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Fiche 3 - Janvier 1996

Des effets d'un barrage sur les poissons d'un fleuve tropical

Le 6 janvier 1994, EDF fermait les vannes du tout nouveau barrage hydro-électrique de Petit-Saut sur le fleuve Sinnamary (bassin versant de 6.652 km2) en Guyane française. Compte tenu des importantes perturbations de l'environnement générées par cet ouvrage - en amont du barrage, les eaux ont noyé 310 km2 de forêt équatoriale, soit 18 millions d'arbres -, il fut décidé d'entreprendre de nombreux programmes de recherche. A cette fin, EDF a conclu des conventions avec différents organismes scientifiques, dont le Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), l'Institut national de recherche agronomique (Inra) et l'IRD et plusieurs universités. Ceux-ci ont conduit et conduisent aujourd'hui encore des études destinées à mesurer les effets produits par la retenue sur la faune et la flore locale. Dans ce cadre, l'Orstom intervient dans le domaine de l'hydrobiologie et plus particulièrement sur l'écologie des peuplements de poissons. D'après les résultats acquis par cette équipe d'hydrobiologistes présente sur le terrain depuis 1989, les effets du barrage sur les populations de poissons diffèrent selon que l'on considère la retenue, où il y a eu transformation radicale du milieu d'eau courante en un lac, et la partie aval du barrage, qui a subi des modifications mais qui est demeurée une rivière.

Dans la retenue

Deux ans après la mise en eau, il apparaît que le nombre d'espèces dans les eaux de la retenue n'a pas encore notablement diminué. Dans cette partie du fleuve, en terme de biomasse, les poissons sont même aujourd'hui plus nombreux car ils ont trouvé dans ce nouveau milieu une nourriture abondante du fait de la décomposition de la végétation et de la présence accrue d'insectes aquatiques attirés par les troncs et les branchages noyés. Il faudra cependant attendre plusieurs années avant d'être assuré de la pérennité des phénomènes observés. On pourrait en effet assister à une prolifération de certaines familles de poissons (prédateurs et espèces d'eau dormante notamment) et à une raréfaction des sources de nourriture à mesure que les organismes terrestres et la végétation disparaîtront des eaux du lac. Ces différents facteurs pourraient contribuer à terme à une diminution du nombre des espèces et de biomasse des poissons dans la retenue.

En aval

En revanche, l'impact du barrage s'est fait d'ores et déjà ressentir de manière préoccupante en aval. Etudiant les premiers stades de la vie des poissons qui, jusqu'à présent, ont très rarement fait l'objet de recherches dans les écosystèmes fluviaux, les chercheurs ont observé chez les juvéniles une baisse importante de la biomasse (de moitié selon les prélévements) et de la diversité des espèces. Cette diminution apparaît en particulier pendant la saison des pluies (d'avril à juin), période de l'année où ils étaient auparavant le plus nombreux.
L'hypothèse retenue actuellement pour expliquer cette perte en richesse et en biomasse est que la création du barrage a perturbé le régime hydrologique en aval. Les recherches conduites conjointement par des hydrologues et des hydrobiologistes ont montré qu'en régime "naturel", les crues créaient des zones d'inondation le long des petits affluents du fleuve (ou criques) qui constituaient des abris pour les jeunes poissons, sorte de nurseries d'eau peu profonde à courant faible. Durant la phase de remplissage de la retenue, la surface des zones inondées a été réduite du fait de l'écrétage des crues. De plus, les crues des criques n'étant plus compensées par une augmentation du niveau du fleuve, les affluents du Sinnamary ont fonctionné, lors de la saison des pluies, comme des "chasses d'eau" avec des vitesses de courant élevées, conditions peu favorables à la survie et à la croissance des juvéniles.

Agissant ainsi sur les premiers stades de vie des poissons, cette modification durable du régime de crue dans cette portion du fleuve aura-t-elle des effets drastiques, voire irréversibles, sur la diversité des espèces et l'abondance des peuplements du Sinnamary ? telle est la question à laquelle les chercheurs tentent aujourd'hui de répondre.


POUR EN SAVOIR PLUS

Contacter

En Guyane :
Bernard de Mérona, responsable du laboratoire d'hydrobiologie du centre IRD de Cayenne.
Tél. (594) 29 92 70; Fax. (594) 31 98 55 ; courriel : merona@cayenne.orstom.fr
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A Paris :
Didier Paugy, directeur de l'unité de recherche Fonctionnement et usage des systèmes biologiques en eau continentale, IRD.
Tél. (1) 48 03 75 32; fax. (1) 40 35 37 18 ; courriel : paugy@paris.orstom.fr

Bibliographie
Actes des cinquièmes journées environnement relatives à la protection de Petit Saut en Guyane, 1994.

A. Grégoire, Evolution de la qualité de l'eau du Sinnamary au cours de la première année de mise en eau, EDF CNEH, 1995.

Laurent Lauzanne et al. Structure et biologie des peuplements ichtyques du fleuve Sinnamary en Guyane française, rapport final, Orstom Centre de Cayenne, avril 1995.

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Claire Lissalde - uniquement pour l'obtention d'images
Tél. : 01 48 03 78 99 - courriel : lissalde@paris.ird.fr