Le traité imprime déjà sa marque à nombre de décisions du
pouvoir, qu’il s’agisse du remodelage
de la politique agricole commune, de la réforme de l’UNEDIC, de
l’accélération
des licenciements économiques, de l’austérité salariale et
budgétaire. Explication
DANS le tir de barrage idéologique des partisans du « oui » pour
s’opposer à un choix libre et souverain du peuple français en
faveur du « non » à Maastricht, le chantage à la catastrophe
économique et financière tient une place grandissante. Ainsi,
si le « non » l’emportait, ce serait l’apocalypse, la crise,
l’enfermement de la France sur elle-même, l’hégémonie allemande
et américaine assurée. A cette tentative de paralyser le libre
choix de chacun par le chantage au chaos, il convient de
répondre avec ténacité en s’appuyant à la fois sur l’expérience
vécue et les implications économiques réelles du traité de
Maastricht.
Quelle est la réalité économique d’aujourd’hui ? Les maîtres
chanteurs du chaos économique pour demain vont-ils faire croire
qu’à l’heure actuelle la situation serait bonne ? La crise
ravage depuis plusieurs années et au présent les tissus
économiques et humains. Trois millions de chômeurs en France,
deux décennies d’austérité, l’atonie de la croissance, la
spéculation financière débridée, le gâchis des atouts
productifs industriels et agricoles, les taux d’intérêt
prohibitifs... Et tous les organismes économiques nationaux et
internationaux qui reconnaissent le « ratage » sans cesse
renouvelé de la « reprise » en France, comme dans tous les grands
pays capitalistes. Le désordre économique, ce ne sont pas
seulement les à-coups spéculatifs de la peur des possédants sur
le cours des monnaies ou de la Bourse, c’est la réalité
économique d’aujourd’hui vécue par des millions de familles en
France et des milliards d’hommes sur la planète, notamment dans
le tiers-monde. L’humanité est dans le chaos économique, fruit
d’une course au profit sans rivage.
Quant aux krachs boursiers et monétaires, l’actualité de ces
dernières années a bien montré qu’ils naissent régulièrement
d’une hypercroissance financière. Ce qui menace en Europe, ce
n’est pas le « non » à Maastricht du peuple français, mais bien
que trente fois plus de capitaux que de marchandises circulent
aujourd’hui dans la CEE.
En quoi Maastricht et sa logique impriment-ils déjà leurs
marques aux choix du capital et avec quelles conséquences ?
Pour s’en tenir à ces seuls derniers mois, ils ont été
tristement fertiles en décisions visant à préparer l’Europe de
Maastricht : remodelage cruel de la politique agricole commune,
révision en baisse des indemnités de chômage, accélération des
licenciements économiques, accentuation de l’austérité
salariale et budgétaire... Les exemples foisonnent. Autant de
choix guidés par la pression multiforme à l’encontre des
dépenses pour les hommes et leur développement, pour la
croissance financière et la mise en concurrence sauvage des
peuples. Au mépris, y compris, du développement économique du
continent, comme l’a illustré en juillet l’accord dans
l’industrie électronique entre l’américain IBM, le japonais
Toshiba et l’allemand Siemens.
Quelles seraient les conséquences économiques d’une mise en
oeuvre des accords de Maastricht ? « L’Humanité » du
1er septembre dénonçait à juste titre la tenue au secret
de toutes les études économiques, émanant pourtant souvent
d’« experts » favorables au « oui » sur les vraies conséquences
économiques de Maastricht : réduction des potentiels de
croissance des pays, austérité renforcée, chômage élevé. Les
grands patrons eux-mêmes préviennent : d’Agnelli, le patron de
Fiat, déclarant que l’« on devra peut-être s’habituer à un taux
de chômage élevé », à François Perigot, le président du CNPF,
indiquant à propos de l’Europe sociale : « Le problème n’est pas
de savoir si on peut mieux faire, mais si on peut conserver »...
Qu’en termes pudiques ces choses-là sont dites ! Ajoutons
qu’avec la monnaie unique et une Banque centrale européenne
sous influence des marchés financiers les plus puissants, c’est
la tentative structurelle aggravée de mettre en place des
instruments de coercition pour tenter d’enfermer les peuples
dans le carcan des dogmes capitalistes les plus nocifs. Une
sorte de version européenne du rôle que joue le FMI contre les
peuples du tiers-monde dans les politiques dites
« d’assainissement ».
Tout montre donc que, de la réalité d’aujourd’hui aux
perspectives pour demain, non seulement le chantage au chaos
économique est infondé, mais que toutes les causes
structurelles et conjoncturelles de la crise du capitalisme se
verraient tendanciellement approfondies par la mise en oeuvre
des accords de Maastricht.
Loin du chaos annoncé, une victoire du « non » nourrirait, au
contraire, des atouts nouveaux pour dégager le chemin vers des
choix économiques et humains plus positifs. L’économie n’est
pas d’abord une affaire de technique, elle est fondamentalement
le produit de ce qu’impriment des rapports de forces en faveur
du développement des atouts productifs et des hommes dans
l’utilisation des ressources économiques. Améliorer la santé
de l’économie passe par l’imposition de reculs nationaux et
internationaux au pillage de ces ressources et des peuples par
le profit.
Une victoire du « non » aiderait tous ceux qui agissent pour
porter un coup d’arrêt et inverser les politiques d’austérité :
des salariés des chantiers navals de La Ciotat aux
agriculteurs menacés par les friches européennes, en passant
par les ingénieurs et techniciens du CEA menacés d’un
démantèlement de leur organisme public. Plus généralement, la
question cruciale d’une remise en cause des politiques de
précarisation et de régression sociale sans laquelle on ne peut
renouer avec une nouvelle croissance se trouverait dynamisée.
Une victoire du « non » donnerait de l’oxygène à d’autres choix
économiques et sociaux favorables à l’emploi et aux dépenses
utiles contre les gaspillages du capital.
Sur le plan international, une victoire du « non » aiderait le
peuple français et toutes les autres forces démocratiques en
Europe pour les luttes en faveur de coopérations
internationales se dégageant des diktats des choix des grands
groupes de financiers qui ne produisent en Europe que
développement inégal, coopérations dominées par la finance et
racket des peuples.
En ce sens, une victoire du « non » serait celle, d’un même pas,
de la démocratie et de l’économie où le peuple contesterait le
monopole des « décideurs » financiers et politiques d’aujourd’hui
à imposer leurs dogmes et leurs peurs de possédants face à des
citoyens qui décideraient de faire des choix économiques leur
affaire vivante.
Jean-Paul Duparc.