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UNE GUERRE SINGULIÈRE
Les Canadiens en Silice et en Italie

Extraits de la transcription

Partie I : De la Sicile à Ortona Partie II : Les « D-Day Dodgers »
Introduction
Opération Husky - Invasion de la Sicile
Grammichele
Valguarnera
Assoro et Leonforte
Nissoria
Agira
La phase finale en Sicile
Campobasso
La rivière Sangro
La rivière Moro
Le Ravin
Ortona
Conclusion de la partie I
Introduction
Le 1er détachement du Service spécial
La 5e division blindée
Au nord d'Ortona
Les lignes Gustav et Hitler
Les « Nursing Sisters »
La rivière Melfa
Les « D-Day Dodgers »
La ligne Gothique
La crête de Coriano
Rimini
La rivière Savio
La crise de la conscription
La rivière Senio
Opération « Goldflake »
Conclusion

Partie I : De la Sicile à Ortona

Introduction

Les cartes de guerre officielles montrent plus de 3 500 points géographiques où nos troupes ont livré combat, et ce, pendant presque deux ans, de façon continuelle. Les régiments, en Italie, ont affronté d'énormes difficultés, d'une ampleur jamais encore connue par l'Armée canadienne. Ces hommes ont dû apprendre à leurs dépens et ils ont mis sur pied des techniques novatrices afin de combattre, en terre inhospitalière, une armée ennemie expérimentée et extrêmement endurcie. C'est pourquoi nous avons intitulé ce documentaire UNE GUERRE SINGULIÈRE.

Doc Buckley était médecin militaire et il avait été blessé lors d'un parachutage au début de la guerre. Incapable de rejoindre son unité de combat, il avait été affecté à un quartier général des forces armées. Il a servi durant la campagne, en Italie et en Sicile.

Doc a tenu un journal, sous forme de lettres à son père qui était un ancien combattant de la Première Guerre mondiale. Dans ces lettres, il a donné un aperçu de la guerre dans son ensemble ainsi que des souffrances que les hommes ont endurées, et bien sûr, il a aussi parlé des exploits des simples soldats. Pour raconter cette histoire, nous nous sommes largement inspirés des lettres de Buckley.

À bord d'un transport de troupes
9 juillet 1943

Cher papa,

Aujourd'hui, nous nous sommes embarqués vers des destinations inconnues. Dans les casernes, la rumeur voulait que ce soit la Sicile. J'étais dans le secret, puisque j'avais assisté aux réunions de l'état-major. Les troupes ont été informées à mi-chemin de leur destination. Les rumeurs étaient fondées. C'est bien la Sicile.

L'idée vient de Winston Churchill. Lors d'un voyage à Moscou, en août 1942, il aurait discuté avec Joseph Staline qui voulait une invasion immédiate de la France. Apparemment, Churchill aurait dit à Staline que les premiers assauts devraient avoir lieu dans la région méditerranéenne.

Churchill a dit qu'il valait mieux « attaquer le ventre mou du crocodile plutôt que son dur museau ». Il semble que la stratégie consiste à se concentrer sur la prise de la Sicile et de l'Italie, dans le but de protéger la Méditerranée et de forcer les Allemands à envoyer des troupes pour renforcer le front italien.

Il faudra que je m'habitue à mon nouveau poste de médecin, mais j'ai hâte de faire ma part. Mon travail consistera à évaluer nos pertes.

Prends soin de toi papa et dis à maman que je l'aime.

Ton fils aimant,
Norm

Opération Husky - Invasion de la Sicile

L'opération Husky allait être le plus important assaut amphibie depuis le début de la guerre. Les Canadiens s'étaient joints à l'armée d'invasion alliée qui comptait 3 000 navires et péniches de débarquement, tous sous la protection de plus de 2 000 aéronefs. Pour les soldats canadiens, il s'agissait de la première opération de taille depuis le tristement célèbre raid de Dieppe, en 1942.

Le 10 juillet 1943, la 1re division d'infanterie canadienne débarque sur les côtes du sud de la Sicile. Elle fait partie de la célèbre Huitième armée britannique du général Montgomery. Son objectif? L'aérodrome de Pachino.

Les bataillons d'infanterie qui participent à ce débarquement sont le Royal Canadian Regiment, principalement de London, en Ontario; le 48th Highlanders de Toronto, et le Hastings and Prince Edward Regiment, dont les hommes ont été recrutés, pour la plupart, dans la région de Belleville, en Ontario. Il s'agit de la 1re brigade.

La 2e brigade vient de l'ouest du Canada. Elle est constituée du Princess Patricia's Canadian Light Infantry (PPCLI), du Loyal Edmonton Regiment et des Seaforth Highlanders de Vancouver.

La 3brigade est composée du fameux Royal 22Régiment, ou 22e, du Québec, du Carleton and York Regiment du Nouveau-Brunswick et du West Nova Scotia Regiment.

Ces célèbres régiments d'infanterie seront appuyés par la 1re brigade blindée de l'Armée canadienne, qui comprend le Calgary Regiment, l'Ontario Regiment et le Régiment de Trois-Rivières, du Québec.

Le débarquement s'effectue tel que prévu et la résistance, surtout de la part des troupes italiennes, est légère.

Grammichele
15 juillet 1943

Cher papa,

Nous sommes en Sicile depuis environ une semaine et il y a déjà des histoires extraordinaires qui circulent au sujet des Canadiens.

La première bataille contre l'ennemi a eu lieu à Grammichele. Le Hastings and Prince Edward Regiment et les chars du Régiment de Trois-Rivières ont foncé sur les Allemands autour du 15 juillet. Nous nous sommes emparés de Grammichele quand deux compagnies des Hasty P's ont réussi à contourner la ville et que les Allemands ont commencé à se retirer. Nous avons perdu 25 hommes.

