FLEUVES,
RIVIERES ET CIVILISATIONS
Les
fleuves de la mythologie
Les mythes
antiques font une large place à l'eau : selon le poète
grec Homère, les fleuves prenaient naissance et retournaient
dans le Tartare, un gouffre situé dans les entrailles de la terre.
Pour les hommes de l'Antiquité, les sources possédaient
un pouvoir divin. De même, les Romains pensaient que les fleuves
étaient habités par des nymphes et les rivières
par des dieux barbus. La culture traditionnelle du Japon comporte elle-même
ses " kappas ", êtres mystérieux, et dangereux,
qui hantent le fond des rivières nippones.
L'eau joue
également un rôle essentiel dans la Bible : dans la Genèse,
il est écrit qu'au commencement du monde, " les ténèbres
couvraient l'abîme et l'esprit de Dieu se mouvait au-dessus des
eaux ".
L'enfer
grec comporte cinq fleuves bien connus : le Styx, l'Achéron,
le Cocyte, le Phlégéthon et le Léthé. Sur
le Styx, fleuve de la haine qui fait neuf fois le tour des Enfers, le
cocher Charon emmène les morts au Dieu Hadès. Qu'un mortel
touche les eaux du Styx, et il sera pourvu de pouvoirs surhumains. Thétis,
mère d'Achille, le plonge à sa naissance dans le Styx
pour le rendre invincible - sauf au talon, par lequel elle le tient.
Le Léthé est le fleuve de l'oubli, où les âmes
des morts oublient leurs vies antérieures.
Partout,
les fleuves relient toujours la vie à la mort.
Dans les
tombes des anciens Japonais, tout comme chez les Egyptiens et bien d'autres,
les bateaux sont les réceptacles des âmes dans leur voyage
et leur traversée vers l'au-delà.
Le Déluge
Les crues
et les inondations provoquées par les cours d'eau, sont, avec
le Déluge les plus vieilles métaphores du monde : le pouvoir
indistinct du bien et du mal dans la fin du monde et l'avènement
de l'autre. Avec elles, la destruction se fait purification et renouvellement
; la mort mène à une renaissance.
Ces exemples
ne se retrouvent pas seulement dans la Genèse et dans l'Epopée
de Gilgamesh babylonienne, mais aussi dans les mythologies chinoise,
indienne, africaine, polynésienne ou précolombienne !
Toutes évoquent des pluies torrentielles suivies de crues, jusqu'à
l'apparition d'un oiseau mythique réinstaurant la vie et la végétation.
Dans plusieurs versions, tout est détruit, sinon un couple privilégié,
dans le Déluge qui emporte la terre ; les survivants se sauvent
sur un radeau ou un tronc d'arbre, et cherchent à atteindre un
refuge. Troublantes similitudes entre toutes ces versions d'un mal déraciné
et d'une poignée d'élus recommençant une vie vertueuse,
au sommet d'une montagne isolée. Partout les crues des fleuves
sont l'agent de ces métamorphoses.
L'Arche de Noé
Selon la
tradition judéo-chrétienne, Noé comme son parallèle
chaldéen Outa-Napishtim, rassemble dans son arche les représentants
de chaque race vivante, tandis que les autres périssent dans
le Déluge. Le mot " arche " est à rapprocher
du sanskrit argha (le croissant), bateau lunaire qui mène les
âmes vers une nouvelle enveloppe charnelle. Dans l'Ancien Testament,
l'arche est tebah, qui désigne également le panier dans
lequel est découvert Moïse sur les bords du Nil.
Dans l'Epopée
de Gilgamesh, Ishtar, la déesse Lune babylonienne, appelle un
Déluge pour détruire le monde.
Les
eaux miraculeuses des sources et des puits
Les sources
et les puits sont traditionnellement des lieux conviviaux, de contacts
sociaux et de consolation, habités par des esprits bienveillants
doués de prophétie. Comme tels, ils font souvent l'objet
d'un culte et d'un pèlerinage ; ils deviennent des temples profanes
dont la décoration est faite de rochers sacrés ou de plantes
miraculeuses. Même après l'arrivée du christianisme,
cette forme d'adoration continue, mais, afin d'en minimiser l'importance,
on parle de " puits aux souhaits ".
Chacun
de ces puits possède un pouvoir particulier. On pourrait dire,
nostalgiquement, que ce sont d'anciens lieux de rituel, le cur
d'un temple.
