Un
parachutiste épuisé
se repose dans une tranchée.
Varaville, 6 juin 1944. |
Photo
par John Ross, reproduite avec
l'autorisation des Archives de
l'Association du 1er Bataillon
canadien de parachutistes. |
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La compagnie C avait reçu la mission
d'éliminer la garnison ennemie postée
à Varaville et la position d'artillerie
sur la route près du château,
de détruire le pont sur la Divette,
ainsi que la station de transmission radio
près de Varaville. Étant donnée
la taille des effectifs de la compagnie,
c'était une tâche colossale.
Au château de Varaville, l'ennemi
avait établi un canon anti-char de
75 mm et des fortifications comprenant bunkers
et tranchées. Et le nombre des soldats
ennemis, autant ceux qui contrôlaient
le carrefour que ceux postés à
Varaville même, était plus
élevé que prévu. Les
difficultés auxquelles allait faire
face le petit groupe, lâché
dans les environs immédiats, étaient
encore aggravées par le fait que
les parachutistes étaient passablement
dispersés. Seulement trente d'entre
eux, tous grades confondus, avaient atteint
la zone cible, les autres se retrouvant
dispersés, parfois jusqu'à
dix milles de leur but.
Le lieutenant S. (Sam) McGowan de la compagnie
C se posa à quelque distance de la
zone de largage mais réussit à
rassembler plusieurs hommes de son peloton
et à se diriger vers Varaville. En
approchant du village, ils tombèrent
sur deux sections d'infanterie allemande
et ouvrirent le feu. Un affrontement s'en
suivit qui permit d'interdire l'entrée
du village à l'ennemi et força
la reddition d'un certain nombre de soldats
allemands.
McGowan établit un QG de compagnie
temporaire dans un cimetière, utilisant
le clocher de l'église comme poste
d'observation. Peu après la vigie
détecta une section ennemie qui s'approchait,
traversant un cratère ouvert par
les bombardements. Un groupe fut envoyé
pour les retenir avant qu'ils n'atteignent
le cimetière. La section allemande
fut finalement repoussée; elle laissa
trois morts derrière elle dans le
cratère...
La compagnie C dut par la suite essuyer
un tir nourri de mortier et d'artillerie
ennemie, de même que le feu de francs-tireurs
cachés dans les bois et les maisons
voisines. Les civils français apportèrent
une aide considérable au peloton
de McGowan, les femmes soignant les blessés
et les hommes offrant de faire le coup de
feu pour chasser l'ennemi. Un français
à qui l'on avait remis un béret
marron et une arme réussit à
abattre trois francs-tireurs. Malgré
la violence des tirs, McGowan parvint à
maintenir sa position dans le village jusqu'au
milieu de l'après-midi alors qu'il
fut relevé par le 6e commando de
troupes cyclistes britanniques. Il continua
alors sa route vers le campement de bataillon
au carrefour du Mesnil.
Le major H.M. (Murray) MacLeod de la compagnie
C avait été le premier à
sauter de l'avion numéro 10 et avait
touché terre à l'extrémité
nord de la zone de largage. Son ordonnance,
le soldat P. I. Bismutka, avait atterri
non loin de là. Tous deux se dirigeaient
vers le point de rendez-vous lorsque les
Lancasters qui avaient reçu l'ordre
de bombarder la batterie de Merville survolèrent
l'endroit, certains lâchant leurs
bombes sur la zone de largage des parachutistes.
Ce raid, totalement inattendu, laissa MacLeod
et beaucoup d'autres en état de choc.
Quand le barrage se termina enfin, MacLeod
et Bismutka continuèrent leur route
vers le point de rendez-vous qu'ils atteignirent
vers minuit et demi.
Le lieutenant H. M. Walker, le sergent G.
Davies, le caporal W.E. Oikle, et le soldat
G. « Mousie » Thompson
arrivèrent au même moment,
et y retrouvèrent les sergents M.
C. MacPhee et R. O. MacLean, le caporal
A. M. Saunders, et les soldats W. S. Ducker,
B. Swim, R. Mokelki et A. J. McNally. Les
choses ne se passaient pas du tout comme
prévu. Il y aurait dû y avoir
près de 100 hommes au rendez-vous
à minuit et demi, mais MacLeod n'en
avait que 15. Le plan exigeait des troupes
lourdement armées, avec des équipes
de mitrailleurs, des mortiers lourds et
des torpilles de type Bangalore. Au lieu
de cela, le petit groupe disposait seulement
d'un fusil anti-char PIAT, de trois mitraillettes
Sten, de huit fusils et du revolver de MacLeod;
guère le type d'armement requis pour
s'emparer d'une position ennemie solidement
défendue. Il fallait changer le plan.
Malgré ses effectifs ridiculement
faibles, le major MacLeod entreprit d'attaquer
les défenseurs de la position allemande.
Ils se faufilèrent à la faveur
de l'obscurité en direction de Varaville;
en route, ils tombèrent sur le soldat
F. Rudko qui conduisait un groupe de cinq
fusiliers du 9e peloton, en état
de choc sérieux à la suite
des bombardements; mais tous étaient
vivants et ils avaient leurs armes avec
eux.
