Ce n’est pas Barroso qui décide, c’est le Parlement européen. C’est en ces termes qu’un certain nombre de personnalités politiques françaises ont tenu à répondre aux propos du président de la Commission de Bruxelles sur le maintien du principe controversé du «pays d’origine» au cœur de la directive sur la libéralisation des services. Histoire de rappeler à José Manuel Durão Barroso qu’il lui faudra peut-être mettre un peu d’eau dans son vin car il semble peu probable que le texte qu’il défend obtienne, en l’état, le soutien d’une majorité d’eurodéputés. Le ministre français de l’Economie, Thierry Breton, a même tiré une conclusion immédiate de cette situation en affirmant que «le débat est clos» car «il y a une volonté unanime du Parlement pour dire que la directive, telle qu’elle a été établie, ne correspond pas à ce qu’on veut, non seulement la France mais une très forte majorité du Parlement européen».
Cette volonté de calmer le jeu a été soutenue par le commissaire français aux Transports, Jacques Barrot, qui a lancé un appel à «dépassionner le débat» en invoquant le fait que, quoi qu’on en dise, «rien n’est décidé» pour le moment concernant les mesures que préconisera au final la directive. Et surtout, en dénonçant la tentative qui consiste à s’emparer de cette affaire pour «brouiller le débat sur la Constitution européenne à l’approche du référendum français du 29 mai».
Réécriture ou retrait de la directive ?
Il est vrai que les déclarations de Barroso ont immédiatement relancé la polémique autour des dangers de l’ultra-libéralisme et ont été utilisées par les partisans du «non» pour appeler à voter contre la ratification de la Constitution européenne lors du référendum. C’est pourquoi le président Jacques Chirac est intervenu directement pour rappeler le point de vue de la France à José Manuel Durão Barroso. Le chef de l’Etat a notamment insisté sur l’engagement pris, il y a un mois, par la Commission de réviser le texte pour obtenir un «consensus». Il s’est aussi entretenu avec le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, qui assure actuellement la présidence de l’Union européenne, et s’est rangé dans le camp des opposants à une libéralisation des services qui entraînerait des risques de dumping social.
Lors du sommet de Bruxelles, les 22 et 23 mars prochains, la France ne sera donc pas isolée pour demander une «remise à plat» de la directive Bolkestein et la suppression, ou le réaménagement, du «principe du pays d’origine», en vertu duquel une entreprise pourrait proposer un service dans n’importe quel pays de l’Union sans appliquer la législation qui y est en vigueur mais celle de son propre Etat d’origine. Une mesure favorable aux nouveaux Etats membres mais susceptible de soumettre ceux où les droits des salariés sont les mieux protégés aux effets d’une concurrence déloyale. L’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg préconisent donc eux aussi une réécriture du texte pour, comme l’a expliqué Claudie Haigneré, la ministre française déléguée aux Affaires européennes, «préserver la spécificité du modèle social européen autour d’un système de protection sociale performant». L’idée étant que la libéralisation des services doit s’accompagner d’une harmonisation par le haut et non pas signifier un nivellement par le bas.
Les dirigeants français n’ont pas le droit à l’échec sur la directive Bolkestein. Car le débat autour de ce texte cristallise toutes les peurs concernant les méfaits d’une Europe technocratique et inhumaine, dirigée de Bruxelles, sans tenir compte des attentes des citoyens. Et la capacité du gouvernement à faire entendre la voix de la France dans le débat sur la directive sera donc forcément interprétée comme un signe en faveur, ou contre, l’Europe par les électeurs qui vont se rendre aux urnes le 29 mai afin de donner leur avis sur la ratification de la Constitution.
Mais la cause des anti-Bolkestein ne sera pas si facile à défendre. Car les défenseurs de la directive ne semblent pas résolus à faire profil bas. Après José Manuel Durão Barroso, c’est le numéro deux de la Commission, Guenter Verheugen, qui a enfoncé le clou mercredi sur le «principe du pays d’origine», qualifié de «principe directeur du marché intérieur» européen auquel il était impossible de «renoncer». Le vice-président de la Commission a néanmoins affirmé que l’instance européenne était «disposée à améliorer le texte avec le Parlement et les Conseils européens» pour tenir compte des préoccupations de l’opinion. Moins diplomatiquement, le président du Lisbon Council, une association créé en 2003 après l’élaboration de la stratégie de Lisbonne sur la compétitivité européenne, de tendance libérale, devant laquelle s’était exprimé Barroso, a attaqué la prise de position de la France sur la directive Bolkestein. Paul Hofheinz a qualifié les arguments du président français de «rhétorique ridicule» et a déclaré : «La nature défensive, mal informée, du débat sur la directive services est un triste spectacle venant d’un pays qui était le moteur de l’intégration européenne». Jacques Chirac appréciera…