tribunal des crimes de guerre des Nations Unies. Les Américains préfèreraient que la Croatie soit gouvernée par de plus dociles laquais, et ils vont manuvrer pour instaurer un régime de marionnettes à Zagreb. Mais petit à petit la population prend conscience du fait que le passage au capitalisme na rien emmené dautre que des guerres et la misère. Les travailleurs croates commencent à se mobiliser. Toute lhistoire montre quil y a un lien entre la guerre et la révolution. Lorsque le brouillard du chauvinisme retombe, les peuples font le point sur leur situation réelle et commencent à tirer leurs propres conclusions. Leur colère se dirige alors contre les cliques dirigeantes qui les ont menés sur les sentiers de la mort, de la destruction et de lappauvrissement. Tant que dure la guerre, les travailleurs avancent tête baissée. Mais cela ne peut durer éternellement. Tôt ou tard, ils entrent dans larène des luttes. Il y a eu, en Croatie, de grandes grèves de la part des travailleurs, dont la presse occidentale a très peu rendu compte. Cela préfigure le processus qui va prendre place prochainement dans tous les pays balkaniques. A un certain stade, le terrain sera favorable à une politique de classe internationaliste, fondée sur le programme dune fédération socialiste des peuples des Balkans : la seule façon de sortir du cauchemar actuel. Le réformisme et l'impérialisme Il y a une connexion organique entre la politique intérieure et la politique étrangère. Cela a été merveilleusement rendu par la formule dialectique de Clausewitz : "La guerre est la continuation de la politique par dautres moyens." Ceci est profondément vrai. Un marxiste ne peut pas prôner une politique pour la paix et une autre pour la guerre. Dans lun de ses derniers articles, Les syndicats à lépoque de la décadence de limpérialisme, Trotsky expliquait que les directions syndicales avaient une tendance organique à fusionner avec lÉtat capitaliste. Le jugement de Trotsky sest révélé être juste. Les directions des syndicats et des partis de gauche se sont partout alignées sur les intérêts des État capitalistes, et ce à un degré sans précédant. Elles agissent en agents des grosses banques et des multinationales. Sur la scène internationale, elles sont les soutiens les plus enthousiastes de limpérialisme, et en particulier de limpérialisme américain. Ainsi, lors de la guerre au Kosovo, Tony Blair était le plus obéissant de tous ceux qui ont emboîté le pas à Clinton. Le Ministre de la Défense britannique de l'époque, Georges Robertson, est aujourd'hui le secrétaire général de lOTAN. Il ny a là rien daccidentel. Lécrasante domination économique et militaire des États-Unis trouve, elle aussi, son expression dans les échelons supérieurs des organisations de gauche. Les dirigeants réformistes des partis socialistes et communistes sont éblouis par le pouvoir. Naturellement ! Les bureaucrates sont toujours impressionnés par le pouvoir, que ce soit dans leur pays ou ailleurs. Ceci explique lattitude de Blair et de Schröder à l'égard de limpérialisme américain. Cest une loi qui gouverne le comportement des réformistes de droite aussi rigoureusement que les lois de Newton et dEinstein gouvernent les mouvements des corps physiques. Dans leur propre pays, ils sont parfois encore plus serviles à légard des banques et des multinationales que les politiciens des partis de droite. La raison en est simple à trouver. La bureaucratie des partis de gauche, du fait de sa position intermédiaire entre le salariat et les grands capitalistes, jette toujours sur la classe dominante des regards où se mêlent la crainte et lenvie. Ils se sentent inférieurs et ce sentiment les plonge dans un puissant état psychologique fondé sur le besoin de prouver que lon peut compter sur eux pour contenir le mouvement social, quils sont les défenseurs les plus fiables de lordre établi, et ainsi de suite. Voilà pourquoi les dirigeants de gauche sont souvent plus serviles à l'égard des capitalistes que les politiciens de droite. Ils sont moins capables de mener une politique indépendante. Parfois, une administration conservatrice composée dhommes daffaires et de banquiers en vient à élaborer une politique relativement indépendante à l'égard des intérêts immédiats des banques et des multinationales, sacrifiant les intérêts à court terme de telle ou telle section de la classe capitaliste pour mieux défendre les intérêts à long terme de cette classe dans son ensemble. Les réformistes sont organiquement incapables dun tel comportement. De même que le contremaître dune usine tyrannise les ouvriers, alors quil est lui-même issu de leur rang, et lèche les bottes du patron, les réformistes de droite ne perdent pas une occasion de frapper les sections les plus faibles et défavorisées de la société, en appliquant à la lettre les volontés des riches. Et sur la scène internationale, les dirigeants de gauche se disputent le palmarès de loyauté à légard de lOTAN, cest à dire du Big Brother outre-atlantique. En vérité, de temps en temps, il arrive que les contradictions qui éclatent entre les intérêts de leurs propres banquiers et industriels et ceux des États-Unis les plonge dans une sorte de schizophrénie politique. Mais la tendance fondamentale du réformisme nen reste pas moins la défense des lois du capitalisme, à léchelle nationale et internationale. Cependant ce processus a une autre face : à un certain degré de son développement, il provoquera des convulsions et des crises au sein des principales organisations du salariat, ouvrant ainsi la voie à la formation de courants de gauche importants qui seront ouverts aux idées marxistes. Une nouvelle variété de réformisme, un réformisme "de gauche" sera porté alors au premier plan. Mais les représentants de ces courants sont hélas bien confus et noffrent pas dalternative sérieuse. Alors que les dirigeants plus droitiers soutiennent ouvertement les intérêts de la classe capitaliste, les réformistes de gauche essayent doccuper une position plus intermédiaire. Leur confusion se révèle clairement dès quil est question de la guerre. De même quils acceptent leur capitalisme national, tout en exigeant de lui quil soit plus tendre avec les travailleurs, de même ils acceptent la politique mondiale de limpérialisme et les dictats des multinationales tout en réclamant la paix. Ils ressemblent ainsi à un végétarien bien intentionné qui tente de convaincre un tigre sanguinaire de renoncer à la viande et de se contenter des salades vertes. Leur utopisme boiteux sexprime dans leurs appels constants aux Nations Unies, dont ils imaginent bêtement quelles sont capables de maintenir la paix entre les grandes puissances, à la manière d'un gentleman anglais qui aide les vieilles personnes à traverser la rue. Les "Nations Unies" et la guerre En plus décrire sur la lutte des classes, Karl Marx sest longuement consacré à létude des relations internationales et de la diplomatie. Trotsky lui aussi recommandait sérieusement aux travailleurs conscients détudier la diplomatie et den comprendre le fonctionnement afin de saisir les réalités qui se cachent derrière les mensonges diplomatiques. Cest notre travail à nous aussi, en tant que marxistes et internationalistes, dexposer la fausseté de la propagande impérialiste, et de révéler les intérêts et les manipulations cyniques que recouvre la phraséologie diplomatique. Nous avons fait notre devoir pendant la guerre au Kosovo, en dévoilant les mensonges et lhypocrisie de limpérialisme américain, et de ses acolytes à Londres, Paris et Bonn. De même, une part importante de notre travail consiste à expliquer le mensonge que constitue lidée des Nations Unies comme force de paix. Il est nécessaire dappréhender consciemment la politique, que ce soit la politique nationale ou internationale, dun point de vue de classe. Il y a bien des analogies existant entre la guerre entre classes et la guerre entre nations. Les mêmes principes de base sy appliquent. Par exemple, un accord -- que ce soit entre un patron et ses employés ou entre nations -- nest jamais que lexpression du rapport de force momentané entre les parties. Il nest rien de plus. Il faut être bien naïf pour croire quune signature sur un bout de papier suffit à résoudre un problème sérieux. Le jour où les rapports de force changent, laccord n'a plus de valeur. Dans une usine, laccord est alors dénoncé, soit par les travailleurs, soit, et le plus souvent, par le patron. La question se règle dans un conflit qui détermine lequel des deux camps est assez fort pour imposer un accord qui lui est plus favorable. Le même schéma sapplique aux accords et aux traités entre nations. Hegel -- ce merveilleux philosophe -- est très impopulaire, parce quincompris, chez les bourgeois et les petits bourgeois. Entre autres critiques stupides quils lui font, ils essayent dexpliquer quil fut un apologue de la guerre, un précurseur du militarisme et même de Hitler. Or, ce que disait Hegel, cest que dans lhistoire tous les problèmes sérieux se règlent par la guerre. On voit mal quel argument opposer à cette idée élémentaire. Toute lhistoire montre que lorsque la classe dirigeante fait face à des problèmes dont dépendent ses intérêts fondamentaux, elle ne recourt pas à des traités, des négociations ou à dautres choses de cet ordre. Elle recourt à la guerre. On peut le regretter, mais cela nen est pas moins un fait. Lidée que les conflits entre nations peuvent se résoudre au moyen dun arbitrage pacifique est une illusion profonde, comme la montrée lexpérience de la Société des Nations avant la deuxième guerre mondiale. De la même manière, toute lhistoire depuis 1945 -- et tout particulièrement ces 10 dernières années -- montre que personne ne prête une quelconque attention aux Nations Unies, à lexception des réformistes qui, à chaque crise internationale, bêlent en cur : "Les Nations Unies, sil vous plaît !" Ils essayent de présenter les Nations Unies comme la solution à tous les problèmes et à toutes les guerres. Autrement dit, ils ne comprennent pas lABC des relations mondiales et nont strictement rien appris de toute lhistoire des 50 dernières années. Solon dAthènes écrivait : "La loi est comme une toile daraignée : les petits sy font prendre et les grands la déchirent." Quelle profonde connaissance de la nature de la loi avait lauteur de la constitution athénienne ! Les Nations Unies ne peuvent rien résoudre. Pour être plus précis, les Nations Unies sont un forum représentant les différentes puissances impérialistes qui peut résoudre les questions secondaires dans lesquelles aucun de leurs intérêts fondamentaux nest en jeu. Les impérialistes américains reconnaissent, pour la forme, les Nations Unies, mais chaque fois quils ont un problème pour lequel les Nations Unies leur serait une gène, ils se contentent de