Plusieurs milliers de personnes ont manifesté hier dans les rues d’Arles contre les patrons voyous de Lustucru et pour la défense de l’emploi industriel dans la zone sinistrée par les inondations de l’hiver dernier.
Arles (Bouches-du-Rhône),
correspondant régional.
C’est contre les catastrophes provoquées par " la digue et le dingue " que tout Arles militant, syndicalistes et élus en tête, renforcés par des délégations extérieures, a voulu faire barrage hier en se rassemblant place Lamartine, avant de défiler jusqu’à l’hôtel de ville. La digue, c’est celle du Rhône qui, en amont de la commune, a cédé le 4 décembre dernier, transformant la zone industrielle du nord d’Arles en un lac d’un mètre et demi de profondeur. Le dingue c’est, selon bien des manifestants, ce patron de Lustucru (filiale de Panzani, lui-même contrôlé par BNP-Paribas) qui a décidé, le 26 mars dernier, de fermer l’usine de conditionnement du riz, où le nettoyage des machines abîmées et remboursées par les assurances était en voie de finition, mettant ainsi sur le sable cent cinquante salariés.
Des agissements plus que crapuleux
La différence entre les deux catastrophes, dont l’impact économique et psychologique est encore difficile à mesurer, est que celle provoquée par le " dingue " n’a rien de naturelle. Pour le délégué CGT de Lustucru Riz, Serge Bonetti, elle résulte bel est bien d’un choix patronal, " celui de faire de l’inondation une source de profit par les assurances, puis de fermer l’usine en faisant appel à la sous-traitance, ce royaume des bas salaires et de la précarité ". Le type même d’agissements crapuleux d’un patron voyou que le syndicaliste qualifie de " fossoyeur d’industrie, de terroriste social en col blanc, responsable de la misère en France ! ".
Bien des fois sur le parcours, la colère a débordé, sans toutefois qu’aucun incident ne soit relevé. Ouverte par une banderole CGT-FO des salariés de Lustucru exigeant " le maintien des emplois et du potentiel industriel ", la " manif " interprofessionnelle se voulait sans concession sur les revendications concernant le redémarrage de l’usine. Comme le soulignait Gilles Very, le secrétaire de l’UL CFTC d’Arles, lui-même salarié de Lustucru, " ce qui s’est passé est une honte ! La direction du groupe ne pense qu’aux bénéfices et ferme la boîte, alors que nous étions en train de mettre au point un nouveau processus industriel de conditionnement du riz (le " Riz 5 minutes " û NDLR) ". Lucien Gay, le délégué CGT des agents territoriaux d’Arles, avait lui aussi la moustache qui frémissait d’indignation alors que le défilé s’engageait entre les étals du marché : " Les Arlésiens qui ont été solidaires pendant les inondations se sentent encore plus concernés par la menace de fermeture de Lustucru. Ce qui me met en colère, c’est de s’être servi d’une catastrophe pour en provoquer une autre ! "
Les riziculteurs de Camargue, qui fournissent annuellement environ trente mille tonnes de riz brut à l’usine, sont eux aussi inquiets. Accroché à la banderole de son syndicat professionnel, qu’un mistral naissant menaçait de lui subtiliser, leur porte-parole Bernard Arsa expliquait : " Certes, nous survivrons à une éventuelle fermeture de l’usine d’Arles parce que nous avons l’esprit combatif et que nous avons la volonté de continuer la riziculture. Mais ce serait vraiment dommage de voir disparaître cette usine, alors que des investissements se font en Camargue pour maintenir la production à un bon niveau. " Mais c’est l’emploi qui est véritablement dans toutes les têtes. C’est pour le défendre que défilaient côte à côte la délégation CGT des Moulins Maurel et de Panzani Marseille et celle des syndicats FO de la fabrique de pâtes de La Montre à Marseille. Car, comme le soulignait André Di Maio, le délégué CGT des Semouleries Bellevue, " un climat de peur pour son emploi règne actuellement dans nos entreprises, entretenu par un patronat uniquement soucieux de gagner de l’argent très vite ". Même son de cloche du côté de chez Pechiney à Gardanne, dont le délégué FO Jacques Humez faisait part de ses craintes après le rachat du fabricant d’aluminium par un groupe canadien.
Union entre public et privé
Une dégradation sociale que redoutent des enseignants, tel Yannick Jaoul, délégué FSU d’Arles et directeur d’une école en ZEP fréquentée par deux enfants de salariés de Lustucru : " Lorsque l’emploi industriel disparaît ou est menacé, les enfants des familles concernées se retrouvent vite dans les difficultés. D’où la nécessité, selon moi, de s’unir entre public et privé. Cette union, c’est ce qui a manqué aux enseignants l’an dernier. " Elle ne semble pas faire défaut aux salariés de Lustucru qui, occupant toujours " leur " usine nuit et jour et " préparant d’autres actions spectaculaires ", n’ont pas d’autres choix s’ils veulent garder leur boulot que celui de la lutte. Car, ainsi que le clamait la sono de la CGT, entre deux airs motivés, " le riz est ici, le travail aussi ! ".
Philippe Jérôme