LE BARRAGE DES ZARDÉZAS PAR HUBERT GROUD

Philippeville:
12 056 habitants en 1863
21 251 habitants en 1901
40 000 habitants en 1930

Le 23 août 1870 la compagnie PL.M. inaugure la ligne Philippeville-Constantine, commencé en 1864 le port est achevé en 1895 (1). Les cultures s'étendent dans les environs et la vallée, la ville grandit et sort de ses remparts, les quartiers du Beni-Melek et du faubourg de l'Espérance démarrent, industries et commerces se développent Un problème cependant n'est pas facile à résoudre, celui de l'approvisionnement en eau dont la pénurie grandit avec l'extension de l'activité et du peuplemenl Un barrage en est peut-être la clé.

(1) A.F.N. illustré 1930

Dans son numéro du 4 mars 1903 le " Zéramna ", journal local de Philippeville rend compte d'une démarche de M. Thompson député de la circonscription qui appelle l'attention de M. le Gouverneur général sur l'utilité pour la région de la construction immédiate du barrage des Zardézas. La réponse , dit l'article est de nature à donner bon espoir aux agriculteurs ; signée du Secrétaire général du gouvernement Maurice Varnier, datée du 17 février 1903, elle dit en substance : " Vous avez bien voulu me demander d'envoyer en mission à Philippeville un ingénieur des Ponts et Chaussées qui s'occuperait spécialement des études relatives à la construction du barrage des Zardézas…
En résumé : les quatre postes d'ingénieur ordinaire n'étant pas pourvus de titulaires il faut procéder à des nominations de métropole ; alors seulement et si la situation budgétaire le permet j'examinerai avec intérêt la possibilité de demander un cinquième ingénieur auquel seraient confiées suivant votre désir les études du barrage des Zardézas ".

Philippeville - La Marine (Doc. H.Groud)