En lui
offrant une aiguille, une pièce de monnaie, on peut trouver la
solution à des questions qui nous tourmentent.
Pendant
les Fontinalia romaines, les fêtes de Fons du 13 octobre, le dieu
des fontaines et des puits, on lance des guirlandes fleuries dans les
sources et l'on en décore les puits.
Les sources
et les puits du paganisme ne sont pas seulement des demeures divines
: ils sont situés au coeur même de la communauté
humaine. Tout le monde s'y rencontre. Plus tard, les apôtres chrétiens
y font leurs sermons et y baptisent les convertis.
Au centre
de La Mecque se trouve la source Zamzam. Selon la légende islamique,
Ismaël, fils d'Abraham, et Hagar, sa mère, font, pendant
leur fuite dans le désert, une imploration pour obtenir de l'eau.
Hagar court les montagnes, Ismaël filtre le sable entre ses doigts.
Quand surgit soudain une source. Depuis, l'hommage à la source
Zamzam dont on boit les eaux, fait partie du pèlerinage à
La Mecque.
Ces cultes
sont souvent liés à une déesse de la vie, dont
ils ouvrent la voie à la participation mystique. Que les torrents
soient associés au corps divin, et des bienfaits sont pour ainsi
dire plus sensibles : vie, santé, abondance.
Les Grecs
enchâssent leurs sources sacrées dans des bassins artificiels
élevés à leur jaillissement, autour des représentations
de divinités associées. Les mythes romains, comme celtiques,
offrent tout un répertoire de déesses et de nymphes siégeant
dans quelque point d'eau. Le nom des rivières est le même
que celui des déesses : la Seine est la déesse Sequana
des Gaulois. L'origine éthymologique de ce nom serait même
étrusque.Des centaines d'ex-voto gallo-romains en bois, découverts
à la source de la Seine en 1960, attestent d'une croyance dans
les vertus curatives des eaux jaillissant à cet endroit.
Les
pélerinages sur les fleuves
Les cultes
rendus à certains fleuves et rivières donnent lieu à
des pélerinages, en souvenir de personnages sacrés ou
de leurs vertus guérisseuses. On a l'équivalent dans le
monde chrétien avec le célèbre fleuve Jourdain
où le Christ a été baptisé.
Les Hindous
racontent comment les six mille fils du roi Sagara ont été
incinérés en punition de leur imprudence ; la déesse
Gangâ, d'où le Gange tire son nom, descend des cieux pour
purifier leurs cendres. Le rite a lieu dans le delta du Bengale. Depuis
lors, les Hindous rendent hommage au Gange, par un bain rituel qui lave
l'homme de ses péchés. Ceux qui s'y noient, renaissent
parmi les dieux.
L'eau,
berceau des civilisations
Dans la
mesure où l'être humain a un besoin vital de consommer
chaque jour un peu d'eau pour survivre, dans la mesure où la
plupart de ses activités économiques, sociales et culturelles
utilisent celle-ci en quantité et qualité appropriées,
les populations se sont toujours installées et développées
là où elles pouvaient avoir aisément accès
à cette précieuse ressource, près d'une rivière
ou d'un lac, de sources ou de puits ou encore au bord de la mer.
L'eau est
tout aussi indispensable à la nature qu'aux hommes : sans elle,
point de vie possible pour la faune, la flore et les écosystèmes.
C'est elle également qui sculpte les reliefs, qui façonne
et habille les paysages des campagnes. Enfin, c'est elle aussi qui peut
provoquer des catastrophes naturelles, sécheresses, inondations,
coulées de boues, glissements de terrains, avalanches,
Pour les
sociétés humaines comme pour la nature, le cycle de l'eau
est, en quelque sorte, l'équivalent du système de la circulation
sanguine pour l'individu : il irrigue, nourrit et vivifie ; il dilue
et épure ; il règle la température du corps humain,
Or ces
ressources hydriques, étroitement liées au territoire
qui les porte, ne sont pas inépuisables, même celles qui
se renouvellent régulièrement en fonction du cycle hydrologique
et du rythme des saisons. D'autant plus qu' aujourd'hui la nature et
l'intensité modernes des activités humaines, urbaines,
agricoles et industrielles, posent le problème de leur durabilité
et de leur incidence sur l'environnement, sur le climat et sur son évolution
éventuelle.
