La Convention sur les zones humides
Prix Ramsar pour la conservation des zones humides, 2002
Prix d'excellence
Mme Monique Coulet (France)
Entretien avec Monique COULET par Fabrice NICOLINO
Extraits de l'article paru dans le numéro 176 de septembre de Terre Sauvage.
« Chercheuse au CNRS , Monique COULET a fait partie , il y a près de trente ans d'une équipe pionnière, chargée de comprendre comment vivait le Rhône .L'admirable leçon qu'elle tire de ces passionnantes recherches, c'est qu'un grand fleuve doit rester libre .Pour lui, et pour nous.
Terre Sauvage : Monique Coulet, vous venez de recevoir une distinction prestigieuse, le Prix d'excellence décerné par la Convention internationale de Ramsar, qui protège les zones humides sur le plan mondial, dans le cadre des Prix Ramsar 2002. Ce qui est frappant, c'est qu'il vous est attribué à la fois pour vos recherches scientifiques et pour votre engagement dans la protection des rivières et des fleuves. Pourrait-on savoir comment tout cela a commencé ?
Monique Coulet : Après mon bac philo, je voulais faire médecine, mais mes parents ne voulaient pas me payer des études aussi longues . J'ai donc fait une école technique et j'ai eu la chance d'entrer dans le laboratoire du professeur Jacques Wautier, à l'université de Lyon qui fut un des premiers professeurs d'écologie en France. J'y étais technicienne et on travaillait sur les ruisseaux et les petites rivières ( ) Après avoir passé deux certificats de licence , j'ai dit à mon patron que je souhaitais obtenir un diplôme d'études supérieures et qu'il y avait même un sujet qui me paraissait très , très intéressant . Une personne du labo avait commencé à travailler sur un petit mollusque, puis était partie et la recherche s'était arrétée.
T S : Qu'avait-il de si intéressant ? Et comment s'appelait-il ?
M.C.Il a changé de nom, on l'appelle aujourd'hui Ferrissia.( )Il avait trois formes de coquilles et je voulais comprendre pourquoi. J'ai commencé à l'étudier en dehors de mes heures de travail et finalement, après bien des péripéties, j'ai passé une thèse de doctorat sur lui.
T.S. : C'est à ce moment là que vous avez commencé à étudier le Rhône ?
M.C. : En 1975, un programme de recherche du CNRS a été lancé sur le Rhône( ) sous la direction du professeur A.L. ROUX, nous avons constitué une équipe pluridisciplinaire , avec des hydrobiologistes comme nous, des botanistes, un géomorphologue, un historien, un géographe, un économiste, un juriste.( )Il s'agissait d'appréhender le fleuve dans sa globalité, sous différents angles afin d'en percer tous les secrets et dans le but de proposer aux décideurs de nouvelles méthodes de gestion. Pour commencer, il a fallu créer un vocabulaire commun entre toutes les disciplines, pour nous comprendre . Puis, pour nous biologistes, il s'agissait de chercher à savoir quels sont les animaux qui habitent le fleuve et comment ils vivent . Pour comprendre comment fonctionne un ruisseau ou une petite rivière, ce n'est pas difficile . On chausse les bottes, on soulève des pierres, on suit son cours, tout est un peu à taille humaine. Mais quand on est devant un fleuve qui fait sept mètres de profondeur, et dont le courant peut vous entraîner en quelques secondes le problème reste entier. Il fallait donc mettre au point une méthode d'approche de cet immense écosystème . Il a fallu tout inventer . Après sept ans de travail sur le terrain et d'analyses au laboratoire, nous sommes parvenus à un premier bilan très intéressant.
T.S. : Comment le résumeriez-vous ?