Nous sommes le 4 mars 1903.Tous les espoirs sont permis.
Si l'on,se réfère à l'ouvrage de Paul Saurin " Le problème de l'eau dans l'Algérie du Nord "(1) que nous citons tout au long de ce chapitre, les aménagements existants en 1900 pour l'irrigation concernent environ un millier d,'entreprises de quelque importance pour plus de 200000 hectares arrosés , selon deux méthodes :
- les barrages de dérivation déjà édifiés par les Romains, continués par les Berbères et les Arabes de façon très rudimentaire, multipliés et améliorés dans leurs caractéristiques de fiabilité et d'efficacité par la colonisation ; on distinguera les barrages de dérivation à irrigation d'été dans la zone tellienne sur la Mouilah l'oued Isser et le Saf Saf dans la Tafna, sur l'oued Deurdeur, le Chelif et l'oued Sly, sur le Rhumel et la Seybouse et les barrages de dérivation à irrigation d'hiver et de printemps sur les Hauts Plateaux pour les cultures de céréales.
- les barrages réservoirs : en 1900 il en existe sept , cinq dans l'Oranie et deux dans l'Algérois ce sont : le barrage du Tlela, 1869-I870 d'une retenue de 730 000 m³, le barrage de l'Oued Magoun, 1879-1887 d'une retenue d'un million de m³ d'eau saumâtre ; le barrage des Cheurfas construit en trois étapes : en 1849 un premier mur retient 3 millions de m³ puis en 1880-1882 est édifié en amont un second mur plus haut , enfin suite à une rupture , le premier mur est rétabli et agrandi en 1886-1892 ; ces murs permettent une retenue totale de 18 millions de m³ ; le barrage de l'Oued Fergoud 1865-1873 retient 30 millions de m³ ; le barrage de la Djidiouïa 1875-1876 retient sept cent mille m³ ; le barrage de Meurad retient huit cent mille m³ ; enfin le barrage du Hamiz 1869-1894 retient 23 millions de m³ (capacité du réservoir en 1960). Ces ouvrages ne sont pas très hauts mais longs , souvent en terre parfois en béton , ou encore partie en béton partie en terre
Suite à ces aménagements hydrauliques, on notera alors un certain ralentissement , sinon un arrêt pendant 25 ans du programme de construction des barrages réservoirs en particulier ; parmi les motifs invoqués celui d'une retenue insuffisante, I/3 seulement des eaux des oueds en raison d'une capacité trop faible celui de l'évaporation importante mise à jour par l'expérience ainsi que l'envasement rapide ; autant de reproches qui rendent le m³ d'eau très onéreux. Cependant l'Algérie se développe, sa population augmente, les besoins se font sentir et il devient nécessaire d'engager un programme de grands barrages réservoirs sur de nouveaux principes : ce sera le programme de 1920, A la session extraordinaire de novembre 1920, les délégations financières arrêtent un programme d'une vingtaine d'ouvrages , avec des travaux de première urgence à exécuter en quinze ans . Mais dans les premières années c'est le rail qui absorbera plus des 7/8 du budget des grands travaux. Il faudra en arriver aux difficultés de l'Algérie liées aux conséquences de l'après-guerre , à la crise agricole et commerciale, pour qu'en 1924 les délégations s'opposent au programme présenté par l'administration et placent le problème de l'hydraulique au premier plan. Rapport présenté au nom de la commission interdélégataire par M. Pantaloni. Toujours dans l'ouvrage de Paul Saurin, on peut lire " l'expérience à montré que l'on doit s'attacher à réaliser une utilisation aussi complète que possible de l'eau des oueds ", et dans un discours prononcé à l'occasion de la pose de la pierre de niveau du barrage de l'oued Fodda le 10 novembre 1924, le gouverneur général Steeg souligne la nécessité d'une politique générale de l'eau.
C'est en effet par une coordination méthodique de tous les moyens d'action dont dispose l'Algérie que l'on arrivera à réaliser peu à peu ce vaste programme de 1920, au milieu de difficultés considérables qui surgissent à tous moments.
Le programme de première urgence en cinq ans est entré dans la voie des réalisations et comprend, outre divers travaux d'irrigation d'assainissement et de protection contre les eaux, l'aménagement rationnel de la plaine du Cheliff par la construction de grands (2) barrages réservoirs-. Grâce à l'action de M. Steeg et de son successeur M. Violette, plusieurs de ces ouvrages sont déjà commencés.
- Le barrage de l'Oued Fodda déclaré d'utilité publique par décret du 20 octobre 1923 est en cours d'exécution . C'est un barrage poids en béton hauteur de retenue 90 mètres, capacité 220 millions de mètres cubes, délais d'exécution 4 ans , il permettra l'irrigation de 30 000 ha.
- Le barrage du Ghrib sur le Cheliff déclaré d'utilité publique par décret du 16 septembre 1925 est du type "barrage en enrochement" hauteur 60 mètres, capacité 230 millions de mètres cubes , il permettra l'irrigation régulière de 35 000 hectares , les travaux sont commencés.
- Le barrage de la Haute Mina déclaré d'utilité publique par décret du 12 septembre 1926 hauteur 40 mètres, capacité 33 millions de mètres cubes il permettra l'irrigation de 13 000 hectares dans la plaine de Relizane.
- Le barrage des Zardézas sur le Saf Saf département de Constantine, déclaré d'utilité publique par décret du 12 septembre 1926, hauteur 45 mètres , capacité 34 millions de mètres cubes , il sera de type "en enrochement", il permettra l'irrigation de 13 000 hectares et assurera en outre l'alimentation en eau de la ville de Philippeville.
Ces deux derniers ouvrages ont été mis au concours dès leur déclaration d'utilité publique ; le délai imparti aux concurrents pour établir leurs projets et formuler leurs offres expire le I5 juin 1927.
Enfin sont à l'étude le barrage de Foum El Gueiss qui doit assurer l'irrigation de la plaine d'Edgar Quinet dans l'Aurès et plusieurs grands barrages dans le bassin de la Tafna, dans le Hodna et sur le versant sud de l'Aurès. Cette dernière programmation est une décision des délégations financières qui ajournent des constructions de lignes de chemin de fer prévues en 1920 et ajournent à 1926 les crédits pour les travaux de ports en construction ou à construire t : rapport présenté par M. Pantaloni, priorité est donnée à l'effort en matière d'hydraulique agricole.
C'est tout l'avenir des cultures irriguées qui en dépend , et de l'économie algérienne en général . Il s'agit aussi d'assurer l'alimentation en eau potable des villes et villages d'une Algérie en plein développement. Au moment où au lieu dit "les Zardézas" le premier coup de pioche va être donné, on imagine difficilement quelle somme de travail et de temps il faudra pour mener l'oeuvre à son terme. Il faut d'abord créer un organisme d'étude pour passer du projet à la réalisation . Avant de commencer les travaux il faut recruter le personnel, très nombreux, spécialisé ou non : des manœuvres, sondeurs, mécaniciens, soudeurs, maçons, menuisiers, charpentiers, coffreurs, électriciens, spécialistes des carrières et tirs de mines, ingénieurs, comptables, employés de bureau…etc. Il faut amener le matériel à pied d'oeuvre et pour cela améliorer les accès , ouvrir une route de 9 kilomètres depuis El Arrouch. Avant que ne démarrent les premiers travaux il faut créer un village dans cette vallée isolée , avec ses maisons d'habitation en bois recouvert de carton goudronné noir, les premiers préfabriqués peut-être, des bureaux, des ateliers, garages, entrepôts, commerces d'épicerie, boulangerie, glacière l'été, infirmerie, cantine ; créer des voies de communication qui rayonnent du village au chantier, ponts sur les oueds et torrents, routes à flanc de montagne, les bulldozers n'existaient pas encore ; et même quelques kilomètres d'un réseau de chemin de fer à voie étroite " Decauville ", avec ses locomotives à vapeur qui tranporteront sur leurs wagonnets souvent avec peine dans les pentes, des tonnes de sable, de pierres, de gravier et de ciment depuis les carrières ou l'entrepôt. Une centrale électrique de 500 HP. est installée, alternateurs mus par des moteurs diésels. cependant une ligne électrique haute tension sera tirée pour tranporter le courant depuis la centrale thermique au charbon de Philippeville. L'important tonnage de matériel et de ciment en provenance de France sera acheminé par la route , via Philipeville, port de débarquement à 40 kilomètres. Les bureaux d'étude du Gouvernement général de l'Algérie supervisent le déroulement des opérations . Pour ce barrage en particulier, les travaux sont conduits par l'entreprise adjudicataire, en coopération avec les services administratifs des Ponts et Chaussées . L'entrepreneur met en oeuvre son matériel et ses ouvriers sous les ordres d'un directeur, ingénieur spécialisé, tandis que les Ponts et Chaussées par l'intermédiaire d'un ingénieur T.P.E. contrôlent les travaux. Le découpage administratif rattache Zardézas à la commune mixte de Jemmapes, 26 kilomètres; mais il n'y a pas de liaison routière directe sinon des pistes muletières par les montagnes .