De célèbres
civilisations très florissantes se sont développées
dans les vallées de grands fleuves. Ainsi, la civilisation égyptienne
est née près du Nil, plusieurs milliers d'années
avant l'ère chrétienne. En effet, le fleuve fournissait
aux hommes de quoi boire et manger et constituait aussi une voie de
passage et d'échange. L'eau avait déjà à
cette époque une importance vitale et stratégique : les
Egyptiens construisaient des bastions à proximité des
puits pour pouvoir les défendre en cas de conflit.
C'est ce
qui explique pourquoi la plupart des grandes civilisations anciennes
sont également qualifiées de " civilisations hydrauliques
". D'ailleurs, très souvent, celles-ci portent le nom du
fleuve autour duquel elles ont fleuri. Ainsi pour l'empire assyrien
de Babylone et la Mésopotamie (mot dont l'étymologie grecque
signifie " fleuve du milieu ") parle-t-on de la civilisation
du Tigre et de l'Euphrate, pour l'Egypte ancienne de la civilisation
du Nil, pour l'Inde et le Pakistan de la civilisation de l'Indus, pour
la Chine de la civilisation du Huang-Ho. Il en va de même pour
d'autres grandes civilisations, telles qu'en Amérique centrale
et au Pérou pour les civilisations des Aztèques, des Incas
et des Mayas qui ont fleuri dans les vallées côtières
et autour des lacs de cette région, pour la civilisation khmer
le long du Mékong, pour d'autres brillantes civilisations qui
se sont épanouies le long du Gange, ou en Asie centrale, par
exemple dans les vallées de Fergana en Afghanistan, ou en Iran
le long des rivières Helmand ou Dez.
L'observation
de toutes ces civilisations montre que leur niveau de développement
est directement lié à leur degré de maîtrise
et d'efficacité dans la gestion de l'eau. Inversement, l'affaiblissement
de cette maîtrise sociale de l'eau a automatiquement entraîné
leur décadence et leur disparition inéluctable. Ce fut
le cas partout, en Chine, en Mésopotamie, en Egypte, en Perse,
en Inde, en Amérique latine, comme dans l'empire romain.
A toutes
les époques, surtout à celles qui ont connu un pouvoir
politique fort et durable, les hommes n'ont pas cessé de réaliser
des aménagements hydrauliques, plus ou moins importants, destinés
à améliorer leurs conditions de vie et à illustrer
leurs formes de culture et de civilisation, en glorifiant souvent leur
régime et leurs dirigeants aux yeux de la population.
Pour ce
faire, ils n'ont jamais hésité à mobiliser de grands
moyens, humains et financiers, en faisant appel aux meilleures capacités
techniques disponibles de leur temps. Aujourd'hui encore, il subsiste
beaucoup de traces et de vestiges de ces ouvrages dont certains, parfois
prestigieux, sont toujours en service.
Ainsi,
même si le projet a été préparé sous
un précédent régime, en raison du temps généralement
très long de sa maturation, sa réalisation est toujours
utilisée comme un important vecteur de médiatisation,
voire de propagande : ainsi le nom donné à l'ouvrage marque-t-il
généralement de son empreinte la toponymie du lieu vis-à-vis
de la postérité : aqueduc de Claude et thermes de Caracalla
à Rome, canal Albert en Belgique, canal Isabel II pour alimenter
en eau Madrid, fontaine Médicis à Paris, canal Cavour
au Piémont, lac Nasser sur le Nil, lac El Assad sur l'Euphrate
syrien, barrage Mohammed V au Maroc, barrage Saddam près de Mossoul
sur le Tigre irakien, barrage Atatürk dans le grand aménagement
hydraulique de l'est anatolien, etc.
Un bref
regard vers le passé montre la relation étroite du développement
économique, social, culturel et de la stabilité politique
avec la qualité de l'approvisionnement en eau des populations
considérées.
En Afrique
subsaharienne notamment, les lacs se sont progressivement asséchés
: il faut creuser de plus en plus profondément des puits et des
forages. Les villageois, très attachés à leurs
racines, ne veulent pas quitter la terre de leurs ancêtres qui
manque pourtant cruellement d'eau ; d'où des cultures asséchée
et un équilibre alimentaire en péril. Le fleuve Niger,
fort capricieux, est craint des hommes : avant tout long voyage, les
bateaux se font protéger des mauvais esprits : parviendront-ils
jusqu'à Mopti, Venise de l'Afrique, à la confluence des
fleuves Niger et Bahmi, ville d'échanges et de commerce entre
tous les peuples du Sahel ?
