Dimanche 23 juin
Arrivée à Jérusalem (Al Qods)
Dans la grande salle de l’hôtel de Jérusalem, nous sommes accueillis par Hassib et Youssef, rejoints par Michel Warschawski : exposé de la situation actuelle.
L après-midi, nous faisons en car le tour des colonies qui encerclent Jérusalem ; Hassib nous montre les différentes stratégies de développement des colonies :
encerclement des villages palestiniens par des routes de contournement et par des zones dites vertes ou militaires qui deviennent infranchissables pour les Palestiniens
construction de colonies collées à des villages arabes
construction de colonies qui dominent les villages confinés dans les vallées
construction de colonies qui restent vides, l’idée étant d’occuper la terre
extension des colonies existantes à l’est et à l’ouest, visant à encercler complètement Jérusalem ; dans Jérusalem le terrain est gagné maison par maison.
Le groupe est atterré par l’ampleur et le développement continuel de ces colonies et de leurs routes d’accès.
Lundi 24 juin
Départ en bus pour Gaza
Passage du check point d’Erez (entrée nord de la bande de Gaza) :après une longue attente ils nous laissent passer en précisant qu’à la première provocation nous serions expulsés, ils ajoutent que les Français et les Belges sont particulièrement provocateurs.
Premier arrêt à Betlaya : à proximité de la mer, sur des terres en parties cultivées, un paysan palestinien nous conduit jusqu’à un endroit d’où il nous fait voir un char qui nous observe et ses terres qu’il atteignait autrefois en 10 minutes et pour lesquelles il doit maintenant faire un détour de 3 km.
Il vient tous les jours à cet endroit pour montrer que c’est sa terre. Il subit aussi des humiliations quotidiennes par les colons qui l’ont chassé :
obligation de quitter son foyer entre 8h et 13h
devoir rester couché avec les enfants sinon on lui tire dessus
sacs de provisions reniflés par un chien pour en contrôler le contenu.
Au loin un poste israélien surveille la mer et tire sur les bateaux des pêcheurs palestiniens auxquels il est interdit de pêcher. Sur 45 km de cote, 12 seulement sont libres d’accès pour les palestiniens.
Non loin de là, un bulldozer blindé, protégé par un blindé transport de troupe en protection rapprochée ainsi que par deux chars d’assaut positionné en haut de la colline, détruit les plantations et leur système d’irrigation d’un champ qui vient tout juste d’être pris à un paysan. Nous nous avançons avec deux banderoles jusqu’à ce que le char fasse un tir à blanc de sommation. C’est la limite à ne pas dépasser, nous restons là un moment le temps de discuter avec le propriétaire bouleversé devant sa terre qu’on lui arrache et qu’on détruit.
La maison d’un paysan, oasis d’ombres et de fleurs, révèle aussi une autre réalité, des arbres ont été détruits et arrachés en septembre dernier et récemment, il y a quinze jours, c’est au tour des serres et des cultures. L’armée se venge sur les paysans quand il y a des affrontements avec les combattants palestiniens. Elle leur reproche ( c’est un prétexte) de les laisser passer sur leur terre, mais ceux-ci ne sont même pas au courant des passages potentiels qui s’effectuent bien souvent la nuit.
Après un copieux déjeuner au Centre Palestinien des Droits Humains, Raji Sourani, avocat des droits de l’homme et fondateur des associations de droits humains dans le monde arabe, et Youssef Abo Safia, ministre de l’environnement de l’Autorité Palestinienne, nous présentent la situation palestinienne en insistant notamment sur le problème des déchets industriels polluants, qui est en train d’empoisonner la terre et l’eau.
Rencontre avec le comité populaire de gestion du camp de réfugiés de Al Braij. Ils nous expliquent la situation du camp, les questions scolaire et sanitaire ; ils posent le problème des déchets, de l’eau non potable et qu’ils n’ont qu’une fois par jour et pendant une heure seulement.
Mardi 24 juin
Départ à 6h 30 direction Rafah
Nous sommes bloqués au niveau du passage d’une route de colons, un barrage y est établi. Celui-ci est arbitrairement fermé pendant des heures et parfois pendant des jours.
Un petit groupe d’entre nous décide de remonter la longue file de voitures et de camions. Arrivés au bout de la file, nous prenons en photo un bulldozer suivi d’un char traversant la route. Soudain, deux militaires furieux s’approche de nous pour confisquer l’appareil.Nous décidons d’aller tous ensemble le récupérer. Il faudra avancer et interpeller plusieurs fois les soldats, et faire intervenir le consulat pour pouvoir récupérer au bout de presque une heure l’appareil. Le but n’était pas simplement de le récupérer mais de ne pas céder sur une question de droit.
Au moment où nous récupérons l’appareil, les soldats nous annoncent la réouverture du barrage. Nous remontons donc en voiture et filons sur Rafah où le maire nous attend.