Dans cette bataille, Huron Brant, un Mohawk de Deseronto en Ontario, nous a prouvé qu'il valait bien toute une équipe de démolisseurs. Il a, à lui seul, attaqué un groupe de 30 Allemands. On l'a recommandé pour la Médaille militaire...

Après Grammichele, les Canadiens devront s'attaquer aux objectifs les plus difficiles dans les collines du centre de la Sicile, entre autres Valguarnera, Assoro et Leonforte.

Valguarnera
18 juillet 1943

Les premiers à partir pour Valguarnera sont les West Novas, suivis du Carleton York et du Royal 22e Régiment. Le Royal Canadian Horse Artillery, qui est surtout un régiment de temps de paix, déclenche son premier vrai tir de barrage afin d'appuyer cette attaque.

Pendant ce temps, le Hastings and Prince Edward Regiment, posté le long de la route au-dessous de Valguarnera, subit une violente attaque de tir de mortiers et de tir d'artillerie qui le force à se retirer. Le Royal Canadian Regiment, ou RCR, réussit à prendre le contrôle des abords sud de la ville. Puis, le 48th Highlanders et ses « Glamour Boys », les beaux gars de la ville, surnommés ainsi parce qu'ils viennent de Toronto, entreprennent la dernière approche et, le soir du 18 juillet, les Canadiens s'emparent de Valguarnera.

Cher papa,

En Italie, le terrain est traître. Les collines escarpées et les ravins ralentissent les soldats. Apparemment, les cartes sont si mauvaises qu'il vaut mieux se fier à sa boussole et à son instinct. Je n'arrive pas à m'imaginer ce que ce doit être que d'avancer petit à petit dans une chaleur horrible, étouffé par la poussière et exposé au feu de l'ennemi. Mon Dieu! papa, où ces hommes puisent-ils leur courage?

Ces armes modernes sont très différentes de celles dont vous vous serviez.

Le PIAT, un lance-bombes antichars, est une arme encombrante qui ressemble à un tuyau de poêle. Il tire des projectiles qui peuvent percer le blindage des chars. Le Hasty P's a probablement été le premier régiment canadien à se servir du PIAT. Nous surnommons ses hommes les « plough jockeys », les gars de la campagne, parce qu'ils viennent de la région agricole de Belleville. Un gars courageux des Hasty P's a abattu un véhicule allemand avec un PIAT à Valguarnera.

Les soldats parlent aussi des 88 des Allemands. Ils suscitent énormément d'admiration et, bien sûr, de la peur et de la nervosité...

Assoro et Leonforte
22 juillet 1943

La bataille pour prendre les villes voisines de Leonforte et d'Assoro sera des plus sanglantes. Les villes sont perchées à trois kilomètres l'une de l'autre, sur une longue crête escarpée. Leonforte est située près des ruines d'un ancien château, au sommet d'un escarpement qui empêche la brigade d'atteindre son objectif : Assoro. L'avance pour prendre le terrain montagneux commence vers minuit. La 1re brigade se voit confier la tâche de prendre Assoro.

Un des commandants de compagnie du Hasty P's est le major Lord Tweedsmuir, fils de l'ancien gouverneur général du Canada. À Assoro, il mènera l'attaque en escaladant le flanc d'une colline où seuls quelques arbustes et quelques sentiers de chèvres offrent une bonne prise. En grimpant au sommet de la colline, les Canadiens réussissent un effet de surprise total qui leur permet de tirer sur les Allemands, en bas, dans la ville d'Assoro.

Une des histoires qui circulent veut que le major Tweedsmuir ait attaché une radio sur le dos d'une mule. La radio se serait rendue jusqu'au sommet, mais la mule serait tombée raide morte à l'arrivée. On a cependant pu transmettre les ordres aux canons postés à l'arrière et les canons à obus de 25 livres ont tiré sur les positions allemandes et les ont détruites.

À peu près au même moment, le Loyal Edmonton Regiment livre un violent combat de rue dans Leonforte, qui est défendue par des chars allemands et par des troupes de deux bataillons. Les Eddies sont pris au piège. Notre artillerie ne peut pas bombarder la ville parce qu'il est impossible de savoir quels sont les immeubles occupés par les Canadiens. Nos chars ne peuvent pas traverser le ravin. Dans le noir, sous le feu constant de l'ennemi, les ingénieurs de la 3e compagnie de campagne construisent un pont Bailey mobile au-dessus d'un passage de 15 mètres. Le capitaine Rowan Coleman du Patricia's entasse ses hommes sur des chars du Régiment de Trois-Rivières et s'engage à toute allure sur le pont, à la rescousse. Coleman recevra la Croix militaire pour ses hauts faits.

Nissoria
24 juillet 1943

Cher papa,

Aujourd'hui, l'un de mes amis qui a combattu à un endroit appelé Nissoria, en Sicile, m'a informé de la situation là-bas. Apparemment, la stratégie était très mal conçue, et le major qui m'a raconté l'histoire a blâmé le général Simonds, qui avait insisté pour faire un barrage roulant. Il a souligné que Simonds était un ancien artilleur.

Le Royal Canadian Regiment, ou le RCR, devait se mettre en action derrière le barrage, appuyé par l'unité de chars du Régiment de Trois-Rivières. Les hommes du RCR sont entrés dans Nissoria mais, pendant qu'ils avançaient, le tir de mortiers et de mitrailleuses allemand les a décimés. Les chars Sherman ont continué d'avancer, mais sans la protection de l'infanterie, dix chars ont été détruits. Ce qui démontre à quel point ces véhicules de 37 tonnes sont vulnérables. Ils s'enflamment facilement, et on les a surnommés les « Ronson », du nom du briquet. Leur blindage est trop mince et leur canon n'est pas assez gros pour livrer combat aux Allemands, et aux fameux 88 de leur artillerie.

