Ceci est la copie intégrale du carnet de
guerre de Maxime CARON, âgé alors de 20 ans caporal au 80éme régiment
d’infanterie, il n’a écrit que ces quelques jours, qui
ont du être les plus terribles pour lui.
Grâce au site du ministère des anciens
combattants, j’ai retrouvé les fiches de décès de ses copains , puis j’ai fait
des recherches et j’ai retrouvé les familles, leur ai raconté puis transmis ces
documents, 90 ans plus tard, ce fut beaucoup d’émotion.
Il commandait une escouade de 15 soldats, ce récit écrit de sa main
commence le
Christian Cappon (sept. 2005)
……La
cote 304 va être le théâtre d'une nouvelle période pénible et sanglante.
Le
Dès le
25 janvier, une attaque allemande, précédée d'une violente préparation
d'artillerie sur un large front, se déclenche sur le secteur à la gauche du
régiment, le 80e perd un petit poste par suite du fléchissement de la ligne
occupée à notre gauche par un autre régiment, mais il est arrêté sur le reste
du front de la 7e compagnie (compagnie da gauche). Le lendemain 26, un
bataillon est mis à la disposition du 342e pour
contre-attaquer et reprendre les tranchées perdues la veille par le régiment
voisin: cette opération réussit en partie. Nos pionniers amorcent une tranchée
pour relier notre gauche au quartier Brocart, travail exécuté la nuit à 15
mètres de l'ennemi, dans un terrain que le gel a durci. Les jours suivants,
grande activité d 'artillerie et des engins d'accompagnement……..
Journal de
combat du caporal Maxime Caron
25 Janvier 1917
« C’est
le 3éme jour de cette cruelle attente ou à tout instant chacun se
dit : « c’est aujourd’hui ».
Depuis le 23
nous occupons les abris en pleine forêt de
Bethelainville cachés au regards indiscrets des oiseaux boches toujours mauvais
plaisants et souvent trop pressés à faire quelque mauvais cadeaux.
En
effet depuis plusieurs jours ils se montrent plus hardis et sans cesse
cherchent à foncer vers nos lignes.
Certainement
c’est un signe précurseur et personne n’en doute, mais où se fera l’attaque et
quand se produira t-elle ?
Ce
matin là la canonnade s’est soudainement accrue, les obus ne nous sont pas
destinés mais déjà l’on sait que le boche bombarde l’arrière avec des obus
lacrymogènes et en même temps écrase à coups de grosses marmites la défense de
la côte 304.
A
Toutes
ces questions envahissent en même temps nos esprits, tout le monde est anxieux,
à peine se cause t-on, on pense aux camarades et le canon tonne, tonne toujours
en gros bourdonnements.
On
ne songe plus à chercher le bois qui le soir égayera les esprits, et
mélancoliquement on écrit une lettre, peut être la dernière.
Déjà
on songe à rassembler quelques affaires mais à autre sujet on n’en voit plus.
Un
appel « à la soupe « nous interloque tous, déjà il est
Deux
hommes sont partis aussitôt, à peine sont ils éloignés qu’une autre voix
retentit : « alerte, montez les sacs, dans un quart d’heure
rassemblement au point indiqué ». On s’y attendait mais malgré tout, quel
coup de foudre, pas une protestation, chacun à la hâte roule et couverture et
peaux de moutons.
A
Arrivés
sur la route nous nous arrêtons, chaque compagnie se range, puis un signal
« en avant », la colonne s’ébranle, c’est le grand départ. Sur la
route glissante et par un froid de -20° on s’avance péniblement, vite quand
même car on perçoit les halètements des respirations. Chacun un bâton à la
main par ces chemins désolés, on a bien
l’aspect de malheureux mais malheureux résignés qui ne veulent pas paraître
tristes. Pendant plus d’un quart d’heure on marche de cette allure folle,
particulière aux gens nerveux, décidés d’un grand coup ou alors d’en finir pour
toujours.