Nous rejoignons ensuite les habitants du bloc O, à la limite de la frontière égyptienne. Notre tâche est très simple : depuis dix jours les habitants, les ingénieurs et les ouvriers attendent que les internationaux viennent s’ interposer pour pouvoir réparer la station d’épuration. En effet, ils ont l’autorisation officielle des israéliens pour ce travail, néanmoins dès qu’ils s approchent ils se font tirer dessus.
Nous nous postons devant la station. Quelques tirs de balles assourdissantes partent d’une casemate située à une centaine de mètres, ce qui n’arrête pas le travail qui a commencé.
Tout à coup un char fonce le long du mur de la frontière égyptienne et stoppe devant la pelleteuse. La lucarne du char s’ouvre, quelques balles à blanc sifflent obligeant la pelleteuse à se replier.
Finalement les travaux reprennent jusqu’à 17 h.
Un copieux repas nous aura été offert, le char aura fini par partir. Nous y retournerons demain les travaux n’étant pas finis.
25 et 26 juin (par téléphone)
Rafah : les effets de la politique coloniale dans toute sa brutalité ...
Les internationaux ont participé à une opération de réparation de la station d’épuration du Bloc O. Cette partie du camp de Rafah jouxte la frontière avec l’Egypte, et pour cette raison les israéliens ont depuis plusieurs mois détruit plusieurs dizaines de maisons afin d’étendre un véritable no man’s land (70 maisons rasées avec les bulldozers).
Ils tirent ensuite systématiquement sur les habitants lorsque ceux-ci s’approchent du lieu des destructions, et appliquent ainsi une véritable terreur sur la zone.
La destruction de la station d’épuration procédait de la même politique : rendre les conditions de vie des habitants impossibles, en leur enlevant le droit le plus élémentaire à l’hygiène et à une vie décente.
Le principe de la présence d’internationaux avait été retenu lors d’une précédente mission, et cette présence était fortement souhaitée par les Palestiniens afin de protéger les techniciens et ingénieurs intervenant sur le terrain. C’est sous la menace d’un char que les travaux ont commencé ce mardi, mais la présence d’internationaux parait avoir été dissuasif, malgré un moment de grande tension.
Aujourd’hui mercredi, une délégation de la mission de protection a rendu visite aux propriétaires d’une maison de la même zone et qui sera détruite (après "expropriation") pour cause de construction d’autoroute, laquelle va littéralement couper Gaza en morceaux.
Jeudi 27 et vendredi 28 juin
Gaza, Hébron (Khalil) et Ramallah
Jeudi 27 juin
Conférence de presse dans les bureaux du Palestinian Centre for Human Rights de Gaza. Sont présents trois journalistes de médias palestiniens.
Ils nous ont posé des questions dont celle de savoir comment nous comptions poursuivre notre engagement en France, ou encore si de là-bas nous avions pu imaginer ce que nous voyons ici.
Durant toute cette matinée, la question restait pendante de savoir si nous devrions ou non retourner à Rafah sur le site de la station, où quatre italiens nous ont succédés. Nous apprenons au début de la conférence que des tirs qualifiés par Jabber de nourris ont accueilli ouvriers et internationaux à leur arrivée.
Mais à la fin de la conférence, finalement, arrive la nouvelle que de nouveaux contacts ont eu lieu entre Palestiniens et israéliens, et que le travail a pu être achevé. Ils nous invitent a partager ce moment de joie avec eux mais nous partons pour Hebron.
A Erez, que nous repassons sans encombre en bons reblochons que nous sommes, nous croisons un "transfert", c’est a dire une déportation d’une douzaine de Palestiniens vers Gaza. Impression funèbre.
Lorsqu’on sort de ce pays terriblement denué, opressé et morcelé qu’est la "Bande de Gaza", et qu’on retrouve un pays ou tout semble aller de soi, rouler sur des roulettes de richesse et d’insignifiance soupçonneuse, on a l’impression de tout laisser derrière soi, et c’est insupportable.
Après, dans le car nous a rejoints un militant du FPLP qui a passe trois ans et demi en prison.
Lorsque l’une d’entre nous, avec hésitation, lui demande d’en parler, il n’entre pas dans les détails mais nous dit qu’enfermés, tous les Palestiniens avaient leur corps en prison mais leur âme libre et dans les vergers.
"Ils vont construire un mur ; nous, nous en avons l’habitude, nous pourrons le supporter, mais pour eux, la vue seule de ce mur sera insupportable et réveillera leur peur."
Nous ne parvenons pas à passer le premier des 4 check points qui séparent Jérusalem d’Hébron. Il est trop tard.
Plus tôt, une autre équipe avait pu aller en véhicule jusqu’ au quatrième et terminer à pied. Même échec sur la route de Bethléem, au dernier check point encombré de chars.
