Dunkerque 11h19
Boulogne 18h Etaples 19h30
Ce n'est vraiment pas
dommage. Me voilà enfin arrivé à Delle
hier soir à 11h. Depuis mardi à 11h19 parti de
Dunkerque c'est plutôt long. Enfin on commence
maintenant à s'apercevoir que c'est la guerre.
10 mars
Quelle chance. D'ordinaire quand je rentre de permission
j'ai un cafard terrible. Cette fois je me sens très
fort. Il est vrai que j'ai de bonnes raisons pour cela.
Quelles vont être maintenant mes préoccupations
pendant cette nouvelle période qui me sépare
de la prochaine permission. Enfin en vrai poilu employons la
formule NPSF (traduction : Ne Pas S'en Faire). Pour le
moment je ne suis toujours pas à plaindre. Delle est
assez gentil et vaut mieux assurément que
Deniécourt ou Ablaincourt.
Delle, Territoire de
Belfort (90)
Il vient de m'être
donné de voir un spectacle de guerre inaperçu encore.
D'ici nous voyons très bien nos "saucisses" survoler le front
d'Alsace.
Téléphoniste
Entre temps nous sommes libres. C'est vraiment
intéressant d'être téléphoniste
à l'arrière pendant que nous prenons nos
ébats paisiblement. Une partie des servants et des
conducteurs fait des positions de batterie vers Dannemarie.
Le reste des premiers passe tout son temps dans les gardes
au parc vus les travaux de batterie et les seconds ne
quittent pas un seul instant leurs chevaux et leurs
harnachements. Il est vrai que le jour où nous
remonterons aux positions ils auront le beau rôle.
Cet après-midi, temps superbe. Nous sommes
allés faire du sport dans la prairie au bord de la
rivière.
Vers 10 h une bombe a réussi à atteindre l'une d'elles
et à y mettre le feu. Elle est descendue aussitôt en
flammes et nous avons distingué une sourde explosion. Combien
de choses ainsi sont détruites sur cet immense front.
* Sans doute sa future épouse avec qui il
entretenait une correspondance quasi quotidienne
15 mars
Depuis longtemps on n'avait plus
entendu le bruit du canon. On eût fini par croire que tout
allait finir sans que l'impression du front nous revienne.
Aujourd'hui, un rappel à la réalité nous est
donné.
Depuis 13 heures le canon tonne sans discontinuer vers la direction
de Seppois*. D'ici on entend distinctement des arrivées et des
départs. Les deux artilleries donnent donc avec rage.
Nous nous demandons ce qui ce passe là-bas. Les Boches
auraient-ils tentés une attaque. Serait-ce au contraire nous
qui aurions essayé une avance. Nous le saurons sans doute
après-demain par le communiqué. Toujours est-il que ce
sont des pièces de très gros calibre qui tirent. Les
habitants de Delle avouent n'avoir pas encore entendu pareil
bombardement.
Serait-ce le prélude d'un mouvement offensif qui
s'étendrait ensuite sur tout le front.
Déjà ces derniers jours les Boches ont bombardé
Dannemarie* et les positions de batterie que nos travailleurs sont en
train de faire.
* Seppois et Dannemarie,
Haut-Rhin (68)
16 mars
Aujourd'hui journée splendide par exception. Le calme
semble être rétabli dans le secteur. Sans doute
était-ce une action locale.
Après tous ces temps de neige et de pluie la
rivière a grossi et la prairie est inondée.
Les pécheurs, et nombreux étaient les amateurs
dans notre troupe, ont bien difficile de se livrer à
leur plaisir. De même nous ne pouvons plus aller faire
de courses à pied ou de sport de grand air.
Vue de Boncourt
depuis Delle
Le 19 mars
Vraiment on n'est jamais certain du
lendemain dans le métier. Hier, au matin même nous
étions bien tranquilles, nous ne songions qu'à
permission et autres choses heureuses.
Le réveil n'en a été que plus brusque. A 10h
nous recevions de l'HP le message suivant : "Prenez dispositions
suivant l'ordre 2034A". Cet ordre nous le connaissons. Il est
arrivé il y a quelques temps. Il est relatif au départ
en alerte. Il n'y a donc pas à s'illusionner, c'est le
départ de Delle sur lequel nous ne comptions pas. En effet,
l'ordre transmis aux officiers ne tarde pas à porter ses
fruits. Pour 19h toutes les batteries doivent être prêtes
sans cependant atteler. La journée est bientôt
passée à 7 heures. Tout le monde attend mieux
bientôt. On annonce le départ pour 2h30. En effet, les
lignes étant relevées on se met en route en pleine
nuit.