Puis
la colonne s’arrête, abritée derrière un repli, agents de liaison vont et
viennent dans la nuit cherchant chacun leur chef et unité respectifs, et nous
déjà fatigués, reposons sur nos sacs, le fusil entre les jambes. Enfin après
plus d’un quart d’heure d’attente chaque compagnie se remet en marche, ou
va-t-on ? Maintenant les obus sifflent derrière nous, notre marche se
poursuit, on reprend la file indienne, la neige tombe à nouveau. Mais quelle
chance, nous arrivons dans des abris.
Que
veut –on faire de nous ?
Il est huit heures.
Oh, mais quels abris ! Presque des souterrains, les traverses et rondins
sont placés en croix, excessivement rapprochés ; avec quelques dix mètres
de terre qui nous recouvrent, nous sommes en entière sécurité.
Nous
casons par escouade et aussitôt, sans attendre ni quoi ni que, nous nous
installons pour suppléer à la soupe du soir ; sans grand appétit on mange,
puis sur le grillage on s’allonge tout équipé et bientôt on commence à dormir.
Vaguement je perçois quelques camarades
déchirant des lettres, tous pressentons le danger qui plane sur nous, mais quand même nous n’en
sommes que plus calmes.
A onze heures
« debout sac au dos, tout le monde dehors ». Le flot s’écoule à
nouveau, on est sorti, on pose les sacs et on attend. Pendant que les uns sont
partis chercher des grenades qu’ils ne trouveront pas, les autres vont à la
recherche de la roulante et reviennent au bout de 10 minutes porteurs de pinard
et café chaud ; on s’arrange pour avoir chacun sa part, mais la soupe, on
allait la manger, quand tout à coup « sac au dos ».
Le
silence reste le même, tout le monde est là mais les pensées et les cœurs sont
loin de nous. Où va-t-on ? A Esnes, dit le lieutenant ; tiens le
capitaine vient de rentrer. Pas de chance, dit il, j’arrive au bon moment. Il
est en tête, « en avant » commande t-il à voix basse, la troupe
s’avance en long cordon par un sentier couvert de neige et à peine visible.
La
canonnade fait rage, aucun obus ne vient vers nous mais certains passent haut
dessus nos têtes en longs hu…hu…hu…
Nous
approchons des batteries, leur salves éclatent terrible dans le silence de la
nuit, on croirait des forgerons battant sans trêve ni répit un acier
indomptable ; les éclairs se croisent dans le ciel et nous font paraître
sous la neige qui nous recouvrent, semblables à des juifs errant sur une terre
maudite. Notre marche est coupée d’à-coups, il faut franchir un réseau barbelé
ou des tranchées pleines de neige, plus
loin ce sera un ruisseau tout gelé. Les chutes ne se comptent pas, la neige
durcie sous les talons n’est plus qu’une glace, on roule et on culbute sur le
dos ou sur le ventre, les camarades vous aident à se ramasser et la longue
course continue silencieuse dans
Maintenant
les obus nous tombent dessus, on avance moins vite mais à chaque arrêt on se
laisse tomber et sommeiller de fatigue. Tout à coup l’allure s’accélère, le
boyau est moins profond, les obus fusent de plus prés, bientôt c’est une
débandade folle, une course d ‘ombres sur une nappe blanche parsemée de points
noirs. On bondit de trous en trous d’obus, d’instant en instant un cri
s’échappe d’une poitrine, un appel,
souvent le dernier, on ne cause pas, on pense en soi même affreusement dans une
semblable solitude.
Maintenant on débouche
au pas de course et on suit une nouvelle route, là vont et viennent
quelques coureurs, maintenant on se trouve un peu à l’abri des obus quels
qu’ils soient, fusants ou percutants. L’allure s’est vite ralentie, on se
retrouve un peu partout, on se reforme, ceux qui sont là et qui ont suivi tant
bien que mal. On croise une compagnie du 342éme qui va faire une contre
attaque, nous qui ignorons encore notre destinée, les regardons d’un air de
pitié ; ils sont en équipements, couverture et fusils en bandouillère, qui
s’approvisionnent silencieusement en grenades, on leurs en distribue 10 à
chacun. Ceux là, on ne se fait aucune illusion, ce sont les sacrifiés, pensons nous,
heureux que nous ne sachions rien sur notre compte. Tout à coup «
halte, abritez vous au talus! ».