Ici prend place un évènement supplémentaire. Près du car sont deux jeunes filles en noir et un petit garçon. Elles veulent rentrer à Bethléem. Nous décidons de les raccompagner jusqu’au check point. Arrivés là, nous commençons a négocier. Les soldats veulent d’abord que nous partions, puis finissent par accepter que nous restions à quelque distance. Les jeunes filles et l’enfant s’avancent, nous restons un peu en arrière, en manifestant notre intention de ne pas partir tant que nous ne les aurons pas vus de l’autre côté. Une jeep arrive a leur hauteur, parlementations, elles nous font au revoir de la main en souriant ; mais ce geste nous semble tellement télécommandé que nous restons.
Un soldat téléphone. Une camionnette civile finit par apparaître, prend à son bord les trois, et repasse le check point vers Jérusalem. Youssef nous explique que c’est un Palestinien chrétien, membre d’une organisation confessionnelle en relation avec les soldats du check point, qui va les amener a Bethleem par un autre chemin.
Retour piteux à Jérusalem.
Vendredi 28 juin
Nous partons en taxi collectif pour Ramallah, et descendons de car au check point de Kalandia, qu’il n’est pas question pour nous de passer en véhicule ; check point qui, comme bien d’autre, a la propriété de s’avancer de mois en mois depuis Ramallah vers Jérusalem. Tout le monde y passe un par un.
Puis nous remontons dans deux taxis. Le check point est "ouvert", mais la ville sous couvre-feu. Au moment du départ, le chauffeur de l’un d’eux dit en riant à ses collègues : "Faites des prières pour nous et une belle photo si je deviens martyr !"
Nous entrons dans Ramallah, dont les rues principales sont fermées par des tas de terre. Les chauffeurs doivent emprunter des chemins qui contournent la ville par l’ouest.
Sur un mur : "Bienvenue dans notre colonie de vacances". C’est l’esprit de Ramallah. Au sud de la "Bande de Gaza", c’étaient des cars qui explosaient en vomissant flammes et têtes de mort qui ornaient ces murs...
C’est l’heure de la prière, et comme toute la ville la mosquée est vide. Le premier taxi descend une rue, du bas de laquelle surgissent brusquement deux land-rovers israéliens. Le haut-parleur se met immédiatement à aboyer. La première voiture monte à notre hauteur, en descendent deux soldats et un sous-officier.
Ce dernier se met, l’air hors de lui, à hurler sur le chauffeur cependant que les soldats balancent leurs armes en direction des fenêtres des maisons. Le sous-off, presque fou de rage, se met a donner des coups avec son casque sur la camionnette. Nous craignons le pire pour le chauffeur.
Celui-ci recule précipitamment, et retourne à quelques rues en arrière, ou par bonheur les soldats ne nous suivent pas. La seconde voiture a fait de même a distance. Le chauffeur hésite, on le comprend. Cependant, lui et son collègue vont quand même nous conduire jusqu’à l’immeuble du Palestinian Agricultural Relief Comitee, avant de repartir précipitamment.
Ce grand immeuble moderne abrite des organisations palestiniennes et des studios de télévision. Il a par sa hauteur et sa position un caractère stratégique pour le contrôle de la ville, ce que les occupants laissent rarement sans l’exploiter, c’est à dire prendre position dans le bâtiment.
Pour celui-ci, un accord est intervenu qui lui évite ce sort. Comme tous les accords entre fort et faible, il y a deux poids deux mesures. Les israéliens consentent à ne pas l’occuper ni le détruire. En "échange", il s’agit que les résistants n’y mettent pas les pieds ; par contre, les occupants peuvent les y mettre quand ils le désirent, contrôler qui y est, tout fouiller et même lire les archives ; dans leur grande mansuétude, ils sont censés ne pas tout casser en ce faisant.
En fait, ils ont déjà bousillé les émetteurs d’Al Watan.
Ramallah : demande de protection des services de secours
18e mission, les 28 et 29 juin (par téléphone)
Après l’habituel parcours d’obstacle pour rentrer dans Ramallah, la 18ème mission a pu rencontrer diverses associations.
Dans un immeuble ayant échappé aux destructions de l’armée d’occupation et dans lequel plusieurs personnes étaient bloquées suite au couvre-feu, la mission a eu des contacts avec un syndicat d’agriculteurs, un service de la télévision palestinienne et une association de secours médical.
Certains des participants à la 18ème mission ont accompagné cette association médicale dans ses déplacements en voiture et ambulance afin d’assurer par leur présence une protection aux infirmiers et médecins.
Ceux-ci courent en permanence le risque d’être pris pour cible par des tireurs embusqués de l’armée israélienne d’occupation, et la demande de l’association médicale est que des internationaux soient le plus souvent possible présents pour les accompagner dans leur travail. Une autre raison à cette demande est que les infirmiers et médecins ne veulent plus servir de "boucliers humains" à l’occasion des rafles effectuées par les israéliens. En effet, une pratique maintenant habituelle consiste à se faire précéder par des otages palestiniens au moment des perquisitions.
Pour cette raison une partie de la mission a décidé de rester quelques jours supplémentaires sur place.
Une petite manifestation a eu lieu ce samedi 29 juin contre le couvre-feu.
18ème Mission de protection - juin 2002