MARDI 22 mars 2005 à 13 heures
auditoire Lacroix
Récital du guitariste
Denis Sung-Hô
Rising Star 2004-2005
photo : Ruben Falkowicz
L'interprète
Denis Sung-Hô est Né à Séoul en Corée du Sud.
A quatorze ans, il remporte en Belgique le premier
prix du concours "Jeunes talents", tous instruments confondus.
A dix-neuf ans, il est admis à l'Ecole Normale de
Musique Alfred Cortot (Paris) avec Alberto Ponce.
C'est cependant à Odair Assad, avec qui il étudiera
quatre ans et obtiendra son diplôme supérieur de guitare au Conservatoire
Royal de Mons, qu'il doit la majeure partie de sa formation, diplôme
qu'il possède également pour la musique de chambre sous la conduite
de Guy Van Waas.
Il a bénéficié de l'enseignement de Sérgio Assad
lors de sa présence au CRMB (un an).
Denis Sung-Hô, mène une carrière internationale
qui le conduit sur les scènes d' Allemagne, France, Pays-Bas,
Belgique (Flagey, Palais des Beaux-Arts, récital en direct de
Musique 3-radio classique belge-, Concerto Elégiaque de Léo Brouwer
enregistré également pour Musique 3, RTBF -télévision belge-,
…), Pologne, Grande Bretagne, Italie, Canada, Etats-Unis, …
Il se produit également en musique de chambre.
Il a enregistré trois CD , un premier en duo (avec
Boris Gaquere- Astor Piazzolla, Boris Gaquere et Sérgio Assad),
un second en solo consacré aux grandes œuvres de virtuosité (Johann
Sebastian Bach, Manuel Maria Ponce, Alberto Ginastera, Joaquin
Turina, Sérgio Assad.) et un troisième pour EMI au sein du quintette
Soledad.
Denis Sung-Hô est lauréat de la "Fondation Belge
de la Vocation".
Il est également invité à donner des master classes
internationales à des élèves des conservatoires de Tokyo et Cologne.
Son désir de promouvoir la musique vivante se concrétise
par des collaborations avec de jeunes compositeurs qui lui dédient
certaines pages pour guitare: Jean-Michel Gillard, Santiago Abadia,...
Denis Sung-Hô a été nommé Rising Star par le Palais
des Beaux-Arts de Bruxelles pour la saison 2004-2005.
En 2004-2005, il se produira en récital entre autre
au Carnegie Hall de New York, Concertgebouw d'Amsterdam, Musikverein
de Vienne, Mozarteum de Salzburg, Symphony Hall de Birmingham,
Konserthuset de Stokholm, Megaron d'Athene, Palais des Beaux Arts
de Bruxelles, Cité de la Musique de Paris, Kolner Philharmonie...Et
en soliste avec le Deutsches Kamerorchester à la Philharmonie
de Berlin.
Une tournée est prévue en Corée en 2006.
Voici l'adresse du site internet de Denis Sung-Hô
: http://membres.lycos.fr/chqb/
Extraits de presse :
"...ce mélange de grâce et de ferveur impérieuse
qui vous caractérise..."
Martine Dumont-Mergeay, critique musicale (Belgique)
"...le jeu du jeune Denis Sung-Hô est sensible,
inspiré et sans faille..."
Les cahiers de la guitare (France)
" …suave et rêveur…l'extrême netteté d'une technique
agile…incroyable équilibre…"
Guitart ( Italie )
"…le trait est précis et sensible, la sonorité
est très pure…"
La Libre Belgique (Belgique)
"…un élan et un frémissement magnifique… "
La Libre Belgique ( Belgique )
Le programme
Heitor Villa-Lobos : Préludes 1,3, 4, 5
Benjamin Britten : Nocturnal
Astor Piazzolla : Inverno Porteno
Sérgio Assad : Fantasia Carioca
Alberto Ginastera : Sonata op. 47
NOTES SUR LES OEUVRES AU PROGRAMME
ces notes se trouvent sous l'interview...
Interview de Denis Sung-Hô
Comment avez-vous construit le programme du concert?
Le répertoire de la guitare est souvent léger et j'évite ces
partitions pour aborder des pièces beaucoup plus profondes. Afin
de créer un équilibre, je réunis des œuvres denses et sombres
et des pièces plus légères, par exemple de Piazzolla ou de Villa-Lobos.