Le 20 mars
On n'est pas allés bien loin et cela ne valait pas la peine de partir si tôt. Nous sommes cantonnés dans un petit village à 10km de Delle. Sans doute continuerons nous le voyage ce soir. La pluie s'est mise à tomber. Cela ne va pas être amusant de voyager.
Comme je le prévoyais
nous avons quitté le patelin en alerte hier soir
à 11 heures 30. Nous avons voyagé toute la
nuit et ce matin à 7 heures Granges-la-ville. Cette
fois nous sommes tranquilles jusque demain matin. Le
départ est annoncé pour 6 heures.
Le 22 mars
La neige s'est mise de
la partie. Le voyage est de plus en plus pénible. Je
me demande où nous allons. Sera-ce sur l'Aisne ou sur
l'Oise comme beaucoup le disent et comme le font
prévoir les événements qui se
déroulent là-bas. Nous sommes dans la
région d'Abbenans où nous avons passé
tout le mois de Janvier.
Granges la Ville,
Haute Saône (70)
Abbenans, Doubs (25)
Partis avec bien du mal ce matin de Grange. La neige atteignait 35cm sur les routes. Après une étape pénible, nous sommes arrivés à Abbenans, terme de notre voyage selon les dires de beaucoup. Le pays n'a pas encore logé de soldats depuis la guerre, aussi nous sommes très bien accueillis.
Le 28 mars 1917
Les jours passent et notre
séjour à Abbenans se prolonge ma foi ! nous n'avons pas
à nous plaindre. Cela vaut mieux que le front.
Nous sommes très bien
logés ici. Une grange bien aménagée, du bon foin
à volonté. Que faut-il de plus à un poilu pour
être content. Pourvu qu'on puisse dormir tranquillement on est
toujours bien.
La propriétaire de
l'habitation, très gentille, fait tout ce qu'elle peut pour
nous être agréable. Elle a mis toute la maison à
notre disposition et du matin au soir, l'équipe l'embarrasse
d'allées et venues. Pourtant nous lui rendons quelques
services. Le temps est très mauvais et très souvent les
manœuvres doivent être remises. Alors nous coupons du bois,
nous allons aux champs.
Le 6 avril 1917
Hier nous avons appris le
départ et ce matin à 7 h nous avons quitté
Abbenans. Par l'Isle sur Doubs nous sommes arrivés à
Colombiers où nous restons jusque demain. Le temps
était magnifique et le voyage a été très
intéressant. Je note surtout l'arrivée à l'Isle
au sortir de la forêt une vue splendide nous est apparue. Au
fond de la vallée le Doubs et toutes les usines. Nous
descendons par un labyrinthe et nous arrivons enfin à la ville
assez coquette et très active.
Toujours probable : nous prenons secteur en Alsace.
Le 11 avril 1917
Nous couchons à Beaucourt et le 8 nous gagnons Boron
où était le 3e groupe quand nous étions
à Delle.
Le 9 à 6h du soir par un temps affreux (pluie et
neige) nous montons relever le 2e groupe du 12 en position
à Fulleren nous repassons Ulrich, Dannemarie Altenach
et à 10h nous arrivons à Fulleren. Le PC se
trouve dans le village même. Dans la cave de la
mairie. C'est la position rêvée. Les hauteurs
sont à plusieurs kilomètres en avant.
Hier matin nous sommes allés reconnaître la
ligne téléphonique à 200m des Boches.
Je n'avais pas encore entendu le moindre obus. Au retour ils
nous ont envoyés quelques 210 pour répondre
à un bombardement de nos 155.
Le soir à 5 h, par téléphone nous
recevons ordre de quitter Fulleren et de regagner les
échelons qui sont à Vellescot. Nous voyageons
toute la nuit et ce matin nous arrivons à Grosne
où nous avions cantonné du 3 au 6
février. Nous attendons maintenant de nouveaux
ordres. Le bruit court que nous devons embarquer ces
jours-ci pour un nouveau secteur.