La route passe par El Arrouch à 9 kilomètres, c'est ce dernier village, d'ailleurs marché très important le vendredi qui draîne à lui le mouvement humain et économique du chantier. Zardézas est un petit barrage un des plus petits d'Algérie. Cependant son utilité, son rôle dans la mise en valeur de la vallée du Saf Saf seront grands. Pour le comprendre je citerai Gilbert Attard qui nous dit dans son préambule au diaporama et à l'ouvrage " Philipeville au temps jadis " :" j'ai choisi d'évoquer Philipeville au début du siècle, au temps jadis C'est l'époque où vivaient mes grands parents, poursuivant l'oeuvre de mise en valeur des riches terres des vallées du Saf Saf et du Zeramna entreprise par leurs pères. Heureux malgré leurs lourdes tâches , ils avaient foi en l'avenir ". Oui, l'avenir c'est l'adduction d'eau, la fin des rationnements pour Philipeville et tous les villages de la vallée ; en 1914 les besoins de cette ville sont évaluée à 5 000 mètres cubes/jour, il en manque 3 000. C'est avec l'irrigation, le développement des cultures maraîchères, de la vigne et des agrumes, toutes ces belles plantations qui couvriront la plaine depuis la sortie d'El Arrouch, et Gastonville en passant par Saint Antoine et le long du Zeramna, Beni Bechir, Valée, Damremont, le domaine Barrot et Philippeville. C'est le contrôle et la régulation du débit du Saf Saf et la fin des inondations de la basse vallée. Tel seront les résultats rapides qui entraîneront l'accroissement de l'activité et la prospérité pour tous.