lignorer. Cest ce quon a vu lors de la crise au Kosovo. Les dirigeants réformistes, y compris leur variété "de gauche", réclamaient à grands cris que soit établie la "légitimité" du bombardement de la Yougoslavie : "Le Conseil de Sécurité doit voter, les Nations Unies doivent décider !" Mais la guerre au Kosovo est une preuve de plus que lorsque les intérêts fondamentaux des États-Unis sont en cause, les principes de juridiction internationale les laissent parfaitement indifférents. Il ny a rien de nouveau dans tout cela. Lorsque Trotsky, en 1918, est allé conduire à Brest-Litovsk des négociations avec les impérialistes allemands et autrichiens, il essayait de faire tourner les négociations en rond pour gagner du temps. En même temps, il utilisait les tables de négociation dune façon internationaliste et révolutionnaire, en faisant des discours révolutionnaires qui étaient destinés, par-dessus les têtes des généraux et diplomates, aux travailleurs autrichiens et allemands. La tactique de Trotsky était très efficace. Ses discours étaient publiés dans les journaux allemands et autrichiens et avaient contribué à la mobilisation des travailleurs dans ces pays. Ceci dit, cette diplomatie révolutionnaire avait ses limites. A un moment donné, au milieu de lun des discours de Trotsky, Hoffmann, lun des généraux, a posé ses bottes sur la table. Et Trotsky ne doutait pas un instant que la seule chose qui fût concrète, dans cette salle, était cette paire de bottes sur la table. En dernière instance, toute diplomatie s'appuie sur la menace de la force. Dans le conflit au Kosovo, les intérêts vitaux de limpérialisme américain étaient en jeu. Cest pourquoi il était hors de question pour lui de sen référer au Conseil de Sécurité de lONU, où il aurait été sujet au veto des russes et des chinois. Aussi les Américains ont-ils tout simplement ignoré le Conseil de Sécurité. Suivant lexemple du général Hoffmann, ils ont mis leurs bottes sur la table. Ils ont fait la guerre à la Yougoslavie à travers lOTAN, qui est supposé être une alliance occidentale, mais qui nest en fait rien dautre quun bloc militaire sous domination américaine. Et bien que les États-Unis soient en faveur du maintien de lONU, qui peut parfois leur servir de couverture pour certaines opérations (comme en Corée), ils nhésitent pas, si nécessaire, à la mettre de côté. De toute manière, lONU dépend largement de financements américains : un fait que les Américains rappellent fréquemment à lONU en "oubliant" de payer ses cotisations. Bref, il est aussi insensé de prétendre soumettre la politique internationale des États-Unis aux décisions de lONU que de songer à mettre le budget militaire des mêmes États-Unis sous le contrôle de Greenpeace. Les conséquences pour la Russie Le conflit au Kosovo a eu de grands effets sur la Russie, et les répercussions sy font toujours sentir, tout particulièrement dans larmée russe. Les généraux russes ont été désagréablement secoués par cette guerre engagée contre leurs alliés traditionnels. Les militaires russes ont contemplé avec horreur la destruction de lappareil de défense aérienne yougoslave par des armes de haute technologie. Dix années de privatisations et d"économie de marché" nont pas seulement ruiné la Russie. Elles ont aussi mené à une sérieuse détérioration de la capacité de combat de larmée. Les militaires nont pas reçu dinvestissement conséquent depuis 10 ans. Et il est clair quils doivent en bouillir de rage. Létat dagitation de larmée russe sest révélé lors de lincident qui vit entrer les troupes russes à Pristina. Une fois terminé, il ne sest plus agit que dun épisode. Mais ce fut un très dangereux épisode, qui n'avait évidemment pas été prévu par le gouvernement russe. Le ministre des affaires étrangères, Ivanov, na rien vu venir. Le plus probable est que les généraux russes ont décidé que "trop cest trop", que lOTAN était allée trop loin, et que le moment était venu de sy opposer. Ivanov disait vrai lorsquil prétendait ne rien savoir de cette affaire. Il est même probable que Eltsine nen savait rien non plus, ce qui se laisse aisément concevoir dans la mesure où le président de la Russie ignore à peu près tout sur tout. Eltsine nest plus que le porte-parole de la clique du Kremlin. lls lappellent "le stylo" depuis que sa sur lui apporte des décrets quil se contente de signer. Atteint dalcoolisme jusquà la sénilité, Eltsine est, dune manière générale, incapable de réagir à quoi que ce soit -- et encore moins, donc, de monter un plan intelligent pour contrer lOTAN. Par contre, de temps à autre, il pique une crise de colère violente (généralement accompagnée dune rage jalouse à lencontre de son actuel premier ministre) et apparaît alors à la télévision pour annoncer la dissolution du gouvernement. Lun des hommes les plus franchement critiques à légard du gouvernement est le général Ivachin. Il est clair que ce général, ainsi que dautres, a décidé qu'on avait trop donné libre cours à l'OTAN. Mais qui que soit le commandant qui a donné lordre aux forces russes qui étaient en Bosnie dentrer à Pristina, il ne sagissait certainement pas dune plaisanterie. Elles ont été arrêtées à temps par des négociations, mais il nempêche que les risques de conflit étaient assez sérieux, comme la montré la panique des occidentaux à la nouvelle de loccupation de laéroport de Pristina par des Russes. Pourquoi Eltsine a-t-il abandonné la Yougoslavie à son sort ? Il la fait, comme Judas, pour 30 pièces dargent. A la différence près que la quantité dargent, dans notre cas, était bien plus considérable : 4,4 milliards de dollars, pour être exact. Des années de soi-disant réformes libérales ont ruiné la Russie, au point que celle-ci avait besoin de largent occidental pour éviter un effondrement complet. Un an plus tôt, les occidentaux ne lui auraient pas donné dargent, mais ils ont peur, aujourdhui, dun effondrement de la Russie. Ils ont peur que tout le programme de réforme ne s'inverse; que les militaires, avec les communistes et les nationalistes, ne renationalisent léconomie. La situation en Russie est extrêmement instable. Bien quelle soit parvenue, après la crise daoût 1998, à se stabiliser partiellement, il est évident que la situation ne peut se maintenir ainsi très longtemps. La crise économique daoût 1998 a soufflé comme un vent mortel sur les réformistes libéraux, et la crise de Kosovo est un clou de plus planté dans leur cercueil. Moscou est aux prises avec un état de crise permanent. Les centres les plus sensibles du pouvoir sont désormais affectés, y compris larmée, qui soppose toujours plus à la clique pro-occidentale qui a ruiné et humilié la Russie. A un moment donné un nouvel effondrement économique se produira. Dores et déjà sélève une réaction de masse contre le "marché", contre les "réformes", contre le capitalisme, lOccident et les Américains. La crise au Kosovo a joué le rôle de catalyseur : et cest pourquoi cette crise nétait pas nimporte quelle crise, mais constitue bien au contraire un tournant décisif pour la Russie et pour la situation mondiale dans son ensemble. Si lon considère la gravité de la ruine qui atteint la Russie, il est même étonnant de les voir tenir aussi longtemps. La seule chose qui a permis une stabilisation précaire de la situation, cest la politique de Zhuganov et des dirigeants du parti communiste. La guerre en Tchetchénie a clairement été déclenchée par le Kremlin pour faire diversion. Cela peut marcher un moment, mais cela peut aussi bien se retourner contre le Kremlin. A un moment donné, il y aura une nouvelle crise -- et ce même en labsence dune crise en Occident. Cette crise aura de profonds effets. Inévitablement, à un certain stade, la classe ouvrière russe renouera avec ses traditions de lutte et avec les idées révolutionnaires de 1905 et de 1917. Quoi qu'il arrive, un nouveau conflit entre la Russie et les États-Unis est inévitable. On sy prépare de part et dautre. Les Russes se réarmeront, ce qui a de sérieuses implications pour léconomie de marché en Russie, dans la mesure où, sur la base de lorganisation actuelle de léconomie russe, un programme sérieux de réarmement et de redressement national est impossible. Les commentateurs occidentaux sérieux ne se font aucune illusion, et cest pourquoi ils craignent que tout le programme de réforme fasse marche arrière. En effet, le seul moyen de commencer à résoudre la crise en Russie serait de rétablir une planification de léconomie. Le Caucase La nouvelle guerre en Tchetchénie est une preuve supplémentaire du déplacement du pouvoir, en Russie, vers larmée. Les généraux sont à présent bien en selle. Non seulement ils décident du déroulement de la guerre en Tchetchénie, mais encore ils le font sans égard pour ce quen pense la clique du Kremlin. Boris Eltsine est à présent hors course. Mais les dirigeants de larmée ne tiendront pas plus compte du soi-disant gouvernement russe, quils considèrent comme la source de tous leurs problèmes. Dès quils auront commencé à prendre goût au pouvoir politique, les militaires feront un pas de plus. Loffensive en Tchetchénie a suivi une série dattentats à la bombe, à Moscou et dans dautres villes russes. Cela a provoqué une panique dans la population. Les attentats ont immédiatement été mis sur le dos des terroristes tchétchènes. Cependant, à ce jour, aucune preuve précise na pu confirmer ces accusations. Aucun groupe tchétchène na revendiqué les attentats. En outre, dans le passé, les terroristes islamistes visaient des ambassades américaines, ou dautres cibles du même type. Mais les attentats dont nous parlons ont touché des immeubles résidentiels, et principalement dans des cartiers pauvres. Loin de profiter à la Tchetchénie, ces attentats ont profité au gouvernement russe et aux généraux de larmée. Lambiance dhystérie anti-tchétchène entretenue par les médias a permis de préparer psychologiquement les masses à cette nouvelle offensive. Il est très probable que ces attentats étaient une provocation organisée par une section de la clique dirigeante russe. Aux yeux de ces bandits, la mort de simples travailleurs est une pacotille. En conséquence, la guerre a été généralement populaire, en Russie, et les sondages dopinion sont si favorables à Poutine quon parle de lui comme dun possible candidat à la présidence. Les occidentaux feignent de shorrifier de la destruction de villes et de villages tchétchènes par larmée russe -- oubliant commodément quils ont fait exactement la même chose en Yougoslavie. Mais alors quils ont immédiatement utilisé les menaces et ultimatums contre Belgrade, ils sont cette fois-ci beaucoup plus réticents. La raison en est évidente : ils nosent pas affronter larmée russe. Cest aussi là lune des principales motivations de larmée russe : montrer quils sont encore "maîtres en leur demeure" et quils