Nocturnal de Britten est obscur et imprégné d'angoisse.
Il s'agit de la première partition dans l'histoire de la guitare
qui n'est pas espagnole ou sud-américaine. Elle est emblématique
de l'émancipation musicale de l'instrument et elle est magnifique
! J'adore les compositions de Britten, en particulier ses Suites
pour violoncelle et Lachrymae pour alto et piano. Dans
cette dernière pièce, il adopte le même système que dans Nocturnal
: les développements et variations précèdent la citation d'un
chant de John Dowland. Le programme contient également de très
jolies pièces de Villa-Lobos et Inverno Porteno de Piazzolla.
Je jouerai aussi la Fantasia Carioca de Sergio Assad, qui
a été mon professeur pendant un an. Son frère Odair fut mon principal
maître durant 4 années. C'est une œuvre géniale… Le concert prendra
fin sur une sonate contemporaine de Ginastera, très rythmique
et débordante de vitalité.
Les compositeurs actuels font-ils davantage honneur à la guitare
? Avez-vous le projet de commander de nouvelles oeuvres ?
En Belgique, il y a un compositeur extraordinaire : Jean-Luc
Fafchamps. J'adore également les oeuvres de Jonathan Harvey qui
utilise l'électronique, mais pour créer de la poésie. Il ne compose
pas de mélodies mais il crée une atmosphère et, sans que l'on
comprenne pourquoi, on est soudain très ému. C'est phénoménal…
Il accepterait probablement d'écrire une œuvre pour moi mais il
est très occupé et ne pourra s'y atteler que dans quelques années.
Par ailleurs, cette commande est très onéreuse et je ne pourrais
l'assumer sans le soutien de la Fondation Belge de la Vocation.
Je convoitais le trèfle d'or mais c'est un historien qui a été
choisi.
La musique contemporaine exploite-t-elle d'autres possibilités
techniques de la guitare ?
Les compositeurs actuels essaient parfois de produire des bruits
mais je déteste cela… Autant mettre sa cravate de travers mais
cela ne présente pas un grand intérêt (rires). Parmi les compositeurs
actuels, j'aime également beaucoup Carter et Berio. Ce dernier
a écrit Sequenza, qui est une œuvre très intéressante mais
fort longue. Il faut être courageux…
Vous préférez les pièces plus courtes ?
Vingt minutes de musique contemporaine sans pause dans la partition,
c'est très long aussi pour le public. En outre, cette oeuvre est
difficile à placer en-dehors des festivals. Il en existe un seul
consacré à la musique contemporaine en Belgique et si l'on veut
jouer dans les festivals à l'étranger, il faut du temps pour rentrer
dans le circuit.
On évoque souvent le rapport fusionnel que les violoncellistes
entretiennent avec leur instrument. Avez-vous une relation particulière
avec votre guitare ?
Je l'adore ! Je suis complètement amoureux d'elle. Je fais parfois
des cauchemars horribles dans lesquels on la substitue pour une
autre en me disant que la nouvelle est beaucoup mieux mais je
suis malheureux comme tout ! Je l'ai depuis six mois. Auparavant,
j'ai joué sur deux instruments conçus par le même luthier. Depuis,
il a créé une révolution en ajoutant des pièces de matière composite
dans le barrage, qui rendent la guitare très puissante. Mais,
indépendamment de ces ajouts, la facture de la guitare est magistrale.
C'est le troisième instrument que j'achète chez lui. Celle dont
je disposais il y a quelques années présentait des défauts. Il
avait poussé sa logique trop loin : la table était trop fine et
elle n'a pas résisté. Je fais chaque fois le voyage à New York
pour aller choisir l'instrument. La dernière fois que je suis
entré dans son atelier, j'ai vu cette guitare et, sans l'essayer,
j'ai su que c'était elle. C'était une sorte de coup de foudre.
Elle est très élégante et chaleureuse.
Cette intuition était-elle liée à … son physique ?
Il est possible que cet aspect ait un peu joué (rires) : elle
est vraiment très belle. Les dessins du bois dans la table d'harmonie
sont à la fois sobres et… harmonieux. La rosace est splendide.
