LE BARRAGE DES ZARDÉZAS PAR HUBERT GROUDPhilippeville: Le 23 août 1870 la compagnie PL.M. inaugure la ligne Philippeville-Constantine, commencé en 1864 le port est achevé en 1895 (1). Les cultures s'étendent dans les environs et la vallée, la ville grandit et sort de ses remparts, les quartiers du Beni-Melek et du faubourg de l'Espérance démarrent, industries et commerces se développent Un problème cependant n'est pas facile à résoudre, celui de l'approvisionnement en eau dont la pénurie grandit avec l'extension de l'activité et du peuplemenl Un barrage en est peut-être la clé. (1) A.F.N. illustré 1930 Dans son numéro du 4 mars 1903 le " Zéramna ", journal local de Philippeville rend compte d'une démarche de M. Thompson député de la circonscription qui appelle l'attention de M. le Gouverneur général sur l'utilité pour la région de la construction immédiate du barrage des Zardézas. La réponse , dit l'article est de nature à donner bon espoir aux agriculteurs ; signée du Secrétaire général du gouvernement Maurice Varnier, datée du 17 février 1903, elle dit en substance : " Vous avez bien voulu me demander d'envoyer en mission à Philippeville un ingénieur des Ponts et Chaussées qui s'occuperait spécialement des études relatives à la construction du barrage des Zardézas
Philippeville - La Marine (Doc. H.Groud) Nous sommes le 4 mars 1903.Tous les espoirs sont permis. La route passe par El Arrouch à 9 kilomètres, c'est ce dernier village, d'ailleurs marché très important le vendredi qui draîne à lui le mouvement humain et économique du chantier. Zardézas est un petit barrage un des plus petits d'Algérie. Cependant son utilité, son rôle dans la mise en valeur de la vallée du Saf Saf seront grands. Pour le comprendre je citerai Gilbert Attard qui nous dit dans son préambule au diaporama et à l'ouvrage " Philipeville au temps jadis " :" j'ai choisi d'évoquer Philipeville au début du siècle, au temps jadis C'est l'époque où vivaient mes grands parents, poursuivant l'oeuvre de mise en valeur des riches terres des vallées du Saf Saf et du Zeramna entreprise par leurs pères. Heureux malgré leurs lourdes tâches , ils avaient foi en l'avenir ". Oui, l'avenir c'est l'adduction d'eau, la fin des rationnements pour Philipeville et tous les villages de la vallée ; en 1914 les besoins de cette ville sont évaluée à 5 000 mètres cubes/jour, il en manque 3 000. C'est avec l'irrigation, le développement des cultures maraîchères, de la vigne et des agrumes, toutes ces belles plantations qui couvriront la plaine depuis la sortie d'El Arrouch, et Gastonville en passant par Saint Antoine et le long du Zeramna, Beni Bechir, Valée, Damremont, le domaine Barrot et Philippeville. C'est le contrôle et la régulation du débit du Saf Saf et la fin des inondations de la basse vallée. Tel seront les résultats rapides qui entraîneront l'accroissement de l'activité et la prospérité pour tous. Au village la cantine de l'Entreprise Ballot L'adjudication pour la construction du barrage des Zardézas est donnée fin 1928, après concours, à la Société Algérienne des Entreprises Ballot qui prend en charge tous les travaux de génie civil. Les travaux débutent aussitôt, au lieu dit Zardézas, à 9 kilomètres d'El Arrouch. Galerie de dérivation, bâtardeau Comme tous les oueds algériens, le Saf Saf est un gros torrent, à débit variable suivant les années et les saisons. Le bassin versant en amont de l'emplacement choisi pour le barrage couvre une superficie de 34120 hectares , légèrement boisée en oliviers et maquis ; les débits enregistrés jusqu'alors vont de 50 litres/Seconde l'été à 350 mètres cubes/seconde en moyenne au cours des plus fortes crues le maximum admis comme devant être évacué se situant au niveau de 800 m³/s. Avant même d'attaquer les fouilles dans le lit de la rivière, il faut détourner l'oued de son cours normal et pour toute la durée des travaux de construction du barrage . Pour cela la rivière est dérivée latéralement sur la rive droite par un canal ayant son origine à 150 mètres à l'amont de l'ouvrage. La rive gauche de ce canal est constituée par un batardeau en gravier avec talus et couronnement protégés par de forts perrés en enrochement, surmonté d'un rideau de palplanches. Ce canal de 28 mètres de large traverse la montagne, sur la rive droite, par les galeries de dérivation. Le village avec ses maisons préfabriquées en bois (Photo S.Groud) Barrage en construction côté rive gauche (Photo H.Groud) A l'origine, ces galeries ont d'abord servi à la reconnaissance des terrains. Elles seront ensuite agrandies et transformées pour les besoins des travaux, permettant un débit