Contact scientifique: Nicolas Lamouroux
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La construction d'un barrage ne représente pas seulement une barrière physique pour les poissons. C'est également la source de modification du débit du cours d'eau. Après avoir corrélé des données de 600 rivières en France, Nicolas Lamouroux est parvenu à relier le débit des cours d'eau à la morphologie de ses habitants. Le modèle qui en découle permet de prédire les changements de populations lors de la mise en place des divers aménagements hydrauliques quel que soit le lieu ou le pays.
Les barrages sur les cours d'eau sont omniprésents. Le bassin de la Loire en compte à lui seul plus de 1200. Ils modifient les débits, ce qui n’est pas sans conséquence sur les habitants du fleuve. En effet, les caractéristiques physiques des cours d’eau telles le débit, la hauteur d’eau ou la vitesse, influencent particulièrement la structure des peuplements de poissons.
Modifier ces variables entraîne également des inversions dans les espèces présentes. Il devient alors nécessaire de trouver les règles générales qui régissent les communautés aquatiques, afin de déterminer les impacts des divers aménagements fluviaux. Ces lois destinées à une meilleure gestion des eaux de surface sont un outil majeur pour les collectivités locales, les bureaux d’études voire même les entreprises comme la Compagnie Nationale du Rhône (CNR) qui gère tous les aménagements de ce fleuve.
Depuis 1992, Nicolas Lamouroux rassemble des données sur la faune et l'hydraulique de 600 cours d’eau de France en collaboration avec divers partenaires (université Lyon 1, Conseil Supérieur de la Pêche...). Il a alors identifié les critères physiques clés de l’habitat des poissons. Une fois analysées, ces préférences ont été insérées dans un modèle en vue de prédire les variations des peuplements lors de la mise en place d'un barrage ou d'un seuil. Le modèle permet aujourd'hui de prévoir jusqu'à 50% des différences de peuplements entre 2 sites proches. La validité de ces prédictions a ensuite été vérifiée dans divers pays. Par exemple, en relation avec l’institut poly-technique de Virginie et l’université du Colorado (Etats-Unis), Nicolas Lamouroux a récolté des informations sur les caractéristiques physiques des cours d'eau et leurs habitants pour cent rivières américaines. Se reportant à des tableaux qui recensent les critères physiques de chacune des espèces, il a constaté des corrélations similaires entre morphologie des poissons et débit de l'eau, quel que soit le continent.
Afin de trouver des lois générales pouvant expliquer les différences de répartition des espèces, le modèle est basé sur les nombres de Reynolds (RE) et de Froude (FR). Ces grandeurs sans dimension sont utilisées pour décrire le comportement général des liquides. Elles sont liées au débit, à la largeur de la rivière et à la hauteur d’eau. Nicolas Lamouroux a donc émis l'hypothèse que si ces variables gouvernent des similitudes physiques, doivent s'en suivre des similitudes biologiques. Il est ainsi parvenu à corréler le débit et la faune. Par exemple, la construction de seuils va transformer un flux torrentiel en un cours plus calme. Les espèces de poissons profilées, petites, peu fécondes et statiques telles que le chabot, le barbeau et la loche adeptes de flots agités vont déserter les lieux. Les gros poissons, plus larges et féconds prennent leur place. Ces inversions sont gouvernées par le nombre de Froude qui reflète la proportion de rapides le long des cours d'eau.
D'un autre côté, le nombre de Reynolds répond à des variations de débit occasionnées par les barrages ou prises d’eau. En parallèle, il distingue les communautés vivant près des berges de celles préférant les flots plus rapides situés au centre des cours d’eau. Cependant, seules les périodes de basses eaux ont été concluantes quant à la validité de son utilisation. Ainsi, il est maintenant établi que les prédictions du modèle, soit 50% des variations entre deux sites, sont expliquées par ces grandeurs physiques.
Le modèle est aujourd'hui un outil international. Il permet de quantifier les impacts biologiques de la gestion de différents sites, bassins, et même continents. Intégré dans les outils de gestion des cours d’eau à large échelle, il permettra d'évaluer les conséquences écologiques de différents modes de gestion, ou de proposer des solutions optimales en réponse aux objectifs de l’utilisateur. Dans le cas du Rhône, le modèle a pu déterminer le débit minimum nécessaire à l’aval de l'ensemble des barrages du fleuve pour limiter les impacts sur la faune aquatique.
Le barbeau reste le poisson pour lequel le ralentissement de l'écoulement est le plus préjudiciable.
La prochaine étape est maintenant de définir la flexibilité des espèces, c’est-à-dire leur faculté d’adaptation à une variation en vue d’affiner les prédictions.