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Dimanche 17 Décembre 2006 |
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Témoignage |
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Voici l'extrait d'une correspondance échangée entre un professeur de français travaillant en Palestine avec ses amis en France |
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<< Salut les copains !
Un petit mot pour vous dire que je vais bien. Je suis crevee, videe,
lessivee mais je suis revenue vivante de mon voyage a Gaza et Khan
younes.
Aujourd'hui je vous transmets le recit d'un francais qui est lui
aussi prof de francais, mais a Gaza.
Il vous livre le recit de sa semaine mouvementee. Au passage, vous
noterez que je ne suis pas la seule a denoncer certaines choses....
Nathalie
Des nouvelles toutes fraiches de Palestine,ou il fait
une chaleur de juin, un franc soleil, la plage est
prete a accueillir des dizaines de milliers de
chomeurs, cloues a la maison par les mesure de
"represailles" israeliennes, qui selon les autorites
militaires ne sont pas des punitions collectives...a
voir...d'ailleurs, certains n'ont meme plus de maison!
Lundi
j'ai terminé mon boulot en fin de matinée, je suis
allé voir mon copain Ahmad, qui m'a proposé d'aller
passer la journée dans son village a el Qarara, entre
Deir el Balah et Khan Younis. Je n'avais pas de
travail mercredi avant 13h00, j'ai décidé de partir
avec lui...On se met en route, ca fait longtemps que je
ne suis pas allé à la campagne, et puis une dure
semaine au boulot m'a vraiment épuisé. On passe
normalement le point de passage de Kfar Darom, entre
les chars...les Israéliens ont construit deux tours de
béton, une a chaque bout de la route, avec ouvertures
pour les flingues. Le gros poste au milieu de la route
sur le carrefour est aussi en plein réaménagement, et
ils ouvrent une nouvelle route pour accéder
directement aux colonies, sur les champs palestiniens
passés au bulldozer cet hiver...On s'installe dans une
vie difficile, ils sont visiblement la pour longtemps.
El Qarara, des maisons entre des champs de blé,
d'orge, des amandiers, des sycomores...la route des
colons et la «frontière »... Le petit frère de mon ami,
Mohammad, 8 ans, est adorable et très bavard, il me
raconte presque toute sa journée. Sa petite soeur, 10
ans est très sérieuse pour son âge, elle a l'air très
intelligent et éveillé...Leur mère n'est pas la, elle
est avec leur grande soeur qui est sur le point
d'accoucher. On pose nos affaires et on va se
promener. Il me montre son quartier, le quartier de sa
famille, l'une des plus nombreuses de la bande de
Gaza. Depuis le sommet du village on voit jusqu'à
Rafah, et au font la mer. Retour pour manger, son
beau-frère arrive pour lui annoncer que le bébé est
ne, un petit garçon, qui demain sera à la maison !
Félicitations pour le père, pour le jeune oncle...
Soudain un bruit sourd, ce moustique espion, drône qui
précède les bombardements. Et puis on entend la voix
lourde des hélicoptères, et le premier missile tombe
sur Khan Younis. Mohammad qui était dans sa chambre se
jette sur moi, affolé, sa soeur vient vite derrière
lui, tremblante. Le petit est crispé sur moi, j'essaie
de le rassurer, conscient de ce que ma main qui
protège sa tête n'empêche pas la terreur d'imprégner
son esprit. Deux missiles seulement...nous finissons
par nous coucher, je pense beaucoup a ces enfants qui
vont dormir dans l'autre chambre, a quoi vont-ils
rêver ? Cette nuit-la je serai réveillé deux fois par
des amis de Gaza, vers 1h30. La ville a subi son plus
fort bombardement depuis le début de cette Intifada de
l'indépendance, des obus sont tombés près du Centre
Culturel Français et près de chez moi.