Le largage principal sur la zone cible devait
commencer dans 25 minutes et MacLeod décida
d'attaquer les positions défensives
pour les empêcher d'intervenir lorsque
le reste de la brigade sauterait. Les Allemands
alertés par les bombardements aux
environs de Varaville avaient quitté
leurs baraquements pour leurs positions
défensives, mais rien ne laissait
croire qu'ils se soient rendus compte de
l'invasion aéroportée.
MacLeod et ses hommes réussirent
à traverser le village sans être
repérés et atteignirent le
corps de garde du château. C'était
une impressionnante construction en briques
jaunes, à quelque distance du château
lui-même et qui dominait la position
défensive des Allemands, qui consistait
en une longue tranchée protégée
par de la terre et du béton, avec
des ouvertures pour les mitrailleuses disposées
à intervalles réguliers. À
chaque extrémité de la tranchée,
il y avait un bunker; il y avait aussi derrière
la tranchée, ce que MacLeod ne devait
découvrir que plus tard, un canon
de 75mm.
Une partie du petit groupe pénétra
dans le bâtiment et les hommes entreprirent
de le fouiller deux par deux. Ils s'aperçurent
que le corps de garde avait été
utilisé comme baraquement avec six
lits superposés dans chacune des
huit pièces. L'édifice était
vide, mais l'état des lits montrait
qu'ils avaient servi récemment et
avaient été évacués
en hâte, probablement lorsque les
bombardements avaient commencé. MacLeod
calcula que 96 lits voulaient dire 96 soldats
et mis ses hommes en position autour du
corps de garde.
Le lieutenant Walker plaça 12 hommes
dans un fossé peu profond, là
ou le groupe de tir de couverture aurait
installé ses mitrailleuses si les
choses s'étaient déroulées
comme prévu. Le reste des hommes
se répartirent autour du bâtiment.
Les majors MacLeod et Thompson montèrent
à l'étage pour observer les
positions ennemies, laissant Swim et Rudko
pour garder les portes. Quelques minutes
plus tard, dans un fracas de tonnerre, des
fragments de brique et des gravats mitraillaient
les deux hommes et le rez-de-chaussée
se remplit d'une dense poussière
de plâtre. Swim et Rudko gagnèrent
la porte en tâtonnant et sortirent
dans la cour pour respirer. MacLeod comprit
alors qu'en plus de la position défensive
solidement protégée, l'ennemi
disposait d'un canon de gros calibre.
Leur seule chance d'éliminer cette
pièce d'artillerie était d'employer
le PIAT. MacLeod vit monter à l'étage
le caporal Oikle et son PIAT, lui demandant
de viser le canon. Oikle visa soigneusement
et tira, mais le tir fut trop court de quelques
pieds et l'obus explosa sans effets devant
le muret de béton qui protégeait
la pièce d'artillerie. Oikle rechargea
son arme, mais avant qu'il ne puisse tirer,
le canon de 75 répliqua à
sa première salve. Un obus explosif
troua le mur de l'édifice, faisant
sauter les munitions du PIAT. Le caporal
Oikle et le lieutenant Walker furent tués
sur le coup et MacLeod mortellement blessé.
Bismutka, qui venait de pénétrer
dans la pièce pour annoncer qu'il
amenait un groupe supplémentaire
de quinze hommes avec une mitrailleuse,
fut lui aussi blessé mortellement.
Thompson, le cinquième occupant,
restait vivant, tenant encore son fusil
brisé; la partie de sa main qui tenait
la crosse avait été emportée.
Hanson arrivait avec deux hommes supplémentaires
lorsque l'explosion se produisit; les Canadiens
étaient maintenant au nombre d'une
trentaine. Le soldat W.D. Ducker, l'auxiliaire
médical, ne put rien faire pour le
major MacLeod, qui mourut quelques minutes
plus tard, la tête sur les genoux
de Hanson. Thompson et Bismutka furent transportés
par Ducker au poste de soins du château;
Bismutka devait y mourir peu après.
Hanson étudia alors sa situation
: il avait 30 hommes, dont quatre sergents,
quatre caporaux, quelques vingt soldats,
et lui-même. Du point de vue du matériel,
ce n'était guère plus brillant.
Le canon PIAT était perdu, mais on
avait maintenant une mitrailleuse; sinon,
les Canadiens disposaient de quatre mitraillettes,
de vingt fusils et d'un assortiment de grenades
et de bombes « Gammon »
. Chaque officier avait un revolver. Hanson
envoya deux hommes au Mesnil pour faire
rapport de la situation et pour demander
le canon de campagne de 17 livres sur l'arrivée
duquel il comptait. Entre temps, il n'y
avait guère autre chose à
faire que d'employer les tireurs à
garder les Allemands confinés à
leur bunker.
Peu après, le caporal D. Hartigan
et le soldat W. C. Mallon traversèrent
le village et s'approchèrent des
défenses du château, croyant
que le combat était terminé.
