Marie-Françoise Mendez
Le projet est qualifié de " réservoir de soutien d'étiage ".
Le soutien d'étiage est donc indiqué comme justification essentielle, ce sera
le premier point à analyser. Le projet vise à la création d'un réservoir de
11O Mm3 d'eau à destination de la Garonne (73 Mm3 directement transmis + 15
revenant à la Garonne via les rivières de Gascogne) et 22 Mm3 d'eau pour la
Gascogne (37 Mm3 transférés depuis Charlas par le canal de la Neste, dont 15
retourneraient à la Garonne).
Les principes avancés pour justifier le projet sont :
- La solidarité territoriale : urbain-rural, amont-aval, Garonne-Gascogne ;
- La restauration écologique du fleuve.
Ce discours pourrait être entendu et approuvé s'il n'était contredit par l'analyse du projet.
-- Si l'enjeu de rétablissement de la qualité était réellement la raison d'être du projet, alors l'ensemble des solutions visant à rétablir cette qualité auraient été examinées. Or ce n'est pas le cas, une seule piste a été retenue, l'augmentation des débits d'étiage.
Cette mesure à elle seule se traduirait, avec la construction de Charlas, par un investissement de 256 M€ auxquels il faudrait ajouter 1,4 M€ par an, de fonctionnement.
Tout le monde est bien conscient qu'il n'existe pas de solution de financement d'un tel projet. Pour atteindre l'objectif annoncé de restauration de la qualité de la Garonne, d'autres mesures semblent urgentes et moins onéreuses comme la prévention de la pollution diffuse par la plantation de bandes enherbées le long de tous les cours d'eau venant alimenter le système Garonne. Ce n'est qu'un exemple.
La mesure unique proposée pour restaurer la qualité par l'augmentation
des débits d'étiage viendrait donc au détriment d'autres besoins dans la mesure
où elle absorberait les budgets publics d'autres axes de la politique
de l'eau.
Pour cette raison, notoire et de bon sens, le projet n'a pas sérieusement progressé
vers sa réalisation depuis l'avis favorable du comité de bassin, et malgré l'avis
négatif du conseil scientifique du comité de bassin.
-- Sur l'impact environnemental du projet, le dossier de présentation est trop succinct pour se prononcer. On ne peut que penser que ce point n'a pas été sérieusement étudié. En particulier, il faudrait étudier de près les impacts possibles des vidanges décennales sur la Garonne et sur les rivières de Gascogne ainsi que sur le réservoir mis hors d'eau.
-- D'autre part, depuis qu'ont été fixées les valeurs des débits de référence (DOE et DCR) il n'y a pas eu d'études sérieuses (ou bien elles sont restées confidentielles) sur la validité scientifique d'un point de vue écologique de ces mesures qui ont constitué pour l'élaboration du SDAGE comme pour celle des PGE des valeurs de compromis pour répondre aux différents usages de l'eau. Il y aurait lieu de retravailler ces données au vu de l'expérience du SDAGE et des recherches récentes disponibles auprès des milieux scientifiques internationaux. La CPDP doit commander des études visant à actualiser les données établies pour le SDAGE.
-- A propos de l'évolution des DOE. Vu le graphique présenté en p. 43 illustrant les indicateurs d'étiage de 1969 à 2002, il y a lieu de s'interroger sur la rupture qui apparaît à partir de 1984 : de 1969 à 1984 (en 15 ans), il y a eu 4 années où les DOE ne furent pas atteints ; de 1984 à 2002 (en 18 ans) les DOE ne furent atteints que 4 années ! Il faut relier ce graphique à l'évolution des prélèvements et considérer ceux-ci comme la cause des débits insuffisants. Les prélèvements d'eau ont été multipliés par 6 pour l'irrigation au cours des 30 dernières années.
-- Dernière remarque sur les DOE : le dossier précise bien que le barrage ne résoudrait pas le problème en cas de sécheresses décennale (besoin estimé par le PGE : 270 Mm3) puisqu'il n'apporterait que 88Mm3 d'eau supplémentaires à la Garonne. Faudrait-il 2 Charlas pour être cohérents avec la logique du dossier ?
La solidarité à laquelle il est fait appel dans l'introduction du dossier se traduira concrètement dans les financements du barrage.
-- Il est à noter une situation bizarre : depuis 1996, le SMEAG
a travaillé à la construction méthodologique du projet, sans que les collectivités
qui le constituent ne se soient engagées sur le projet. L'entité SMEAG n'est
pas, sur ce projet, l'émanation des collectivités qui le composent, au point
que le représentant du Conseil régional de Midi-Pyrénées s'est régulièrement
opposé : votes contre ou courriers de désapprobation. Le dossier de présentation
mentionne (p. 33) une concertation avec " les bailleurs de fonds potentiels
pressentis ".
Qui sont-ils ? Quels furent les fruits de cette concertation ? Comment se fait-il
que l'on n'en ait pas eu d'écho ?
On peut parier que si concertation il y eut, elle fut infructueuse car aucun
des budgets des bailleurs que pourraient être la région Midi-Pyrénées ou
l'Agence de l'eau Adour-Garonne ou le MEDD n'a de budget permettant de financer
les 256 M€ de Charlas.