Mardi
Quelle est la nouvelle blague qui circule à Gaza ? «
Tu sais où est David ? »
On se lève de bon matin pour arriver à Gaza vers 11h,
les barrages ralentissant toujours le voyage. On
marche 20 mn pour trouver une voiture au check point
et la surprise : hier soir les Israéliens ont décidé
de couper la bande de Gaza en trois. Résultat le point
de passage de Kfar Darom est fermé ! Je suis bloqué
dans le sud, à 20 mn de chez moi en voiture, à un
million de km en réalité ! La route est encombrée de
voitures, camions, cars, et autres taxis. Nous sommes
partis pour attendre, combien de temps restant la
principale inconnue. On retrouve des amis étudiants,
on discute, on s'assoit sur les mottes de terres de ce
qui était une orangeraie il y a 6 mois, avant les
tronçonneuses et les bulldozers israéliens. Les heures
passent ainsi, dans l'espoir de voir les soldats
ouvrir le passage. Un homme qui connaît Ahmad nous
donne un quartier de melon qu'on mange sous le dernier
petit carré d'orangers qui a échappé à la rage
sécuritaire israélienne. A 13h, après plus de 5 heures
devant les blocs de béton, on décide de rentrer...ce ne
sera de toute évidence pas pour aujourd'hui.
Ce n'est pas grave, je n'ai qu'une école à voir
aujourd'hui, je le ferai demain ! Et puis j'ai des
amis avec moi ! On va d'ailleurs faire du poulet sur
la braise avec des amis, dans les champs, près de la
frontière. Puis retour non plus chez la mère d'Ahmad
qui accueille la jeune maman, mais chez sa soeur.
L'appartement est à 10 mn à pied du check point, on
sera plus près demain matin.
Mercredi
Lever à 6h, promenade du coté du barrage, rien de
neuf, toujours fermé. On retourne se coucher. On se
relève pour bouffer, puis on se recouche. On fini par
aller chez la mère d'Ahmad pour manger vers 17h, c'est
tout ! Au retour, on passe voir Jihad, un ami. On fume
une chicha, on boit un thé, on discute de la
situation.
Jeudi
Encore un jour. Comme hier nous nous sommes levés vers
6h00, histoire d'aller faire un tour au barrage
israélien. Fermé. Il y avait beaucoup moins de
voitures que les jours précédents, les gens sont
fatigués, ils ne viennent plus. Et puis ce n'est pas
le jour des étudiants. Des gens nous ont dit qu'il y
avait moyen de passer par un autre chemin qui longe le
bloc des colonies. Le seul problème est que rien n'est
sur ici, la volonté des israéliens est parfois
difficile a prévoir, et on ne sait rien sur les
modalités du passage, s'ils vérifient les papiers,
s'ils fouillent les sacs, s'ils font des arrestations
ou s'ils renvoient simplement les gens...d'ailleurs
Ahmad est assez nerveux, ce que je comprends bien, il
risque beaucoup plus que moi. Ensuite retour au lit.
On se relève vers 10h30. On n'a pas mangé hier soir,
j'ai vraiment très faim. On se fait un petit déjeuner
léger, histoire de tenir la route. Après la douche je
prépare mes affaires, on met les livres d'Ahmad dans
mon sac (il a des livres d'histoire politique, ça ne
vaut pas le coup d'avoir des ennuis s'ils fouillent),
je planque dans une petite poche son agenda et on y
va. On va faire un tour au barrage, histoire de
prendre la température. L'ambiance est moins vivante,
mais plus tendue, comme usée par l'habitude de
l'attente humiliante. Une femme d'une cinquantaine
d'années veut tenter l'autre chemin, on retrouve un
ami d'Ahmad qui veut aussi partir par la-bas, et
c'est toute une joyeuse bande qui se met en route,
guidée par Mohammed, 10 ans, un gamin qui vit ici,
entre la colonie, la route des colons, les chars et
les blocs de béton. 20 minutes de marche, on avance
vers les clôtures barbelées de la colonie, puis on
tourne à droite, vers la route des colons. Nous
avançons péniblement dans le sable, nous sommes tous
fatigués mais l'espoir de passer nous fait
courir...enfin aussi la crainte de servir de cible
isolée si on s'éloigne du groupe, ou de rester sur la