Qui est ce luthier ? Thomas Humphrey. Il a des défauts mais de
grandes qualités. Cet instrument chante très bien. Elle est aussi
capricieuse : elle est sensible aux variations météorologiques.
Mais ce n'est pas grave. Il faut s'adapter.
Comment gérez-vous ses caprices ?
Il y a des éléments qui m'échappent et ce n'est pas toujours agréable
en concert mais mon jeu s'adapte à ses changements. Il faut finir
par se connaître. Je n'ai pas encore donné beaucoup de concerts
avec elle. Vous évoquiez le chant.
Avez-vous la sensation que vous chantez avec votre instrument,
que vous racontez une histoire ? Y a-t-il toujours une signification
entre les lignes de la partition ?
Ma démarche est surtout intuitive et sentimentale. Par exemple,
l'interprétation de Nocturnal n'était pas aisée, au début. J'avais
une intuition globale de l'œuvre mais je ne comprenais pas toujours
quelles avaient été les intentions de Britten. Puis, j'ai eu des
sensations physiques nouvelles, comme si j'abordais une autre
esthétique. La musique contemporaine permet également d'accéder
à un nouveau langage. Mon approche n'est pas logique mais sensible.
Souvent, je cherche le chant et j'explore ce qui, sensuellement,
m'incite à travailler une pièce.
Lorsque vous êtes sur scène, y a-t-il une place pour le mystère
ou tout est-il prévu à l'avance ? Avez-vous parfois des surprises
?
Cela peut arriver, dans un sens positif ou non. Parfois, des intuitions
surgissent. La salle exerce également une influence : si les auditeurs
sont réceptifs, une communication s'instaure avec eux. Les salles
neuves manquent parfois d'âme, comme si elles n'avaient pas encore
accueilli assez de gens. C'était une expérience magnifique de
jouer à la Philharmonie de Berlin ou au Musikverein de Vienne.
Ces salles ont une histoire et cela se ressent. C'est étrange…
Le public réagit-il différemment d'un pays à l'autre ?
Les gens sont plus chaleureux dans les pays du Sud et l'interprète
est davantage "porté" par les auditeurs. A Stockholm, par exemple,
la qualité d'écoute est très grande mais les gens n'applaudissent
pas fort. Il semble normal de ne pas faire trop de bruit. Par
contre, à Vienne, paradoxalement, le public est extrêmement chaleureux.
Y a-t-il des endroits où vous préférez jouer ?
Donner un concert à la Philharmonie de Berlin est une expérience
merveilleuse. La petite salle, qui comporte tout de même 1200
places, a été réalisée par un disciple de Scharoun. La scène est
au centre de la pièce et le public entoure l'interprète. Il se
trouve dans une sorte de matrice, protégé par les auditeurs autour
de lui. On ne peut pas se tromper ou mal jouer dans cette salle.
De plus, elle bénéficie d'une acoustique excellente !
Vous avez également de nombreuses expériences de musique de
chambre...
… notamment avec Boris Gaquer qui est également issu de la classe
des frères Assad. Il aime le cross over et joue davantage de musique
brésilienne. Mes goûts sont plus classiques. Par ailleurs, il
est très rythmique et je suis plus lyrique. J'ai tendance à prendre
des libertés et à accélérer ou ralentir, tandis que son rythme
est plutôt stable et plus construit. Le mélange de nos styles
donne de bons résultats. Lorsque nous jouons ensemble, son jeu
devient plus flexible et le mien se stabilise. Nous nous connaissons
depuis dix ans et une communication incroyable s'est installée
entre nous. Notre répertoire comprend surtout de la musique sud-américaine,
du Bach et du Prokofiev, dont j'ai par exemple transcrit une toccata,
ainsi que des compositions de Boris.
Vous adonnez-vous à la composition ou à l'improvisation ?
J'ai joué un peu de jazz mais cela ne m'a pas tellement plu. Je
suis tenté par la composition et j'ai commencé à écrire des thèmes
mais je manque de technique harmonique pour les développer. Au
Conservatoire, j'ai beaucoup étudié la guitare et moins les cours
parallèles. Il est sans doute plus facile d'acquérir la technique
que la créativité. J'ai composé de nombreux thèmes mais ils font
huit mesures ! Brahms a créé des œuvres gigantesques parce qu'il
créait des thèmes splendides et des développements extraordinaires.