L'avancée à travers Nissoria a tout de même réussi, et elle a ouvert la voie à la prise d'Agira...

Agira
24 - 28 juillet 1943

La bataille d'Agira a eu lieu entre le 24 et le 28 juillet. L'objectif principal était une petite montagne, c'était la tâche que les Seaforths s'étaient vu confier.

La Royal Air Force, dans laquelle servaient beaucoup de Canadiens, volait au-dessus de nos têtes dans une opération tactique. Ils ont bien mitraillé la région avec leurs chasseurs-bombardiers.

Par la suite, les Seaforths ont dû escalader un à-pic de 90 mètres, ce qui leur a permis de surprendre l'ennemi. Deux jours plus tard, le 28 juillet, le Princess Patricia's s'empare d'Agira. Quarante-trois Allemands sont faits prisonniers, ce qui met fin à la plus grosse bataille livrée par la 1re division pendant la campagne de Sicile. Ce qui était censé être une bataille d'une journée a duré cinq jours et coûté 438 hommes aux Canadiens.

...Les Canadiens combattent sous les ordres du général Sir Harold Alexander et le commandant de division est Guy Simonds. Nous avons reçu la visite du général Montgomery, de l'amiral Lord Louis Mountbatten et du général américain Dwight Eisenhower...

Voici une dépêche expédiée par le correspondant de guerre Ross Munro :

Les Canadiens combattent dans une guerre d'envergure depuis des semaines déjà. La Sicile est une sale affaire et je suis sans cesse étonné de voir à quel point ces jeunes hommes savent faire fi de leur peur. Ils combattent des Allemands expérimentés qui se servent de lance-flammes, de mitraillettes, de Spandaus - les mitrailleuses lourdes que nos troupes semblent le plus redouter. Cette armada est appuyée par le tir de leurs chars supérieurs aux nôtres et par l'arme la plus efficace de cette guerre, ayant la précision d'un fusil de tireur d'élite : le 88 sur semi-chenillé.

Si l'on en croit un officier allemand capturé, ses hommes sont très élogieux à l'égard des Canadiens, qu'ils reconnaissent à la pièce de tissu rouge qu'ils portent à leur manche. « Sous notre tir, les autres troupes se couchent et cherchent un abri, a-t-il dit, mais "les flanelles rouges" continuent d'avancer. "Les flanelles rouges" sont de vrais diables. »

...Cette campagne a prouvé que les Canadiens savent être inventifs. Quand la 1re division était encore en Angleterre, l'ingénieur en chef, le brigadier Geoff Walsh, a demandé des échantillons de tous les modèles de mines allemandes trouvées par les Britanniques. Il a ensuite confié à ses ingénieurs la tâche d'apprendre à les désamorcer. Son idée a porté fruit, car il a été prouvé que les mines sont une arme que les Allemands savent manier en experts. Ils cachent ingénieusement ces engins dans la terre ou le gravier et plus particulièrement sur les routes que les chars d'assaut doivent emprunter.

L'infanterie et les véhicules de reconnaissance sur roues ont appris à reconnaître les mines, que les hommes du Génie viennent désamorcer ensuite, sauvant ainsi bien des vies...

La phase finale en Sicile

...J'essaie encore de reconstituer dans mon esprit les dernières phases de la campagne des Canadiens en Sicile. En écrivant ces lignes, j'apprends que le 25 juillet, Mussolini, le dictateur italien, a été destitué par les Italiens. Ceux qui ont cru que cela aurait un effet sur la résistance se sont trompés. Les Allemands semblent bien décidés à défendre l'Italie.

Pendant que les Américains procèdent à un nettoyage de l'ouest et de presque tout le nord de la Sicile, nos journaux de guerre relatent un grand nombre de batailles très difficiles, comme celle de Regalbuto, une ville occupée par la division Hermann Göring...

Ross Munro

...que les citoyens canadiens, dans votre pays, sachent à quel point ils peuvent être fiers de ce que vous avez accompli ici, dans les combats outre-mer. Je vous considère maintenant comme une division d'anciens combattants de la Huitième armée, aussi bons, si ce n'est meilleurs que tous les autres.

Extraits des actualités - Montgomery

Aucune histoire, au sujet des Alliés en Italie, ne serait complète sans que nous ne mentionnions la chanson « Lilli Marlene ». Nos hommes ont entendu les Allemands la chanter. Des Britanniques entreprenants en ont traduit les paroles et ils disent que la nuit on entendait bien souvent cette même chanson poignante s'élever des tranchées par temps clair. C'étaient des paroles très touchantes, dont la mélodie est douce et sentimentale, et qui est encore bien connue de nos jours.

Paroles en anglais de « Lili Marlene »

...My own Lilli Marlene.
Time would come for roll call, time for us to part.
Darling I'd caress you, and press you to my heart.
And there 'neath that far-off lantern light,
I'd hold you tight, we'd kiss good night,
My Lilli of the Lamplight, my own Lilli Marlene

Cher papa,

Je suis à Messine et je peux voir la côte italienne de l'autre côté du détroit. L'invasion est imminente. Nous nous demandons si les Allemands vont opposer une forte résistance à un débarquement à l'extrémité de l'Italie continentale. Même le général Simonds ne semble pas pouvoir le dire.