ne sont pas prêts à être humiliés devant le monde entier. La guerre en Tchetchénie est une sorte de démonstration de force de larmée russe qui montre au monde entier -- et pas seulement aux peuples du Caucase -- quils ne sont pas à prendre à la légère. La guerre a été engagée avec cette indifférence à légard des vies humaines qui a toujours caractérisé les généraux russes. Ils nont jamais traité très gentiment les peuples du Caucase, comme le rappelle lhistoire sanglante de la conquête tsariste de cette région. Ceci-dit, la propagande anti-russe empeste lhypocrisie. Ses auteurs ne sinquiètent pas plus du sort des Tchétchènes que de celui des Kurdes, des Albanais ou des Kosovars. Dans la mesure ou le conflit actuel fait partie de la lutte plus générale pour le contrôle du Caucase, les occidentaux sont intéressés par la question, et sont dailleurs largement responsables des différentes guerres qui ravagent cette région. Il va sans dire que nous condamnons lécrasement des petites nations du Caucase. Nous défendons le droit à lautodétermination des Tchétchènes et des autres peuples de cette région. Mais cela ne règle pas tout le problème. Les sécessionnistes tchétchènes se sont gravement trompés lorsquils ont joué la carte de lislamisme en intervenant dans les pays voisins que sont le Daghestan et lIngouchie. Cen était trop pour Moscou. Du coup, les Tchétchènes sont à présent en train de perdre lindépendance de fait quils avaient conquis. La Russie ne peut accepter la perte complète du Caucase, qui signifierait lentrée de limpérialisme américain dans son flanc sud, stratégiquement primordial. Il faut enfin prendre en considération les énormes réserves en minéraux et en pétrole. Bref, il est clair que larmée russe est prête à aller jusquau bout pour "pacifier" la Tchetchénie, même si cela doit signifier la mise à feu et à sang de tout le pays. Il y a déjà en Asie centrale une lutte féroce pour la possession des importantes réserves de pétrole, de gaz naturel, ainsi que dautres matières premières de cette région. La Russie y est en permanence en conflit avec la Turquie et les États-Unis. Cest pourquoi la guerre na jamais cessé de faire rage, au Caucase et en Asie centrale, ces dix dernières années. A la série de guerres qui sy est déroulée, il faut ajouter celles qui sy préparent. Il y a la guerre entre lAzerbaïdjan et lArménie, dans laquelle lArménie est soutenue par la Russie, lIran et la Grèce, alors que la Turquie, discrètement soutenue par les États-Unis, soutient lAzerbaïdjan. Il a déjà été établi que la Turquie est un allié des États-Unis et dIsraël. Les Américains ont très peur dintervenir directement dans ce conflit, qui cependant les intéresse beaucoup. Les États-Unis s'intéressent tout particulièrement au pétrole de lAzerbaïdjan et du Turkménistan. Une lutte pour un oléoduc est au centre de ce conflit. Les Américains appuient la Turquie, qui a des ambitions sur une vaste zone, dans la mesure où beaucoup de peuples, en Asie centrale et dans le Caucase, parlent une langue proche du Turc. LAzéri, la langue officielle de lAzerbaïdjan, est en réalité un dialecte turc; de même lOuzbek en est très proche; de même encore la langue parlée en Turkménistan. La Turquie est une puissance impérialiste de taille moyenne qui essaye de sétendre dans cette région. Elle entre de ce fait en conflit avec la Russie. La guerre en Tchetchénie est un élément dune situation plus générale. La Russie commence à réinvestir le Caucase, le Daghestan et la Tchetchénie. Mais la Russie ne peut imposer sa volonté dans le nord du Caucase sans avoir maîtrisé le sud, où elle est entrée en collision avec la Georgie et lAzerbaïdjan. Dans le Caucase, la Georgie joue un rôle incontournable. Moscou a accusé les deux pays daider les rebelles tchétchènes. Ce qui est certainement vrai. En dehors de fournir un passage pour le déplacement de biens et de personnes, la Georgie est le seul pays qui accepte la présence, quoique discrètement, d'une mission étrangère tchétchène. La Georgie et lAzerbaïdjan ont fait clairement savoir quils voulaient faire partie de lOTAN. Les États-Unis essayent déloigner ces pays de la Russie, ce qui menace directement les intérêts de celle-ci, qui ne tolèrera pas un tel processus. Le conflit qui en résulte est la cause sous-jacente du chaos qui règne actuellement dans le Caucase. La Georgie et lAzerbaïdjan, ainsi que lUkraine, lOuzbékistan et la Moldavie, sont déjà membres du regroupement indiscutablement pro-occidental GUUAM, lequel est passé d'une fonction initiale de coopération économique à une fonction sécuritaire. Ils ont même formé une force commune, afin de protéger le nouvel oléoduc de Baku-Supsor. Lobjectif déclaré, concernant cet oléoduc, et loléoduc de Baku-Ceyhan, quon prévoit de faire passer par la Georgie et la Turquie, est de créer un passage pour le pétrole des pays de lAsie centrale qui échappe au contrôle de la Russie. Cela constitue une menace à la fois économique et stratégique, pour la Russie, qui a répondu à cette provocation en réaffirmant son influence dans cette région. Le dirigeant de la Georgie, Chevardnadze, ancien ministre des affaires étrangères de la Russie, et proche de Gorbatchev, est un admirateur enthousiaste de lOccident qui ne cache pas son désir de faire partie de lOTAN. Dans une interview accordée au Financial Times le 25 octobre 1999, Chevardnadze a rendu compte de son intention de "frapper fort à la porte de lOTAN", d'ici 5 ans. Dans la mesure où cela constitue une menace directe pour la Russie, une telle déclaration dénote un manque d'intelligence de la part de son auteur. Naturellement, la Russie va réagir violemment, et celle-ci n'est pas sans avoir quelques cartes à jouer dans la région. Moscou exerce une pression croissante sur Tbilissi. En plus de soutenir lopposition pro-russe en Georgie, la Russie soutient le mouvement séparatiste de lOssétie du sud et de lAbkhazie qui menace de démembrer la Georgie. Jusquà récemment, Moscou avait des troupes en Georgie. Leur retrait nest quun expédiant stratégique temporaire. Moscou prépare à la Georgie un plat très épicé. Chevardnadze a échappé plusieurs fois à des tentatives d'assassinat. Sa chance pourrait ne pas durer. A sa manière caustique habituelle, l'agence Stratfor commentait ainsi la situation : "Les gardes-frontières russes, en quittant la capitale de la Georgie, Tbilissi, ont laissé derrière eux un petit cadeau : une mine anti-personnelle.. Ce geste est une petite illustration des démarches de plus grande envergure que mène la Russie pour réaffirmer son influence en Georgie et dans le reste du Caucase. La Russie doit établir son contrôle sur le sud du Caucase, afin de sassurer de la pérennité de son contrôle sur le nord, et sur les ressources de lAsie centrale. Le gouvernement géorgien actuel est un obstacle aux objectifs de la Russie -- un obstacle que celle-ci s'efforcera d'éliminer." (Stratfor.com Global Intelligence Update, le 29 octobre, 1999). Le dirigeant de lAbkhazie, Vladimir Ardzinba, a fait état de sa volonté de sallier avec la Russie contre la Georgie et de ses aspirations relatives à lOTAN. Fin septembre, la Russie a abrogé un accord bilatéral et ouvert sa frontière avec la région sécessionniste de l'Abkhazie, lui fournissant d'emblée un renforcement économique et militaire importante. Après avoir, en octobre, temporairement refermé la frontière, la Russie la réouverte le 26 octobre. De plus, en se retirant, les soldats russes ont laissé leur matériel, qui aurait dû revenir aux militaires géorgiens, tomber entre les mains des rebelles abkhazes. De son côté, lOssétie du Sud sest aussi rangé du côté russe. Son président, Ludvig Tchibirov, a déclaré au journal télévisé du 25 octobre 1999 que son gouvernement soutenait entièrement la campagne russe contre les "terroristes" tchétchènes. Une autre région sécessionniste, l'Adjarie, a refusé de payer des taxes au gouvernement géorgien et de laisser rentrer dans la région les représentants officiels du parti au pouvoir. La Russie a déjà prévenu la Georgie quelle doit cesser de soutenir le gouvernement séparatiste tchétchène et ses forces armées. Moscou a accusé la Georgie davoir précédemment offert protection et droit de passage aux Tchétchènes. Elle prétend aussi que les guérilleros tchétchènes ont rejoint les réfugiés fuyant en Georgie et quils sont en train de se regrouper sur le territoire georgien. Dans une interview du 26 octobre 1999 avec Moskovsky Komsomolets, le lieutenant général Gennady Troshev, dirigeant de larmée russe en Tchetchènie, a averti que si la Georgie ne fermait pas ses 80 kilomètres de frontière avec la Tchetchénie, la Russie les fermerait elle-même, et brutalement. Un avion de guerre russe en route vers des objectifs en Daghestan a dores et déjà "accidentellement" bombardé un village géorgien. Pendant ce temps, la Russie use de tous les moyens dont elle dispose pour resserrer son emprise sur le Caucase. Dans le sud du Caucase, lArménie est le principal allié de la Russie. Le 27 octobre, un groupe dhommes armés est entré dans le parlement, à Erevan, et a tué le Premier ministre ainsi que plusieurs autres membres du parlement. Déstabilisée, lArménie a immédiatement demandé laide de la Russie. Cétait prévisible, comme était prévisible la réponse de celle-ci. Le lendemain des assassinats, le commando délite Alpha, du Service de Sécurité Fédéral de la Russie, était envoyé à Erevan. Larmée arménienne, pro-russe, a lancé un avertissement public au gouvernement quelle ne resterait pas à rien faire, alors que la sécurité du pays était menacée. Il est difficile de dire qui est à l'origine de ces assassinats. Par contre, il est facile de voir qui en a profité. Le résultat net en est que lArménie est plus solidement liée à Moscou que jamais, ce qui a augmenté la pression sur la Georgie. En réponse aux événements en Tchetchénie et en Arménie, le Département dÉtat Georgien des Gardes-frontières a annoncé, le 28 octobre, quil avait doublé le nombre de ses troupes et mobilisé tous les officiers le long de la frontière arménienne. Cependant, la fermeture de la frontière arménienne ne réussira pas à refouler linfluence de la Russie sur la Georgie. Et après la Georgie vient lAzerbaïdjan, pays riche en pétrole. En somme, la Russie a lancé une campagne générale pour réaffirmer son contrôle sur le sud du Caucase. Quant à lOTAN, elle ne peut absolument rien faire pour len empêcher. Tout cela a des implications qui dépassent le cadre de la Tchetchénie et du Caucase. Au moment de l'effondrement de lURSS, nous prédisions que la Russie se lancerait inévitablement à la conquête des territoires et sphères dinfluences perdus. Les événements ultérieurs confirment cette prédiction. Nous avons prédit également que la Russie, la Biélorussie et lUkraine sallieraient. Ce processus est déjà