Autre exemple,
le peuple des SAN, installés depuis des temps immémoriaux
dans la région quasi désertique du Kalahari en Afrique
centrale, aujourd'hui partagée entre la Namibie, le Botswana
et l'Afrique du Sud, illustre fort bien l'adaptation des hommes à
une nature hostile grâce à une organisation sociétale
d'entraide bien adaptée. Au 17ème siècle, l'arrivée
de colons européens et Bantous a bouleversé cette civilisation
: leurs techniques asséchèrent les points d'eau, abaissèrent
les nappes et firent des SAN les " Bushman ".
Eau,
culture et langage
Depuis
la nuit des temps, dès que les hommes vivent où que ce
soit ensemble, en famille, en tribu, en village ou en ville, la toute
première chose qu'ils partagent au quotidien, c'est l'eau
et le langage, véritable concentré de la culture, qui
l'un comme l'autre leur permet de vivre, de communiquer et de s'épanouir
; puis, après une période de pratique du troc, vient la
création d'une monnaie commune facilitant les échanges
de biens et de services.
Selon la
célèbre formule du linguiste français Claude HADEGE,
" une langue vit de la culture qu'elle exprime "
Ainsi l'eau,
le langage et l'argent " irriguent "-ils, chacun à
sa manière, le tissu économique, social, environnemental
et culturel, le vivifie et le solidarise. N'y a-t-il pas de nombreuses
analogies entre les notions de bassin hydrographique, de bassin linguistique,
de bassin économique ou encore de bassin d'emploi (bassin minier,
bassin houiller,
), et de bassin de civilisation ? Ce qui n'est
pas surprenant dans la mesure où, sur tous les continents et
à toutes les époques, les fleuves ont toujours servi de
voies naturelles de pénétration, de communication et de
transport des personnes et des marchandises.
L'importance
de l'eau dans la culture japonaise
Depuis
l'Antiquité, les Japonais ont reconnu la force redoutable de
la nature qu'ils respectaient comme une présence sacrée
; ce qui a engendré les cultes d'une multitude de divinités
liées aux phénomènes naturels.
Ressentant
une présence divine dans la pluie et dans l'eau, les Japonais
en ont conçu des divinités de la nature, qui ont pris
une importance particulièrement grande, surtout depuis l'arrivée
de la riziculture : les paysans possèdent des dieux pour chaque
épisode où l'eau intervient. Ce qui fait que les dieux
de la pluie et de l'eau sont très variés, ainsi que leurs
lieux de culte.
On y distingue
des dieux d'origine japonaise, comme " Mizuhanome ", "
Takaokami ", " Kuraokami " et " Ikazuchi ",
et des dieux d'origine étrangère, comme " le Dieu-dragon
", " Konpira ", " Benzaiten " et " Syuten
", pour les plus connus.
Quant aux
lieux de culte, ils sont différents suivant l'utilisation, ou
la fonction, que revêt l'eau. Par exemple s'il s'agit de vénérer
l'" eau domestique " (disponibilité de l'eau potable,
pour la cuisine, pour la lessive, en bref pour la vie quotidienne ),
ou bien l'eau pour l'agriculture (irrigation des terres, protection
contre la sécheresse), ou encore l'eau qui est utile pour les
activités commerciales (prospérité et sécurité),
les lieux de culte varient : ce peut être la salle d'eau de la
maison, le four, le puits, les limites de la rizière, les rives
du lac ou le bord de la mer, le pied de la montagne, la source, la cascade,
l'étang.
Ces lieux
de culte ont été choisis dans des endroits stratégiques
sur le plan géographique et visuel, dans des espaces liés
directement à la vie quotidienne et au travail de la population.
Celle-ci voulait aussi marquer par là les endroits dangereux
et caractéristiques, ou liés au souvenir de catastrophes
naturelles, et manifestait ainsi son désir de protection.
L'eau
dans les jardins d'agrément
Espace,
clos d'ordinaire, aménagé par la main de l'homme, planté
d'arbres et de fleurs, orné de pièces d'eau, de vasques,
de bassins et jeux d'eau divers, le jardin d'agrément est fait
pour le plaisir des sens, des yeux, de l'ouïe et de l'odorat.
Partout,
à toutes les époques, l'eau y constitue un élément
essentiel, utilitaire certes, mais aussi esthétique et hautement
symbolique :