Nous voici au parc du génie qui
va nous approvisionner, on quitte les sacs et on se laisse tomber mais
le froid nous saisit aussitôt, on se relève, on marche, on va de l’un à
l’autre, on apprend quelques nouvelles ; un sous lieutenant s’est brisée
les reins dans une chute, Pellé s’est fait une entorse en tombant, d’autres
sont touchés et puis certains sont disparus …………………..
« Alors, que fait-on ? Attendez, c’est l’ordre ! » Rompus
de fatigue on se couche sur la neige avec le sac sur le dos, et on s’engourdit
au point même de s’endormir, mais bientôt le froid de plus en plus pénétrant réveille
et fait ouvrir les yeux ; alors on regarde, on voit les obus incendiaires,
pareils à des comètes à longues queues passer dessus nous et éclater dans un
village, les fusées s’en détachent et continuent plus loin leur œuvre
destructrice.
Il est
Je marche en tête de la
2éme demi section, suivi de Duclos, Legris, Touraine, enfin des pas froussards,
Pascal ferme
Tout à coup, halte !
« On demande la compagnie de mitrailleuse, faites passer » ;
l’ordre circule de bouche en bouche et s’éloigne rapidement. Pas de
réponse ! Alors on répète : « le commandant réclame le
commandant de la 1ére compagnie de mitrailleuse ». Enfin il arrive, suivi
de ses agents de liaison. Probablement, on arrive se dit on ? Mais non, la
marche reprend de plus belle, sous un
tir de barrage infernal, il faut quitter le boyau, faire à découvert quelques
cent mètres ; on longe une voie de decauville, complètement broyée, de part et d’autre des trous béants qui ne
demandent qu’à nous engloutir, un faux pas et l’on disparaît. Et la course dans
la nuit continue, au milieu de la neige et de
Une
fois encore, on s’arrête, brisé……………on s’écroule dans le boyau, pour se causer
on crie. Ceux qui ont fait Verdun, ont vu Fleury et Vaux –Chapitre, on se dit,
ce n’était pas pire, cette fois c’est sur, on y restera ! Les nouveaux des derniers renforts nous
regardent effarés, nous ne sommes plus des hommes, on grogne, mais la rage
reste aux boches. C’est lui qui va payer, on lui passera ça, on va se
venger ! Triste illusion ! Ne nous attentent –ils pas
quelquefois ?
Une
fois encore on se remet en marche, on fait un vaste mouvement tournant vers la
gauche et maintenant on suit le flanc de la côte 304. Sur que les boches nous
ont vu, des fusées claquent en montant dans le ciel, des rouges, des vertes et
des blanches.
Ils doivent être impressionnés de nous voir
avancer à travers ce feu meurtrier ; les balles sifflent aux oreilles, on
rapproche de plus en plus car les obus éclatent un peu en arrière ;
quelques 88 nous font quelquefois encore
courber le dos mais on avance. On saute
de boyaux en boyaux, au milieu d’abris éventrés, cette fois on arrive en
première ligne.
La
deuxième section s’engage dans un boyau qui la conduira au poste de combat.
Comme c’est drôle, personne en ligne, on vient renforcer et on trouve
personne ! la section prend vers la
droite , pas de boyau , il est retourné ; les boches nous ont vus, peut être
croient-ils déjà qu’on attaque car ils demandent l’artillerie et font un
barrage de grenades. C’est un bouillonnement sourd, des gonds qui
s’entrechoquent activement et nous, nous avançons sans réplique, comme des
moutons qu’on abat. Maintenant on y est, c’est de là qu’on va attaquer, une
tranchée large et profonde avec devant quelques fils de fer. Je regarde l’heure 3h1/2, que fait-on, on
attend, les uns veillent, on ne voit rien, les boches nous dominent et les
autres sont allongés au fond de la tranchée et se reposent, insouciants de la
partie qu’on va faire.