engagé. Il y a en Ukraine un mouvement important en faveur dune alliance avec la Russie. En Biélorussie, on ne peut pas dire que le capitalisme se soit établi, et peu de choses ont changé depuis dix ans. Il y a là aussi un mouvement en faveur dune nouvelle alliance avec la Russie. En Ukraine, la situation est catastrophique. Les velléités de capitalisme y ont été encore plus désastreuses quen Russie. Voici ce quen disait récemment The Economist : "Avec une corruption rampante, un niveau dinvestissement quasiment nul, des services publics épouvantables, lUkraine est plus désorganisée que nimporte quel autre pays que lUnion Européenne avait jusqualors reconnu comme lun de ses candidats." Une large fraction de la population souhaite un rapprochement avec la Russie. Cest surtout vrai de la partie Est de lUkraine, et moins vrai de la partie Ouest, qui faisait partie de la Pologne autrefois. La plupart des Russes ne considèrent pas lUkraine comme un pays indépendant. LUkraine a été décrit par l'un des conseillers d'Eltsine comme une "entité provisoire". Cela exprime assez adéquatement la véritable attitude de Moscou à légard de lUkraine. Une union du "noyau dur" de lURSS -- la Fédération Russe, lUkraine et la Biélorussie constituerait un grand marché et agirait comme un puissant aimant sur les autres républiques. Dans lhypothèse dun effondrement mondial de léconomie, le processus de reconstitution de quelque chose de semblable à lURSS recevrait une puissante impulsion. Les républiques dAsie centrale se joindraient presque certainement de leur plein gré à ce mouvement. Leur appartenance à lUnion Soviétique leur était plus favorable que leur isolement actuel, en dépit du fait quelles y subissaient une terrible oppression. Dans cette hypothèse, le destin des États des Balkans dépendrait exclusivement de la volonté de Moscou. Ils pourraient être occupés en quelques jours. Le traitement quy reçoivent les minorités russes fournirait lexcuse dune intervention. Qui pourrait lempêcher? LOTAN et lUE grogneraient, mais noseraient pas lever le petit doigt. Dans ces conditions, il nest pas du tout sûr que larmée russe sarrêterait de lautre côté de la frontière polonaise. Dans tous les cas, dans lhypothèse dune profonde crise de léconomie mondiale, les troubles se répandraient dans toute lEurope de lEst et les Balkans. Des pays comme la Roumanie, la Bulgarie et la Serbie, où le mouvement vers le capitalisme a débouché sur un désastre, voteraient probablement pour un retour au bercail. Lattitude des polonais, des hongrois et des tchèques reste à voir. Mais partout, les partis pro-occidentaux, pro-capitalistes, seraient confrontés à de graves problèmes. Pour la majeure partie de la population, en Europe de lEst et en Russie, le mouvement vers le capitalisme a été une catastrophe. The Economist -- un partisan enthousiaste de léconomie de marché -- admet que "la liste des perdants est longue. Partout la même plainte résonne : " les gens qui nous gouvernaient, la "nomenklatura" communiste, sont toujours au pouvoir. Ce sont les apparatchiks les plus rusés et les directeurs dusine les plus endurcis qui ont le plus profité du passage au capitalisme, en tirant avantage des opérations de privatisation. La corruption sévit dans tout le monde ex-communiste. Le crime organisé envahit la région, ne rencontrant quune faible opposition de la part des politiciens, des juges et de la police. La condition des professionnels qualifiés, de même que celle des gens sans instruction qui travaillaient dans des villes en situation de faillite industrielle, est déplorable. Partout, les plus de 60 ans sont misérables ; leur épargne et leur pension de retraite sont pathétiques. Pour les intellectuels ratés qui servaient lordre ancien, la vie est dure : avant, les poètes et les peintres (!) touchaient un traitement mensuel et bénéficiaient dun logement quasiment gratuit. Le chômage est passé dun niveau presque nul à plus de 10%. Cest une ironie de lère post-communiste que les mêmes travailleurs -- par exemple, les mineurs et ceux de la construction navale -- qui ont tellement contribué au renversement du communisme, ont souvent été aussi les premiers à perdre leur emploi dans le nouvel ordre social (sic!). Bien que la plupart des pays de lancien Pacte de Varsovie se développent de nouveau, lécart entre les pays riches et les pays pauvres sélargit. Dautres fossés se creusent, entre les métropoles et les petites villes, puis entre les petites villes et la campagne. Plus on va vers lest et plus lagriculture se détériore. En Pologne, le cinquième de la population travaille dans l'agriculture ; lentrée du pays dans lUE fera tomber leur nombre à 5%. Dans presque tous les pays ex-communistes, le niveau de santé de la population est en baisse. Dans certains, lespérance de vie a brusquement diminué. En Russie, un homme vit en moyenne 58 ans, cest-à-dire autant que dans bien des endroits de lAfrique. La population totale (aujourdhui environ 147 millions) a diminué par tranches de 1 million dindividus par an." (The Economist ; 6/11/99) Nous assistons aux débuts dune réaction générale contre léconomie de marché, à travers toute lEurope de lEst. Largument selon lequel léconomie de marché résoudrait tous les problèmes de la Russie et de lEurope de lEst sest révélé être faux. Même en Allemagne de lEst il existe une réaction grandissante contre léconomie de marché, comme lindique laugmentation des votes pour le SPD. La masse des gens ne veut vivre ni sous un régime totalitaire et bureaucratique de type stalinien, ni sous la dictature des grosses banques et des multinationales capitalistes. Lavènement dune profonde crise économique, à léchelle mondiale, plongera toutes les économies de lEurope de lEst dans une crise. Un peu tardivement, lOccident prend conscience de la situation réelle de pays comme la Pologne, où la classe ouvrière a une grande tradition révolutionnaire. Strobe Talbolt, le conseiller stratégique actuel de Clinton pour lEurope de lEst et la Russie, observait dun air morne que les Polonais ont été "trop secoués et pas assez soignés". Nous allons assister à des développements révolutionnaires, en particulier en Pologne, où la classe ouvrière a vu les fruits de tous ses efforts réduits à néant par les parvenus capitalistes qui détiennent le pouvoir. Dans le contexte d'une nouvelle crise économique mondiale, lidée quil est nécessaire de se baser sur une économie nationalisée et planifiée, mais sous le contrôle des travailleurs eux-mêmes, gagnera rapidement du terrain en Pologne. Un nouvel isolationnisme? "Les États-Unis sont un colosse enfourchant le monde. Ils dominent les affaires, le commerce et les communications. Son économie est la plus florissante du monde, et sa puissance militaire est sans égale. Et pourtant, malgré tout cela, le colosse est incertain. Il a tant de pouvoir mais ne sait pas comment se comporter" (The Economist, 23/10/99). Leur rôle de gendarme du monde va coûter cher aux États-Unis. Toutes les contradictions sont en train de mûrir, à léchelle mondiale. En tant que nation dirigeante du capitalisme, ce sont les États-Unis qui auront à payer laddition, en fin de compte. Loppression sans relâche des pays ex-coloniaux pendant des décennies, y compris ceux de lAmérique Latine, provoquent des explosions sociales dans un pays après lautre. Cela doit affecter directement les États-Unis eux-mêmes. Les États-Unis ont essayé de bâtir un bloc économique qui aille du Pôle Nord au canal de Panama et au-delà. L'ALENA inclut dores et déjà le Canada et le Mexique, et lintention première était détendre sa sphère dinfluence à tout lhémisphère Ouest. Cela offrirait aux États-Unis un marché énorme qui pourrait, dans léventualité dune crise économique mondiale, lui servir de fief pour écouler les produits de son industrie et de son agriculture. Mais ce rêve dempire est déjà en train de tourner au cauchemar. LAmérique Latine est engagée dans une profonde récession. Lun après lautre, tous les pays font face à des crises sociales et politiques. Dans deux pays au moins -- le Venezuela et la Colombie -- la survie future du capitalisme est très incertaine. Telle est la situation avant même que soit survenue la crise économique mondiale. En votant contre laccord interdisant les essais nucléaires, et ce alors que Clinton essayait de persuader lInde et le Pakistan de le ratifier, la droite républicaine, majoritaire au Congrès, se comporte de la même façon grossièrement isolationniste quelle le fit en 1919, lorsquelle humiliait le président Wilson en votant contre le traité de Versailles, et en rejetant la candidature des États-Unis à la Société des Nations. Aujourdhui, certes, non seulement les États-Unis sont membres des Nations Unies, mais ils en tirent toutes les ficelles. Mais chaque fois quils sentent que le Conseil de Sécurité pourrait leur faire obstacle, ils traitent les Nations Unies avec mépris. LAmérique, gémit The Economist, "une fois les brutalise, une autre fois les ignore, une autre fois encore oublie de leur payer ses cotisations..." Naturellement. Pourquoi les États-Unis devraient-ils payer des cotisations à un club dont le service ne les satisfait pas pleinement ? La philosophie du Congrès ressemble à celle quon peut attendre de l'homme d'affaire américain moyen : un mélange dégoïsme à courte vue et de provincialisme. Mais le champ de vision de loccupant actuel de la maison blanche nest guerre meilleur. Il ny a là rien qui rappelle les capacités d'anticipation et les perspectives à long terme qui ont caractérisé lapproche des classes dirigeantes anglaise et française en matière de politique internationale. Les politiciens américains ne sont capables que des calculs les plus crus, fondés sur lintérêt particulier immédiat et lopportunisme. Telles sont les qualités des dirigeants du pays le plus puissant du monde à laube du nouveau millénaire. On peut mesurer le niveau du déclin du monde quils représentent au niveau du déclin de leurs propres qualités mentales. La tendance croissante du Congrès à lisolationnisme nest pas un accident. Même le plus borné de ces rustres commence à comprendre que le rôle de gendarme du monde nest pas seulement une source de profits potentiels, mais quil représente aussi un risque sérieux. Heureusement pour les États-Unis, la guerre au Kosovo sest achevée sans que ne coule de sang américain. Mais celui qui a des yeux pour voir peut constater que le monde devient toujours plus dangereux et instable. Ce nest pas du tout à cela que le monde était supposé ressembler après la chute du mur de Berlin. Mais en dépit de la tentative que fait le Sénat de ramener lAmérique dans sa coquille, lidée isolationniste na guerre davenir. Pas plus que la Russie, la Chine et le Japon, les États-Unis ne peuvent s'extraire du marché mondial. En dépit