Je ne pense pas avoir pas cette forme d'intuition.
Quels sont vos compositeurs préférés ?
J'adore Mahler ! J'aime aussi énormément Chostakovitch et Brahms.
Mais ils n'ont pas écrit pour mon instrument. Les pianistes peuvent
travailler dix heures par jour des oeuvres différentes. Les guitaristes
arrivent très vite au bout de leur répertoire, qui n'est pas si
vaste. J'évite les pièces un peu légères qui ne me semblent pas
intéressantes. J'aime beaucoup les œuvres de Britten. Rodrigo
a écrit une oeuvre très belle -outre bien entendu le Concerto
d'Aranjuez- Evocacion y danza, que j'aimerais travailler.
En tant que guitariste, il est important de trouver de nouvelles
partitions, de réaliser des transcriptions ou de faire des commandes
pour renouveler le répertoire. J'adore les œuvres de Sérgio Assad
: il est pour moi un grand compositeur dans l'absolu, indépendamment
de son activité de guitariste.
Qu'est-ce que cela signifie pour vous, être un musicien ?
C'est très dur ! Soit on est un génie et on est reconnu comme
tel dès la petite enfance, soit il faut se battre, particulièrement
en tant que guitariste. Tout le monde se fout de la guitare (rires)
… parce que personne ne la connaît bien. Il est difficile d'en
vivre. Si on veut travailler toute la journée pour atteindre un
certain niveau, il faut faire des concessions financières. Pendant
des années, j'ai accumulé des dettes gigantesques pour pouvoir
travailler tous les jours à la maison. A une certaine époque,
j'ai travaillé au White Night et au Sablon. C'était vraiment dur
mais c'est magnifique d'être libre ! On atteint une certaine forme
d'abstraction et c'est beau.
Souhaitez-vous parler de vos projets ?
L'un d'eux est une tournée en Corée, l'année prochaine. J'y
jouerai le Concerto d'Aranjuez avec l'Orchestre symphonique de
Corée. La vie de musicien est passionnante mais difficile. Il
y a de plus en plus de bons musiciens mais le marché de la musique
classique est en baisse, surtout dans des pays comme la Belgique.
Toutefois, on y assiste actuellement à un réveil des consciences
à l'égard de la jeunesse.
Pourquoi pensez-vous que les jeunes s'intéressent moins à
la musique classique ?
La Belgique n'est pas un pays très développé sur le plan culturel.
En France et en Allemagne, la moyenne d'âge des auditeurs est
moins élevée. Il y a des " cultures de la culture ". En Belgique,
nous avons la culture du football et de la frite, ce qui est intéressant
aussi (rires). Ce pays a connu une période de créativité intense
avec le surréalisme, en écriture et en peinture. En musique, la
grande école franco-belge du violon a été éclatante avec Eugène
Ysaÿe, Arthur Grumiaux… Il régnait une émulation musicale fantastique,
qui pourrait revenir. Il existe actuellement une nouvelle génération
de bons musiciens mais la Belgique a connu un marasme culturel.
En Flandre, la politique culturelle est plus efficace, grâce au
soutien de sponsors privés. Ils disposent de moyens plus importants
et peuvent inviter de grands professeurs tels qu'Igor Oistrack
ou Antigoni Goni. En cas de nouveau poste à pourvoir, ils vont
chercher les meilleurs ! Je suis favorable au sponsoring privé
dans ces cas-là. On assiste à un regain en Wallonie. A Bruxelles,
certains journalistes éveillent les consciences. Par ailleurs,
la relève est assurée auprès d'organisateurs, comme à Flagey ou
pour le Printemps baroque et les Midis Minimes, avec Bernard Mouton.
Vous consacrez-vous à l'enseignement ?
Je donne cinq heures de cours à l'académie d'Ixelles. J'aime beaucoup
enseigner la guitare aux enfants.
Qu'est-ce qui est le plus important de transmettre à un élève
?
L'autonomie et l'imagination. Il importe aussi qu'il trouve sa
personnalité et qu'il ne soit pas trop influencé par son professeur.
Il est fondamental d'être profondément en accord avec soi-même,
sans faire de concessions à ce niveau. Le plaisir de jouer est
un autre élément important. J'incite mes élèves à ne pas craindre
les examens ou les auditions. Normalement, on n'a peur de rien
quand on est petit !