Au village la cantine de l'Entreprise Ballot

L'adjudication pour la construction du barrage des Zardézas est donnée fin 1928, après concours, à la Société Algérienne des Entreprises Ballot qui prend en charge tous les travaux de génie civil. Les travaux débutent aussitôt, au lieu dit Zardézas, à 9 kilomètres d'El Arrouch.

Galerie de dérivation, bâtardeau

Comme tous les oueds algériens, le Saf Saf est un gros torrent, à débit variable suivant les années et les saisons.

Le bassin versant en amont de l'emplacement choisi pour le barrage couvre une superficie de 34120 hectares , légèrement boisée en oliviers et maquis ; les débits enregistrés jusqu'alors vont de 50 litres/Seconde l'été à 350 mètres cubes/seconde en moyenne au cours des plus fortes crues le maximum admis comme devant être évacué se situant au niveau de 800 m³/s.

Avant même d'attaquer les fouilles dans le lit de la rivière, il faut détourner l'oued de son cours normal et pour toute la durée des travaux de construction du barrage . Pour cela la rivière est dérivée latéralement sur la rive droite par un canal ayant son origine à 150 mètres à l'amont de l'ouvrage. La rive gauche de ce canal est constituée par un batardeau en gravier avec talus et couronnement protégés par de forts perrés en enrochement, surmonté d'un rideau de palplanches. Ce canal de 28 mètres de large traverse la montagne, sur la rive droite, par les galeries de dérivation.

Le village avec ses maisons préfabriquées en bois (Photo S.Groud)

Barrage en construction côté rive gauche (Photo H.Groud)

A l'origine, ces galeries ont d'abord servi à la reconnaissance des terrains. Elles seront ensuite agrandies et transformées pour les besoins des travaux, permettant un débit d'évacuation de 1000 mètres cubes/seconde en forme de fer à cheval, elles ont une section mouillée de 59 mètres carrés. Les parois sont consolidées par un revêtement en béton coffré. Surtout près de l'origine , à l'amont , les parois sont examinées avec soin , les fissures sont nettoyées et bouchées au ciment ; enfin un enduit général en gunite est appliqué sur toute la surface afin de réduire les infiltrations. En fin de travaux, l'une des galerie sera utilisée pour le passage de diverses conduites; l'autre pourra être bouchée ou prévue pour être utilisée comme galerie d'évacuation de secours en cas de,crue anormale de l'oued.

Quel type de barrage ?

A l'origine , le barrage des Zardézas est conçu selon le type "en enrochement", comprenant : un mur de pied à l'amont avec parafouille un massif d'enrochement formant le corps du barrage et reposant sur une couche de fondation en béton, un mur de pied à l'aval, un masque soutenu à sa base par un socle, ancré latéralement dans les berges et placé sur le parement amont du massif d'enrochement, enfin un dispositif de drainage général de toutes les eaux d'infiltration à travers les fondations, les encastrements et le corps du barrage. Dans leurs fonctions , le masque en béton assure l'étanchéité pour résister à la poussée, des blocs de rochers sommairement taillés sont empilés sous le masque en béton et le soutiennent; ceux placés contre le masque ne doivent pas peser moins de 600 kg. ; les vides sont comblés par de la pierre de dimensions plus petites et au fur et à mesure que l'on s'éloigne du masque, les rochers sont entassés en vrac, suivant une pente calculée pour venir s'appuyer sur un mur de pied. Mais dès le début des travaux, l'entrepreneur se heurte à deux difficultés : tout d'abord , la forme du relief s'avère peu propice pour aménager un déversoir, une fois l'ouvrage terminé , mais surtout , les fouilles mettent en évidence , une fracture dans le rocher, emplie de glaise et située à l'emplacement prévu pour le masque d'étanchéité. Devant cette surprise d'ordre géologique, les travaux sont arrêtés, et les projets doivent être repris avec une étude plus détaillée de la structure du sous-sol.