des doutes et protestations du Congrès, les États-Unis seront forcés dintervenir dans un conflit après lautre, et den assumer les risques. Le comportement de limpérialisme américain à légard de lhémisphère occidental sest déjà révélé lors des invasions de Panama, de la Grenade et de Haïti. Washington a ainsi signifié son droit dintervenir militairement où elle veut dans "son" hémisphère. Mais il s'agissait là de petits pays, militairement insignifiants. Et même, dans le cas de Haïti, les États-Unis ont hésité, de peur de perdre des soldats. Mais le cas de la Colombie est complètement différent. La situation en Colombie inquiète profondément Washington, surtout dans la mesure où les États-Unis se préparent à rendre le canal de Panama. La guérilla contrôle aujourdhui probablement la majeure partie des campagnes. Les négociations prolongées nont mené nulle part. Les guérilleros ont simplement utilisé les négociations pour renforcer leurs positions un fait qui na échappé ni à larmée colombienne ni à Washington. Bien que les Américains ne veuillent pas intervenir sur le terrain, ils ont subrepticement fourni à larmée colombienne des "conseillers", sous le prétexte de lutter contre le trafic de drogue. Ils ont également équipé et entraîné un certain nombre dunités spéciales qui sont clairement sous leur contrôle. La situation qui se développe au Venezuela suscite elle aussi la profonde inquiétude de Washington. Le nouvellement élu président Hugo Chavez vient de commissionner un projet constitutionnel qui, entre autres choses, interdit la privatisation de la compagnie de pétrole appartenant à lÉtat, et cherche à mettre en place des mesures de restriction de linvestissement étranger dans lindustrie pétrolière. Ce genre de politique heurte de front les projets américains de privatisation et de rachat à très bas prix des industries et des services des pays du Tiers Monde. Chavez bénéficie dun soutien de masse pour sa "révolution pacifique". Sa coalition, le Pôle Patriotique, domine lAssemblée nationale, avec 121 sièges sur 131. En sappuyant sur le salariat et les pauvres des villes et des campagnes, il pourrait aisément mettre fin au capitalisme au Venezuela. Un tel développement, très probable dans lhypothèse dune grande récession, est ce qui terrifie Washington, qui fait pression sur Chavez afin de sassurer que cette "révolution" ne sortira pas du cadre du capitalisme. Le point de vue de républicains comme G.W. Bush est dune simplicité enfantine. Les États-Unis sont la plus grande puissance militaire du monde. Personne de psychologiquement équilibré noserait sy opposer. Par conséquent, les Américains ne devraient pas sembourber dans des opérations étrangères de "maintien de la paix", mais devraient se contenter dagiter, là où cest nécessaire, quelques pistolets à six-coups, comme dans un bon vieux film de John Wayne. Il y a certes un élément de bon sens dans cette approche. En dernier lieu, toute diplomatie s'appuie sur une menace coercitive. Mais se dispenser de toute diplomatie nest en rien quelque chose de simple dans la mesure où le but de la diplomatie consiste à parvenir à ses fins sans devoir recourir aux armes. Comme quelquun la souligné lors de la crise du Kosovo, ces gens ont oublié que sil nest pas cher de parler, la guerre est une chose très coûteuse. Les États-Unis ne peuvent sisoler du reste du monde, de ses crises et de ses conflits, pas plus quils ne peuvent renoncer à la diplomatie, aux alliances, ou encore leur implication en territoire étranger. Tout au contraire. Leur engagement international aura tendance à augmenter et même à devenir plus agressif. Bien entendu, ils essayeront, dans la mesure du possible, déviter les affrontements directs. Par exemple, si la situation en Colombie, comme il est très probable, échappe à tout contrôle, ils inciteront probablement les pays voisins à intervenir pour "y mettre de lordre". Cependant, dans la mesure où la crise économique et sociale sétendrait à toute lAmérique Latine, cela ne saurait mener quà lextension de la lutte aux pays voisins. Cest suivant le même processus que lengagement de limpérialisme américain au Vietnam était lune des causes principales de l'extension de la guerre à Laos, au Cambodge et à toute lAsie du Sud-Est. Tôt ou tard, les États-Unis seront entraînés dans le conflit colombien, et devront en subir les énormes conséquences. Il y a une autre explication des tendances isolationnistes du Congrès. Le déficit commercial des États-Unis atteint des niveaux records, en dépit d'une légère amélioration. Aujourdhui, la vente des produits de toute léconomie mondiale dépend du marché américain. Les importations des États-Unis sont de 30% supérieures à ses exportations. En conséquence, et surtout depuis la crise en Asie, le marché américain a été envahi par des marchandises étrangères à bas prix. Les seuls huit premiers mois de lannée 1999, le taux dimportation était de 10% supérieur à celui de la même période de lannée 1998. La rectification de cette situation, à court ou à moyen terme, paraît absolument exclue. Déjà, en 1997, le Congrès a repoussé la demande de Clinton, qui réclamait l'autorité nécessaire pour négocier le plus rapidement possible des accords commerciaux. Depuis lors, les hommes politiques américains se sont montrés toujours plus réticents à approuver de nouvelles avancées du libre marché. La droite républicaine, au Congrès, a fait tout ce quelle pouvait pour empêcher lentrée de la Chine dans lOrganisation Mondiale du Commerce. Les raisons en sont évidentes. La Chine a un excédent commercial important avec les États-Unis et le Congrès est dominé par des protectionnistes déclarés ou déguisés. En réalité, ils sont finalement revenus sur leur position. Mais si le vote avait été différent, cela aurait provoqué un désaccord désastreux entre la Chine et les États-Unis, ébranlant au passage laile pro-capitaliste du régime de Beijing. Ceci dit, les conflits entre la Chine et les États-Unis nont pas été résolus. Il y a une tension croissante non seulement entre les États-Unis et la Chine, mais aussi entre les États-Unis et lEurope, qui saffrontent au sujet des organismes génétiquement modifiés, des hormones dans la viande, et des bananes. Cest un avant-goût de la tournure que prendront les événements à l'avenir. Dans un récent sondage dopinion, pas moins de 46% des Américains approuvait lidée que "les Etats-Unis devraient ralentir la tendance à la mondialisation, dans la mesure où cela nuit aux travailleurs américains." Cela explique pourquoi Clinton a été obligé de faire des discours conciliateurs pendant les manifestations anti-OMC de Seattle. Il faut noter que cette atmosphère existe en dépit du fait que le taux de chômage américain est à un niveau exceptionnellement bas. Quarrivera-t-il lorsque léconomie commencera à régresser? Tant que dure la croissance, le protectionnisme peut prendre des formes largement déguisées, par le biais de sanctions "anti-dumping" et d'autres mesures du même ordre. Début 1999, le Congrès a voté l'instauration de quotas sur l'importation de l'acier à une proportion de deux contre un. Dans léventualité dune dépression de léconomie, ce protectionnisme prendra des formes plus ouvertes et plus agressives. Cela menacera lexistence même de la délicate structure du marché mondial, qui s'est laborieusement constitué, ces 50 dernières années. Souvenons-nous que cest précisément le protectionnisme qui a transformé le crash de 1929 en une dépression mondiale. Dans un tel contexte, les contradictions sous-jacentes qui sont manifestes dès à présent sur la scène politique mondiale sintensifieront considérablement. L'Europe et les Etats-Unis "La guerre de lOTAN au Kosovo pourrait bien se révéler être la secousse nécessaire pour produire un changement. Le spectacle du déchaînement de la puissance américaine dans un coin de leur carte, a effrayé les gouvernements européens et les a fait réfléchir. Ils ont trouvé la plupart de leur arsenal militaire propre ridiculement obsolète, comparé aux bombardiers furtifs et aux missiles guidés de précision américains. Une fois commencée, cest devenu une guerre américaine dirigée par la Maison Blanche et le Pentagone, et dans laquelle les Européens navaient quune faible influence politique." (The Economist) La guerre au Kosovo fut aussi un tournant pour lEurope. Le fait quil se soit agit dune guerre américaine, au cours de laquelle lOTAN était utilisée comme une couverture, a donné une puissante impulsion à lidée dune force militaire européenne, de façon à ne pas dépendre du bon vouloir des Etats-Unis. La création du Marché Commun européen était une tentative, de la part des États européens, de constituer un bloc économique capable de résister aux pressions des géants de léconomie mondiale, le Japon et les Etats-Unis. Les lilliputiens États de lEurope de lOuest étaient auparavant écrasés entre le puissant impérialisme américain et la puissante Russie stalinienne. Aujourd'hui la menace de lEst a reculé. Mais ils sont toujours obligés de sunir pour faire face à la compétitivité des Etats-Unis et du Japon, lesquels organisent leurs propres blocs économiques en Amérique Latine et en Asie. Zbigniev Brzeznsky, ancien conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis sous Jimmy Carter, décrit lEurope comme étant "principalement un protectorat américain, avec ses États alliés, qui rappellent les anciens vassaux et tributaires." Il considère en outre cette situation nuisible pour les deux blocs. Effectivement, toute lEurope se trouve confinée dans un rôle de "suiveur" de limpérialisme américain. Cette réalité ne peut être occultée par le fait quil sagit, nominalement, dune "alliance". La guerre au Kosovo a exposé aux yeux de tous lhumiliante dépendance de lEurope à légard des Etats-Unis. Mais cela pourrait bien changer, dans la période à venir. Maintenant que lURSS n'existe plus, les États européens -- à lexception de la Grande-Bretagne qui se plait à cacher sa faiblesse chronique derrière la fiction dune "relation privilégiée" avec limpérialisme américain -- ne sont plus autant disposés à se plier aux volontés de Washington. La cause sous-jacente des antagonismes grandissants entre lEurope et les Etats-Unis est la contradiction de leurs intérêts économiques. Sous lapparat de relations amicales, les profondes contradictions entre lEurope et les Etats-Unis se sont manifestées lors des négociations de lOMC, à Seattle. Le problème immédiat était lagriculture. Les Etats-Unis considèrent à juste titre la Politique Agricole Commune européenne comme protectionniste. LEurope défend ses agriculteurs en se protégeant des produits de lagriculture américaine, sous divers prétextes, comme ceux de lutilisation dhormones et des organismes génétiquement modifiés. Cet émouvant souci de la santé des consommateurs