Restaurer la libre circulation des poissons migrateurs

Certains poissons migrateurs ont beau être de bons nageurs et de bons sauteurs, franchir les nombreux barrages qui égrènent les cours d'eau est devenue une vraie course d'obstacles.
Les espèces migratrices ont ainsi déserté aujourd'hui la plupart des rivières et fleuves français. Depuis une vingtaine d'années, chercheurs et aménageurs unissent leur force pour construire des dispositifs permettant à ces espèces de circuler librement.

Saumon En France, il existe environ 550 barrages de plus 15 mètres de hauteur. Ces ouvrages, construits pour répondre aux différents besoins de l'homme en matière d'électricité, de navigation ou d'agriculture, constituent aussi la principale cause de disparition des espèces migratrices dans nos rivières. Ainsi, le saumon a totalement disparu de la Seine et commence à peine à reconquérir la Garonne et le Rhin. Il ne fréquente plus, aujourd'hui, que la Loire et certaines rivières de Bretagne et du bassin de l'Adour.

Pour se reproduire et se développer, les poissons migrateurs ont besoin de se déplacer librement d'un milieu à un autre. Les barrages et autres ouvrages hydroélectriques construits ces derniers siècles constituent bien souvent pour eux des obstacles infranchissables pour accéder à leurs zones de frai. Rétablir la libre circulation des migrateurs le long des cours d'eau est devenu pour ces espèces une question de survie.
Depuis 1984, la loi sur la pêche oblige tous les propriétaires de barrages installés sur les cours d'eau à migrateurs à aménager leurs ouvrages pour permettre aux poissons de circuler librement dans les rivières. Aujourd'hui, plus de 300 barrages sont équipés de " passes à poissons ".

Le Cemagref, le Conseil Supérieur de la Pêche et l'INPT*, en collaboration avec EDF, se sont associés pour constituer une équipe qui a pour vocation les activités de recherche et d'expérimentation concernant la conception de dispositifs permettant aux poissons de franchir les obstacles.

La vie des migrateurs
Tout au long de leur vie, les grands migrateurs circulent entre mer et eau douce pour effectuer les différentes phases de leur cycle biologique. Ainsi, le saumon, l'alose, la lamproie ou l'esturgeon remontent les cours d'eau pour se reproduire sur leurs lieux de frais. Les jeunes poissons regagnent ensuite la mer où ils resteront le temps d'acquérir leur maturité sexuelle. Le saumon passe, par exemple, 1 à 3 ans en rivière. Puis, ayant atteint la taille d'une sardine, les jeunes saumons appelés " smolts " rejoignent leur aire d'engraissement marine, située au large du Groenland. 1 à 3 ans plus tard, les adultes reviennent dans la rivière où ils sont nés pour un nouveau séjour durant lequel ils se reproduiront. La construction de barrages sur la Loire et l'Allier a fortement augmenté le temps de migration du saumon. Le retard ainsi accumulé peut alors fortement perturbé le cycle de reproduction des poissons.

Des passes à poissons pour chaque espèce ?

Le principe est simple : il s'agit d'attirer les poissons à l'aval du barrage et de les inciter à passer par une voie d'eau artificielle qui contourne ce barrage. Pour qu'une passe puisse être considérée comme efficace, le poisson doit en trouver l'entrée, la franchir sans retard ni blessures préjudiciables à sa migration vers l'amont. Mais toutes les espèces migratrices n'ont pas les mêmes capacités physiques. La conception de passes à poissons doit donc prendre en compte les exigences biologiques de chacune. La vitesse du courant à l'intérieur du dispositif doit notamment être compatible avec les capacités de nage des poissons. Ainsi, les saumons préfèrent les courants forts alors que les anguilles affectionnent les eaux calmes. D'autres paramètres environnementaux comme les débits, la teneur en oxygène dissous, la température, peuvent aussi s'avérer également critiques pour attirer les poissons dans les passes.

Face à la diversité des exigences biologiques de chaque espèce, on trouve une variété de passes à poissons. Actuellement un peu moins d'une dizaine de dispositifs sont utilisés sur les différentes rivières françaises. La passe à " bassins successifs ", par exemple, consiste à diviser la hauteur à franchir en plusieurs petites chutes formant une série de bassins. La centrale de Golfech sur la Garonne, quant à elle, est équipée d'un ascenseur à poissons : les poissons sont attirés dans un bassin de piégeage muni d'une cuve puis sont remontés cycliquement et déversés à l'amont de l'obstacle.

Les migrateurs sont suivis à la trace

Les nouveaux dispositifs de franchissement sont d'abord conçus en laboratoire, sur des maquettes. Ces modèles réduits permettent, par exemple, de tester les différents paramètres d'écoulement de l'eau en fonction des capacités de nage des diverses espèces migratrices. Pour évaluer leur efficacité sur le terrain, les chercheurs ont mis au point un logiciel capable de compter et, dans certains cas, de reconnaître chaque poisson qui passe à travers la passe à poissons.

Mais les scientifiques étudient aussi le comportement des poissons sur le terrain. Par radiopistage, ils ont ainsi pu suivre la migration d'une centaine de saumons équipés d'émetteurs le long du Gave du Pau. Trente huit barrages ou seuils sont érigés sur ce cours d'eau. Cette étude, réalisée de 1995 à 1997 a permis de mettre en évidence les nombreuses améliorations à faire sur les différentes passes à poissons équipant les barrages ; l'objectif de ce projet est la restauration du saumon sur le Gave de Pau.
Si la libre circulation des migrateurs doit être rétablie dans le sens de la montée, elle doit l'être aussi lors de la migration de l'amont vers l'aval. Les principaux risques à la " dévalaison " concernent le passage à travers les turbines des usines hydroélectriques. Mais la technique des dispositifs destinés à assurer la dévalaison est beaucoup moins avancée que celle portant sur les passes à poissons. Les chercheurs commencent aujourd'hui à s'attaquer à cet épineux problème.

Les anguilles, de grandes voyageuses
L'anguille de l'Atlantique fait le chemin inverse du saumon. Elle se reproduit dans la mer des Sargasses, située dans l'Océan Atlantique à plus de 5 000 km des côtes françaises. Après un voyage de 200 à 300 jours, les jeunes anguilles, appelées civelles, gagnent les eaux douces des cours d'eau français pour grandir. Leur croissance va durer une dizaine d'années. Elles regagneront, par la suite, leur lieu de ponte dans la mer des Sargasses.