d'évacuation de 1000 mètres cubes/seconde en forme de fer à cheval, elles ont une section mouillée de 59 mètres carrés. Les parois sont consolidées par un revêtement en béton coffré. Surtout près de l'origine , à l'amont , les parois sont examinées avec soin , les fissures sont nettoyées et bouchées au ciment ; enfin un enduit général en gunite est appliqué sur toute la surface afin de réduire les infiltrations. En fin de travaux, l'une des galerie sera utilisée pour le passage de diverses conduites; l'autre pourra être bouchée ou prévue pour être utilisée comme galerie d'évacuation de secours en cas de,crue anormale de l'oued. Quel type de barrage ? A l'origine , le barrage des Zardézas est conçu selon le type "en enrochement", comprenant : un mur de pied à l'amont avec parafouille un massif d'enrochement formant le corps du barrage et reposant sur une couche de fondation en béton, un mur de pied à l'aval, un masque soutenu à sa base par un socle, ancré latéralement dans les berges et placé sur le parement amont du massif d'enrochement, enfin un dispositif de drainage général de toutes les eaux d'infiltration à travers les fondations, les encastrements et le corps du barrage. Dans leurs fonctions , le masque en béton assure l'étanchéité pour résister à la poussée, des blocs de rochers sommairement taillés sont empilés sous le masque en béton et le soutiennent; ceux placés contre le masque ne doivent pas peser moins de 600 kg. ; les vides sont comblés par de la pierre de dimensions plus petites et au fur et à mesure que l'on s'éloigne du masque, les rochers sont entassés en vrac, suivant une pente calculée pour venir s'appuyer sur un mur de pied. Mais dès le début des travaux, l'entrepreneur se heurte à deux difficultés : tout d'abord , la forme du relief s'avère peu propice pour aménager un déversoir, une fois l'ouvrage terminé , mais surtout , les fouilles mettent en évidence , une fracture dans le rocher, emplie de glaise et située à l'emplacement prévu pour le masque d'étanchéité. Devant cette surprise d'ordre géologique, les travaux sont arrêtés, et les projets doivent être repris avec une étude plus détaillée de la structure du sous-sol. Etudes géologiques : Ce projet de barrage sur l'oued Saf Saf avait déjà fait l'objet de diverses études géologiques préliminaires depuis 1912, ou consécutives aux premiers travaux préparatoires ces études sont reprises en 1930. Les nouvelles recherches mettent en évidence une perméabilité défavorable des verses roches et dont les travaux doivent tenir compte en y remédiant par des précautions spéciales : injections de ciment par exemple. Mais ces études montrent aussi des désignations différentes de roches et la carte officielle elle-même de 1907 ne donne qu'une représentation inexacte du terrain à l'emplacement considéré. Il faut donc reprendre les reconnaissances par de nouveaux sondages, afin de préciser exactement la nature des roches et l'ordre de leur superposition. Sur la rive gauche la catégorie la plus ancienne correspond aux grès rouges rappelant le permien et s'accompagnant d'argiles rouges et aussi de poudingues quand le grain de la roche devient galet. Ce sont des roches détritiques intimement unies en moyenne très siliceuses et d'une perméabilité généralement faible. Au-dessus de l'affleurement de grès rouge, un lambeau de calcaire compact grisâtre et peu homogène, d'origine liasique. Les grès rouges supportent d'autre part un placage de calcaire presque blanc, d'origine surtout végétale, les algues du groupe des lithothamniums ce récif phytogène présente sur sa surface des marques caractéristiques de la corrosion par l'eau de pluie. C'est le calcaire désigné comme liasique puis nummulitique Il est d'âge éocène moyen car des nummulites y sont incluses. Ce récif est dû au travail des foraminifères et des algues incrustantes. Il s'étale du reste sur le poudingue éocène qui constitue la roche la plus étendue à l'emplacement de la gorge du Saf Saf. Il est établi alors que ce poudingue y appartenant au nummulitique moyen, a longtemps constitué un barrage naturel séparant le bief amont où doit être établie la retenue artificielle, du bief aval, ne laissant à la rivière qu'un étroit passage. Et jusqu'alors, les études faites laissaient prévoir sur la rive droite une continuité brutale entre les roches, redressées et plaquées, et séparées par une faille. Au contraire, sur la rive droite, c'est le calcaire qui se trouve plaqué sur le poudingue, montrant visiblement un lambeau presque horizontal, le piton du Kef, puis une bande superficielle qui descend vers le sud jusqu'au niveau de la vallée ; ainsi