serait plus éloquent sil nétait pas clairement établi que les agriculteurs européens ont eux aussi été impliqués dans toutes sortes de pratiques douteuses, comme la mixtion de nourritures animales avec des carcasses et des excréments. Dun côté de lAtlantique comme de lautre, ce qui compte, cest le profit. Les arguments de la santé des consommateurs et du bien-être des animaux jouent approximativement le même rôle dans les guerres commerciales que les arguments de lhumanitaire et de l "autodétermination" au Kosovo. Les Etats-Unis accusent lUnion Européenne de subventionner largement ses agriculteurs -- ce qui est parfaitement vrai -- mais oublie au passage de mentionner les subventions que Washington paye à ses propres agriculteurs. Huit milliards et sept cents millions de dollars ont été débloqués, la seule année 1999, à titre d "aide durgence". Comme dans les années 1920, la crise économique est précédée par une crise de lagriculture, minée par la baisse des prix, la surproduction et la compétition internationale. LEurope et les Etats-Unis veulent exporter leur chômage tout en protégeant jalousement leurs intérêts. Le conflit dintérêt est particulièrement aigu entre la France et les Etats-Unis, et pas seulement sur le plan de lagriculture. Les deux pays se sont affrontés à plusieurs reprises dans le Tiers-monde, où la France nest toujours pas réconciliée avec la perte de son influence. La violente guerre commerciale pour le marché des bananes en est le reflet. Les Américains prétendent, non moins raison, que les bananes dAmérique du Sud et dAmérique Centrale sont meilleures et moins chères que celles produites dans les Caraïbes et quimporte lUnion Européenne. Seulement, louverture du marché européen aux produits des plantations dAmérique Centrale (qui appartiennent à des sociétés américaines) ferait la ruine de celles des Caraïbes (appartenant à des sociétés européennes). Et ainsi de suite. Les négociations de Seattle ont échoué à cause des désaccords entre lEurope et les Etats-Unis. Lavenir de lOMC même en est remis en cause. Cest une question très sérieuse. Dans peu de temps, la quasi-totalité des exportations agricoles américaines contiendra des organismes génétiquement modifiés. Que se passera-t-il alors? Ils sarrangeront pour bricoler une forme de compromis qui permette déviter une catastrophe pour le commerce mondial, le principal moteur de croissance économique depuis 1945. Ceci-dit, la crise au sujet de lagriculture révèle la réelle fragilité de tout lédifice du commerce mondial. On na pas toujours remarqué que cest aussi le problème de lagriculture qui avait failli mener à léchec des négociations précédentes, en Uruguay. A Seattle, elles ont échoué. The Economist songeait ainsi avec inquiétude aux conséquences possibles dun échec des négociations de Seattle : "Si cela se produisait, cela encouragerait les groupes anti-OMC à intensifier leur offensive. Les Etats-Unis, lEurope et le Japon seraient tentés par des arrangements commerciaux. Les Etats-Unis et lEurope redoubleraient defforts pour se départager les marchés à travers des accords régionaux préférentiels, ce qui ne peut que saper les bases de lapproche multilatérale à l'égard du commerce mondial. Le Congrès doit réviser, en mars, ladhésion des Etats-Unis à lOMC. Certains feront probablement pression pour en sortir". (The Economist, 27/11/99) Dans léventualité dune crise économique, les fissures qui existent aujourdhui entre les Etats-Unis et lEurope sélargiront jusquà devenir un abîme. Dans le passé, cela aurait mené à une guerre. Dans les conditions actuelles, une guerre est exclue. Cependant, il pourrait y avoir une violente guerre commerciale, qui prendrait la forme de conflits menés par des armées intermédiaires, pour des marchés et des matières premières, en Afrique et en Asie. Etant donnée lampleur des antagonismes entre les États européens, le projet dune force armée commune ne se concrétisera probablement pas. Car la question se poserait immédiatement : qui commande ? Voila pourquoi tous les discours au sujet dun Super-Etat européen sur des bases capitalistes sont dénués de sens. En labsence dune armée commune unifiée, dune force de police unique et dun État central, il est impossible dunifier lEurope, même sur la base dun fédéralisme "souple". Aux Etats-Unis, par exemple, les différents Etats ont un degré considérable dautonomie, mais il ny a quune armée, une seule force de police fédérale, et un État central. Il est clair quune Europe unifiée de cette manière ne saurait prendre corps que sous la domination de lAllemagne, ce qui ne pourrait pas se réaliser de manière pacifique, mais seulement avec les méthodes de Hitler qui, après tout, était parvenu à unifier lEurope -- sous le talon de sa botte. Washington observe l'évolution de lUE avec une certaine anxiété. Dun côté la montée de sentiments isolationnistes les incline à rechigner à sengager de lautre côté de lAtlantique dans de coûteuses guerres. Dun autre côté, ils redoutent la perspective dune Europe échappant à leur contrôle. George Robertson, lancien Ministre de la Défense de Tony Blair, aujourdhui récompensé par la fonction suprême au sein de lOTAN, commentait avec une inhabituelle ironie lattitude schizophrénique des américains à légard de lEurope, "qui dun côté, disent : "Vous, les Européens, devez porter votre part du fardeau". Et quand les Européens répondent : "Daccord, on va porter notre part du fardeau", les Américains disent alors : " Attendez une minute, est-ce que vous nous demandez de rentrer chez nous ?"" Actuellement, lEurope dépense dans larmement seulement 60% de ce que dépense les Etats-Unis. Mais cela pourrait changer. Un processus général de réarmement est inévitable, dans la période à venir. Et en fait, il a déjà commencé. François Heisbourg, un expert français de la défense, soutenait lidée quil fallait que chaque gouvernement européen dépense 40 % de son budget militaire global dans la recherche et le développement, réduise le nombre de ces troupes à un maximum de 0,3% de la population, et en aucun cas ne réduise les dépenses militaires. Un tel programme ne reflète guère de confiance en un monde pacifique ! Mais pourquoi insister sur la nécessité de dépenser plus dans la recherche et le développement? Est-ce que des armes plus sophistiquées sont nécessaires pour mener de nouvelles guerres en Yougoslavie ou au Moyen Orient? La méfiance de lAllemagne envers les Etats-Unis sest avivée à la suite de la guerre au Kosovo. "La politique de lAllemagne va probablement changer après le Kosovo", écrit Stratfor. "Il est fondamentalement dans lintérêt de lAllemagne de maintenir de bonnes relations avec les Russes. Dun point de vue géopolitique et financier, lhostilité de la Russie est la dernière chose dont lAllemagne a besoin. La confrontation qui a failli avoir lieu entre la Russie et lOTAN, pendant la guerre au Kosovo, a donné de quoi réfléchir aux Allemands. Ils se sont trouvés momentanément face à labîme. Les membres de la coalition Vert-Rouge, à Bonn, sont naturellement méfiants envers les Etats-Unis et ses aventures militaires. Ils ont essayé de prouver quils pouvaient être de bons citoyens de l'OTAN, en étouffant en eux leur viscérale sensibilité "années soixante". Ils en sont sortis avec la certitude quils avaient eu raison de se méfier des dirigeants américains et des aventures militaires. Lune des conséquences du Kosovo, cest que les Européens en général, et les Allemands et les Italiens en particulier, vont devenir extrêmement prudents avant daccepter de suivre lOTAN dans toutes ses futures opérations" (Stratfors Global Intelligence Update : Le Monde après le Kosovo;3/05/99. La France et la Grande-Bretagne, tous deux gênés par la domination de lAllemagne, sont en train de se rapprocher en vue dune alliance. Paris est en train de chercher à libérer Londres de son lien avec Washington. Depuis la deuxième guerre mondiale, la Grande-Bretagne a quasiment été réduite au rôle d'Etat client des Etats-Unis. Cependant, le Kosovo a marqué un tournant dans les relations entre ces différents pouvoirs. Le spectacle de la puissance militaire accablante des Etats-Unis a poussé les Etats européens à chercher à constituer une Force de Défense Européenne. Mais les Anglais et les Français ne veulent pas que lAllemagne domine cette force. Cest ce que reflètent les discussions qui ont eu lieu entre Blair et Chirac à Londres au sujet de la future coopération franco-britannique. Ces discussions marquent le début dun processus qui ne peut mener quà la formation dune nouvelle entente entre Paris et Londres, dirigée contre lAllemagne. Les tensions au sein de lUE saggraveront. Sous certaines circonstances, elles pourraient même mener à la désintégration de lUE elle-même. Mais ce nest pas lissue la plus probable. Les capitalistes européens savent quils ne doivent pas laisser leurs conflits internes mettre à mal leur union, qui les protège des Etats-Unis et du Japon. Une lutte internationale Il y a dix ans, les chantres du capitalisme parlaient dun ordre de paix, de prospérité et de stabilité. A la place de quoi nous sommes entrés dans la période la plus instable de toute lhistoire de lhumanité. Cette période ressemble davantage à la situation du début du 20ème quà lexceptionnelle période de paix à partir de 1945. Louvrage de Lénine, Limpérialisme, stade suprême du capitalisme, a aujourd'hui une résonance étonnamment moderne. Que disait Lénine au sujet de limpérialisme? Dune part, il sagit dun capitalisme monopoliste, caractérisé par la domination du monde par dénormes multinationales. Le processus de monopolisation a été poussé à un degré sans précédent. Désormais, lensemble du commerce mondial est dominé par 200 multinationales tout au plus. Ce qui, en retour, détermine la politique des gouvernements. La nouvelle course aux armements depuis leffondrement de lUnion Soviétique nest pas un hasard. Ils ne dépensent pas tout cet argent pour le simple plaisir. Les pouvoirs impérialistes font de sérieuses préparations pour la période qui souvre en ce moment. Comment expliquer de si colossales dépenses militaires? A lépoque de la guerre froide, on pouvait répondre à la question : "Pourquoi avez-vous besoin de toutes ces armes?" Mais que faudrait-il répondre aujourdhui? On ne peut évoquer, comme argument, la menace de la Russie ou de la Chine. Non, la réponse à cette question réside ailleurs. Lexploitation des peuples coloniaux et le pillage du Tiers Monde provoquera inévitablement un puissant mouvement de masse -- une nouvelle édition de la révolution coloniale. Cest à cela quils se préparent. Cest la seule explication de la guerre contre lIrak et de la monstrueuse brutalité de limpérialisme américain. Sous un mince vernis de "civilisation chrétienne", les charmants et démocratiques hommes