interview avec Bruce Cockburn
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Bruce en face d'un amphitéatre d'université bombardé, a Bagdad. La bombe ciblait le bâtiment d'à côté.
photo credit: Linda Panetta(opticalrealities.org) |
Le musicien canadien Bruce Cockburn (www.cockburnproject.net)
a retrouvé Les Amis de la Terre International
en revenant d'une enquête au front en Iraq du
12 au 19 Janvier. Bruce, protecteur des Amis de la Terre,
a voyagé en Iraq avec l'Evêque Thomas Gumbleton
de Détroit ; la journaliste photo Linda Panetta
de la School of the Americas Watch (www.soaw.org);
et le médecin auxiliaire Johanna Berrigan de
Catholic Worker (www.catholicworker.org).
Il a sorti 27 albums, dont le dernier, You've Never
Seen Everyhting, comporte des chansons écrites
après son voyage en 1999 au Cambodge.
Quelle ambiance règne à Bagdad ces
temps-ci?
C'est assez surréaliste. Bagdad ressemble à
une mégalopole en ruines. Il est clair que la
ville était animée et que certains endroits
sont encore magnifiques, mais à cause des sanctions
et de la guerre, c'est le désordre. Il n'y a
pas de traitement des eaux, par conséquent la
ville n'est qu'un gros égout ; certaines rues
sont inondées d'eaux usées et de produits
chimiques. Il est possible que d'importantes épidémies
se développent à cause du milieu et de
la pauvreté. L'air est noir de pollution. Il
y a beaucoup de violence dans l'air, et on entend tout
le temps des tirs de balles.
Dans les rues, c'est le chaos. Là-bas, les feux
de signalisation ne marchent pas et quelques flics essaient
de réguler la circulation. Il y a des barrages
routiers de partout, arbitrairement créés
par les soldats américains. Ils ont tiré
sur un vieil homme qui n'avait pas vu le barrage routier
ou entendu les soldats qui lui criaient de s'arrêter.
Il n'y a pas de cabine téléphonique, vous
ne pouvez donc pas appeler d'ambulance, et même
si vous pouvez vous rendre jusqu'à l'hôpital,
vous etes arrêtés aux barrages. Il n'y
a pas d'essence aux pompes et les gens attendent dans
des files de plus de 800 mètres pour remplir
leur réservoir.
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Les enfants qui habitent dans un bâtiment détruit par un bombardement en Iraq.
photo credit: Linda Panetta |
Il y a 80 000 sans abris a Bagdad. Les Etats Unis ne
font rien non plus pour ça : Le versement de
100 millions de dollars pour le logement public (en
plus des 87, 5 milliards de dollars donnés pour
l'occupation d'après guerre et la reconstruction
en Iraq) a été rayé de la facture.
Beaucoup de gens squattent dans des bâtiments
détruits par les bombardements, d'autres habitent
dans des camps. Les enfants traînent dans les
rues alors que leurs parents cherchent de la nourriture.
La nourriture se fait rare. Le programme de distribution
alimentaire qui s'est mis en place il y a 13 ans pendant
les sanctions est organisé par le voisinage,
donc si vous changez d'adresse vous devez attendre trois
mois pour continuer à avoir de la nourriture.
La Maison Blanche soutient avoir réhabilité
les écoles, mais Washington n'a fait qu'envoyer
des entreprises non iraquiennes pour repeindre les murs.
Il n'y a toujours pas de crayons ni de livres, à
cause des sanctions et des pillages d'après-guerre.
Les gens sont amers et craintifs. Leur vie a été
complètement ruinée et ces gens vivent
sous la menace constante de violence. Pourtant, ils
font preuve d'une ingéniosité surprenante.
J'ai visité un bâtiment détruit
par les ruines dans lequel 500 familles sans abri vivent
au milieu des gravats. Elles ont construit des murs
avec de vieux conduits de climatisation et ont apporté
de belles couches et des couvertures. Ces gens ont constamment
peur de se faire évincer, mais ils sont prêts
a défendre leur tout petit territoire.
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Bruce qui enseigne aux étudiants dans une Ecole d'Arts alternative - Baghdad
photo credit: Linda Panetta
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Quels étaient vos rapports avec les gens?
Nous avons rencontré des médecins, des
chefs religieux, des enfants dans un service cancérologie,
des mères dans une maternité, des gens
au Ministère de la Santé qui essayaient
de mettre en place un programme d'immunisation, des
artistes et des musiciens. Le médecin que nous
avons rencontré dans le service cancérologie
est très amer et furieux à cause du manque
de médicaments, de linges et d'infirmières.
Mais l'ambiance dans la maternité était
formidable, avec les mères et bébés
joyeux.
Les gens me regardaient fixement partout où j'allais,
mais dès que je disais ''Bonjour'', ils me faisaient
de grands sourires et disaient un mot en anglais qu'ils
connaissaient. J'ai rencontré des musiciens,
ils jouaient avec un joueur de ''oud'' (luth), ce qui
était fantastique. J'ai trouvé que le
contraste entre la politesse, la civilité des
gens et la violence qui les entoure était très
touchant. Un jour, un garde a cherché mon étui
à guitare, parce qu'il le devait, mais s'est
ensuite excusé – ''Pardonnez-moi Monsieur''.
Les soldats américains semblent faire de leur
mieux pour être civils et respectueux, mais ils
ne savaient pas comment faire. Un jour, on s'est fait
attraper au milieu d'une manifestation de gens qui chantaient
et scandaient des slogans et les soldats criaient ''dégagez
la route'' mais bien sur, personne ne réagissait.
Donc, ils ont crié plus fort et ont commencé
à pousser les gens. En fait, ils ne sont pas
entraînés pour s'occuper des gens de manière
socialement acceptable.
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Bruce collecte des informations sur les conditions de vie dans les squats.
photo credit: Linda
Panetta |
Quel futur voyez-vous pour l'Iraq?
Je sentais beaucoup de suspicion quand j'étais
en Iraq. Les soldats américains ne se soucient
pas des gens qu'ils tuent, américain ou iraquien.
Ils ne font pas ce qu'ils ont promis ici. Les citoyens
américains doivent exercer des pressions sur
leur gouvernement pour fournir la sécurité
et satisfaire les besoins primaires a la vie. Le manque
d'électricité est inexcusable –
s'ils peuvent faire venir des tanks ils peuvent aussi
sûrement faire venir des générateurs.
Après la Guerre du Golf, Saddam Hussein a réussi
à rétablir l'électricité
en une semaine, alors que les Américains n'y
sont pas arrivés en dix mois.
Les gens ne se sont pas fait l'illusion sur le fait
que cette guerre allait libérer les iraquiens
; ils croient que le seul sujet à l'ordre du
jour est le pétrole. Ils sont contents que Saddam
Hussein soit parti, et certains sont contents que les
Américains soient là. Beaucoup d'entre
eux n'ont jamais connu la démocratie, et n'ont
jamais eu l'occasion de penser à des choix politiques.
Il y a encore beaucoup à faire en Iraq, et il
nous reste beaucoup plus à faire que ce que la
Maison Blanche veut nous faire croire. J'ai l'intention
de parler de mon voyage à beaucoup de gens, et
de raconter à mon auditoire ce que j'ai entendu
et vu là-bas durant ma prochaine tournée
à travers le Canada, les Etats-Unis et l'Australie.
Si j'ai de la chance, je pourrai même sortir une
chanson de ce que j'ai vécu, mais on verra bien!
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