touche s'ils ont décidé de ne faire passer qu'un
groupe, hier ceux qui sont passés sont tous partis
vers 14h30. Tout le monde passe en courant la route
des colons, s'assurant bien qu'aucune voiture,
qu'aucun véhicule blindé ou autre char n'y passe en
même temps que nous. Derrière un petit monticule de
sable se trouve le mini-char de nos amis, qui nous
attendent toutes armes sur nous. On nous hurle dans
un mauvais arabe de nous asseoir sur le sable, de
donner nos papiers et là s'ouvrent les portes d'un
monde dont je soupçonnais l'existence alors que
j'étais en France, que j'ai découvert peu a peu
depuis, le rêve sioniste dans toute son effrayante
violence. Autour de moi tous s'asseoient dans le
sable, hommes, femmes, enfants, jeunes et vieux, sans
un mot, la tête courbée sous le poids de l'arrogante
assurance de cette poignée de soldats des forces de
«défenses » israéliennes qui promène sur nous trois
armes automatiques. Je vois ces nuques usées, ces dos
soumis, ces bouches muettes sur cette terre
palestinienne ou ont vécu leurs parents, leurs
grands-parents, leurs arrières-grands-parents, leurs
ancêtres depuis des siècles, tous ces gens fatigués
abandonnent leur dignité d'hommes pour obéir au
moindre ordre de ces soldats...je suis perdu au beau
milieu de ce cauchemar, de ces hommes-moutons qu'on va
tondre, quand Ahmad me demande de ne plus parler. Je
ne peux pas ne pas les insulter, au moins en français...
et puis le gros porc sur son véhicule hurle l'ordre de
s'asseoir, pointant son arme sur moi : je suis encore
debout ! Tous se retournent nerveusement vers moi pour
me demander de m'asseoir, je plonge dans ce cauchemar...
Apres inspection des papiers une famille arrive
encore, les soldats sont en colère, ils hurlent, et
finissent par renvoyer tout le monde ! On ne demande
pas notre reste, Ahmad est bien content d'avoir
récupéré ses papiers, on file, sous les lacrymogènes
tires pour nous faire déguerpir plus vite. Nous
retournons au barrage principal, crevés, pour attendre
les voitures de la Croix Rouge. Un homme nous retrouve
là pour nous dire que le groupe est retourne vers la
route des colons, qu'ils vont pouvoir passer. On monte
dans sa voiture, on repart. Effectivement le groupe
est contre la barrière qui longe la route des colons.
On s'avance, il y a trois soldats de l'autre cote de
la route, qui commencent à s'énerver. L'un prend son
arme et la pointe vers nous...on a compris pas la peine
d'insister ! Retour pour la deuxième fois, sous le
brillant soleil de la Palestine. Je remarque un homme
entre deux âges, blessé, qui marche péniblement,
soutenu par deux jeunes...
On retourne se coucher. Le soir on retrouve des amis à
Khan Younis, ceux avec qui on avait fait les
grillades. On va chez l'un d'entre eux, mais sur la
route, dans son village on voit une foule dans la rue
: les chars israéliens sont masse à la frontière,
certains sont déjà de notre cote, les gens apeurés
craignent un bombardement ou une nouvelle opération de
démolissage... J'en ai marre, il fait froid, on rentre
se coucher.
Vendredi
Il est 5h30, Ahmad me réveille : « LA ROUTE EST
OUVERTE !» Pas réveillé, je m'habille, prends mes
affaires, et on est partis ! Vérification des papiers
par les soldats accrochés à leur arme, sous le nez du
char, on change de voiture à Deir el Balah, on fait
une pause au milieu d'un paysage lunaire, au
croisement de Netzarim (ou le petit Mohammed el Dorah
a été abattu par les soldats israéliens). Les Jeeps
sont là, avec un petit véhicule blindé, mais personne
ne nous dis si on peut passer. Après le passage de
plusieurs véhicules militaires, un car de colons et un
char, avec hésitation nous nous engageons, dépassons
le croisement juste avant qu'un second char ne
surgisse de je ne sais ou, dans un nuage de poussière.
ENFIN LIBRES ! >>
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