le calcaire encapuchonne la masse de poudingue. La disposition des roches est presque symétrique sur les deux flancs de la vallée en amont de la gorge. De ce fait, cette continuité du conglomérat d'une rive à l'autre par dessous le lit de la rivière, visible avant déblaiement, ne permettait pas de supposer l'existence d'une importante fracture dans le lit même. Il s'agit de la faille emplie de glaise, marne et grès , se décomposant sous l'action de l'air qui a été mise à jour au cours de la première fouille pour la construction du barrage en enrochement. De ce fait, la formation du canon en ce point peut s'expliquer par l'existence, à hauteur d'une vieille fracture peu profonde favorisant le passage de l'eau en cet endroit, ou par un accident dû aux hasards de l'érosion dans les terrains situés au-dessous , et qui a fait s'établir la vallée fluviale à l'aplomb de la roche dure qui n'affleurait pas encore. Les travaux entrepris sur place, montrent que la fissuration superficielle du poudingue est de moins en moins accusée à des niveaux de plus en plus bas et dans le lit déblayé, il n'y a pas trace de fissure. A hauteur du Kef des terrains plus récents recouvrent ceux qui précèdent . Ce sont des marnes, des grès grisâtres ou gris bleus, devenus jaunâtres aux affleurements, par oxydation . Ces roches peu consistantes de l'éocène supérieur qui se transforment facilement en terre jaune ou rouge forment ce que l'on appelle le manteau de remaniement sur les pentes. La stratification de ces sédiments marneux en contact subvertical avec le poudingue au débouché et au-dessus des galeries d'évacuation horizontale au Kef, donne une indication sur la masse du poudingue sans stratification , elle est ployée en anticlinal, et le grès rouge a la même allure . A l'amont de la gorge, à la retombée du pli , le calcaire blanc descend en carapace sur le poudingue, à la verticale sur le flanc nord, déversé sur le flanc sud, sous forme de pli faille. Ainsi dans le cañon, une masse de roches compactes, moins fissurées et peu perméables traverse le lit de la rivière et forme sur les deux flancs deux points d'appui robustes La roche saine à fissuration minima sur la rive droite garantit une bonne étanchéité ; sur la rive gauche, l'épaisseur du poudingue est réduite, la roche sous-jacente fissurée, la masse rocheuse a même la forme d'un éboulis, il faudra entreprendre des injections de ciment pour assurer l'étanchéité. Le barrage poids Les recherches géologiques ont donc mis en évidence la présence de roches pouvant servir de socle et de butée à un barrage. Prenant en considération ces nouvelles études l'entrepreneur décide alors de reporter la construction 40 mètres en aval, et de construire un barrage de type "barrage poids". Il s'agit alors d'une barrière en béton encastrée dans le cañon et qui résiste à la poussée de l'eau par son propre poids uniquement; les travaux reprennent rapidement, l'entreprise Ballot a toujours son matériel en place. Avec le retard apporté par ces surprises géologiques nous sommes déjà en I933. Le socle du barrage est coulé dans le lit de la rivière et bientôt jusqu'à une hauteur de 30 mètres s'élèvent les trois secteurs centraux de 6 grades, encadrés par les tours à béton Coméra de 75 mètres sur la rive droite et Hibag de 100 mètres sur la rive gauche tandis qu'en amont on aperçoit le socle en béton du premier projet. C'est alors que pour avoir en crête une largeur de déversement suffisante pour le débit envisagé, 1000 mètres cubes par les vannes automatiques, on entreprend de faire sauter sur la rive gauche, une masse erratique de rochers, constituée par du poudingue et que les études géologiques de I930 signalaient en faible épaisseur; elle paraissait détachée et sans relation avec la masse principale, constituée par des grés rouges tendres et se désagrégeant sous l'action de l'air. Ces déblais entraînent alors un éboulement à forme lenticulaire dont le cube exact n'a pu être évalué. C'est qu'en réalité, la masse de poudingue dégagée servait de support à la montagne, grosse masse d'éboulis qui se met en mouvement dès que la cale saute. Momentanément arrêtés, les travaux reprennent cependant sans trop de retard ; on essaye de fixer la masse en mouvement par des injections de ciment ; cette tentative est rapidement vouée à l'échec, le glissement est trop rapide. Une nouvelle fois la construction est arrêtée et pour une période assez longue Il faut faire de nouvelles reconnaissances de terrain sur la rive gauche. Le flanc rive gauche est sondé, une galerie percée dans la montagne pour rechercher une masse stable, tandis qu'en surface, des