1er Mai. Des dizaines de milliers de manifestants sont attendus dans la rue.
Joël Biard, responsable de l’union régionale ×le-de-France de la CGT, s’inquiète d’un programme de régression sociale du Front national trop méconnu des salariés.
Tout le monde prédit une mobilisation exceptionnelle le 1er Mai. Comment se traduit-elle parmi les salariés d’×le-de-France ?
Joël Biard. L’émotion est si forte face au séisme du premier tour et à la présence du Front national au second, que la colère se manifeste dans la préparation du 1er Mai. Pour la première fois depuis vingt ans, les syndicats de préparent un rassemblement unitaire, avec la présence de la CGT, la CFDT, l’UNSA, la FSU, le Groupe des 10. En région parisienne, les huit unions départementales FO se joignent à la manifestation. Ce mouvement s’étend puisque la CGC de Seine-Saint-Denis est aussi de la partie. L’UNEF se joint au cortège. Les syndicats des salariés et des étudiants sont ensemble, ce qui n’est pas arrivé depuis vingt-cinq ans. Ce 1er Mai, pour le progrès social et pour faire barrage à l’extrême droite, est maîtrisé par le syndicalisme mais ouvert aux associations et aux partis politiques. La CGT est partie prenante de la manifestation des associations samedi. Nous sommes de ce sursaut, de cette volonté de faire barrage à l’extrême droite dans la rue et par le vote. La dynamique est extrêmement forte. Il faut s’attendre à des dizaines de milliers de participants le 1er Mai. Des centaines de milliers de tracts sont distribués pour le préparer, avec des prises de position unitaire dans une série d’entreprises. Les départs collectifs s’organisent.
Les syndiqués sont-ils en accord avec le positionnent de la CGT d’appeler à voter pour faire barrage au Front national ?
Joël Biard. Il existe un débat, légitime, parmi nos syndicalistes, d’abord parce qu’une telle démarche n’est pas traditionnelle. S’ajoutent à cela d’autres difficultés : une forte exaspération contre le fait que l’avis des salariés ne soit pas pris en compte par les gouvernants, la politique menée par le gouvernement qui s’est traduit dans le vote par une sanction. Et faire barrage à l’extrême droite, en utilisant le vote Chirac, n’est pas dans les mours. Les syndiqués combattent le MEDEF. Les élus de droite ne sont pas les interlocuteurs du mouvement social. Mais la nécessité grandit que le score du Front national le 5 mai soit le plus bas possible. Chacun est face à un choix, même si c’est complexe, même si ce n’est pas dans la tradition. Plus le score de Le Pen sera bas, plus celui de Chirac sera haut, moins le résultat signifiera une adhésion au programme du président élu.
En quoi les insatisfactions sociales ont-elles pesées sur les choix des électeurs ?
Joël Biard. L’exaspération face aux inégalités sociales, aux injustices s’est creusée, approfondies. Les salariés disent qu’ils ne sont pas écoutés, que les dirigeants politiques d’en haut ne prennent pas en compte les attentes du bas. Ils doivent faire face à l’insécurité. Un salarié qui travaille dans les transports n’est pas marqué de la même façon par l’insécurité que celui qui bosse dans l’administration. La précarité de l’emploi, la précarisation du travail et des statuts, qui se sont développés, peut-être comme jamais, a conduit à une insécurité économique plus forte qui se conjugue avec une insécurité dans son quartier, dans sa ville, sa vie de citoyen. Malheureusement, le vote Front national existe parmi des salariés, parmi des syndiqués, de la CGT ou autres syndicats. La situation est dangereuse pour la démocratie, les libertés, le monde du travail. Nous assistons depuis longtemps à une banalisation de l’extrême droite. Le Front national, sous un affichage patelin et en faveur des Français modestes, cache un véritable programme de régression sociale, d’exclusion, de haine des fonctionnaires, de racisme et de xénophobie. Il met en cause la retraite. Il représente un véritable danger pour le syndicalisme. Sa volonté de repli national va menacer l’emploi. Le discours de Le Pen sur la concurrence sauvage du tiers-monde est dangereux dans un pays ou notre commerce est excédentaire vis-à-vis de l’Afrique et du Moyen-Orient. Le FN veut isoler la France, l’appauvrir. Il fait le choix des profits. Je note que le MEDEF est très silencieux dans cette situation. Cherche-t-il à en tirer bénéfice ? Cette situation peut profiter au patronat pour mettre en ouvre sa régression sociale, sa volonté de déstructurer les acquis sociaux.
Propos recueillis par Paule Masson