Beaucourt,
Boron, Grosne,
Vellescot, Territoire de Belfort (90)
Audincourt, Doubs (25)
Altenach, Dannemarie, Fulleren,
Ulrich, Haut-Rhin (68)
Le 16 avril 1917
Cela n'a pas manqué. Le 13
à 13h nous avons quitté Grosne et nous sommes
allés embarquer à Montreux-Vieux*. Nous avons
quitté l'Alsace dans la nuit et rapidement. Le train nous
emporte. Nous dépassons Epinal puis Neufchâteau, Bar le
Duc, Vitry le François, Sezanne et enfin Esternay où
nous arrivons le 14 dans la soirée : aussitôt
débarquement du matériel et en route pour Moutil ou
nous arrivons vers minuit. Nous en repartons le 15 vers 6h par route.
Nous dépassons la Ferté-Gaucher et nous arrivons dans
la journée à Bassevelle* bien fatigués
après un voyage aussi long. Cela n'empêche pas
qu'aussitôt il faut se relier au colonel qui est à 4km
de là. Donc : "téléphoniste invraisemblablement
!" et en route pour installer la ligne. Le temps qui était
beau durant le trajet a changé et la pluie se met de la
partie.
Enfin nous voilà un peu tranquilles aujourd'hui. Nous
attendons de nouveaux ordres pour rejoindre le front.
La H3DI** est à Montmirail. J'aurais bien voulu retourner
Paris le jour où je suivais mes cours en décodeur
Berner. D'après certains renseignements le 21e corps formerait
la 1ère armée avec le 20e, le 7e, le 9e, et cette
armée serait dénommée armée de
poursuite.
Si seulement nous pouvions
arriver à cet heureux moment de la poursuite des Boches et de
la fin de la guerre.
* Montreux-Vieux, Haut-Rhin
(68) - Bassevelle, Seine et Marne (77)
** H3DI = 3e Division d'Infanterie
Le 19 avril 1917
Nous avons quitté Bassevelle
hier dans la matinée et nous avons fait une nouvelle
étape, pas bien longue pourtant vers le front. Nous sommes
arrivés à Verdelot* où nous ne resterons pas
bien longtemps. Nous sommes pourtant bien installés dans un
couvent. Nous avons tout ce qu'il faut. Même quelques lits.
Aujourd'hui nous avons fait une
manœuvre avec tout le corps. A l'issue, le général
Fayolle qui commande je crois la nouvelle 1ère armée a
passé les troupes en revue.
L'action se poursuit très
vive au front dans ce secteur. D'ici nous entendons sans discontinuer
le canon gronder. J'apprends aujourd'hui que l'offensive
générale a été ordonnée et qu'un
ordre du jour va être passé aux armées. En voici
la teneur : L'heure est venue. Courage ! Confiance !
Il n'est pas bien long mais combien il résume parfaitement
tout ce que nous devons posséder pour la victoire.
* Verdelot, Seine et Marne (77)
Le 1er mai 1917
Notre séjour à Verdelot
se prolonge et cela d'une façon à laquelle nous ne nous
attendions pas. Il y a une huitaine nous avons reçu l'ordre de
départ mais les chevaux sont indisponibles et nous avons
été mis en quarantaine. L'offensive dont on attendait
de brillants résultats est tombée encore cette fois-ci.
Ce n'est tout de même pas de chance. En ce moment il n'y a
presque plus d'action dans le secteur.
Pourtant tout avait bien été prévu. J'ai eu
à ce sujet des détails qui m'ont étonné.
Dans le seul secteur de Craonne* à Reims il y avait plus de
170 batteries de crapouillots**.
Les corps attaquant étaient le 1er, le 9e et le 32e pour le
plateau de Craonne. J'ai vu ces jours-ci la 2e division qui vient se
reformer à l'arrière. Elle comprend le 8e, le 208 et le
110. Ils ont cantonné tout autour de Verdelot. Beaucoup sont
des environs de Dunkerque.
Ils sont restés 2 jours en lignes et pendant ce peu de temps
ils ont subi des pertes effrayantes. Le 208 a perdu 169 hommes. La
division revient avec un déficit net de 5 000 hommes. La perte
serait moins douloureuse quoique sévère quand
même s'il y avait eu un résultat quelconque. Mais les
Français se sont heurtés à une barrière
de fer qui n'a pas plié. Après un violent bombardement
l'attaque a été déclenchée le 14. La 2e
division se trouvait de front devant le plateau de Craonne. La
première vague portait atteinte les lignes Boches puis un
village. La deuxième vague qui suivait fut
séparée de la 1ère car à un moment les
mitrailleuses boches non détruites prirent la première
vague de tirs. Aucun de celle-ci ne revint. Ce qui ne fut pas
tué a été prisonnier. Les renforts arrivant ont
souffert aussi sans pouvoir marquer aucune avance. Le 6e chasseur
alpin qui vint reprendre l'attaque eut des pertes très
sévères sans avoir de résultat heureux.