Etudes géologiques :

Ce projet de barrage sur l'oued Saf Saf avait déjà fait l'objet de diverses études géologiques préliminaires depuis 1912, ou consécutives aux premiers travaux préparatoires ces études sont reprises en 1930. Les nouvelles recherches mettent en évidence une perméabilité défavorable des verses roches et dont les travaux doivent tenir compte en y remédiant par des précautions spéciales : injections de ciment par exemple. Mais ces études montrent aussi des désignations différentes de roches et la carte officielle elle-même de 1907 ne donne qu'une représentation inexacte du terrain à l'emplacement considéré. Il faut donc reprendre les reconnaissances par de nouveaux sondages, afin de préciser exactement la nature des roches et l'ordre de leur superposition. Sur la rive gauche la catégorie la plus ancienne correspond aux grès rouges rappelant le permien et s'accompagnant d'argiles rouges et aussi de poudingues quand le grain de la roche devient galet. Ce sont des roches détritiques intimement unies en moyenne très siliceuses et d'une perméabilité généralement faible. Au-dessus de l'affleurement de grès rouge, un lambeau de calcaire compact grisâtre et peu homogène, d'origine liasique. Les grès rouges supportent d'autre part un placage de calcaire presque blanc, d'origine surtout végétale, les algues du groupe des lithothamniums ce récif phytogène présente sur sa surface des marques caractéristiques de la corrosion par l'eau de pluie. C'est le calcaire désigné comme liasique puis nummulitique Il est d'âge éocène moyen car des nummulites y sont incluses. Ce récif est dû au travail des foraminifères et des algues incrustantes. Il s'étale du reste sur le poudingue éocène qui constitue la roche la plus étendue à l'emplacement de la gorge du Saf Saf. Il est établi alors que ce poudingue y appartenant au nummulitique moyen, a longtemps constitué un barrage naturel séparant le bief amont où doit être établie la retenue artificielle, du bief aval, ne laissant à la rivière qu'un étroit passage. Et jusqu'alors, les études faites laissaient prévoir sur la rive droite une continuité brutale entre les roches, redressées et plaquées, et séparées par une faille. Au contraire, sur la rive droite, c'est le calcaire qui se trouve plaqué sur le poudingue, montrant visiblement un lambeau presque horizontal, le piton du Kef, puis une bande superficielle qui descend vers le sud jusqu'au niveau de la vallée ; ainsi le calcaire encapuchonne la masse de poudingue. La disposition des roches est presque symétrique sur les deux flancs de la vallée en amont de la gorge.

De ce fait, cette continuité du conglomérat d'une rive à l'autre par dessous le lit de la rivière, visible avant déblaiement, ne permettait pas de supposer l'existence d'une importante fracture dans le lit même. Il s'agit de la faille emplie de glaise, marne et grès , se décomposant sous l'action de l'air qui a été mise à jour au cours de la première fouille pour la construction du barrage en enrochement.

De ce fait, la formation du canon en ce point peut s'expliquer par l'existence, à hauteur d'une vieille fracture peu profonde favorisant le passage de l'eau en cet endroit, ou par un accident dû aux hasards de l'érosion dans les terrains situés au-dessous , et qui a fait s'établir la vallée fluviale à l'aplomb de la roche dure qui n'affleurait pas encore.

Les travaux entrepris sur place, montrent que la fissuration superficielle du poudingue est de moins en moins accusée à des niveaux de plus en plus bas et dans le lit déblayé, il n'y a pas trace de fissure.

A hauteur du Kef des terrains plus récents recouvrent ceux qui précèdent . Ce sont des marnes, des grès grisâtres ou gris bleus, devenus jaunâtres aux affleurements, par oxydation . Ces roches peu consistantes de l'éocène supérieur qui se transforment facilement en terre jaune ou rouge forment ce que l'on appelle le manteau de remaniement sur les pentes. La stratification de ces sédiments marneux en contact subvertical avec le poudingue au débouché et au-dessus des galeries d'évacuation horizontale au Kef, donne une indication sur la masse du poudingue sans stratification , elle est ployée en anticlinal, et le grès rouge a la même allure . A l'amont de la gorge, à la retombée du pli , le calcaire blanc descend en carapace sur le poudingue, à la verticale sur le flanc nord, déversé sur le flanc sud, sous forme de pli faille. Ainsi dans le cañon, une masse de roches compactes, moins fissurées et peu perméables traverse le lit de la rivière et forme sur les deux flancs deux points d'appui robustes La roche saine à fissuration minima sur la rive droite garantit une bonne étanchéité ; sur la rive gauche, l'épaisseur du poudingue est réduite, la roche sous-jacente fissurée, la masse rocheuse a même la forme d'un éboulis, il faudra entreprendre des injections de ciment pour assurer l'étanchéité.

