Sentier didactique des Toblerones  
 
Histoire de la Ligne fortifiée de la Promenthouse  

de sa création à la fin de la Guerre 1939-1945
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Introduction
1. La Ligne de la Promenthouse
par Pierre A. Krenger, mai 2001
  1. 1. Le terrain de La Côte dans notre région
  1. 2. Les fortifications en Suisse
  1. 3. La construction de la Ligne de la Promenthouse
    1937 - 1938 - 1939 - 1940 - 1941
2. L'occupation de la Ligne de la Promenthouse
  2. 1. Les troupes de surveillance
  2. 2. Les troupes combattantes qui ont occupé le secteur entre Jura et Lac
Postface

 

Introduction

Si la région a été peuplée dès avant la période romaine, ce n'est qu'au 18e siècle que Berne imagine qu'elle pourrait servir de zone d'arrêt militaire à un envahisseur venant de l'Ouest. Une première ligne de défense s'étire ainsi en 1792 entre Nyon et Bonmont, mais la deuxième prévoit des positions principales derrière la Promenthouse et la Dullive. A fin 1797 les troupes françaises, ayant occupé Genève, se rendront à Lausanne sans coup férir et mettront fin à l'Ancien Régime en Pays de Vaud. Dès la fondation de la Confédération moderne, en 1848, on se rendra compte que la Promenthouse forme le premier obstacle naturel à l'Ouest. Mais il faudra attendre l'entre-deux-guerres pour assister aux premiers travaux de fortification.

 

1. La Ligne de la Promenthouse

1. 1. Le terrain de La Côte dans notre région

Un certain nombre de ruisseaux descendant du Jura ont creusé un lit profond dans le terrain et forment, pour un ennemi venant du Pays de Gex, une série d'obstacles, les uns derrière les autres, qui peuvent être assez facilement défendus depuis les plateaux et les pentes situés à l'arrière.

Après la Versoix, le Bairon et l'Asse (Nyon), La Promenthouse et ses affluents sont les premières rivières dans le secteur Ouest pouvant former une ligne d'arrêt pour la défense de la région. Les secteurs concernés sont : 1) St-Georges-Vallon de Prévondavaux (3 km SSE St-Georges, 2 km E Longirod), 2) Prévondavaux-Begnins (côte traversée par Le Merdasson-Combe de Bursins), 3) Begnins - Lac Léman (le plus faible).

La basse Promenthouse peut être franchie partout à gué. Le terrain, par sa configuration naturelle et du fait des déboisements, offre un accès facile aux chars de tous modèles

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1. 2. Les fortifications en Suisse

En 1935, les Chambres fédérales votent un premier crédit partiel de 5 Millions pour créer des lignes fortifiées en Suisse. Pour des raisons de politique de neutralité, il faut prendre en considération tous nos voisins, il faut donc commencer des travaux de fortifications frontalières simultanément sur toutes les frontières . Les moyens financiers limités provoquent parfois un certain morcellement des premières constructions de fortifications. Les intervalles seront fortifiés ultérieurement. Pour empêcher une irruption de l'ennemi, une chaîne de fortins pour mitrailleuses doit être construite là où le terrain favorise le franchissement de la frontière entre les barrages de route. Les occupants des ouvrages fortifiés doivent avoir une confiance totale dans la solidité des fortifications.

Dans ses "Directives concernant les travaux de fortification" du 24 juillet 1940, le Général met les priorités comme suit: "La fortification du réduit national comporte diverses catégories de travaux qui seront effectuées dans l'ordre d'urgence suivant: 1) barrages anti-chars et organisation des villages en point d'appui fermés, à commencer immédiatement; 2) fortifications de campagne;3) ouvrages en béton."

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1. 3. La construction de la Ligne de la Promenthouse

Dans notre région, entre 1937 et 1943, la Confédération achètera du terrain et établira des servitudes pour pouvoir d'une part construire des barrages mobiles sur les principales routes, puis fera dans un premier temps "battre" (planter dans le sol) des rails de chemin de fer dans les berges de la Combaz, de la Serine et de la Promenthouse. Signalons en passant que le Prince Louis-Jérôme-Victor-Emmanuel-Léopold-Marie Napoléon, propriétaire de la parcelle no 1652, accorde un droit de construire effectif sans indemnité à la Confédération et que Monsieur Paul Langer-Paillard en fera de même pour son terrain.