Je suis allé faire des visites à l'hôpital. Les fiches médicales révèlent que certains de nos hommes ont attrapé des maladies tropicales dont ils ne soupçonnaient pas l'existence en s'enrôlant, comme la jaunisse et la dysenterie. Aujourd'hui, en consultant mes dossiers, j'ai constaté que nous avons presque 1 200 cas de malaria. Et imaginez, des soldats des bataillons de l'Ouest se sont fait piquer par des scorpions! Il existe même ici une maladie qui n'apparaît pas dans mes livres de médecine, il s'agit de la fièvre de trois jours. C'est tragique de voir nos troupes souffrir, non pas de leurs blessures, mais des conditions de vie si affreuses en Sicile...

À bord du navire de commandement
Traversée du détroit de Messine

Le 3 septembre 1943

Cher papa,

L'offensive est commencée en Italie. Au moment où je vous écris ces lignes, les soldats canadiens ont déjà débarqué sur la côte italienne. Les balles traçantes illuminaient le ciel nocturne et l'air était rempli d'une épaisse fumée, on pouvait à peine y voir. Cet assaut à travers le détroit de Messine a vu tous les corps d'armée travailler de concert : l'infanterie, l'artillerie, les chasseurs et la marine. Ce fut un déploiement exceptionnel.

En quittant la côte sicilienne, je songe aux hommes que nous laissons derrière nous, les disparus de ces 38 jours de combats en Sicile. Qui sait combien de mois cette guerre durera encore?

Tout mon amour,
Norm

...Les Canadiens réinventent la guerre. Ici, les vieilles tactiques britanniques ne sont plus efficaces. Les tactiques de la Première Guerre mondiale, comme celle du barrage roulant suivi par les troupes, ne fonctionnent pas. On attribue au colonel Cy Neroutsos du Calgary Regiment l'invention d'une nouvelle technique de combat, la « jock column », qui est essentiellement une force mobile.

On lui avait confié la tâche d'aller explorer une longue route en éclaireur. Il est parti avec ses propres chars, qu'il a fait précéder de véhicules de reconnaissance; il y a ajouté quelques mortiers, des mitrailleuses et des canons antichars, en plus des véhicules blindés qu'il a pu trouver, puis il a fait monter l'infanterie et il a dit : « Allons-y. » Au bout de 96 kilomètres, ils se sont retrouvés sur un sentier de chèvres vraiment dangereux. Les hommes du Génie ont dû venir démonter des barrages routiers piégés.

Nous avons aussi une nouvelle technique canadienne de pontage. D'habitude, les Britanniques construisent ce qu'ils appellent des ponts Bailey avec des poutres portatives. Parfois, les Canadiens ne peuvent pas les attendre, alors ils construisent ce qu'ils appellent, à la blague, un pont irlandais. Des bulldozers blindés poussent un tas de pierres dans une crique, formant un chemin assez large pour les véhicules chenillés et nous traversons...

Ross Munro

Cher papa,

Et que fait l'ARC, l'Aviation Royale Canadienne, dans ce théâtre des opérations? Je vois rarement des aviateurs, mais justement, l'autre jour, un commandant de la 331e escadre du CARC est passé à l'hôpital voir un ami. J'ai entendu l'histoire non seulement de l'escadre 331, mais aussi celle des escadrilles 420, Ville de London; 424, Ville de Hamilton; et enfin, celle du 425, « Alouettes ». Ils ont bombardé la Sicile et le détroit de Messine à maintes reprises. Tout comme les bombardiers, nos pilotes de chasse se sont surpassés. L'escadrille canadienne de Spitfires dans la région était la 417, Ville de Windsor.

Vous avez sans doute lu dans les journaux que l'Italie a signé un armistice le 3 septembre. Ce qui crée une situation très étrange car nous ne sentons pas la guerre diminuer d'intensité. Les Allemands se battent toujours aussi fort et semblent pouvoir se passer de leurs alliés italiens.

L'autre grande nouvelle est la conférence de Québec. D'après ce que nous avons entendu, c'est notre premier ministre MacKenzie King, qui en a été l'hôte mais, comme d'habitude, ce sont Churchill pour les Britanniques et Roosevelt pour les Américains qui ont parlé. Ce n'est qu'une intuition, mais la grande question dont ils ont discuté a sans doute été de savoir quand envahir la France. Mais, pour les Canadiens qui sont ici, le principal effort de guerre demeurera la campagne d'Italie.

Campobasso
14 octobre 1943

Cher papa,

Nos soldats ont un nouveau surnom, les « Monty's Mountain Goats », les chèvres des montagnes parce qu'ils semblent souvent y être bloqués. En Italie, elles sont comme des forteresses naturelles, ce qui est à l'avantage de l'armée assaillie car elles empêchent l'accès aux routes.

Ce sont les Allemands qui dictent le déroulement de cette guerre. S'ils décident de fortifier une ville, ils savent très bien que nos troupes ne peuvent la contourner et que nous devrons donc l'attaquer. C'est ce qui s'est passé pour la bataille de Campobasso.

D'après mon journal, c'est le 1er octobre qu'une « jock column » composée du RCR et des chars du Calgary Regiment est partie pour Motta. Il fallait s'emparer de Motta pour que les troupes puissent avancer jusqu'à Campobasso dans les Apennins.

Les Allemands ont livré un rude combat, s'appuyant sur leurs tactiques retardatrices habituelles : les ponts qui explosent et les routes criblées de mines. À un certain point, nos hommes ont été immobilisés sous un tir nourri de mitrailleuses et une pluie d'obus. Les Allemands avaient une position si avantageuse qu'un de leurs canons antichars a détruit six de nos Shermans, l'un après l'autre.

Nous avons tout de même réussi à prendre Campobasso et ce ne fut pas une grosse bataille. Les Allemands s'étaient retirés. Cette victoire s'est néanmoins avérée gratifiante pour les troupes. Ils ont transformé la ville en un centre récréatif qu'ils ont baptisé « Maple Leaf City », la ville de la feuille d'érable...

