Bien naïfs ou peu au fait de la réalité malgache, le monde de la diplomatie qui a applaudi des deux mains après la signature, à Dakar, le jeudi 18 avril, dun accord entre Didier Ratsiraka et Marc Ravalomanana, accord censé tracer la voie à un règlement pacifique de la crise politique malgache qui dure depuis le premier tour de lélection présidentielle du 16 décembre dernier.
Succès diplomatique sénégalais, ont titré les agences de presse. Le président français Jacques Chirac a adressé dans leuphorie ses plus sincères compliments à son homologue sénégalais Abdoulaye Wade. La présidence espagnole de lUE a estimé quant à elle que les résultats obtenus sont conformes aux objectifs de lUnion européenne: recherche de la paix civile, respect des principes démocratiques et solution politique à la crise. Enfin, le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, a crû bon de qualifié cet accord de Dakar de pas majeur vers la résolution de la crise politique.
Avec ses homologues Joaquim Chissano (Mozambique), Omar Bongo (Gabon), Mathieu Kérékou (Bénin) et Laurent Gbagbo (Côte dIvoire), et sous légide de lOUA, Abdoulaye Wade avait entrepris une médiation ayant abouti à un accord prévoyant la mise en place dun gouvernement de réconciliation nationale de transition, si personne navait obtenu la majorité absolue lors du premier tour de la présidentielle après un nouveau décompte des voix. Dans ce cas, un référendum devait désigner le président de Madagascar dans les six mois.
Une clause verbale et secrète prévoyait aussi que M. Ravalomanana ne serait pas proclamé président immédiatement et quun gouvernement de transition, composé par les deux camps à parité, organiserait le référendum pour départager les deux rivaux. Cette réconciliation engagée, M. Ratsiraka se serait alors retiré honorablement de la course, toujours selon la clause secrète.
Dans larticle 5 du texte écrit, les deux rivaux sengageaient dès la signature du présent accord, à faire respecter la liberté de circulation des biens et des personnes, larrêt immédiat de toutes les menaces et violences sur les personnes et les biens, le dynamitage des ponts, ainsi que la levée de tous les barrages sur toute létendue du territoire national.
La lettre de laccord prévoyait donc la levée, dès sa signature, des barrages routiers érigés par le camp Ratsiraka depuis plus de deux mois pour asphyxier économiquement la capitale, et la fin des violences contre les pro-Ravalomanana dans les provinces.
Ces deux clauses nont jamais été respectées. Pourquoi ? Cest peut-être la question essentielle sur laquelle devrait se pencher la communauté internationale.
En négociant uniquement une sortie honorable au président Ratsiraka, lOUA, Wade et consorts, ont oublié de sintéresser à toute une classe politique affairiste qui na vécu jusquà présent que par les prébendes dun pouvoir auquel elle saccroche. A Dakar, on a voulu sauver le capitaine des eaux en oubliant les matelots.
Résultat, les Ratsirakistes, qui sont en fait de plus des électrons libres et qui sagitent pour leur propre survie, nont pas bougé dun pouce, nétant pas concernés par laccord de Dakar. Aucun barrage économique na été levé, car cest la seule arme qui leur reste pour peser encore sur le cours de lhistoire et se faire entendre.
Dans ce contexte, le gouvernement de Jacques Sylla, le Premier ministre nommé par Marc Ravalomanana, a eu beau jeu de faire fi lui aussi des autres clauses de laccord de Dakar, notamment celle qui prévoyait la mise en place dun gouvernement mixte.
La communauté internationale na aucune emprise sur les gouverneurs de province qui refusent dadmettre la légitimité de Marc Ravalomanana, comme elle nen na pas plus sur les nouveaux tenants du pouvoir à Antananarivo. Marc Ravalomanana ne connaît personne - aucun chef dEtat africain ne compte parmi ses amis -, et surtout ne doit rien à personne. Il na pas dascenseur à renvoyer, pas de promesses à tenir. Idem pour larmée malgache, qui pour lheure na dautres préoccupations que sa survie. Les généraux malgaches nont rien à attendre de la communauté internationale, ils nont guère de relations quavec le pouvoir politique malgache et le monde des affaires locales. Leur choix restera surtout dicté par la tranquillité de leur carrière quils pourront préserver ou non.