Depuis le bombardement a redoublé puis s'est tu. Le 27e
d'artillerie lui-même a bien souffert. Un groupe de poursuite
se trouvait en première ligne. Les chevaux ont
été tués ou sont morts subitement. Le
régiment en a perdu plus de 900. Je me demande si nous
n'allons pas aller remplacer les corps qui sont relevés. C'est
bien possible car le 21e corps a toujours participé à
toutes les attaques.
Nous sommes allés hier
manœuvrer vers Villiers/s/Marne*. Nous avons couché à
Saacy* près de Montreuil. Le
général Fayolle était de nouveau à la
manœuvre.
Le temps est magnifique et c'est un plaisir de sortir maintenant.
* Craonne, Aisne (02) -
Villiers sur Marne : aujourd'hui Villiers St Denis (02) - Saacy sur
Marne, Seine et Marne (77)
** Crapouillot : Petit mortier
Le 10 mai 1917
Les mouvements de troupes sont
nombreux en ce moment. Presque tout le 1er corps est passé
à Verdelot et cantonne dans les environs. Le 327 est
passé hier, puis le 13e corps a traversé le pays dans
la région. Peut-être monte-t-il en lignes. Nous avons de
nouveau eu l'ordre de départ aujourd'hui mais nous ne pouvons
nous déplacer encore les chevaux étant toujours
malades. Il est probable cependant que dimanche ou lundi nous
partirons. Nous devons céder la place au 1er corps et
d'ailleurs nous sommes dans une situation fausse le reste du
régiment étant à 21km d'ici.
Je crois fort que nous nous rendons à Méry/Marne*…
à moins que tout le corps ne monte enfin vers le front.
Que de voyages tout de même le régiment a fait depuis
1914. J'ai eu quelques détails à ce sujet. Je crois que
tous les points du front ont été visités.
Le 12e a débuté en Alsace à l'offensive
d'août 1914. Il est allé jusque Sarrebourg* puis la
retraite venue descendit vers le Bonhomme des Vosges et la Marne. En
novembre le 21e corps repoussait les attaques sur l'Yser. Le 12 se
trouvait vers Poperinghe*. Il attaqua ensuite en mai 1915 en Artois
et resta jusque février 1916 à Aix-Noulettes* L'attaque
de Verdun fut arrêtée par ces mêmes troupes. Le
12e fut cité à l'ordre après la bataille. De
là, les troupes ont pris le secteur plus calme de la butte du
mesnil. En septembre 1916 on retrouve le 21e corps dans la Somme.
Foucaucourt, Soyécourt*, Deniécourt, Estrée*, le
Bois Etoilé, Ablaincourt*, Bovent, sont autant de points
où il se distingua.
De Deniécourt où nous étions en dernier et
où je fus touché, le corps est parti au repos dans la
Haute-Saone, puis dans le Haut-Rhin et dans le Doubs. Après
avoir pris position un jour en Alsace nous voilà maintenant en
Ile de France… et ce n'est pas fini !
J'attends toujours des nouvelles de la proposition pour
Fontainebleau. Je voudrais bien qu'elle aboutisse. Ce n'est pas que
j'aie le désir de devenir officier. Loin de moi cette
pensée car je sais à quoi m'en tenir sur ce
métier. Si je puis passer aspirant j'aurais d'abord une vie
plus tranquille pendant le temps que je dois encore passer au
régiment. Mais surtout je pourrais avec plus de
facilités poursuivre mes études et arriver au but que
j'envie. Fontainebleau, c'est pour moi en effet un cours de
mathématiques de nouveau ouvert. Car pour mon emploi, la
question principale c'est l'étude des sciences
mathématiques. Ainsi en travaillant en ce moment je
hâterai de plusieurs années mon installation et mon
bonheur. C'est que voilà trois années presque perdues
pour moi car ce n'est pas le peu d'études que je puis faire
qui peut compter.
* Méry sur Marne (77),
Sarrebourg (57), Aix-Noulette, Pas de Calais (62), Soyécourt
(80), Estrée Deniecourt (80), Ablaincourt (80), Poperinghe
(Belgique)
Le 11 mai 1917
Nous voici de nouveau dans une
mauvaise période. Après l'offensive infructueuse du 16
dernier, la confiance qui régnait partout est presque
tombée. Il circule dans le pays entier des bruits faux mais
qui sont pourtant de plus en plus écoutés. "Il
paraît que la guerre durera encore deux ans", et après
cela tout le monde se lamente en pensant aux nombreux maux qui vont
encore nous assaillir. Deux ans de guerre !! Je ne crois pas cette
chose possible.