J’ai
mis sac à terre et me suis assis sur une grosse motte apportée par un obus. Je
regarde en avant et cherche à la lueur des fusées quelques points de repère
afin de ma guider tout à l’heure. Je vois jaillir d’instants en instants
l’étincelle brève et claquante d’une mitrailleuse ; celle là, si je m’en
approche me dis-je son affaire est claire. Je la signale aux camarades et leur
dis de bien faire attention. Maintenant j’inspecte l’arrière pour me situer un
peu, il fait à peine clair ; je vois arriver dans le vallon les rafales
formidables d’obus boches, des colonnes d’eau, car il y a des marais, s’élèvent
et retombent en gémissant. Certes ils nous ont mal repéré car leurs obus nous frôlent
et éclatent au moins à 100 m plus loin. Tant mieux on en aura assez tout à
l’heure, se dit-on !
L’heure
tourne, le lieutenant passe et nous cause, on va attaquer par surprise au petit
jour, tout le monde en sera, une patrouille va partir et fera la liaison avec
le 2éme bataillon immédiatement à
droite.
Il est
Maintenant
c’est à nous de sortir, il est
Oui,
on va attaquer à 6h1/2, les boches n’y verront
que du feu, c’est par surprise, il faudra tous sortir ensemble et partir
au pas de course, on les sortira de
notre tranchée, puis ce soir on sera relevé, eh bien alors ça va barder, mais rien dans le ventre
depuis hier 10h ». Le capitaine passe à son tour au milieu de nous, il est
énervé et ne tient plus en place, il nous cause très peu, on a peine à le comprendre,
bientôt on le voit disparaître derrière un pare-éclat ; comme il semble
grand en vareuse avec le seul équipement d’une musette et d’un revolver ! Quelle belle cible ce
sera tout à l’heure ! On le reconnaîtra à plus de cent mètres.
Maintenant
on se prépare, les fusils sont chargés, les baïonnettes placées, car on peut
deviner ce qui va se passer, les grenades bien placées pour n’avoir qu’à
prendre et lancer. L’heure arrive, on soupire de l’un à l’autre, ce calme nous
pèse, nous broie le cœur ; de loin on revoit le passé, serait ce notre
heure ? Non, car ce qui se manifeste habituellement avant tous les forts
coups ne se rencontre aucunement chez nous.
Des
blessés se glissent en rampant sous les rafales, quelques uns sont frappés dans
leur course, d’autres s’arrêtent pour reprendre, ensuite, résultat d’une
affaire malheureuse, de la casse et pas de profit.
Les
boches étaient trop loin et nous attendaient, soutenus par des mitrailleuses
que j’ai cru vaguement être des nôtres par leur tac-tac précipité.
Et
que ferons nous tout à l’heure ? ce sera impossible de rester là , déjà les mitrailleuses du Mort
Homme nous annoncent la mort, mieux vaut essayer de regagner la tranchée de
départ, nous serons au moins à l’abri des balles. Ici une grenade à fusil nous
broierait, alors on n’hésite pas, en arrière, on rampe de trous en trous,
parfois on s’élance d’un bon, mais les balles nous suivent. Tant pis, encore
quelques mètres, risquons la mort ou sinon la délivrance, retardons l’heure
tragique. Un ramassement de toute l’énergie, de toute la volonté, de toutes les
forces, on s’élance follement, on trébuche, on roule, on se relève, on tombe
enfin dans la tranchée, sauvé cette fois encore.
Les
autres reviennent en rampant, l’abandonnant car il est tué, mais du sang les
rougeoie à la tête, par tout le corps ; les boches s’acharnent sur ce
malheureux groupe ! Par moment, je dois me baisser, sentant les balles me
frôler. Celui qui marche en tête, Touraine, semble traîner Oviez inondé de sang, d’autres rampent
derrière eux péniblement mais seuls quand même. Les voici, à l’entrée du boyau,
encore quelques mètres à franchir, ils seront avec nous. Touraine se glisse
et avec précaution, attire Oviez qui ne
peut remuer.
A
plusieurs moments ils doivent s’arrêter
pour éviter des grêles de balles, enfin ils tombent dans
Maintenant
les autres suivent, Tribotté se ramasse et s’élance vers nous, il retombe
frappé au milieu de nous, une balle lui a traversé la poitrine ; cette
fois c’est Artuis qui part, à peine s’est il soulevé qu’il retombe frappé à mort,
en portant les mains au coté. Les autres essaient de l’emporter, impossible,
ils le roulent dans une couverture et partent. Le lieutenant semble
blessé, il n’essaie pas de courir, il se
glisse vers nous et après un grand détour, arrive sauf, il a la cuisse traversé
par une balle, enfin le dernier, l’adjudant, saute dans la tranchée.
