| Dernière modification: 02/12/2002 Conséquences tragiques... Quelles furent les conséquences de la mystification de Waterloo ? Napoléon, par sa réécriture de la bataille, est parvenu à tromper tout le monde, contemporains et postérité, sur les vraies causes de la défaite.
Tous les témoins français sont unanimes pour
accorder à la puissance de feu des Britanniques une part prépondérante dans le
résultat de la bataille. C'est l'avènement d'une nouvelle époque dans la
conduite de la guerre. Le temps de la supériorité de l'offensive (le choc à la
baïonnette, l'arme favorite des Français) est passé. Mais ce message est occulté par Napoléon, qui remplit de sa renommée l'espace mental des théoriciens français. Ainsi Foch, qui est en 1900 professeur à l'École de guerre, dit que la base de l'enseignement de cette école se trouve dans l'histoire. Et dans l'étude de cette histoire, il y a un grand maître, Napoléon : "Nos modèles et les faits sur lesquels nous assoirons une théorie, nous les demanderons à certaines pages de l'histoire : à cette époque de la Révolution où la Nation tout entière s'arme pour la défense de ses intérêts les plus chers : l'Indépendance, la Liberté ; à celle de l'Empire où l'armée, née de cette crise violente, est prise en main et conduite par le plus grand génie militaire qui ait jamais existé, donnant ainsi naissance à d'incomparables chefs-d'œuvre de l'art. " (Foch, Des Principes de la guerre, p. 24.) A longueur de pages, Foch insiste sur l'importance de l'étude de l'histoire dans l'établissement des théories de la guerre. Mais toute l'histoire, telle que Foch la connaît, est complètement faussée, pervertie, on l'a vu. Comment s'étonner, dans ce cas, qu'on en arrive à des théories militaires aberrantes ? On voudrait croire qu'on rêve, quand on lit des phrases comme celles qui suivent, écrites en 1900 de la plume d'un homme qui allait commander les armées françaises dans la guerre :
"Les lauriers de la victoire flottent à la
pointe des baïonnettes ennemies. C'est là qu'il faut aller les prendre, les
conquérir par une lutte corps à corps, si on les veut. (...) Fuir ou
se ruer, tel est l'inéluctable dilemme qui se pose. Se ruer, mais se ruer
en nombre et en masse, là est le salut. Car le nombre, si nous
savons nous en servir, nous permet, par la supériorité des moyens matériels
qu'il met à notre disposition, d'avoir raison de ces feux violents de
l'adversaire. Avec plus de canons nous éteindrons les siens, et de même des
fusils, et de même des baïonnettes, si nous savons tous les employer.
A Waterloo, la puissance de feu britannique a
brisé les offensives françaises. C'est un nouvel âge de la tactique qui commence
là. Ce que le professeur Bernard appelle la primauté de la défense sur
l'attaque.
"Le perfectionnement des armes à feu est un
surcroît de forces apporté à l'offensive, à l'attaque intelligemment conduite ;
l'histoire le montre, le raisonnement l'explique[1].
"Comme on le voit, la supériorité matérielle du feu croît rapidement au profit de l'attaque, avec le perfectionnement des armes. Combien croissent encore plus rapidement l'ascendant, la supériorité morale de l'assaillant sur le défenseur, de l'écraseur sur l'écrasé. Il est évident d'ailleurs que l'attaque devra prendre plus de précautions pour avancer ses 2.000 hommes, ses 2.000 fusils, pour les engager tous ; elle n'en reste pas moins supérieure en fin de compte, même au point de vue des feux. " (Foch, Des Principes de la guerre, p. 30.) Il n'est pas nécessaire d'avoir fait l'école de guerre pour comprendre que les balles de l'assaillant, qui court en avant en se découvrant, n'auront pas l'efficacité de celles du défenseur, qui a pu choisir sa position et est donc moins exposé. Le colonel Foch n'en tient pas compte. Comme il ne tient aucun compte de la mitrailleuse... Qui aurait osé contredire les affirmations de Foch, un brillant colonel d'artillerie promis à un bel avenir, qui avait appris les principes de la guerre en étudiant dans l'histoire les préceptes de Napoléon, le plus grand génie militaire de tous les temps ? Le résultat fut tragique. Les soldats le comprirent avant les généraux, témoin cette lettre de Michel Lanson, écrite en juillet 1915 : "L'attaque du 9 a coûté (c'est le chiffre donné par les officiers) quatre vingt-cinq mille hommes et un milliard cinq cents millions de francs en munitions. Et à ce prix, on a gagné quatre kilomètres pour retrouver devant soi d'autres tranchées et d'autres redoutes. Si nous voulons prolonger la guerre, il faudra renoncer à ces offensives partielles et coûteuses, et reprendre l'immobilité de cet hiver. Je crois que dans l'état de fatigue où sont les deux infanteries, c'est celle qui attaquera la première qui sera la première par terre. En effet, partout on se heurte aux machines. Ce n'est pas homme contre homme qu'on lutte, c'est homme contre machine. Un tir de barrage aux gaz asphyxiants et douze mitrailleuses, en voilà assez pour anéantir le régiment qui attaque. C'est comme cela qu'avec des effectifs réduits les Boches nous tiennent, somme toute, en échec. Car enfin nous n'obtenons pas le résultat désiré, qui est de percer. On enlève une, deux, trois tranchées, et on en trouve autant derrière." (Paroles de Poilus, Librio - Radio France, 1998, p. 63.) Combien de morts dans ces offensives inutiles, qu'une meilleure connaissance de l'histoire aurait pu éviter ? Il faudra les mutineries de 1917 pour que l'état-major français comprenne qu'il y avait un problème... Tragiques conséquences d'une tactique basée sur la connaissance de l'histoire telle qu'on l'enseignait avant 1914. (voir Visions) Le problème est que l'histoire de la Révolution et de l'Empire, telle qu'on la connaît aujourd'hui, va toujours puiser aux mêmes sources et se nourrit des mêmes images partiales, unilatérales et truquées. Il me paraît indispensable de nous dégager de cette vision, de renouveler l'image du passé et de l'adapter au présent, car elle conditionne notre avenir.
[1] L'histoire est fausse, le raisonnement qui suit est débile. Mais Foch est colonel, il sera maréchal. A quel prix ?
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