Bien des bruits de paix ont circulé depuis un temps.
Il est certain que tous les pays alliés ou ennemis ont un
absolu désir de paix.
Si on laissait la parole libre à chacun des peuples il est
certain que la paix se ferait rapidement et sans idée de
conquête d'un côté comme de l'autre. Mais le
peuple ne peut parler ou plutôt on lui prête des
idées qu'il n'a pas : le peuple veut la victoire. Alors que
lui, murmure mais trop bas : c'est la paix sans condition que nous
voulons.
Les événements en Russie sont cachés avec soin.
Chacun sait cependant que là-bas c'est l'anarchie et que d'un
jour à l'autre les troupes mettront bas les armes, reniant les
traités signés avec nous.
L'Italie de son côté finira par signer une paix
séparée et si nous ne voulons pas être
écrasés, il nous faudra signer la paix comme les
autres.
Voilà ce que beaucoup pensent et je ne saurais dire s'ils ont
tort. Pour ma part j'ai une grande foi dans la victoire et
malgré tout j'espère toujours la voir
bientôt.
Enfin attendons, des événements proches me donneront
peut-être raison.
Le 13 mai 1917
Il fallait s'y attendre. Nous sommes
partis pour un nouveau cantonnement pas très
éloigné du PC du colonel. Nous sommes arrivés
par une journée ensoleillée à Pavant* sur les
bords de la Marne. Nous sommes assez bien logés dans une
fabrique de boutons. Insensiblement nous nous rapprochons du front.
Je crois que bientôt nous y serons car nous devons repartir
mercredi ou jeudi. Peut-être à cette date aurai-je le
bonheur d'être en permission !
* Pavant, Aisne
(02)
Le 20 mai 1917
Partis le 18 de Pavant nous avons
couché à Licy-Clignon* le même jour et hier nous
sommes arrivés à Hartennes*.
Nous sommes sous la tente au
milieu des bois. Cette fois nous prenons bien la direction du front.
Et je ne suis toujours pas parti en permission.
* Licy-Clignon et Hartennes,
Aisne (02)
Le 31 mai 1917
* Ciry-Salsogne, Ostel, Vailly sur Aisne : Aisne
(02)
Une cagna (abri,
cabane)
Pourtant un vent assez
fort fut notre salut. Nous pumes retirer les masques un
moment et respirer à pleins poumons. Ensuite nous
avons passé le reste de la nuit dans une cagnia du
110e lourd mais toujours avec le masque. Le lendemain les
Boches ont recommencé à plusieurs reprises
dans la journée mais nous nous étions
éloignés. Grace au sang froid de notre
officier qui vraiment s'est démené pour nous
dans cette nuit affreuse il n'y a aucune perte à
déplorer !
Nous avons
travaillé un moment encore et depuis quelques jours
nous avons changé de PC**. Nous sommes
installés dans une vaste carrière
organisée par les Boches. Nous y sommes à peu
près en sécurité. Nos lignes sont
déjà passées. Ce soir il vient d'y
avoir un bombardement de 150 fumigènes sur notre
abri. Toutes nos lignes ont été
coupées. C'est d'ailleurs le seul incident. Notre
observatoire se trouve dans un fond face au Fort de la
Malmaison et au Panthéon. Le coin n'est pas des
meilleurs. Il y a constamment des marmitages soit sur
Folemprise soit sur le ravin de la 1ere Bi.
Notre infanterie
relève le 6e corps ce soir. Je crois que nous
n'allons pas tarder à attaquer. Voilà ce
qu'est devenue l'armée de poursuite dont on parlait
tant. Je m'en vais sans doute cette nuit ou demain à
l'aube relier notre PC à l'infanterie. Je crois que
nous n'aurons pas facile. La ligne doit avoir plus de 6
km.