-- La solidarité est cependant bien réelle et mérite d'être soulignée : on peut même préciser que les collectivités et donc les abonnés sont les plus solidaires des usagers de l'eau. Ainsi ils apportent plus des ¾ du financement de l'eau au niveau du bassin. Au budget 2002 de l' Agence de l'eau, sur un total de redevances de 152,95 M€ :
Comme il est rappellé dans la partie historique du dossier de présentation, le rapport "fondateur" pour Charlas est celui de 1990, de l'ingénieur Estienne qui en précisait bien les objectifs que le dossier reprend, notamment le barrage devrait constituer " une assurance permettant de répondre plus facilement à une évolution favorable des marchés agricoles à l'exportation ".
Tout le projet Charlas tel qu'il était débattu en Comité de bassin en 1996 et tel qu'il est aujourd'hui, malgré un " habillage sémantique " un peu différent vise clairement à conforter l'irrigation qui représente à elle seule 80 % des prélèvements en période d'étiage. On peut affirmer cet objectif car à aucun moment l'irrigation qui est la cause de la sévérité des étiages n'est remise en cause. Il est annoncé un moratoire avec maintient des surfaces actuellement irriguées, accompagnant la création du barrage.
-- Environ 300000 ha sont actuellement irrigués en Midi-Pyrénées.
Le dossier de présentation ne détaille pas ces données agricoles pourtant essentielles
et se borne à mentionner en Garonne 75000 ha non compensés et 25000 compensés
par des réserves existantes, plus 76000 ha en Gascogne. Ils consomment 151Mm3
d'eau, auxquels il faut ajouter les volumes consommés à partir des Canaux qui
ne sont pas identifiés alors que les usages eau potable et industrie consomment
respectivement 20Mm3 et 21 Mm3 ( tout cela sans compter les
212 Mm3 consommés par les Canaux dont une bonne part sert aussi à l'irrigation).
Le dossier n'est pas honnête quand, p. 48 il met sur le même plan les prélèvements
industriels (165Mm3) qui sont largement restitués et et les prélèvements agricoles
qui sont des consommations nettes !
-- Le projet n'est pas crédible quand il est fait totalement abstraction des évolutions de la PAC dont l'impact sur les changements de pratiques culturales sera certain. La commission de débat public doit prolonger la réflexion et commander des études indépendantes sur les perspectives en matière d'irrigation dans le scenario de découplage des aides de la production.
Il semble clair que l'objectif secondaire, pour ne pas dire primaire,
du projet, est de fournir 22 Mm3/an (= 37 - 15) de plus à la Gascogne et, delà,
de sécuriser le refroidissement de la centrale de Golfech-Lamagistère.
A ce dernier titre, on ne doit pas considérer dans ce projet EDF comme un industriel
comme les autres, auquel on devrait 3,4 M.euros/an dans le scénario "sans Charlas"
(ou 5,5 M.euros de travaux de déviation d'une ligne THT dans le scénario "avec
Charlas") : combien paie EDF pour la consommation d'eau à Golfech ?
En outre, le dossier ne précise pas si cela constitue, ou non, un problème pour
EDF que de diminuer de 30 Mm3 (scénario 2) ou de 60 Mm3 (scénario 1) ses capacités
de stockage...
La création du barrage de Charlas viserait avant tout à conforter
un mode d'agriculture qui a fait la preuve de ses inconvénients : agriculture
intensive et industrialisée.
Ce type d'agriculture a généré des pollutions de l'eau qui nécessitent actuellement
des efforts importants de solidarité nationale (FNSE par ex) et justifient des
programmes toujours insuffisants au regard de la gravité de la situation (nitrates,
pesticides).
Elle n'a pas rempli totalement les fonctions économiques et sociales attendues
car de nombreux agriculteurs se trouvent en situation très difficile et le nombre
d'actifs diminue dans l'agriculture au détriment de l'aménagement du territoire.
Le modèle d'agriculture que le barrage de Charlas vise à soutenir est dépassé au regard des attentes de qualité exprimées par les consommateurs et au regard de la pérennité de nombreuses exploitations agricoles.
Les solutions pour la restauration de la qualité de la Garonne - objectif que nous approuvons- existent et passent par les économies sur les consommations, une meilleure gestion pour l'ensemble des usages (y compris domestiques) et par la mobilisation pour les années de sécheresse des réserves existantes ainsi que le prévoit le PGE dans son scenario 1.
Nous devons collectivement être reconnaissants à FNE qui a saisi la Commission nationale du débat public pour que le débat actuel ait lieu, c'est à eux que nous devons cet examen du dossier Charlas qui aurait sans cette demande été examiné par le seul " monde de l'eau ". Les associations locales membres de FNE ont élaboré un projet alternatif qu'elles ont nommé ACOR.
La commission particulière du débat public, après avoir entendu tous les arguments pour et contre Charlas, doit recommander l'étude sérieuse des alternatives à Charlas, ce que jusqu'à ce jour, le SMEAG n'a pas voulu étudier.
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