Le barrage poids

Les recherches géologiques ont donc mis en évidence la présence de roches pouvant servir de socle et de butée à un barrage. Prenant en considération ces nouvelles études l'entrepreneur décide alors de reporter la construction 40 mètres en aval, et de construire un barrage de type "barrage poids". Il s'agit alors d'une barrière en béton encastrée dans le cañon et qui résiste à la poussée de l'eau par son propre poids uniquement; les travaux reprennent rapidement, l'entreprise Ballot a toujours son matériel en place. Avec le retard apporté par ces surprises géologiques nous sommes déjà en I933. Le socle du barrage est coulé dans le lit de la rivière et bientôt jusqu'à une hauteur de 30 mètres s'élèvent les trois secteurs centraux de 6 grades, encadrés par les tours à béton Coméra de 75 mètres sur la rive droite et Hibag de 100 mètres sur la rive gauche tandis qu'en amont on aperçoit le socle en béton du premier projet. C'est alors que pour avoir en crête une largeur de déversement suffisante pour le débit envisagé, 1000 mètres cubes par les vannes automatiques, on entreprend de faire sauter sur la rive gauche, une masse erratique de rochers, constituée par du poudingue et que les études géologiques de I930 signalaient en faible épaisseur; elle paraissait détachée et sans relation avec la masse principale, constituée par des grés rouges tendres et se désagrégeant sous l'action de l'air. Ces déblais entraînent alors un éboulement à forme lenticulaire dont le cube exact n'a pu être évalué. C'est qu'en réalité, la masse de poudingue dégagée servait de support à la montagne, grosse masse d'éboulis qui se met en mouvement dès que la cale saute. Momentanément arrêtés, les travaux reprennent cependant sans trop de retard ; on essaye de fixer la masse en mouvement par des injections de ciment ; cette tentative est rapidement vouée à l'échec, le glissement est trop rapide. Une nouvelle fois la construction est arrêtée et pour une période assez longue Il faut faire de nouvelles reconnaissances de terrain sur la rive gauche. Le flanc rive gauche est sondé, une galerie percée dans la montagne pour rechercher une masse stable, tandis qu'en surface, des levées et mesures sont entreprises pour étudier et déterminer le mouvement du terrain. Ces travaux, très poussés, durent près d'un an et demi, et aboutissent à la reconnaissance de la masse stable; on identifie dans ce volume, à une distance compatible avec les travaux, un massif de calcaire sain qui permet de donner au barrage un appui solide.

Secteurs centraux du barrage en construction. On peut voir la galerie prévue pour les
visites de l'ouvrage et les puits des flotteurs des futures vannes de crête.
(Photo Groud)

Barrage en construction, côté rive droite - centrale à béton -
en arrière du barrage le mur de pied amont du premier projet
(Photo S.Groud)

La construction reprend donc au cours de l'année 1934, mais le deuxième projet de barrage est cependant reconsidéré dans ses dimensions et sa forme. En effet, par mesure de sécurité, sa hauteur est réduite, réservant l'avenir pour une surélévation éventuelle. Les trois secteurs centraux déjà coulés sont coupés pour réduire leur hauteur de 5 mètres. Désormais , les travaux vont se poursuivre sans obstacle sur la rive gauche, la masse de calcaire sain, déportée en aval , nécessite une exécution en fouille blindée, de 9 grades à 17 grades 40 dans les repérages, d'un secteur complémentaire de 8 grades 40 qui allonge dissymétriquement le barrage. Enfin pour assurer sur le flanc de la montagne, la stabilité des terrains en mouvement, des remblais sont effectués entre ces terrains.

Les essais ayant donné satisfaction, et les travaux terminés dans la cuvette réservoir, les galeries sont définitivement fermées. Celle située tout contre le flanc de la montagne est obstruée à l'amont par un bouchon en béton, encastré dans le rocher sur une profondeur de 2,40 mètres et 1,50 mètre de large; sa paroi amont est revêtue d'un enduit protecteur. L'autre galerie est utilisée pour le passage des conduites forcées : alimentation de Philippeville, vidange de fond et irrigation. Ces trois conduites ont leur origine dans la tour de prise d'eau qui abrite les appareils de manoeuvre pour l'ouverture et la fermeture de leurs vannes.