Que peut faire la communauté internationale ? Rien. Des pressions économiques ? La bonne blague. Le pays vivait déjà en temps normal dans un état de quasi pauvreté généralisée, et depuis les blocus intérieurs, la population vit en état de nécessité absolue. Que lon se trouve dans la province dAntananarivo ou que lon vive dans les provinces sous contrôle des partisans de Didier Ratsiraka, la crise est la même. Ici on manque dessence, là-bas de légumes, ici de travail, là-bas de salaires. Ici, lon fabrique, on produit mais on ne vend rien. Des pressions sur les nouveaux dirigeants ? Ont-ils eu seulement le temps davoir gagné quelque chose à ne pas perdre vu létat de délabrement du pays ?
Cette situation quasi inextricable, sur laquelle bien peu de monde a prise, naugure pas de jours tranquilles. On ne voit pas à lhorizon dautres voies que celle de la force. Sauf à être désavoué par la population qui la porté au pouvoir, Marc Ravalomanana na guère dautre solution que de faire sauter en force les barrages qui quadrillent maintenant tout le pays. Ces barrages sont déjà en eux même lexpression dun choix de la violence. Outre leur aspect paralysant pour la vie économique, ils sont aussi des symboles de la supposée force des gouverneurs de province. Les populations des provinces dAntsiranana, de Toamasina, de Toliara et de Mahajanga demeurent comme paralysées, coupées quelle sont du pouvoir politique basé à Antananarivo. Qui leur viendra en aide si daventure les sympathisants de Ravalomanana tentaient de manifester dans ces provinces ? Et pourtant, les résultats du premier tour démontrent à lenvi que Didier Ratsiraka fut loin davoir obtenu une majorité écrasante, voire une majorité simple, dans ses supposés fiefs provinciaux. Dans la ville dAntsiranana (Nord), M. Ratsiraka a bien emporté la majorité des suffrages mais dans la province du même nom, les deux candidats étaient au coude à coude. Dans celle de Toamasina, le fief électoral de M. Ratsiraka, lamiral a obtenu une majorité confortable mais dans les quatre autres provinces, M. Ravalomanana était largement en tête.
Le lundi 29 avril, dix jours après la signature de lAccord de Dakar, le secrétaire général de lOUA, Amara Essy, en dénonçant la proclamation, la veille, de Marc Ravalomanana comme président de Madagascar par la Haute Cour Constitutionnelle (HCC), a résumé lembarras de la communauté internationale. La décision de la HCC pourrait porter préjudice à la gestion de la mise en uvre de laccord de Dakar, a déclaré Amara Essy, invoquant lesprit et la lettre.
Pourquoi, alors, avoir cautionné larticle premier dudit accord ? Pourquoi ne pas avoir écrit tout de suite un référendum «est» organisé...?, sest insurgé le quotidien Midi Madagasikara. Le journal a dénoncé aussi la position très ambiguë de M. Essy, qui, au nom dune institution internationale, semble semer le doute devant un accord quelle a pourtant cautionné. A la lumière de la déclaration de M. Essy, on est amené à croire que laccord de Dakar, dans sa forme rendue publique, nétait quun leurre pour le peuple malgache. LOUA sattendait-elle à ce que la HCC puisse altérer la vérité pour permettre à M. Ratsiraka dassouvir ses caprices?, a encore écrit Midi Madagasikara.
De fait, pourquoi avoir proposé dans laccord de Dakar un nouveau décompte des voix du premier tour effectué par la HCC si cétait pour lui dénier aussitôt toute valeur. Si le problème est tant la crédibilité de cette Haute Cour Constitutionnelle, pourquoi ne pas avoir proposé dans laccord de Dakar, un décompte des suffrages par une instance extérieure et neutre ? Et enfin, qui de la levée des barrages ? Suite à cette réaction dAmara Essy, le quotidien indépendant Tribune na pas manqué de mettre laccent sur limpuissance de la communauté internationale à imposer à M. Ratsiraka la levée des barrages, une exigence à laquelle il devait se plier dès la signature de laccord de Dakar, selon la lettre du même accord.
RJ L.