Et vous, avez-vous le trac avant d'entrer en scène ?
De moins en moins. Quand j'étais petit, je ne l'avais pas, comme
tous les gamins. Puis, c'est venu avec le temps.
Avez-vous des " trucs anti-trac " ?
En général, je fais une sieste avant le concert. L'attente avant
d'entrer en scène est le moment le plus pénible. On ne peut rien
faire et on ne peut par exemple pas fumer à l'intérieur. Alors
je dors… Après, je me sens bien.
Etait-ce votre rêve d'enfant de devenir guitariste ?
Je voulais être pianiste. Mon père est professeur de gymnastique
et ma mère, fleuriste. Mes origines coréennes ont, à mon avis,
exercé une influence : ce pays regorge de musiciens ! Quand j'étais
petit, un ami de mes parents jouait du piano et j'étais fasciné
en l'écoutant. J'ai longtemps insisté pour apprendre cet instrument.
Mon père me dirigeait plutôt vers les activités sportives. J'en
ai pratiqué pendant quelques années mais je n'aimais pas cela
du tout ! En plus, je n'étais pas doué pour le sport et ce n'était
donc pas très agréable… Ma mère m'a ensuite inscrit au conservatoire
de Huy. Il n'y avait pas de place dans la classe de piano mais
bien en guitare. Cet instrument me convient : physiquement, il
n'y a pas d'intermédiaire entre la corde et moi. J'ai besoin du
contact direct avec les cordes, surtout au niveau de la main droite.
J'adore le violoncelle et le violon mais ce n'est pas tout à fait
mon langage : le guitariste a un rapport beaucoup plus physique
avec le bois et la corde. J'aime bien créer le son de l'instrument.
Propos recueillis par Axelle Thiry le 23 février 2005
NOTES SUR LES OEUVRES AU PROGRAMME
Heitor Villa-Lobos (1887-1959), Préludes 1,3, 4, 5
Heitor Villa-Lobos reçut ses premiers cours de musique auprès
de son père, un violoncelliste passionné. Ce dernier lui enseignait
la clarinette et le violoncelle … mais lui interdisait la guitare.
Inévitablement, elle devint une de ses passions ! Après le décès
de son père, sa mère, qui voulait le voir épouser la carrière
de médecin, lui confisqua tout ce qui concernait la musique. C'est
donc en cachette que Villa-Lobos étudia la guitare, développant
une technique instrumentale tout à fait originale. Ensuite, il
se mêla aux musiciens des rues et voyagea à travers le Brésil
pour s'imprégner des traditions locales. " Je suis le folklore.
Mes mélodies sont tout aussi authentiques que celles qui ont pris
source dans les âmes du peuple. " Sa musique accueille également
des influences européennes. Les Préludes voient le jour à la fin
des années 40.
Le compositeur y atteint un équilibre idéal entre les accents
nostalgiques des mélodies d'inspiration populaire et la modernité.
L'écriture se fait essentielle. La partition est animée d'un souffle
de liberté et d'un lyrisme noble. Le premier Prélude, aux teintes
mélancoliques, s'inspire de la Modinha, un chant populaire brésilien.
Sa section centrale est puissamment rythmique et virtuose. Le
troisième est un hommage à Bach. Le quatrième énonce une mélodie
lyrique entourant un épisode en arpèges ondoyants. Le cinquième,
empreint de nostalgie, est à la fois le plus européen et le plus
romantique du groupe.
Benjamin Britten (1913 - 1976), Nocturnal
Britten composa Nocturnal pour le guitariste Julian Bream,
et lui donna le sous-titre de
" Reflections " (Reflets). D'une poésie intense, presque
hypnotique, la pièce est inspirée d'une mélodie de John Dowland
:
"Come, heavy sleep, the image of true death,
And close up these my weary weeping eyes,
Whose spring of tears doth stop my vital breath
And tears my heart with sorrow's sigh-swoll'n cries.
Come, and possess my tired thought-worn soul,
That living dies, till thou on me be stole."
(Viens, lourd sommeil, image de la vraie mort,
Et ferme mes yeux noyés de larmes
Jaillissant à m'en faire perdre haleine,
Cependant que cris et soupirs de détresse déchirent mon coeur.