Contre-barrage et tirants

Les dernières coulées de béton sont consacrées au contre-barrage qui a pour rôle d'amortir la force vive des eaux déversantes et d'éviter les affouillements. Implanté sur le pied même du barrage, il dresse ses dents vers le déversoir et sur toute la largeur du secteur déversant. Une deuxième ligne, plus en aval, sert de déversoir aux eaux bouillonnantes.

Pour assurer la tenue du contre-barrage et sa résistance à la force vive des eaux, chaque dent est renforcée par un tirant de 150 tonnes : il s'agit de câbles tendus à la verticale entre le rocher sous-jacent et le béton; enfin 12 tirants de 600 tonnes plaquent la maçonnerie du contrebarrage au pied du barrage. D'autre part, côté rive gauche, 4 tirants de 1200 tonnes ont un double rôle : ils rendent solidaires le tandem contrebarrage - pied du barrage et servent d'arcs-boutants à l'édifice lui-même ; sur cette rive ce dernier repose sur une masse rocheuse en pente vers l'aval ; les tirants de 1200 tonnes appliquent l'ouvrage sur son piédestal. Cette méthode de consolidation aurait été employée au barrage des Cheurfas ; ce dernier glissant sur sa base naturelle aurait été stabilisé sur son socle par des tirants qui traversent le béton et s'enracinant à grande profondeur avec une légère inclinaison, empêchent tout mouvement de glissement ou de bascule.

Derrière le barrage, au pied du piton rocheux du Kef, la tour de prise d'eau est implantée à l'origine des conduites forcées, dans le réservoir. Construite en même temps que le barrage , elle reçoit ses derniers appareils : commandes électriques des vannes de pied amont, transmissions, portes, grilles.

Les vannes automatiques seront installées aussitôt après la guerre de 39-45, en 1949; derniers travaux de maçonnerie, les piles servant de support aux vannes seront coulées, les vannes mises en place , et enfin une charpente en béton armé franchit les pertuis en s'appuyant sur ces piles. En 1953 on équipe cette passerelle d'un garde-fou métalliques.

Caractéristiques finales de l'ouvrage terminé

Le barrage des Zardézas est terminé. Après dix ans d'efforts et de travail, de fouilles et de bétonnage, il entre dans sa phase utilitaire en 1939 avec sa mise en eau définitive.

Quelles sont alors les caractéristiques de l'ouvrage ?
- vu de face, il a 170 mètres de large en crête et 55 mètres au talweg
- il a nécessité environ 150000 tonnes de ciment et 3000 tonnes de fer
- l'épaisseur de la voûte est de 37,50 mètres à la base.
- l'inclinaison sur la verticale est donnée par un fruit amont de 5%
- l'inclinaison sur la verticale est donnée par un fruit aval de 75%
- haut de 33,75 mètres, il s'élève en flèche au-dessus du terrain nature selon le type triangulaire.
- il présente un seuil de déversement à la côte I85,75 et les vannes automatiques permettent d'élever le plan d'eau jusqu'à la côte 189,75
- à la côte 185,75 le cube d'eau emmagasiné est de 14 1/2 millions de mètres cubes et la surface libre du lac atteint 174 hectares; à la côte 189,75 la capacité de retenue passe à 18 1/2 millions de mètres cubes et la surface du lac à 196 hectares .

Ce barrage a été conçu de telle sorte que la tenue de l'ouvrage ne puisse d'aucune manière être mise en défaut par une crue exceptionnelle si le niveau de l'eau venait à atteindre la cote 203. La marge de sécurité est donc large, si l'on sait que les vannes automatiques ouvertes à 4 mètres peuvent évacuer 1095 mètres cubes/seconde, pour une crue maxima évaluée alors à 800 mètres cubes/seconde

(1) Pfeiffer et Assant, Alger 1927
(2) Selon la terminologie internationale un grand barrage doit dépasser 15 mètres, de hauteur; Sud-Ouest du 17-08-87, "Les veilleurs de barrages" J. P. Deroudille.

In l'Algérianiste n°59 de septembre 1992