Par miracle ils réussirent à
atteindre le bord du fossé; le sergent
D. F. Wright leur cria d'y plonger juste
au moment où le tir des mitrailleuses
ennemies balayait la route. Le caporal Hartigan
apportait un mortier de deux pouces qui
augmentait un peu la maigre puissance de
feu des Canadiens mais n'était pas
suffisant devant l'artillerie de la position
allemande. La situation demeura bloquée
encore plusieurs heures.
À huit heures et demie, les Allemands
hissèrent un drapeau blanc et envoyèrent
un émissaire pour négocier
avec le capitaine Hanson. Ils souhaitaient
évacuer leurs blessés car
ils n'avaient pas de personnel médical
dans le bunker et, avec l'accord de Hanson,
retournèrent à la tranchée
pour en sortir les blessés. Deux
soldats poussant une charrette avec trois
blessés, et accompagnés de
trois autres blessés en état
de marcher, apparurent et descendirent vers
le château. Quand les cinq Allemands
atteignirent l'endroit d'où Hartigan
et Mallon avaient plongé dans le
fossé pour éviter les tirs
ennemis, des mitrailleurs allemands ouvrirent
le feu sur leurs propres hommes, criblant
de balles la charrette et les blessés;
les deux soldats qui poussaient le véhicule
s'en sortirent indemnes et quand ils eurent
repris leurs esprits détalèrent
vers le château et le poste de secours.
À ce moment, on entendit une terrible
explosion en direction du sud-est. Tous
comprirent que le pont de Varaville venait
de sauter et les parachutistes crièrent
leur joie : un de leurs objectifs avait
été atteint grâce au
sergent Davies et à ses hommes. Beaucoup
poussèrent aussi un soupir de soulagement
: il serait beaucoup plus difficile aux
chars ennemis d'atteindre maintenant le
village.
Peu après dix heures, le caporal
Hartigan rassembla son mortier de deux pouces
et quelques obus, et se faufila dans un
fossé de drainage peu profond, et
qui formait un angle droit avec la dépression
dans laquelle le gros des parachutistes
étaient abrités. Ce fossé
l'amena suffisamment près des positions
de l'artillerie ennemie pour qu'il puisse
les atteindre. Appuyant le mortier contre
la base d'un petit arbre et le tenant presque
horizontalement, il tira quatre obus en
succession rapide contre les positions allemandes,
puis plusieurs grenades fumigènes.
Reddition
de soldats allemands au corps
de garde du château de Varaville,
6 juin 1944. |
Photo
par John Ross, reproduite avec
l'autorisation des Archives de
l'Association du 1er Bataillon
canadien de parachutistes. |
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Il regagna en rampant rapidement la dépression,
s'attendant à être la cible
d'un feu nourri. Mais rien ne vint. Quelques
minutes plus tard, un drapeau blanc s'élevait
à nouveau du bunker et le caporal
Hall, le seul officier médical survivant,
accepta la reddition des 43 soldats allemands
qui tenaient encore la position. Le caporal
John Ross, l'opérateur radio, peu
après dix heures transmettait au
QG le mot de code « Blood »
(qui signifiait une victoire à Varaville).
La bataille de Varaville venait de prendre
fin.
La reddition des fortifications ennemies
à Varaville signifiait aussi la libération
d'un commandant de détachement du
peloton d'obusiers qui s'était posé
en parachute sur le blockhaus ennemi et
des caporaux MacKenzie et Mowat du 224e
régiment d'ambulanciers de campagne
qui avaient atterri à l'intérieur
du tracé des barbelés.
Les parachutistes occupèrent les
positions ennemies au cas où les
Allemands contre-attaqueraient, confiants
qu'avec les armes et les munitions saisies,
ils pourraient faire bonne figure. Cette
contre-attaque ne vint jamais et au milieu
de l'après-midi, les commandos britanniques
envoyés en relève arrivèrent
de la plage et occupèrent le village.
Le temps était venu pour la compagnie
C de quitter la position. Le petit groupe
de parachutistes rassemblait ses prisonniers
et se préparait à gagner le
carrefour du Mesnil lorsqu'on s'aperçut
qu'une patrouille allemande ayant pénétré
dans le château durant les combats
avait fait prisonniers tous les blessés
canadiens.
Pour les soldats qui quittaient Varaville,
la marche vers le Mesnil dut sembler d'un
bien moindre intérêt. Ce fut
cependant le long de cette route de trois
milles qu'ils durent pour la première
fois affronter les tirs nourris d'ennemis
embusqués. La route longe le bord
ouest du Bois de Bavent et, pavée,
traverse Petiville, Saint-Laurent et Laroucheville.
À plusieurs reprises le petit groupe
se trouva sous le feu ennemi et chaque fois,
deux sections furent détachées
pour régler le problème. Huit
autres prisonniers furent ajoutés
au butin et à six heures du soir,
le jour du Débarquement, le capitaine
Hanson et ses hommes épuisés
arrivaient au campement de bataillon établi
au Mesnil.
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