Viens, et gagne mon âme lasse que rongent les pensées,
Et qui, vivante, se meurt jusqu'à l'instant où tu t'empareras
de moi.)
Britten confia dans une interview que Nocturnal "contient
des images extrêmement dérangeantes" pour lui, mais jamais
il n'explicitera tant soit peu son propos. Il s'attache à cerner
les moments impalpables et douloureux de l'attente songeuse ou
angoissée d'un sommeil qui n'arrive toujours pas, faits de "
cris et soupirs de détresse".
Astor Piazzolla (1921-1992), Inverno Porteno
On peut dire du tango qu'il est une pensée triste qui se danse
ou un raccourci d'humanité. Et l'on peut certainement dire d'Astor
Piazzolla qu'il a révolutionné le tango. Après avoir pris des
cours auprès d'Alberto Ginastera, le plus célèbre compositeur
argentin de l'époque, il se rend à Paris pour suivre l'enseignement
de Nadia Boulanger. Elle lui transmet les notions de clarté et
de concision propres à la musique française. Piazzolla est séduit
mais l'attrait du milonga et du tango est plus fort et il retourne
à ses racines argentines. Toutefois, rien ne sera plus jamais
comme avant et ses compositions porteront la trace de ces années
savantes. Il adopte le langage du tango en le "travaillant
de l'intérieur". Il l'enrichit de techniques et de formes
venant de la musique classique, composant quintette, octuor, concertos
et même un opéra. Il puise également des éléments harmoniques
et rythmiques dans le jazz. Piazzolla réalise à merveille la fusion
entre art savant et art populaire, tradition et modernité, pour
créer une nouvelle forme esthétique. Et plus il s'ouvre à d'autres
univers, plus il plonge des racines profondes dans l'authenticité
de formes ancestrales.
Sa musique, envoûtante, est animée d'une vitalité irrésistible.
Parcourue d'accents dramatiques et de rythmes nerveux, elle respire
la sensualité et semble atteindre la frontière où le rêve rejoint
le réel, dans une atmosphère de tragédie, de solitude et de profonde
humanité.
Inverno Porteño, composé en 1970, referme la suite des
Quatre saisons de Buenos Aires.
Sérgio Assad (né en 1952), Fantasia Carioca
Sergio Assad, guitariste et compositeur brésilien, a suivi l'enseignement
de Monina Tavora, avec son jeune frère Odair. C'est dans leur
pays natal que, pendant leur enfance, ils donnent leurs premiers
concerts. Sillonnant d'abord le répertoire traditionnel pour duo
de guitares, Sérgio et Odair Assad y ont ensuite ajouté des contributions
de leurs compatriotes brésiliens dont Heitor Villa Lobos, Marlos
Nobre,… Ils explorent également la période baroque en interprétant
des œuvres de Rameau, Scarlatti, Bach, Couperin... Astor Piazzolla,
subjugué par leur talent, leur a dédié trois tangos originaux
pour duo de guitares. Nombreux sont les autres compositeurs qui
ont écrit pour eux.
Outre de multiples arrangements et transcriptions, Sérgio Assad
est l'auteur de musiques de films et de compositions à la fois
originales et évocatrices. Elles témoignent de ses racines latino-américaines
tout en accueillant des influences des traditions européennes
et du jazz nord-américain.
Alberto Ginastera (1916-1983), Sonata op. 47
Les références au folklore argentin ont longtemps été la principale
préoccupation de Ginastera. Il s'en est ensuite affranchi pour
adopter la technique sérielle, puis le total chromatique et l'écriture
" spatiale ", " où des clusters se superposent aux structures
de base, pour évoquer un monde fantastique et hallucinant où la
réalité est recréée par l'imagination ". Professeur au Conservatoire
de Buenos Aires, Ginastera y a formé une génération de compositeurs.
Il est notamment l'auteur de deux concertos pour violoncelle et
d'un opéra, Barabbas, d'après Ghelderode...
Sa sonate pour guitare opus 47 est le fruit d'une commande du
guitariste Carlos Barbosa Lima. Les références aux traditions
musicales de son pays y sont évidentes dans le Scherzo et le Finale.
Ginastera fait écho au folklore argentin, tout en le combinant
avec des épisodes atonaux et des expérimentations inspirées de
l'avant-garde européenne.
Axelle Thiry
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