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SUCCÈS D'ARIANE 5 ECA : la guerre des lanceurs relancée ?
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Deux ans après son échec, la nouvelle Ariane 5 ECA, dite « dix tonnes », renoue avec le succès. Tout n’est pourtant pas gagné pour Arianespace qui doit maintenant se battre afin de s’imposer sur un marché âprement disputé.
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Pourquoi Arianespace a-t-elle besoin de l'Ariane 5 ECA ?
Jean-Yves Le Gall, président d'Arianespace...
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Une nécessité urgente Mais l’Ariane 5G est sur le point d’être dépassée. Non pas technologiquement, mais du point de vue de sa capacité d’emport. Les 6,5 tonnes qu’elle peut placer en orbite de transfert géostationnaire* sont insuffisantes lorsque, pour proposer des tarifs attractifs, il faut, comme Arianespace, pratiquer le lancement double, c’est-à-dire envoyer deux « gros » satellites dans l’espace à chaque tir.
Car les satellites ont une fâcheuse tendance à grossir d’année en année : « Un gros satellite pesait une tonne voici trente ans. Il en faut quatre aujourd’hui, avec des pointes jusqu’à six », note Rachel Villain, analyste spatiale chez Euroconsult. La version « 10 tonnes » d’Ariane, officiellement baptisée Ariane 5 ECA, était donc une nécessité urgente. Mais le programme a connu un grave échec le 11 décembre 2002, lors de son vol inaugural.
Quelques minutes après le lancement, l’appareil, lancé à pleine vitesse, est soudain devenu incontrôlable. Le divergent, c’est-à-dire la partie métallique en forme de cloche qui se situe à la base du moteur, s’est délité, soumis à des charges physiques et thermiques supérieures à ce qu’il pouvait encaisser. Or, c’est cet élément qui permet à la machine d’ajuster sa trajectoire en orientant les gaz brûlants, à plus de 1000°C, qui s’échappent du moteur.
* L’orbite de transfert géostationnaire (GTO) est l’orbite intermédiaire sur laquelle sont déposés les satellites destinés à l’orbite géostationnaire, laquelle se situe à 36 000 kms d’altitude et permet à une masse de tourner en même temps que la Terre.
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Pourquoi deux ans d'attente ?
Jean-Yves Le Gall, président d'Arianespace...
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Ariane 5 dans un marché bouleversé Deux ans plus tard, Ariane 5 ECA est prête à revoler. Le second vol de ce monstre spatial a eu lieu le 12 février 2005. Son divergent a été modifié en profondeur et grandement renforcé. « Il avait été dessiné et conçu en fonction de la théorie de l’époque. Il s’est avéré qu’elle n’était pas applicable pour un divergent de cette taille », explique Jean-Yves Le Gall.
Mais, surtout, le lanceur a été revu de fond en comble. Tous ses systèmes ont été à nouveau testés. Les ingénieurs espèrent ainsi être parvenus à un engin à la fois robuste et fiable, à l’image d’Ariane 4 dont le taux de succès était si élevé qu’au temps de sa splendeur il était lancé toutes les trois semaines.
Il lui faudra faire effectivement preuve de ces grandes qualités s’il veut se maintenir en position dominante sur le marché extrêmement concurrentiel du lancement de satellites. Car le nombre d’engins à envoyer dans l’espace s’est effondré depuis l’éclatement de la « bulle » Internet, en 2001.
Depuis cette époque où l'on s'imaginait que le Réseau serait la base d'une nouvelle croissance économique, les entreprises de télécommunications, lorsqu'elles n'ont pas tout simplement fait faillite, ont dû revoir leurs ambitions à la baisse. Le temps est loin où Bill Gates, le patron de Microsoft, entrevoyait la mise sur orbite de centaines de satellites destinés à accompagner le développement explosif de l’Internet au niveau mondial.
En 2004, le nombre de satellites commandés pour des besoins commerciaux dans le monde a atteint une dizaine seulement. Et les concurrents sont nombreux pour un aussi petit marché. Face à l’Ariane 5 ECA se profile l’ombre de deux autres mastodontes, les fusées Atlas V Heavy et Delta IV Heavy, auxquels il faut ajouter des adversaires plus anciens, comme Proton ou Sea Launch.
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L'Atlas-5 de Lockheed Martin
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Atlas V et Delta IV : les militaires à la rescousse L’Atlas V de Lockheed Martin et la Delta IV de Boeing ont été conçues dans le cadre de l’initiative EELV (Evolved Expandable Launch Vehicle). Financé par l’US Air Force, ce programme a permis le développement de ces nouveaux moyens d’accès à l’espace dans le but de faire baisser les coûts de lancement de 25%. Grâce à ces lanceurs, les ingénieurs de Boeing et de Lockheed Martin comptaient s’arroger une partie du marché commercial, aujourd’hui composé principalement de satellites de télécommunications pour la télévision. Ce marché s’étant effondré, ils y ont partiellement renoncé.