La rivière Sangro
17 novembre - 1er décembre 1943

La Huitième armée projette de lancer une importante offensive de l'autre côté de la rivière Sangro, où les Allemands ont aménagé leur redoutable Ligne d'hiver. C'était leur principale position défensive au sud de Rome. En guise de préparation, on assigne à la 3e brigade canadienne la tâche de chasser les Allemands des berges de la Sangro. L'avancée sur 96 kilomètres, depuis Campobasso jusqu'à la Sangro, est un triomphe de l'ingénierie. Les Allemands ont détruit tous les ponts et tous les ponceaux le long de la route et ils ont dynamité les escarpements en surplomb pour provoquer des glissements de terrain.

Novembre 1943

Cher papa,

L'hiver s'est installé. C'est tout un changement comparativement au temps chaud de la Sicile! Les Canadiens sont en campagne depuis presque six mois. Tout un record!

Je dois vous expliquer pourquoi la campagne d'Italie ne se fait plus pour les mêmes raisons. Vous vous souvenez qu'au départ, une des raisons pour envoyer les troupes alliées et canadiennes en Italie, était d'apaiser Staline. Après Campobasso, une autre raison l'a emporté. Les Allemands ont apparemment décidé de défendre l'Italie au sud de Rome et ont construit deux positions solidement fortifiées pour nous arrêter. La ligne Gustav et la ligne Hitler.

Aujourd'hui, j'ai vu une note du service des renseignements. Les Allemands ont presque deux fois plus de divisions que les Alliés. Ce qui veut dire que si plus tard un deuxième front est créé, les troupes alliées postées en Italie vont tenir beaucoup de divisions allemandes occupées, ce qui les empêchera par le fait même de combattre un débarquement en France. Comme l'a si bien résumé un général canadien : « La campagne d'Italie a maintenant sa raison d'être. »

C'est bien d'avoir une vraie raison de se battre, mais je n'envie pas les hommes qui sont en première ligne. Ils vont devoir continuer à se battre dans des conditions climatiques difficiles sur un terrain éreintant contre un ennemi bien armé, compétent et très fort.

Toute mon affection,
Norm

Le 1er décembre 1943, après moins de six mois de campagne en Italie, la Huitième armée brise la Ligne d'hiver des Allemands sur l'Adriatique et les force à se replier jusqu'à la rivière Moro.

La rivière Moro
5 - 9 décembre 1943

Nos troupes canadiennes s'apprêtaient à entrer dans le mois que l'on qualifiera de « plus sanglant de toute la campagne d'Italie ». Leur objectif : Ortona, sur l'Adriatique, qui n'est qu'à six kilomètres au nord de la vallée de la rivière Moro, mais quels six kilomètres.

En bas, la vallée était caractéristique des cours d'eau qui creusent leur lit dans cette plaine côtière... Au fond, un ruisseau boueux, dont le niveau est élevé en cette saison.

Les Canadiens, en arrivant du sud, devront descendre une pente escarpée, trouver une façon de traverser la rivière, puis grimper la contre-pente et tout cela sous le feu constant des Allemands.

Charles Comfort

Cher papa,

En Italie, sur ce littoral, les rivières sont toutes en crue à cette période de l'année. Aujourd'hui, pendant un « SITREP », c'est le jargon de l'armée signifiant « compte rendu de situation », nous avons entendu parler d'une autre manoeuvre ingénieuse, attribuée cette fois au Corps royal de l'intendance de l'Armée canadienne. L'état-major général parlait de leur brillante traversée de la rivière Sangro. On leur avait donné des véhicules amphibies, les DUKWs, pour traverser les vivres et les munitions vers l'embouchure de la rivière et c'est ce qui a sauvé la situation.

Je peux maintenant vous raconter une partie de la traversée de la rivière Moro. Vous pouvez voir sur le tracé que les principaux objectifs étaient San Leonardo et Villa Rogatti. On avait confié cette tâche au Hastings and Prince Edwards, au Seaforth Highlanders et au Princess Patricia's Canadian Light Infantry.

Les Hasty P's ont attaqué de l'autre côté de la rivière Moro et ont installé une tête de pont. Ils étaient appuyés par les canons du 2e régiment de campagne et les mortiers du Saskatoon Light Infantry. Le Patricia's s'est emparé de Villa Rogatti...

Trempés jusqu'aux os dans les marais boueux, combattant un ennemi qui se bat plus fort que jamais, les Canadiens attaquent, attaquent et attaquent. L'ennemi se bat maintenant comme le diable en personne pour nous arrêter sans pouvoir y parvenir. Il ajoute toujours plus de canons et toujours plus de troupes qui arrivent sur les flancs des coteaux et dans les vergers entourant San Leonardo. Traverser la gorge de la rivière et remonter la route qui serpente jusqu'à San Leonardo est devenu, de jour comme de nuit, une entreprise redoutable. Il faut courir, non seulement sous une pluie d'obus, surtout sur une distance de 350 mètres à découvert, mais aussi sous le feu des mitrailleuses. Quand les hommes arrivent là-bas, les innombrables mortiers de l'ennemi martèlent le village. Ils tirent six obus à la fois, qui tombent en une succession rapide de longues plaintes lugubres.

Matthew Halton

...Le 6 décembre, notre infanterie a traversé la rivière Moro à deux endroits. Mais ce n'était que ce qu'on appelle des têtes de pont. Il fallait maintenant construire des ponts qui permettraient à toute la division de traverser. On a laissé tomber ce plan d'action parce que les hommes du Génie ne pouvaient construire qu'un seul pont et il fallait le faire plus près de la route qui se rend directement à Ortona.