7h1/2………..tous
sommes tristes, accablés de malheur, pas de nouvelles des autres sections. Le
lieutenant envoie un agent de liaison au capitaine et attend. Le calme se rétablit
peu à peu, on entend en avant des gémissements et des appels déchirants,
impossible d’y aller, ce serait la mort.
Le
froid nous glace, la fatigue nous prend à nouveau, c’est le nouvel écroulement
de tout l’être. Maintenant , au détour du boyau, apparaît défait un agent de
liaison, triste nouvelle, Sartiges, Galtier, tués ; l’adjudant
blessé ; deux sergents tués, sur l’un, les boches se sont acharnés, le
criblant de grenades ; l’attaque décidemment n’a pas donné le résultat
espéré. Que va-t-on faire ?
Restent
l’adjudant et quatre sergents, le capitaine est tombé glorieusement de 2 balles
à la tête, à peine avait il escaladé le parapet ; avec lui 2 coureurs sont
tombés mortellement. Hécatombe
épouvantable !
9h :
maintenant je repose sur les marches d’une sape, nous sommes blottis Duclos et
moi, l’un contre l’autre ; il fait un froid insupportable, on ne peut
songer à boire le vin qui est glacé dans les bidons ; pour se réchauffer
on essaie vainement de manger un pain et une viande gelée. Enfin abattus de
fatigue, on s’endort en grelottant.
Oh !
Voici Voisin, il a noté les pertes et nous les annonce : tués, blessés et
disparus à la compagnie : 75 sur 130 d’effectif ; à l’escouade Pasquet est tombé aussi, prés du
capitaine Philippe blessé également ; pour la section ce soir, établir
coûte que coûte la liaison entre la 7ème compagnie et le bataillon,
cette tache nous laisse bien rêveurs, enfin on verra……
La
canonnade a diminué d’intensité, d’instant à autre une mitrailleuse clapote et
nous réveille. La fatigue nous tient et nous empêche de penser, juste si l’on
songe à absorber quelques nourritures. Les réserves que je possède en colis
sont tout à fait frigorifiées,le bout de
pain que nous n’avons mangé est devenu aussi dure que de la pierre et le pauvre
pinard tout gelé cliquette dans nos quarts. Le réconfort de cette froideur nous
rappelle à la réalité ; tour à tour nous sortons et inspectons notre
propriété. Le soleil daigne quelques instants jeter un coup d’œil distrait sur
les nouveaux martyrs de la journée, mais épouvanté de les voir si nombreux, il
referme les yeux et laisse revenir un froid plus mordant encore. L’éclaircie a
suffi et n’a pas été inutile, des avions s’en sont venus nous donner espoir et
par leurs acrobaties et leur témérité, ranimer nos courages.
12h ;
maintenant le bombardement recommence,
c’est un écrasement de torpilles, dés le début, on perçoit les départs puis le
lourd froufroutement.
Mais
bientôt les éclatements de leurs voix croasseuses couvrent tous les autres
bruits. La terre tremble en s entrouvrant et ses profondeurs remuées par le
choc, nous secouent étrangement. On
croirait qu’elle veut nous engloutir encore, mais, nous autres, soit
abattement, soit confiance, nous nous endormons tour a tour, laissant à nos
guetteurs le soin de veiller.
14h : je
me réveille comme après un long voyage, plus fatigue qu’auparavant. Ou
suis-je ? assis sur les marches d’une sape, le plus près de l’entrée,
Duclos, la tête appuyée sur mes genoux, dort d’un sommeil très agité. Legris,
devant moi, ronfle, le corps adossé a mes jambes ; ce n ‘est qu’un souffle
général. Ils reposent. Je ne veux les distraire.
Mais
voici Touraine, à l’ouverture de notre abri, c’est lui qui veille pour nous.