A la question de savoir il faut fortifier le terrain, c'est-à-dire établir des obstacles antichars, un rapport de reconnaissance répond: "L'appréciatîon du terrain, en fonction de son importance tactique et des moyens que l'adversaire peut y engager, conduit aux conclusions d'ensemble suivantes:

Les zones d'effort défensif sont:

a) le plateau de Bassins jusqu'à Le Vaud - Marchissy-Longirod

b) l'éperon de Begnins-Burtigny

c) la région de Vich-Gland (exclu)-la Bergerie (exclue).

L'effort de la défense anti-chars doit être porté dans le secteur compris entre le Moulin du Creux (inclus) et la route cantonale Nyon/Rolle (incluse)".

En 1937, les sapeurs commencent à construire des barrage-rails, des barrages de routes et des obstacles anti-chars sur les cours d'eau. L'extrémité des rails "battus" (plantés dans le sol) culminant à 1, 10 m, l'obstacle est destiné à empêcher des chars d'assaut qui auraient franchi sans encombre la rivière de continuer leur progression. On bat ainsi 2733 rails sur une longueur totale de 9159 m. Pour compléter le barrage entre le Jura et le Lac, il reste à construire le barrage anti-chars entre le pont des CFF et le Lac Léman. Le Bureau fédéral des fortifications fera exécuter ce travail par une entreprise civile. La ligne suit grosso modo celle des toblerones actuels, entre Vich et la ligne CFF.

Les chantiers ont été en activité de jour et de nuit jusqu'au 8 octobre 1938. On ne coupe plus les rails de chemin de fer des rangs de derrière uniformément à 1,10 m de hauteur, mais alternativement à 0,80 - 1,10 m de haut. Il en résulte comme pour les obstacles anti-chars étrangers - une surface inégale sur le sommet des rails, ce qui rend le franchissement des obstacles plus difficile. Par endroits, par ex dans la région du Moulin du Creux (en amont de Vich), il n'y a pas besoin de planter des rails, les berges de la Serine étant tellement abruptes qu'elle devient infranchissable pour des chars. A Vich même et en aval, on a renforcé et armé le mur de soutènement de la rivière dans le même but. Les routes sont évidemment barrées par des obstacles mobiles et le tout est bardé d'un système de fils de fer barbelés, voire par endroits de mines pour empêcher l'infanterie accompagnant les chars d'avancer. Occasionnellement, on signale une "brèche de 160 m dans le barrage rails due à un défaut de livraison de rails", ce qui montre une des nombreuses difficultés rencontrées. "Il a fallu bétonner 74 rails, le sol étant trop résistant pour le battage, et 340 rails ont dû être raccourcis, la plupart des rails ayant d'ailleurs été taillés pour être mieux enfoncés. Jusqu'à ce qu'il y ait assez de matériel d'ordonnance à disposition, pour autant que cela s'avère seulement utile, la troupe dépend des entreprises civiles. La collaboration avec l'entreprise Losinger à Lausanne a montré qu'on peut en peu de temps trouver du matériel utile et approprié pour ce genre de travail exécuté par un bataillon de sapeurs". Actuellement, on peut encore voir des rails battus dans la rive de la Serine, au Nord du barrage hydraulique de Pont Farbel (peu avant le confluent avec la Promenthouse).

La continuation de la ligne fortifiée dans le terrain découvert entre la Route Suisse et le Lac se heurte à des difficultés faites par le propriétaire du terrain «actuel "Golf impérial") Ignace Paderewsky, ancien président de la Pologne. On envisage d'implanter des obstacles Cointet dans ce secteur. Le 11 mars 1938 l'IMG (=intendance du matériel de guerre) a signé un contrat de licence pour la fabrication d'éléments de barricades "articulés"avec le général français de Cointet. Des 150 éléments de barrage, 50 sont réservés pour la ligne fortifiée dans la campagne Paderewsky. Sur la Promenthouse, le battage des rails est terminé, mais la ligne traversant en diagonale les prairies entre les deux forêts au Sud de la route Nyon-Rolle n'est pas encore réalisée. Un acteur de l'époque raconte: "En été 1939 nous, la compagnie de volontaires couverture frontière 1, avons posé plus de 100 m d'éléments Cointet dans la propriété Paderewsky/La Bergerie pour barrer la clairière à l'emplacement actuel du franchissement du Golfe par la ligne des toblerones, près du fortin A 729. Ces éléments, hauts de près de 3 m, étaient attachés les uns aux autres par des câbles appelés élingues, et étaient pourvus pour leur déplacement de rouleaux, qu'on remplaçait par des cônes remplis de tout-venant pour les ancrer dans le sol".