Ce qui veut dire qu'au lieu de prendre San Leonardo par le flanc gauche, puis d'avancer dans la campagne en terrain plat, nous avons dû affronter une série d'attaques frontales coûteuses en traversant des crêtes, des ravins et des ruisseaux.

La prise de San Leonardo est attribuée au Calgary Regiment, et on a mentionné le nom du major Ned Amy, qui est passé de l'Ontario Regiment au Calgary Regiment. J'ai cru comprendre qu'on lui avait remis le DSO, l'Ordre du service distingué. Dans la victoire de San Leonardo, les bataillons d'infanterie étaient le RCR, les Seaforths et le 48th Highlanders.

...Vous vous souvenez sans doute qu'une division compte trois brigades. Jusqu'à présent, les Canadiens attaquaient en envoyant brigade par brigade. À la bataille de la rivière Moro, ce fut différent. Pour la première fois, les trois brigades ont combattu ensemble dans une même attaque. À la fin de la bataille de la rivière Moro, le rédacteur du journal de guerre de la 1re division a écrit, le 9 décembre : « Cette journée restera gravée très longtemps dans la mémoire des hommes de la première Armée canadienne. C'était la première vraie bataille que nous livrions aux Allemands en tant que division.... »

Le Ravin
11 - 18 décembre 1943

Cher papa,

Je vais maintenant vous parler d'un endroit appelé « le Ravin ». Après que les Canadiens eurent accédé à la rivière Moro, les Allemands se sont repliés sur quelques kilomètres et ont établi une position très forte le long de la route d'Ortona. Devant cette route se trouve une barrière naturelle, un ravin étroit et profond qui pénètre les terres sur environ quatre kilomètres depuis la côte. Les Canadiens devaient trouver une façon de le traverser pour atteindre les Allemands. Nous avons découvert que les Allemands ne défendaient pas uniquement leur côté du ravin, mais qu'ils avaient aussi établi des positions défensives de notre côté du Ravin, qui est appelé la « crête Vino ».

D'après ce que j'ai entendu, de violentes discussions ont eu lieu pendant une réunion tenue par le général Chris Vokes. Des commandants optaient pour une attaque par le flanc, mais après avoir lu les rapports du service des renseignements, le général Vokes a déclaré que la seule solution était une attaque frontale. Les chefs de bataillon ont quitté la réunion en secouant la tête, conscients qu'ils devaient s'attendre à des combats coûteux.

Ils avaient raison. La bataille du Ravin a fait rage pendant plus d'une semaine. Elle a durement mis à l'épreuve le courage et le savoir-faire de notre infanterie, de nos chars, de nos canons antichars, de notre artillerie et de nos mitrailleurs...

Le général Pat Bogert avait commandé le West Nova Scotia Regiment. Et, au terme de la guerre, il était général. Et il est le seul général à s'être battu, non seulement en Italie et en Sicile, mais aussi dans le nord-ouest de l'Europe, ainsi qu'en Corée.

Le 11 décembre est le jour où la bataille du Ravin a vraiment commencé. Sur la droite, les Patricia's, des gars courageux, ont traversé la « crête Vino » et ont attaqué. Ils étaient assez près des Allemands pour leur lancer des grenades, mais ils en ont très peu lancées.

Puis, sur la gauche, il y avait Bert Hoffmeister, le commandant de brigade. Il a envoyé les Seaforths, appuyés par les chars de l'Ontario Regiment. Nous trouver à distance de sécurité, c'est tout ce que nous pouvions espérer. Nous n'avons pas beaucoup avancé, mais nous avons pu conserver notre position.

Graeme « Grimy » Gibson commandait notre brigade, la troisième. Nous venions de passer trois semaines épuisantes près de la Sangro en crue. Le brigadier a ordonné aux West Novas de dépasser les Seaforths. Il a dit d'attaquer pour franchir le Ravin et atteindre Casa Berardi. La lune brillait et à notre grande surprise, nous nous sommes rendu compte que nous étions à quelques mètres d'une position allemande. Juste au moment où nous lancions l'attaque, les Boches ont lancé une série de contre-attaques. Pour arranger les choses, il s'est mis à pleuvoir.

Après trois jours de combats rudes et sanglants, les Canadiens n'ont toujours pas réussi à ouvrir une brèche dans le Ravin. Une autre attaque commence le troisième jour, menée par les Carleton Yorks, appuyés par les chars du Calgary et toute l'artillerie disponible. C'était le 13 décembre, tôt le matin.

Les Carletons se sont rendu compte qu'ils allaient se battre contre un régiment de parachutistes allemands qui venait d'arriver. Ces salauds les ont arrêtés net. Une compagnie a bel et bien traversé le Ravin, mais seulement pour se retrouver isolée. Ils ont livré un combat acharné, mais finalement ils ont été faits prisonniers.

Un officier des Ontario Tanks est arrivé et a proposé de nous décrire la bataille de Casa Berardi. Il a commencé par la manoeuvre du major Snuffy Smith. Snuffy, qui plus tard est devenu un amputé de guerre.

Vous voyez là-bas, le terrain surélevé à gauche. La route que vous pouvez voir était là à l'époque et elle menait tout droit à Ortona. Snuffy était tout un soldat. Il a conduit ses chars sur cette route, ce qui allait nous permettre de contourner le Ravin. Les chars du Ontario Regiment ont détruit deux ou trois chars allemands et ont libéré la voie pour les Seaforths. Après un peu de nettoyage, Snuffy a été capable de remettre ses chars en route et ils se sont presque rendus jusqu'à Casa Berardi.