et femmes de la classe dirigeante américaine ne sarrêteront devant rien pour défendre leurs intérêts envers et contre le reste du monde. Quand il sagit daffliger les peuples coloniaux, aucune atrocité nest trop affreuse, aucun tourment trop sévère. Ils ne lont pas publié dans la presse, mais le bombardement de lIrak continuait pendant la guerre au Kosovo. Chaque jour, ils ont continué à bombarder lIraq, tuant des gens innocents, en dépit du fait que lIraq est à genoux, dun point de vue militaire, depuis bien longtemps. Quelle en est la raison? LIraq est battue. LIraq nest pas une menace militaire. Leur intention est davertir les peuples du Moyen Orient, dont ils savent que les régimes sont instables : si vous nous défiez, voyez ce qui vous attend ! Nous pouvons, par nos bombes, vous renvoyer à lâge de pierre. Voila leur intention. En juillet 1999, nous avons écrit : "En cherchant à étendre à lEst leur sphère dinfluence, limpérialisme américain et lOTAN ont accéléré la formation de nouveaux blocs de pouvoir à travers le monde. La guerre au Kosovo a particulièrement contribué à ce processus. En réponse à la menace de lOTAN, la Russie sest bâtie une série de nouvelles alliances militaires : avec la Chine, lUkraine, la Moldavie, et même la Yougoslavie. La Russie forme aussi des alliances dans le Caucase, où elle est en conflit avec lOTAN. La position aggréssive et expansionniste de la politique étrangère de lOTAN et des Etats-Unis a eu des effets sur la Russie en particulier, mais aussi sur dautres pays. Les frictions qui ont eu lieu lors du conflit au Kosovo entre les forces de lOTAN et la Russie sont en train de provoquer un repositionnement significatif des forces et des relations entre les puissances impérialistes." (Les nouveaux rapports de force après la guerre au Kosovo, Ted Grant et Fred Weston. 15/07/99). Le thème dominant des relations internationales, à laube du 21ème siècle, sera à nouveau la lutte féroce entre la Russie et les Etats-Unis sur l'arène mondiale. Depuis leffondrement de lUnion Soviétique, une grande lutte de pouvoir sest engagée. Cela se manifeste au Caucase et en Asie centrale où limpérialisme américain et la Turquie, son allié, affrontent la Russie et lIran, cependant que la Chine rôde en arrière plan. Cela constitue le terrain dune nouvelle guerre froide, dune nouvelle lutte pour lhégémonie globale, et dune nouvelle division du monde en blocs. La Russie tendra inévitablement à sallier avec la Chine, dont la situation est elle aussi très instable. La montée de lhégémonisme américain est en train de pousser la Chine et la Russie à sallier. Et il est probable que lInde sera entraînée dans ce bloc. Lalliance de la Russie, de la Chine et de lInde contre les Etats-Unis correspond à la logique de la lutte qui oppose, dans le Pacifique, lAmérique et la Chine. Non contents davoir fait de lAtlantique et de la Méditerranée des lacs américains, Washington souhaite ajouter le Pacifique à la liste de ses courses. Cela mènera inévitablement à une collision entre la Chine et les Etats-Unis. Dores et déjà, la course aux armements saccélère. Le Japon, par exemple, vient dacheter des missiles de défense aux Etats-Unis, ce qui inquiète les Chinois, dans la mesure où cela porte atteinte à leur propre dispositif de missiles. Il y a bien dautres exemples de la course aux armements qui a lieu dans le Pacifique. Telle est la forme des événements à venir. Les tensions saggravent en Asie, en particulier entre les Etats-Unis et la Chine. Tout dabord, il y a la question de Taiwan qui, si elle nétait pas réglée, pourrait dans certaines circonstances mener à une guerre. Les Chinois considèrent Taiwan comme une partie inaliénable de la Chine, et le moindre mouvement de la part de Taiwan, vers la déclaration de son indépendance unilatérale serait interprété comme une intolérable provocation, eu égard aux effets que cela aurait sur les autres minorités nationales, en Chine (le Tibet, la Mongolie, le Sin-kiang). Les énormes et croissantes tensions entre la Chine et les Etats-Unis ne dérivent pas toutes du problème taiwanais, mais reflètent une collision plus fondamentale entre leurs intérêts économiques et stratégiques. Il y a 10 ans, les Américains considéraient la Chine comme un marché, et un marché seulement. Nous remarquions alors que si les Occidentaux investissaient en Chine, celle-ci construirait des usines, que ces usines produiraient des marchandises, et que ces marchandises seraient exportées sur le marché mondial, où elles concurrenceraient les marchandises américaines. Et cest précisément ce qui sest produit. Lénorme et grandissant déficit commercial entre ces deux pays (en défaveur des Etats-Unis) provoque de fortes réactions hostiles aux Etats-Unis. Cela mènera à de violents conflits, en dépit de ladmission de la Chine à lOMC. Un grand point dinterrogation plane sur lavenir du capitalisme chinois. Léconomie chinoise connaît de grandes difficultés -- sans pour autant, loin sen faut, être aussi mal en point que léconomie russe. La Bourse chinoise menace très sérieusement de seffondrer -- ce qui ruinerait 40 millions de personnes. Ladhésion de la Chine à lOMC ne résoudra rien, et pourrait même aggraver les choses. A la différence de la Russie, la bureaucratie stalinienne en Chine a pu se maintenir assez fermement au pouvoir. Lexpérience de léconomie de marché (plus heureuse quen Russie) a été maintenue dans certaines limites prédéterminées. Elle est essentiellement confinée dans des régions côtières. Aujourdhui encore, seulement le tiers de la production relève du secteur privé. Le secteur décisif est le secteur public, et dans lhypothèse dune crise le secteur privé serait entièrement éliminé. Si la classe ouvrière ne prend pas le pouvoir, la Chine pourrait bien revenir à un régime de type stalinien (maoïste), se dirigeant en même temps vers la formation dun bloc avec la Russie. Cest précisément la menace dune telle évolution qui a persuadé le Congrès américain, à contre-cur et à la dernière minute, de lever son objection à ladhésion de la Chine à lOMC. Sils sy étaient opposés, lhumiliation de Beijing aurait porté un coup mortel aux "réformateurs" pro-capitalistes. Clinton était forcé de faire sérieusement pression sur le Congrès pour que celui-ci revienne sur sa première position. Toutefois, ladhésion de la Chine à lOMC ne résoudra rien. Cela a donné un petit sursis aux réformateurs, dirigés par le Premier ministre, mais leur victoire sera de courte durée. Mais immédiatement après, la Chine annonçait des mesures restrictives à l'encontre des compagnies étrangères, y compris France Télécom, qui avait investi 1,4 milliards de dollars dans le but de mettre la main sur le secteur des télécommunications, qui se développe rapidement. "Linvestissement, en Chine, a toujours été un champs de mines" se lamente le Business Week "et son adhésion à lOMC ny changera probablement rien -- ni à court ni à long terme. Le problème se pose assez simplement. Lentrée massive de compagnies étrangères en Chine ruinerait le secteur public du pays, ce qui causerait un chômage massif et des troubles sociaux. Cette perspective alarme la bureaucratie, et la détermine à résister à de nouvelles pénétrations des grandes multinationales. Laile "conservatrice", alliée à des gens comme le Président du Congrès National, Li Peng, ont encore un grand nombre de moyens pour saboter et retarder les accords avec des compagnies étrangères. Lentrée de la Chine dans lOMC donne à cette dernière le droit faire des réclamations auprès de Genève, au lieu de s'adresser à Beijing. Les Chinois se contenteront de hausser les épaules. "Et alors ? Laissez-les se plaindre autant quils veulent." Mais les industries resteront sous notre contrôle." (Business Week du 29/11/99) Pour les stratèges du capitalisme, les risques de bouleversements, en Chine, sont évidents. Le Business Week a commenté ladhésion de la Chine à lOMC dans un éditorial qui a donné une voix à ces inquiétudes : "Aucune nation communiste na réussi une conversion économique de lenvergure de celle quessaye dentreprendre la Chine sans que cela provoque des bouleversements politiques massifs. Et jamais un marché libre ne pourrait absorber un pays aussi immense sans y provoquer dénormes tensions". Et il poursuit : "Avec 100 millions de travailleurs émigrées errant dans ses villes, la Chine est en train de parier quelle peut attirer assez dinvestisseurs étrangers pour créer des emplois pour son peuple. Mais elle doit trouver la force politique qui lui permette de progresser dans ce sens. Les risques sont gros. Remettre en cause les lois de lOMC peut faire des dégâts dans le système du commerce mondial, et miner les efforts que fait la Chine pour devenir un pays moderne." (Business Week , 29/11/99) En Asie, la Corée est un autre foyer potentiel de conflits. La Corée du Sud est aux prises avec des développements révolutionnaires, cependant que la Corée du Nord est en train de seffondrer. Le Pentagone parle dun danger de guerre, bien quil soit en fait improbable que la Corée du Nord envahisse la Corée du Sud. Il est vrai quil sagit dun régime totalitaire très instable, et ce ne serait pas la première fois quun régime désespéré sengage dans cette sorte daventures. Bien que le Nord soit dévasté, et connaisse des cas de véritable famine, larmée de Pyongyang -- aussi incroyable que cela puisse sembler -- est la cinquième force militaire du monde. Cependant, dans la mesure où les Etats-Unis seraient obligés dintervenir, une telle aventure serait vouée à léchec. Il est plus probable que la Corée du Nord est plutôt dans une situation similaire à celle de la Roumanie des années 80. Le pays est dans une situation désespérée, le régime est en train de seffondrer. Pourtant, un régime totalitaire peut maintenir son pouvoir à un point tel que personne dextérieur ne puisse savoir ce qui se passe. Cest comme le bouchon dune cocotte minute dont la soupape est défectueuse. Sous Ceausescu, il semblait un instant que tout était sous contrôle. Linstant daprès, tout explosait. La même chose peut se produire en Corée du Nord. Perspectives révolutionnaires Au début du 21ème siècle, le risque quune guerre importante éclate entre les pays industrialisés a diminué. Pour autant, le monde nest pas devenu un endroit pacifique. En ce moment, au moins 30 conflits armés y ont lieu. Ce sont de "petites guerres" qui se déroulent pour la plupart dentre elles dans le Tiers Monde. Le fait que ce soient des guerres mineures, comparées aux deux guerres mondiales qui ont façonné le 20ème siècle ne les rend pas moins horribles pour les peuples qui y sont impliqués. Il y a aujourdhui plus de 50 millions de réfugiés dans le monde. Ces guerres sont menées avec une extrême sauvagerie et au moyen darmes de destruction modernes comme les mines anti-personnel. La