Nous avons mis en évidence que le fleuve ne peut se réduire à son seul axe principal, mais que l'écosystème doit aussi être considéré dans sa dimension transversale c'est-à-dire avec ses bras secondaires, ses bras morts, ses marais, ses anciens lits, sa forêt alluviale ... et dans sa dimension verticale, c'est à dire avec la nappe alluviale , ce fleuve souterrain qui accompagne le fleuve superficiel. A cet égard nous avons mis en évidence pour la première fois, qu'il existait toute une vie à l'intérieur de la nappe alluviale. Des animaux typiques des cavernes, mais aussi toute une faune qui s'infiltre en provenance du fleuve superficiel, et qui y trouve refuge. Cette nappe alluviale, régulièrement alimentée par les eaux superficielles joue un rôle essentiel dans le fonctionnement de l'écosystème à la fois sur le plan biologique et sur le plan hydrologique (retenue des eaux de crues et réalimentation du fleuve lors des étiages) . Ces résultats remettaient donc en cause la gestion traditionnelle des fleuves et rivières, barrés et endigués depuis plus d'un siècle. Libres, les fleuves et rivières sont de véritables régulateurs naturels de la ressource en eau, en termes de qualité et en termes de quantité, et grâce à tous les organes de l'écosystème (bras secondaires, bras morts, anciens lits, marais, forêt et nappe alluviales ...) ils peuvent résister aux diverses sollicitations humaines. Trop d'aménagements rend les fleuves et rivières vulnérables et la moindre pollution ou la moindre pluie devient une catastrophe. Certes il n'est pas question d'interdire tout aménagement mais d'établir un compromis entre les besoins du fleuve et ceux de la société en matière d'espace.
Madame Coulet, en plus de vos compétences scientifiques, vous êtes engagée dans la protection de la nature depuis longtemps.
Oui, je suis membre de la Fédération Rhône -Alpes de Protection de la Nature (FRAPNA) depuis sa création par Philippe Lebreton en 1967. Au sein de cette association, j'ai utilisé mes compétences et mes connaissances scientifiques récentes concernant les fleuves pour tenter de faire comprendre aux décideurs qu'il était impératif de modifier totalement la gestion des cours d'eau et j'ai tenté de faire passer la notion d'espace de liberté pour les fleuves et rivières.
Dans ce cadre vous vous êtes battue contre les projets de barrage sur la Loire
En effet, après avoir contribué à obtenir l'arrêt d'un projet de 20e barrage sur le Rhône, j'ai créé le Collectif d'associations Loire Vivante qui regroupait toutes les associations de protection de la nature du bassin de la Loire, en 1986, pour combattre le projet d'aménagement de la Loire, et ce collectif a obtenu la suppression de deux projets de barrage sur quatre. »
Entretien complémentaire réalisé par Marie-Aurore MALNOURY, Chargée de communication à la Direction de la Nature et des Paysages au Ministère de l'Ecologie et du développement durable - Septembre 2002
Vous vous êtes aussi battue contre la liaison fluviale Rhin-Rhône, parlez-nous de votre combat.
Ce projet qui date du début du 20e siècle consistait à créer une liaison fluviale à grand gabarit entre Saône et Rhin, en passant par le Doubs et le seuil de partage entre les bassins du Rhin et du Rhône. Ce projet avait été déclaré d'utilité publique en 1978, ce qui avait déclenché une première opposition sévère des associations de protection de la nature. Mais les travaux de mise à grand gabarit ont d'abord concerné le Rhône et la Saône. L'opposition s'est donc peu à peu éteinte. Mais en 1989, les travaux s'approchant dangereusement de la confluence Doubs-Saône, j'ai créé le collectif Saône-Doubs vivants qui rassemblait les associations de protection de la nature des bassins du Rhône et du Rhin, les Verts, les pêcheurs, les Consommateurs.... pour mener l'opposition à cette liaison fluviale à grand gabarit, car faire passer des convois de 4500 tonnes sur un fleuve qui connaît un débit de 1500 m3/s (le Rhône) ou même 400 m3/s (la Saône), l'exercice est acceptable car ces cours d'eau peuvent le supporter. En revanche, lorsque le débit est de 100 m3/s en hiver et 8m3/s (!) en période d'étiage (le Doubs), les travaux nécessaires au passage de convois de 191 mètres de long et 11 mètres de large auraient engendré des impacts considérables sur l'environnement. Il s'agissait en effet de mettre nos rivières à la dimension de nos péniches et non l'inverse. Le Doubs connaît de nombreux méandres incompatibles avec la navigation d'un tel gabarit, il devait donc être rectifié. Une fois rectifié, il est clair qu'en période de crue le Doubs ainsi raccourci allait entraîner une accélération des flux et la conjonction des pics de crue avec ceux de son affluent la Loue, ce qui aurait causé d'importantes inondations de la basse vallée du Doubs et de la vallée de la Saône. Par ailleurs, la Franche Comté est un pays karstique (calcaire) avec des circulations d'eaux souterraines qui sont encore très mal connues. Le projet risquait de modifier profondément l'hydrologie souterraine avec très certainement des problèmes de ressource en eau des villes. etc....