...un officier du Royal 22e a pris la relève... :

Tout d'abord, nous avions été mal informés. On nous avait dit que Casa Berardi était entre les mains de la 90e division panzer de grenadiers, qui était très amochée. Mais nous ne savions pas que cette division avait été relevée pendant la nuit du 13 au 14 décembre par la 1re division de parachutistes, qui, nous a-t-on dit plus tard, était composée des meilleures troupes allemandes postées en Italie. Nous avions reçu l'ordre d'attaquer à 7 h le 14 décembre, avec l'appui de l'Ontario Regiment. Nous, les hommes du Royal 22e, nous devions suivre un barrage roulant avec l'artillerie. C'est là que le capitaine Paul Triquet a décroché sa Croix de Victoria.

Dès la fin des bombardements, Triquet ne pouvait attendre l'arrivée des chars, il a conduit sa compagnie vers le foutu carrefour « Cider ». Ensuite, les Shermans du major Smith, qui n'avaient pas été détruits, environ sept je crois, sont sortis du Ravin à toute allure.

Et bien, rien n'a arrêté Triquet. Il lui restait environ 50 hommes. Ses mots résonnent encore dans l'histoire du 22e. Et même si ses hommes tombaient autour de lui, il a crié : « Ils ne peuvent pas tirer. Ne vous inquiétez pas. On y va. »

La bataille durait depuis au moins sept heures. Triquet l'avait commencée avec 81 hommes et il lui en restait 14. Il a demandé à l'Ontario Regiment de tirer et, menés par Triquet, les hommes du 22e ont chargé. Ils se sont rendus jusqu'aux murs de pierre de Casa Berardi, qui sont encore là aujourd'hui. Ils portent encore les traces des balles et des obus. À 15 h 30, Paul Triquet s'était emparé de Casa Berardi. On lui a dit de tenir jusqu'à ce que les renforts arrivent. Moi, j'étais dans le fond du ravin, blessé!

Vous savez, Triquet a été le premier Canadien à recevoir la Croix de Victoria au cours de la campagne d'Italie. Snuffy Smith, lui, de l'Ontario Regiment, s'est vu remettre la Croix militaire.

C'est difficile à croire, nous avions pris Casa Berardi, mais nous n'avions toujours pas le carrefour « Cider ». Comme nous venons de l'entendre, à Casa Berardi, le 22e et l'Ontario Regiment étaient isolés de l'autre côté du Ravin. Nous avons dû exploiter notre mauvaise position.

Avant que je ne vous raconte la bataille, avez-vous déjà entendu parler de la dispute entre le général Chris Vokes et Montgomery? Monty était déçu du peu de progression de l'armée et il a même laissé entendre que les Canadiens ne donnaient pas leur pleine mesure. Chris Vokes a dit à l'officier de liaison de Monty que Monty lui-même devrait venir sur les lieux, constater le problème. Et c'est ce qu'il a fait. Je crois que Monty est arrivé le 15 décembre. Et aussi vrai que la terre est ronde, Monty s'est rendu compte de l'ampleur des difficultés que nous avions à surmonter. Je veux dire, ce Ravin et le foutu carrefour « Cider ».

Selon le plan d'attaque en trois phases, le 48th Highlanders devait traverser le Ravin et continuer à l'ouest de Casa Berardi. Après quoi, le bon vieux RCR devait avancer jusqu'au carrefour. Et voyons un peu, la phase finale? La 2e brigade devait effectuer une percée et s'emparer d'Ortona.

Rendons à César ce qui appartient à César. Le 18 décembre, le 48th Highlanders s'est mis en route et a réussi à contourner les Boches. Le commandant du régiment, Ian Johnston, s'est vu attribué l'Ordre du service distingué. C'est peut-être à ce moment-là que le brigadier Bruce Matthews a lui aussi gagné sa décoration. Il commandait l'artillerie.

Strome Galloway un éminent commandant du régiment du Royal Canadian Regiment a décrit ce qui s'est passé par la suite :

Jamais encore, que ce soit pendant la campagne de Sicile ou la campagne d'Italie, un régiment n'était tombé dans un tel piège mortel. Les morts, les mourants et les blessés jonchaient le sol et les brancardiers, qui travaillaient avec courage et ferveur, ont découvert que le brassard de la Croix-Rouge ne pouvait les protéger ni contre les fragments de mortier ni contre les balles de mitrailleuse.

Néanmoins, le Royal Canadian Regiment, réduit à une force de combat de moins de 200 officiers et d'hommes de troupe, s'est bel et bien emparé du carrefour « Cider ». C'est ce qui a ouvert la voie à la bataille d'Ortona.

Ortona
20 - 28 décembre 1943

Personne ne s'attendait à livrer un rude combat à Ortona. De façon générale, on croyait qu'après le Ravin, les Allemands avaient battu en retraite jusqu'à au moins cinq kilomètres au nord de la rivière Arielli. Au lieu de cela, deux bataillons de parachutistes allemands attendaient les Canadiens dans cette ville très fortifiée.

On peut trouver une des meilleures descriptions de la bataille d'Ortona dans le livre The D-Day Dodgers, de Daniel Dancocks. Ces quelques extraits en donneront une bonne idée :

...Ortona était une collectivité pittoresque. À proximité, se trouvait le grand dôme de la cathédrale de San Tommaso, que l'on pouvait voir à des kilomètres à la ronde. La vieille partie de la ville était constituée de maisons hautes et étroites et de petites rues sombres. À cause d'un ravin profond à l'ouest de la ville, des falaises très escarpées et de la mer de l'autre côté, il n'y avait qu'un chemin pour se rendre à Ortona, la route 16, que Casa Berardi avait protégée.