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Bien entendu, les ponts, viaducs et certains tronçons de routes sont pourvues dans toute la zone de chambres de mines contenant des charges explosives. Mais aucun obstacle aussi puissant soit-il ne parvient à arrêter l'avance d'un ennemi mécanisé: il doit être sous le feu de la troupe qui défend le passage. Pour abrité les tireurs du tir de l'artillerie et du bombardement de l'aviation adverse, on doit construire des fortins en béton armé. Le commandant de la brigade frontière 1 ordonne donc en novembre 1939 des travaux de fortifications de campagne pour abrité les armes permettant de battre le barrage anti-chars et la rivière, et la construction de trois ouvrages bétonnés. Les études sont basées sur les expériences faites depuis la Guerre mondiale (1914-18). On appliquera le principe du tir flanquant: chaque ouvrage protège par son tir les ouvrages voisins et tire sur le flanc de la ligne fortifiée, et non frontalement en direction de l'ennemi. La Villa Rose est l'exception qui confirme la règle elle prend la Route suisse sous le feu de son canon antichar. Bien entendu, les ouvrages fortifiés sont entourés de barbelés et de troupes d'intervalles qui affrontent directement l'ennemi et le combattent avec les armes d'infanterie, appuyés par l'artillerie, voire l'aviation.

On se rend compte des énormes difficultés rencontrées en lisant, dans un rapport daté de janvier 1940 :"Le fait que dans ce demier secteur la troupe n'a construit que deux positions de mitrailleuse bétonnées resp. est encore en train de les construire, démontre que les effectifs de la brigade frontière ne mènent pas loin. Il faut tout faire pour réaliser au plus vite les fortifications encore manquantes. Les trois ouvrages et positions projetés au bord et entre les routes Rolle-Nyon et Gland-Nyon pourront prochainement être mis en chantier:" Le 3 mars, le Général Guisan approuve le projet qui prévoit pour la région de Begnins-Vich quatre ouvrages en béton armé pour armes automatiques. "Une percée par le Pays de Gex devrait être de moindre importance et plus facile à repousser. La ligne Combaz-Serine-Promenthouse sera construite en barrages antichars: 10 barrages-route, 1 barrage chemin de fer. Le secteur du bas comprendra 7 ouvrages bétonnés, et abritera des canons de 4,7 cm et des mitrailleuses".

Citons un autre rapport - du 11 mai - illustrant les difficultés de l'époque:

"Fers à béton ronds: 3400 t achetés dans une aciérie luxembourgeoise, parce que les fabricants indigènes (von Roll Gerlafingen, von Moos Emmenbrücke) ne peuvent pas livrer; 5000 t de rails de chemin de fer usagés importés de France jusqu'à fin 1939. Fil de fer barbelé en quantité insuffisante. Piquets pour obstacles d'infanterie suffisants. En outre, l'acquisition de matières premières est plus difficile, les prix sont plus élevés que ceux du temps de paix et la main-d'oeuvre est enlevée aux entreprises par la mobilisation"

Dès l'été 1941, des entreprises de travaux publics (par ex. les entreprises Induni et Spinedi, Olivet, Cuénod et Dumarest & Eckert, de Genève) commenceront à implanter les célèbres "toblerones", soit après que les rails aient été sciés (le fer se vendait bien durant la guerre!), soit par-dessus ceux-ci. On peut encore voir cette technique aux Avouillons, entre le chemin de fer et la Route suisse. Il y aura environ 3000 blocs tétraèdres dans notre secteur. Parallèlement, on construit les fortins derrière la ligne. La construction de la Villa Rose par exemple a commencé en mars 1940, l'armement a été installé en septembre et les derniers perfectionnements y ont été logés en octobre 1942. Le total de la facture du consortium d'entrepreneurs genevois, les Entreprises générales du Bâtiment et Travaux publics réunis, était de Fr. 132'990.80 (sans armement ni munitions). Pour le fortin de Vich, les dates sont les suivantes:

début des travaux: octobre 1941, fin du bétonnage janvier 1942 et remise provisoire à la troupe le 14 avril 1942, définitive le 31 mars 1944. (entreprise Piaget & Cie, Genève), coût Fr. 143'267.35, armement, munitions et aménagement intérieurs (installés plus tard) non compris.