plupart de ceux qui en sont victimes sont des femmes et des enfants. Souvent, les enfants se battent dans ces guerres, munis darmes mortelles, mais légères, comme la Kalachnikov. En dépit de tous les discours démagogiques sur la nécessité de nettoyer des champs de mines, des millions de ces armes diaboliques sont stockées et trouvent facilement leur chemin jusquen Angola, en Afghanistan ou jusqu'au Congo. Dans la prochaine période, de telles guerres deviendront toujours plus banales. Dans la plupart des cas il s'agira de guerres par procuration avec, derrière elles, telle ou telle super-puissance impérialiste. En Afrique, les impérialismes américain et français sont engagés dans une lutte acharnée pour le contrôle des riches ressources minérales. La Russie et les Etats-Unis saffrontent dans le Caucase et en Asie centrale. Cela mène à des guerres sanglantes et prolongées au cours desquelles les puissances impérialistes rivales utilisent à leurs fins propres les antagonismes nationaux, ethniques et tribaux. En particulier, limpérialisme américain, en dépit de tous ses discours hypocrites sur lhumanitarisme et la démocratie, est prêt à armer la pire espèce du rebut démoralisé et à le monter contre les régimes qui le gênent. Lexemple le plus flagrant de ce genre dopérations fut lAfghanistan, où les Etats-Unis ont soutenu les soi-disant Moujahadin -- en fait, des bandits et autres coupeurs de gorges réactionnaires -- pour renverser le régime pro-russe de Kaboul. Aujourdhui, après 20 ans de ces horribles pratiques guerrières, le pays est réduit en une bouillie sanglante. Le monstrueux régime taliban, qui veut ramener le pays au 7ème siècle, a plongé lAfghanistan dans l'abîme. LOccident ne sourcille pas. Ces guerres par procuration continuent davoir lieu. Les Etats-Unis, la Russie, le Pakistan, lInde, lIran et lArabie Saoudite, continuent à des degrés divers dattiser pour leurs propres fins la lutte entre des fractions rivales. Le seule chose que Washington reproche au régime taliban, cest quil nest pas sous son contrôle et quil donne un refuge à des gens comme Ben Laden, un islamiste enragé et réactionnaire que la C.I.A soutenait, au début, mais qui a développé depuis un certain goût pour les attentats à la bombe contre les ambassades américaines. Les pays capitalistes avancés s'arment jusqu'aux dents. Dans un monde tourmenté par la pauvreté, la faim et l'analphabétisme, dans lequel sept millions d'enfants meurent chaque année de maladies comme la diarrhée, causées par le manque d'eau potable, des milliards sont dépensés pour la production et le perfectionnement des moyens de destruction. Ce n'est pas une coïncidence. Les impérialistes se préparent pour les guerres du 21ème siècle non pas des guerres comme la première et la deuxième guerre mondiale, mais des guerres destinées à écraser les petites nations retardées et à assurer la domination de l'impérialisme. La France s'arme pour intervenir dans ses sphères d'influence en Afrique et dans le Moyen-Orient. L'Allemagne s'arme pour se préparer à des conflits en Europe de l'Est et les Balkans, et pour une éventuelle confrontation avec la Russie. La Russie s'arme pour défendre ses frontières et, si possible, reconquérir ses anciens territoires et sphères d'influence à l'Est, au Sud et à l'Ouest. La Chine s'arme pour empêcher la sécession de provinces rebelles, comme c'est arrivé dans le passé, et à poursuivre en Asie une politique agressive qui pourrait aisément mener à une guerre, dans le futur. Selon toute vraisemblance, les Etats-Unis seraient entraînés dans une telle guerre en Asie. Tout cela, bien sûr, est de très bonne augure pour les grandes entreprises capitalistes qui fabriquent des armes et qui font d'énormes profits. Pour l'observateur superficiel, sans expérience du marxisme et de la dialectique, la situation mondiale actuelle semble présenter une image sans nuance de la réaction la plus noire. Le capitalisme et impérialisme semblent être fermement en selle. Les démocraties civilisées de l'Ouest, tout en prêchant le pacifisme au reste du monde, sont toutes occupées à tester de sympathiques accessoires comme les armes bactériologique et chimique, répandant de l'anthrax ou encore la peste bubonique. Cette dernière maladie a décimé, au moyen âge, un tiers de la population européenne. Cela pose une menace mortelle à la survie même de l'humanité. De tous côtés sévissent des guerres, des massacres ethniques et des répressions sanglantes. Et pourtant ce sont seulement les manifestations de surface de l'agonie d'un système qui a survécu à sa fonction et à sa nécessité historiques, et qui est désormais si pourri qu'il n'est plus bon qu'à jeter. Les guerres et convulsions qui tourmentent l'humanité infligent des souffrances terribles, mais ne sont qu'un symptôme des contradictions insoutenables du système capitaliste dans sa période de décadence sénile. Au fond, elles sont la conséquence de la contradiction fondamentale entre le colossal potentiel des forces productives et l'enveloppe étroite de la propriété privée et de l'Etat-nation. L'avenir de toute l'humanité dépend de la résolution de cette contradiction. L'histoire montre qu'il y a une relation entre les guerres et les révolutions. La révolution française s'est achevée dans la guerre. C'est une guerre qui a déclenché la Commune de Paris et une autre qui a déclenché la révolution russe. La guerre est l'expression de tensions insoutenables entre des Etats nationaux, tout comme les révolutions sont l'expression de tensions insoutenables entre les classes sociales. Parfois, les guerres traduisent des contradictions internes qui cherchent à se résoudre sur l'arène internationale. Mais, en retour, les guerres exacerbent aussi les tensions internes et les portent au plus haut degré. Les effets de la guerre du Vietnam sur les Etats-Unis, et des guerres en Angola et au Mozambique sur le Portugal en sont les deux exemples les plus évidents. L'époque dans laquelle nous sommes entrés verra beaucoup d'autres cas similaires. "Toute action a une réaction égale et opposée". Ce qui est vrai en mécanique est aussi vrai en politique. La période de semi-réaction associée avec les doctrines de Reagan et de Thatcher et avec la domination sans contrainte du marché (le "monétarisme ") arrive à son terme. Partout nous voyons les premières amorces d'un rejet du capitalisme, de sa voracité, et des inégalités et des injustices cruelles qu'il engendre. Les manifestations qui ont eu lieu à Seattle lors de la conférence de l'OMC en sont l'expression la plus probante. Cela montre qu'une nouvelle vague révolutionnaire dans les pays ex-coloniaux aura aussitôt aux Etats-Unis et dans les autres pays capitalistes développés des répercussions qui éclipseront les manifestations massives qui avaient lieu pendant la guerre au Vietnam. La réaction contre le capitalisme et "l'économie de marché" prend diverses formes, mais le fait est que des millions de gens, à travers le monde, commencent à se questionner sur la possibilité de remettre en cause les fondements de l'ordre actuel. Les promesses faites il y a dix ans se révèlent n'être qu'une imposture hypocrite. L'Asie s'est effondrée. L'Amérique latine sombre dans une grave récession et la Russie est dans un profond marasme. L'idée que le capitalisme ("l'économie de marché") est la seule forme possible d'organisation sociale, et que les hommes et les femmes sont condamnés de vivre à jamais sous le joug du Capital, est une idée fausse. Nous devons nous préparer à des changements soudains de la situation dans tous les pays, au Mexique, en Bolivie, en Grèce, en France et même en Grande-Bretagne et en Allemagne. De grands mouvements se préparent, et la question ici n'est pas : "Alors, dans combien de temps cela arrivera-t-il ? Dans longtemps ?" Cela n'est pas la question. Nous ne pouvons pas répondre à cette question, parce que ce n'est pas une question à laquelle on puisse répondre scientifiquement. Nous pouvons seulement dire que nous devons tirer parti de la présente accalmie. Nous vivons une sorte de pause entre deux combats, et une armée sérieuse, pendant de telles pauses, ne gaspille pas son temps. Elle nettoie ses armes, elle creuse des tranchées, elle forme de nouvelles recrues, elle analyse la guerre et se prépare à la nouvelle et inévitable offensive. Pendant la première guerre mondiale Lénine était complètement isolé. Il était en exil, sans ressources, et n'était en contact qu'avec une petite poignée de personnes. C'était un contexte de réaction noire, de triomphe du militarisme et de la sauvagerie. La civilisation s'effondrait. Pourtant, Lénine pouvait discerner les éléments d'une révolution mûrissant lentement. Avec quel enthousiasme n'a-t-il salué l' "insurrection de Pâques" en Irlande, en 1916, la décrivant comme le début d'une période de soulèvement national et révolutionnaire. L'insurrection de Pâques a été réprimée dans le sang par l'impérialisme britannique. Cependant l'analyse de Lénine s'est avérée correcte un an plus tard. A l'aube du nouveau millénaire, les marxistes authentiques sont les seuls, sur cette planète, à être optimistes. Le capitalisme n'offre en effet que de sombres perspectives. En vérité, les stratèges sérieux du capitalisme envisagent l'avenir avec effroi. La période à venir sera riche en opportunités révolutionnaires. Ceci a été brillamment démontré par la révolution en Indonésie, qui n'est pas finie, ou encore en Iran, où la révolution ne fait que commencer. L'histoire nous enseigne que les révolutions ne respectent jamais les frontières. Les révolutions de 1848 balayaient l'Europe d'un bout à l'autre. La révolution russe de 1917 -- les "dix jours qui ébranlèrent le monde" -- non seulement avait un impact colossal sur l'Europe, mais a eu de fortes répercussions en Asie et au Moyen-Orient. Aujourd'hui, les prémisses de la révolution mondiale ont atteint un niveau de développement sans précédent. Des événements dans une partie du monde ont un effet immédiat sur toutes les autres parties. Avec la globalisation, les conflits se propageront rapidement d'un continent à l'autre. A notre époque, une fois que la révolution éclatera dans un pays important, elle se répandra encore plus rapidement que dans le passé. Il suffirait d'une seule victoire comme celle d'octobre 1917, surtout dans un pays industrialisé, et le mouvement fera tâche d'huile, passant d'un pays à l'autre. Nous sommes entrés dans l'époque de la révolution mondiale. Le 21ème siècle connaîtra une recrudescence de la lutte des classes qui doit tôt ou tard mener à une victoire des travailleurs et à l'instauration d'un nouvel ordre mondial à la place de l'actuel chaos sanglant. Ce nouvel ordre mondial porte un nom: le socialisme international. décembre 1999 |
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