levées et mesures sont entreprises pour étudier et déterminer le mouvement du terrain. Ces travaux, très poussés, durent près d'un an et demi, et aboutissent à la reconnaissance de la masse stable; on identifie dans ce volume, à une distance compatible avec les travaux, un massif de calcaire sain qui permet de donner au barrage un appui solide. Secteurs centraux du barrage en construction. On peut voir la galerie prévue pour les Barrage en construction, côté rive droite - centrale à béton - La construction reprend donc au cours de l'année 1934, mais le deuxième projet de barrage est cependant reconsidéré dans ses dimensions et sa forme. En effet, par mesure de sécurité, sa hauteur est réduite, réservant l'avenir pour une surélévation éventuelle. Les trois secteurs centraux déjà coulés sont coupés pour réduire leur hauteur de 5 mètres. Désormais , les travaux vont se poursuivre sans obstacle sur la rive gauche, la masse de calcaire sain, déportée en aval , nécessite une exécution en fouille blindée, de 9 grades à 17 grades 40 dans les repérages, d'un secteur complémentaire de 8 grades 40 qui allonge dissymétriquement le barrage. Enfin pour assurer sur le flanc de la montagne, la stabilité des terrains en mouvement, des remblais sont effectués entre ces terrains. Les essais ayant donné satisfaction, et les travaux terminés dans la cuvette réservoir, les galeries sont définitivement fermées. Celle située tout contre le flanc de la montagne est obstruée à l'amont par un bouchon en béton, encastré dans le rocher sur une profondeur de 2,40 mètres et 1,50 mètre de large; sa paroi amont est revêtue d'un enduit protecteur. L'autre galerie est utilisée pour le passage des conduites forcées : alimentation de Philippeville, vidange de fond et irrigation. Ces trois conduites ont leur origine dans la tour de prise d'eau qui abrite les appareils de manoeuvre pour l'ouverture et la fermeture de leurs vannes. Contre-barrage et tirants Les dernières coulées de béton sont consacrées au contre-barrage qui a pour rôle d'amortir la force vive des eaux déversantes et d'éviter les affouillements. Implanté sur le pied même du barrage, il dresse ses dents vers le déversoir et sur toute la largeur du secteur déversant. Une deuxième ligne, plus en aval, sert de déversoir aux eaux bouillonnantes. Pour assurer la tenue du contre-barrage et sa résistance à la force vive des eaux, chaque dent est renforcée par un tirant de 150 tonnes : il s'agit de câbles tendus à la verticale entre le rocher sous-jacent et le béton; enfin 12 tirants de 600 tonnes plaquent la maçonnerie du contrebarrage au pied du barrage. D'autre part, côté rive gauche, 4 tirants de 1200 tonnes ont un double rôle : ils rendent solidaires le tandem contrebarrage - pied du barrage et servent d'arcs-boutants à l'édifice lui-même ; sur cette rive ce dernier repose sur une masse rocheuse en pente vers l'aval ; les tirants de 1200 tonnes appliquent l'ouvrage sur son piédestal. Cette méthode de consolidation aurait été employée au barrage des Cheurfas ; ce dernier glissant sur sa base naturelle aurait été stabilisé sur son socle par des tirants qui traversent le béton et s'enracinant à grande profondeur avec une légère inclinaison, empêchent tout mouvement de glissement ou de bascule. Derrière le barrage, au pied du piton rocheux du Kef, la tour de prise d'eau est implantée à l'origine des conduites forcées, dans le réservoir. Construite en même temps que le barrage , elle reçoit ses derniers appareils : commandes électriques des vannes de pied amont, transmissions, portes, grilles. Les vannes automatiques seront installées aussitôt après la guerre de 39-45, en 1949; derniers travaux de maçonnerie, les piles servant de support aux vannes seront coulées, les vannes mises en place , et enfin une charpente en béton armé franchit les pertuis en s'appuyant sur ces piles. En 1953 on équipe cette passerelle d'un garde-fou métalliques. Caractéristiques finales de l'ouvrage terminé Le barrage des Zardézas est terminé. Après dix ans d'efforts et de travail, de fouilles et de bétonnage, il entre dans sa phase utilitaire en 1939 avec sa mise en eau définitive.
Ce barrage a été conçu de telle sorte que la tenue de l'ouvrage ne puisse d'aucune manière être mise en défaut par une crue exceptionnelle si le niveau de l'eau venait à atteindre la cote 203. La marge de sécurité est donc large, si l'on sait que les vannes automatiques ouvertes à 4 mètres peuvent évacuer 1095 mètres cubes/seconde, pour une crue maxima évaluée alors à 800 mètres cubes/seconde (1) Pfeiffer et Assant, Alger 1927 In l'Algérianiste n°59 de septembre 1992 |