De nombreuses petites constructions ont été réalisées par la troupe: les murs antichars, les positions de tir entre les blocs de béton, les "solitaires" situés souvent à plusieurs centaines de mètres en arrière de la ligne (abris bétonnés ronds abritant un tireur au fusil-mitrailleur) etc.

Pour permettre aux garnisons des fortins de garder le contact avec l'extérieur, on installe un réseau de téléphones reliant des postes d'observation disséminés dans le terrain à l'ouvrage. " La transmission des annonces et ordres de tir de l'observateur extérieur à l'installation fortifiée s'avère excellente, puisque cela ne nécessite jusqu'au déclenchement du tir que 6 à 8 secondes; genre de transmission parfaite, rapide et fiable des demandes de tir" conclut un rapport. Afin de rendre le tir plus efficace et permettre notamment de tirer en cas d'aveuglement des embrasures, un bureau spécialisé dépendant de l'Etat-major de l'armée développe dès 1938 les panoramas de tir. On commence par faire une prise de vue photogrammétrique depuis chaque ouverture de tir au moyen d'un théodolite photographique. Ces prises de vue sont développées par le Service topographique fédéral, agrandies et rassemblées en un panorama d'env. 30 x 70 cm. Les différents points de visée sont alors marqués pour chaque arme sur la carte de situation et sur le panorama photographique. Grâce à ces outils, on peut confectionner pour chaque arme le soi-disant panorama d'affût. Pour déterminer les distances de tir exactes, on utilise des photos aériennes pour les cartes de situation à l'échelle 1:5000. Les panoramas qu'on peut voir dans les fortins de la Promenthouse n'ont probablement été installés que vers la fin de la guerre.

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2. L'occupation de la Ligne de la Promenthouse

2. 1. Les troupes de surveillance

L'arrêté du Conseil fédéral du 10 novembre 1936 ordonne la mise sur pied d'une première compagnie de volontaires de protection des frontières pour la garde des fortifications. D'autres suivront et jusqu'à la création du Corps des Garde-Fortifications en 1942, elles garderont dans un premier temps les chantiers de construction. Après avoir effectué deux à trois mois d'instruction au mousqueton et au fusil-mitrailleur, à la mitrailleuse, au canon d'infanterie et au lance-mines; au service de garde, de génie, des gaz, du téléphone, de la bicyclette, de la lecture de carte et du lancement de grenades à main, ses membres les plus qualifiés instruiront les garnisons des ouvrages au maniement des armes et des installations.

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2. 2. Les troupes combattantes qui ont occupé le secteur entre Jura et Lac

Dès le début de la mobilisation, la troupe, et surtout les soldats, tout en sachant l'armée sous-équipée en moyens de combat modernes (chars, moyens antichars, artillerie, DCA, aviation ), sont décidés à vendre chèrement leur peau. En effet, tout le monde s'attend sans beaucoup d'illusions à la défaite en cas d'invasion, vu les moyens développés par les belligérants combattant sur les champs de bataille européens.

En additionnant les jours de service du bataillon 218 qui occupait le secteur, on arrive à approximativement 660 jours de service actif. Mais il faut y ajouter le service fait par d'autres troupes qui venaient les relever, de sorte que la ligne a été presque toujours occupée, sauf durant les années 1942 et 43 durant lesquelles le théâtre des opérations s'était éloigné de nos frontières (34 jours par année pour le 218).

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Postface

On aura compris, en lisant ces quelques lignes, qu'il ne s'agit nullement d'un travail d'histoire, mais bien d'un très rapide survol des événements d'il y a plus d'un demi-siècle.

Qu'il nous soit néanmoins permis de dire que la restauration de la Villa Rose, l'aménagement du sentier des toblerones ainsi que les recherches historiques en cours se veulent un hommage aux sacrifices consentis par nos aînés pour préserver notre pays de la guerre durant le conflit 1939-45.

Puisse une pareille épreuve ne plus jamais endeuiller l'Europe et le monde.

 

Mai 2001

Pierre A. Krenger


Responsable de la planification du projet : Association de la ligne fortifiée de la Promenthouse