On disposait de toute une argumentation scientifique à la fois d'ordre hydrologique et écologique, et la question était de savoir si le projet comportait un intérêt économique suffisant pour justifier sa réalisation. La réponse était : non et de loin, la liaison fluviale n'était pas rentable économiquement . Entre Strasbourg et la Méditerranée, plus de 50 écluses auraient été nécessaires. Ce qui veut dire, un ralentissement important du transport et donc un coût de transport largement plus élevé que pour le trajet par Gibraltar.
Il faut ajouter que les
ponts de Lyon auraient dû être modifiés ; quant aux sinuosités
de la Saône à Lyon, elles gênaient très sérieusement
le passage de tels convois etc...Notre contre argumentaire économique
a d'ailleurs été confirmé par un rapport de l'Inspection
Générale des Finances resté confidentiel et que nous sommes
parvenu à faire sortir.
En 1997, avec l'arrivée des socialistes au pouvoir, l'abandon du projet
a été obtenu par les Verts. En fait, la Compagnie Nationale du
Rhône qui devait acquérir tout les terrains de l'emprise du projet
avant juin 1998 (date d'extinction de la déclaration d'utilité
publique) avait déjà bien des soucis car le Collectif avait réussi
à faire acheter des parcelles de terrain par de multiples individus,
dont des étrangers, et les procédures d'expropriation devenaient
impossibles.
Ce fut une victoire durement gagnée car notre position a été
très difficile à faire comprendre : nous sommes pour le développement
de la voie d'eau comme mode de transport mais contre le fait de faire passer
les péniches sur les montagnes.
Et vous avez profité de cette victoire pour obtenir que soit restauré le Rhône.
Comme avec l'abandon du projet, la France faisait une économie de plus de 40 milliards, j'ai lancé une démarche auprès du Gouvernement pour qu'une toute petite partie de cet argent puisse servir à restaurer le Rhône qui, avec ses 19 barrages, avait payé un lourd tribu à la production d'électricité. J'ai ainsi obtenu que 350 millions soient débloqués sur 10 ans par la Compagnie Nationale du Rhône pour relever les débits réservés des secteurs court-circuités du fleuve par ces barrages hydroélectriques. L'Agence de Bassin ayant elle même décidé de mettre sur 10 ans une somme équivalente, c'est donc 700 millions qui doivent être consacrés à la restauration partielle de la vie de ce fleuve (restauration de bras secondaires, de bras morts...)
Madame Coulet comment réagissez-vous par rapport au Prix d'Excellence Ramsar qui vous a été décerné ?
Je dois dire que j'en suis
particulièrement ravie car ce prix est une reconnaissance de la valeur
de l'engagement militant au sein des associations de protection de la nature
et que ces dernières représentent un contre-pouvoir indispensable
dans une démocratie. Dans la mesure où notre action s'appuie sur
des arguments scientifiques incontournables, c'est une question de civisme que
de le faire savoir auprès des élus et des décideurs. Dans
ces différentes batailles, je dois dire que j'ai très souvent
été soutenue par le Ministère de l'Environnement tant par
les Ministres (en particulier par C. LEPAGE et D. VOYNET) que par les Services.
Pour tout renseignement, contactez: Bureau de la Convention de Ramsar, Rue Mauverney 28, CH-1196 Gland, Suisse (Tél. +41 22 999 0170, fax +41 22 999 0169, e-mail ramsar@ramsar.org ). Publié le 22 decembre 2002, Dwight Peck, Ramsar.