Me
voyant éveillé, il s’approche. Comme il a froid ! Le brave petit gars a dû
rentrer plusieurs fois durant les bombardements ; nos semblants de
tranchées ont été bouleversées et ont failli l’enterrer. Quand j’y songe, il
était seul et pouvait disparaître sans que nous le sachions et puissions le
secourir. Nous causons a voix basse et nous rappelons les incidents du
jour : « tu sais, me dit il, j’ai repéré le coin ou ils sont.
C’est
pas loin des boches et il faudrait faire doucement. Corbières est à moins de
Nous
entendaient ils ou se sont ils réveillés tandis que nous causions ? je
n’ai cherché a le savoir ; mais déjà tous savent le projet. Pascal est de
plus en plus anxieux de me voir partir.
Je
restai seul avec lui, Bruchon est d’un autre coté avec Ferré, ne voulant me
distraire, il prend ses dispositions pour joindre la 7ème compagnie.
L’adjudant Hugo qui nous a rejoint est pressé d’établir cette liaison. Il n’a
pas peur de mourir, mais il a peur que les boches nous coupent avec le 80. Il
redoute sa responsabilité, ça l’inquiète de commander notre compagnie si
réduite. Il ne me dit pas grand-chose mais seulement de rejoindre Pascal au
plus vite quand nous aurons terminé notre touche. Je sors tout le barda et
retourne m’engloutir pour parler encore avec les miens.
15h :
Duclos s’est secoué. Il est bien réveillé maintenant. On n’a presque pas pu
manger tellement c’était froid, on a encore faim. Nous partageons nos petites
réserves entre tous, moi je coirs en avoir pour l’escouade pendant 2 ou 3 jours.
Ce qui manquera ce sera peut être le pain. J’abandonne ensuite toutes mes
petites affaires ; il faut prévoir l’avenir et me munir de 2 musettes
vides, ce sera pour ranger leurs souvenirs. Nous parlions de nos pauvres
disparus. C’est un grand vide, chez nous depuis septembre, ils étaient avec
nous ; on s’était compris et sans le savoir, on était l’un pour l’autre
« ma chère escouade ». Quelle bonne entente entre nous et aussi quel
beau travail on faisait ! Les infatigables, on nous appelait !
Et
l’on parle aussi des siens, de la permission toute proche ; on ne maudit
plus la guerre et on se berce d’un pieux espoir
d’aller voir tout ce qui est cher. Tous attendons la fin de ce séjour en
ligne. C’est notre tour de perme.
Et
dans le silence qui se fait, le jour tombe pale et triste ; un grand
frisson nous secoue, de froid et d’horreur à la pensée d’une nuit dans la
neige, sur un champ de bataille.
16h : il
fait assez nuit pour s’aventurer sur le champ. Touraine me regarde :
« on y va ? » dis je. « Allons ! » répond il à
voix basse. Et lentement, comme des gens calmes, et sûrs de leur idée, nous
remontons l’escalier de leur abri.
Dehors,
un froid piquant, un vent du nord glacial qui coupe la respiration et pénètre
les chairs. Nous voici dans le boyau,
pas de fusil à la main, juste la baïonnette au coté et quelques grenades
en poche. On se secoue un peu comme pour faire partir le froid qui s’accroche a
soi désespérément et ainsi allégé, on s’avance presque allègrement mais avec
prudence.
Le
soir est calme, bien calme, pas de coup de feu, pas de fumée, au loin, vers le
Mort Homme, quelques claquements qui se répercutent au fond du ravin et dans
l’eau du marais, puis plus rien. Je marche devant, me baissant quelques fois ou
le boyau a été bouleversé et où il faut passer à découvert.
Depuis
5 minutes, nous allons ainsi enfin, nous sommes au point terminus, une sape a
notre gauche s’ouvre béante, il faut s’y glisser pour gagner l’autre extrémité
d’une tranché qui anciennement remontait ou sont les boches maintenant, et
remonter avec précaution car un léger camouflage la cache et le permet de
n’avoir aucune clarté du dehors. Je remonte par un petit trou, juste la place
d’un homme, et dans l’obscurité qui s’accroît, cherche à la percer de mes yeux.
Devant moi, l’entre deux lignes, un vallonnement tout blanc parsemé ça et là de
taches noires, trous d’obus et morts de la journée.