Les rues transversales avaient été bloquées par des décombres dans le but de forcer les assaillants à emprunter le grand boulevard de la ville. La place centrale avait été transformée en un terrain d'abattage. Les édifices l'entourant étaient remplis de pièces d'artillerie et de mortiers, placés avec soin pour pouvoir générer un feu croisé meurtrier.

En décembre 1943, presque tous les habitants d'Ortona avaient quitté la ville. Les hommes aptes au travail avaient été envoyés aux travaux forcés dans le nord de l'Italie et beaucoup d'autres s'étaient enfuis dans les montagnes. Dans un sens, c'était une bonne chose, cela a épargné à ces gens d'assister à la destruction presque complète de leur ville...

Le 25 décembre 1943

Cher papa,

Nos hommes se battent avec acharnement pendant qu'au Canada leur famille savoure un repas de Noël. L'objectif est la ville côtière d'Ortona et la bataille est féroce.

Il y a cinq jours, le 20 décembre, le Loyal Edmonton Regiment et les chars Sherman du Régiment de Trois-Rivières ont atteint les abords de la ville, le long de la route principale. Nous avons compris que, aussi courageux soit-il, un bataillon seul ne pourrait s'emparer de la ville. Les Seaforth Highlanders de Vancouver se sont portés à la rescousse.

En Italie, nous avons une autre nouvelle technique, le combat de maison en maison.

Vous voyez, la route principale est défendue par le tir nourri des Allemands, il faut donc vider la ville un édifice à la fois. Pour y arriver, les Canadiens ont conçu la technique du « trou de souris ». Les soldats avancent de maison en maison en ouvrant de petites brèches dans les murs mitoyens, ils entrent dans chaque habitation et ils délogent l'ennemi en progressant de pièce en pièce. C'est une façon d'avancer angoissante, mais qui leur permet de libérer des îlots complets de maisons sans se montrer dans la rue.

Papa, c'est un moment de l'année où il est pénible d'être loin de chez soi. Certains soldats en sont à leur cinquième Noël loin des leurs.

Votre fils qui vous aime,
Norm

... À 8 h ce matin, j'enjambais les ornières creusées par les chars aux abords d'Ortona. Il régnait un silence étrange et j'ai soupçonné qu'il se passait quelque chose. On n'entendait que le feu de quelques mitrailleuses ou, de temps en temps, le bruit que fait un obus en tombant. Des hommes barbus riaient, ils n'avaient pas enlevé leurs bottes depuis 30 jours. Le colonel a souri quand je suis entré. Je lui ai dit : « Ne me dites pas. » Et il m'a répondu : « Oui, je crois que nous avons pris Ortona. » À peine deux minutes plus tard, la radio a émis un signal, et le caporal Bill Polville d'Edmonton a pris le message du transmetteur, dans le port, à moins de 350 mètres de là. Puis, il a enlevé ses écouteurs et il s'est tourné vers le colonel. « Mon Colonel, les Boches sont partis ou alors ils sont tous morts. » Ortona était entre nos mains...

Matthew Halton

La bataille d'Ortona était terminée. Les parachutistes allemands étaient partis pendant la nuit.

En entrant dans la ville, l'artiste Charles Comfort est étonné. Les édifices chancellent dangereusement et la grande cathédrale de San Tommaso a été détruite par les bombes allemandes.

Au cours des semaines suivantes, une analyse de la bataille d'Ortona s'imposera. Doc Buckley, qui avait la chance d'assister à des conférences tenues à différents échelons de l'état-major, a peut-être réussi à bien comprendre les événements, comme en fait foi sa lettre du 3 janvier 1944.

...On critique le général Chris Vokes et les officiers supérieurs s'entendent pour dire que les attaques précipitées dans la région du Ravin et l'assaut final sur Ortona n'auraient pas dû avoir lieu. Certains esprits plus logiques ont souligné, cependant, que Vokes a bel et bien tenté de prendre Ortona par le flanc ouest, mais que sa tentative a échoué.

J'ai entendu parler un officier supérieur qui connaissait la vérité. Il se souvenait avoir entendu le général Montgomery dire à Vokes d'attaquer. Monty voulait parler des même attaques frontales qui avaient coûté tant de vies pendant la Première Guerre mondiale. Vokes n'avait pas le choix.

Les listes des morts de la bataille d'Ortona sont terrifiantes. Les hommes n'étaient pas au courant des tactiques, mais ils se souviendront toujours de la terreur qu'ils ont ressentie à la bataille du Ravin...

Conclusion de la partie I

Les batailles de la rivière Moro et la prise de la ville d'Ortona ont coûté 695 hommes à la 1re division et ont fait 1 738 blessés. Strome Galloway se souvenant de l'état dans lequel se trouvait le Royal Canadian Regiment, dit ceci :

Dans le bataillon, il ne restait plus que 9 des 41 officiers qui étaient débarqués à Pachino moins de 6 mois auparavant, et de ces 9 officiers, 6 avaient déjà été blessés une fois. En débarquant, le bataillon comptait 756 hommes; et maintenant, 550 de ces hommes avaient été tués, blessés, portés disparus, faits prisonniers de guerre ou étaient morts de la malaria, de la jaunisse ou d'autres maladies.

Dès leur arrivée sur les plages de Sicile, en juillet 1943, les Canadiens se sont acquis la réputation d'êtres des soldats acharnés, robustes et courageux. Mais les Allemands n'étaient pas des cruches eux non plus.

Et plusieurs d'entre eux s'étaient battus auparavant sur le front russe. Pourtant, en dépit de la progression spectaculaire des Alliés dont, bien sûr, les Canadiens, Rome demeurait aux mains des Allemands. De nombreux longs mois de combats acharnés attendaient encore les Canadiens alors qu'ils continuaient d'avancer vers le nord de l'Italie.