Ainsi, pour son tir inaugural, qui a eu le 21 décembre 2004, la Delta IV n’a pas trouvé de passager privé. Seule a pris place à son bord une charge fictive financée par l’US Air Force, une maquette de satellite bardée de capteurs qui permettront de connaître avec précision les conditions de vol. L’Atlas V Heavy, quant à elle, devrait voler en 2006 pour la première fois. Proton : le Russo-Américain qui ratisse large Le vrai concurrent d’Ariane V, c’est lui ! Le lanceur Proton est clairement devenu « une arme de guerre » contre Arianespace, une arme maniée par son compétiteur américain, Lockheed Martin, qui exploite, pour cela, le savoir-faire russe. Et, surtout, leurs lanceurs bon marché.
Car le premier atout de Proton, c’est son prix. Cette fusée est construite par des Russes, en Russie, où tout se paie en roubles, une monnaie très dévaluée. Le taux de change rend ses lancements particulièrement séduisants du point de vue financier.
Ensuite, elle bénéficie de la garantie américaine. C’est en effet une société américaine, ILS (International Launch Services), dont font partie Lockheed Martin et le russe Khrunichev, qui commercialise Proton.
« ILS a été créé pour contrer Arianespace », affirme Rachel Villain. Et cela marche, comme l’explique Jean-Yves Le Gall, président d’Arianespace : « Grosso modo, nous prenons la moitié du marché et Proton l’autre moitié ».
Mais les lancements de cette fusée russe se font depuis la steppe désertique du Kazakhstan dans des conditions très relatives de confort pour les hommes et les satellites, ce qui peut rebuter les clients. D’autant que les Russes n’ont pas toujours montré leur capacité à adopter les critères occidentaux en matière de suivi qualité.
À cela s’ajoutent les difficultés qu’éprouve ILS à commercialiser la nouvelle version, dite « M », du lanceur, désormais capable de placer 5,5 tonnes sur orbite contre 4,8 à son prédécesseur, la fusée Proton « K ». Les clients sont en effet de plus en plus allergiques à la prise de risque et, donc, à la nouveauté.
Et puis, comme l’explique Jean-Yves Le Gall, ILS n’a pas « réussi à égaler le niveau de service offert par Arianespace à ses clients ». Cela comprend notamment la recherche de financements pour le lancement, d’assurances de la charge utile à bon prix, de suivi du satellite à toutes les étapes de sa construction pour s’assurer de sa complète compatibilité avec le lanceur.
Ainsi, sur le marché du lancement de satellites, le prix n’est-il pas tout, ce qui laisse à Arianespace la possibilité de s’y maintenir à une place encore avantageuse avec le premier carnet de commandes du secteur : 36 satellites à lancer dans les prochaines années (chiffre de novembre 2004). Sea Launch : l’alliance avec Arianespace Dans ce tableau, la société SeaLaunch de Boeing réussissait encore, ces derniers temps, à jouer les trouble-fête. Chaque année, elle réalisait un ou deux lancements commerciaux depuis une plate-forme pétrolière reconvertie en pas de tir d’où s’élevait le lanceur russo-ukrainien Zenith capable de propulser une masse de 6 tonnes sur orbite de transfert géostationnaire. Encore une fois, une société américaine exploitait des lanceurs de l’ancien bloc soviétique.
Mais, avec l’effondrement du marché, les concurrents d’hier se sont rapprochés. Arianespace et SeaLaunch font maintenant partie d’une alliance, la Launch Services Alliance, à laquelle appartient également le lanceur japonais H2 de Mitsubishi. L’accord qui lie ces partenaires prévoit qu’un client disposera d’une solution de rechange si l’un de ces lanceurs se trouve dans l’incapacité momentanée de réaliser le lancement prévu. Et cela fonctionne. Dans le cadre de cette alliance, le satellite DirecTV 7S, qui devait être envoyé dans l’espace par une Ariane 5 a finalement trouvé place à bord de la Zenith de SeaLaunch en mai 2004.
« Grâce à elle, Arianespace peut rassurer ses clients inquiets d’une éventuelle défaillance », analyse Rachel Villain. SeaLaunch, de son côté, réalise quelques lancements de temps à autres qui seuls peuvent lui permettre de rester crédible sur le marché. Bref, devant les bouleversements du secteur, les ennemis d’hier se sont trouvés des complémentarités.
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Quand le marché du lancement de satellites redécollera-t-il ?
Rachel Villain, analyste spatiale chez Euroconsult...
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Un avenir incertain Pour l’heure, Jean-Yves Le Gall affirme qu’Ariane 5 sera rentable avec six lancements par an, lesquels ne semblent pas impossibles à obtenir dès l’an prochain. L’un d’eux est déjà réservé à l’ATV (Automated Transfer Vehicle), le vaisseau automatisé européen servant à alimenter la Station spatiale internationale en fret. Les cinq autres vols devraient être composés de sondes interplanétaires à but scientifique, d'appareils à but d'observation militaire, ainsi que de satellites commerciaux. Cela tombe bien. Le chiffre d’affaires d’Arianespace stagne depuis deux ans à 600 millions d’euros quand il avait atteint plus du double, 1,4 milliard, en 2002.
Mais l’avenir est incertain. On ne sait pas encore quelles applications spatiales nouvelles vont émerger et quelle importance elles prendront. L’espace pourrait ainsi se peupler de nouveaux satellites si se développent des secteurs comme la radio numérique, la télévision haute définition ou l’utilisation des téléphones portables à bord des avions de transport. Si c’était le cas, Arianespace devrait en profiter. |
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