Sans
hésiter ni réfléchir, je me glisse et me coule dehors dans la neige et vais
droit vers un dernier repli, probablement un boyau qui se comble et que je
devine devant moi. Touraine en me suivant, me touche presque. Artuis (ARTHUIS
Dominique) est là, dit il, et il me fait voir le repli. Alors nous avançons
cote à cote encore quelques mètres, rampant ; nous n’apercevons rien,
enfin, nous touchons et glissons dans le vieux boyau.
Un
long frisson m’a secoué tout à coup : il est là devant mes yeux. Couché
sur le coté gauche recroquevillé, de ses mains crispées, il se tient le
ventre ; c’est là que la mort l’a eu, une couverture autour des jambes que
quelque inconnu lui a porté dans
Pendant
que j’étais blotti, j’avais perçu un tic-tac régulier tout proche de moi.
Qu’est ce ? Ce ne pouvait être ma montre, elle était trop éloignée de
l’oreille. Cette pensée n’avait pas suivi et j’avais oublié quand, en prenant
la main de mon pauvre camarade, je sens quelque chose au poignet. C’est une
montre. Je l’enlève, et me rappelant, la porte à l’oreille. Ce fut pour moi un
coup de massue : elle, survivre, quand lui n’est plus, ça ne pouvait être
et je ne pouvais comprendre : la matière résiste à la vie, ça non !
Ce
tic-tac m’énervait et me révoltait. Peut être aurais je broyé la pauvre montre,
si Touraine ne m’avait distrait en me chuchotant : »vite, on nous
attend là bas ». Et j’engouffrais vivement
Mon
pauvre Artuis, tu m’en voudrais de l’oublier. C’est un service que tu pourras
encore rendre. Et je cherche les pansements, puis, vite, pour ne pas perdre
Touraine, je m’éloigne et je m’efforce de le rejoindre. Devant moi, à quelques
mètres, il s’avançait doucement sur les genoux puis sur les coudes, on n’allait
pas vite mais on avançait où, je ne savais pas, et suivais sans penser l’œil
fixé sur mon guide, sur la neige toute blanche à cette heure. C’est sinistre de
voir quelqu’un s’avancer ainsi, qui se train plutôt qu’il ne marche. Oh ce fut
long ce rampement !
Où étaient les boches ?
Je
l’ignorais tout a fait.
Enfin,
sur cette nappe toute blanche, mes yeux découvrent pour ne plus la quitter une
tache sombre vers laquelle nous allons. Touraine aussi a vu, alors, tous deux,
sûrs de nous-mêmes, nous avançons plus vite et arrivons près de Corbières. Lui
est tombé en avant, couché sur le ventre, un trou à hauteur de l’œil, au milieu
de la tempe.
Il
n’a pas souffert ; son fusil gît à côté de lui. Alors, pour ne pas oublier
cette fois, vite, je cherche le paquet de pansements puis continue avec
Touraine la funèbre tâche. On en laisse rien sur lui, même les bagues
d’aluminium, pas un morceau de papier.
Puis
nous détachons les musettes et les bidons ; alors nous le prenons
doucement, lui joignons les mains et le mettons sur le côté, face à la
mitrailleuse.
C’est
tout ! « Partons » dit Touraine, car peut être les boches
pourraient nous surprendre. J’eus une pensée d’adieu pour ce brave compagnon,
une pensée de vengeance aussi et je suivis Touraine.
Une
dernière fois, je me retournai et avant de disparaître, lui envoyait le suprême
baiser, amour des combattants entre eux. Ce fut tout.
Nous
suivîmes notre premier chemin, arrêtant souvent pour éviter quelques rafales
qui nous prenaient en enfilade et enfin arrivâmes près d’Artuis. »
C’est
ici que s’arrête ce récit, car en effet, le lendemain, Maxime Caron, mon grand père,
eut la main éclatée par l’explosion d’une grenade allemande tombée dans la
tranchée et qu’il tentait de relancer. C’est un chirurgien allemand dans les
lignes françaises qui lui répara la main, il y laissa 2 doigts et une paume
bien cassée, cette grenade lui sauva peut être la vie.
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