** PC = Poste de Commandement
Le 6 juin 1917
Décidément le coin
où nous campons n'est pas très bon. Le moindre
mouvement a pour conséquence immédiate un bombardement
violent de nos emplacements. Je suis allé le 1er poser la
ligne avec le PC Châlons (1 Bon 149)*. Le secteur était
assez calme et nous avons eu facile à dérouler le fil
mais au retour les Boches ont bombardé aux alentours de la
ferme Hamerey où nous avons un relais au premier
BCP**. La ligne a été hachée,
elle le sera d'ailleurs constamment car elle passe dans les plus
mauvais endroits. Depuis quelques jours les Boches sont très
actifs dans le secteur qui se trouve à notre droite. Avant
hier je me trouvais à l'observatoire aux fusées (cote
194) quand vers 11h nous avons aperçu plusieurs fusées
à trois feux (tir de barrage). Aussitôt le barrage a
été déclenché dans la zone et les Boches
qui tentaient d'approcher nos lignes ont été
repoussés. Après cela ils n'ont pas cessé durant
la nuit d'envoyer des obus à gaz dans la zone comprise entre
notre PO*** et la 2e Bi. D'ailleurs durant tout le temps de mon
séjour au PO il y a eu de l'agitation en conséquence.
J'ai eu bien du travail avec les lignes.
Ce matin vers 2h les Boches ont
renouvelé leur attaque mais plus fortement. Selon quelques
renseignements ils ont pu pénétrer dans la 1ère
ligne. Le 24e d'infanterie qui était en réserve dans
notre carrière a eu alerte et une partie s'est
déployée en tirailleurs autour de nous. A ce moment un
avion ennemi volait à quelques centaines de mètres. En
très peu de temps les canon furent réglés sur ce
rayon. Ce fut un carnage inutile. Les morts et les blessés
furent nombreux. Pendant plusieurs heures la carrière
reçu des 150 et des 210 auxquels elle résista. Enfin le
calme revint. En ce moment nos batteries préparent une contre
attaque qui aura lieu sans doute ce soir. Pour moi tout cela ne
m'importe plus cas je suis en possession de ma permission et je vais
partir pour Soissons tout à l'heure. Pourvu qu'avant cela je
n'ai pas la malchance d'être touché.
* 1er bataillon du 149e
** BCP = Bataillon de Chasseurs à Pieds
*** PO = Poste d'Observation
Le 14 juillet 1917
Cette permission dont je
parlais je l'ai obtenue et comme toutes les époques
heureuses elle s'est passée bien trop rapidement.
Qu'est-ce en effet que 7 jours à passer au milieu de
ceux qu'on aime. Vraiment j'étais rentré la
dernière fois avec un souvenir charmant des
journées passées à Dunkerque. Je relis
ces notes que je faisais alors. Oui je l'avais trouvé
le remède contre le cafard. Cette charmante personne
qui me l'avais déjà donné en mars, m'a
permis de ne pas perdre courage en rentrant dans la
fournaise. Aussi quelle reconnaissance vient encore
s'ajouter à tout ce que je lui dois. Oui j'ai
vraiment été heureux pendant ma permission et
je ne puis avoir de regrets après un tel bonheur. Il
ne peut subsister en moi qu'un souvenir combien
délicieux. Certes j'étais bien triste en
faisant en sens inverse le trajet de Soissons, mais c'est
une tristesse dont je n'ai pas honte car malgré tout
je n'ai pas voulu faiblir. Comment l'aurais-je fait
d'ailleurs quand je venais de quitter ceux que j'aime le
plus et qui m'avaient laissé partir avec courage et
résignation.
Je suis parti de
Dunkerque le 18, le 20 je rentrais à l'échelon
et le lendemain je me retrouvais à la position.
Quelques mauvaises nouvelles m'y attendaient. Pendant mon
absence il y a eu bien des bombardements. J'ai pu voir les
trous des 210 autour de la carrière. C'est effrayant
! Il y a eu malheureusement des morts à
déplorer. Dans notre groupe, le sous-lieutenant
Franceski
de la 3e Bi a
été tué ainsi qu'un chasseur qui
faisait la liaison avec l'infanterie au PC du colonel. Le
capitaine Tastet
est blessé
avec le sous officier téléphoniste. Aux 2e et
3e groupes les pertes sont assez grandes. Les munitions de
la 3e Bi ont sauté à plusieurs reprises. Dans
les régiments voisins le désordre est le
même.
La route d'Ostel
à Vailly est maintenant battue plus que jamais et la
source qui est au pied de notre carrière est presque
inabordable. Vrai ! Tout cela n'était pas fait pour
m'encourager.
Pendant plusieurs jours
nous avons travaillé à nos lignes. Le 25 je
suis allé poser une ligne à découvert
du PC à l'ID* qui
se trouve à Jouy. Nous avons eu la chance de ne pas
être trop bombardés. Et pourtant combien d'obus
les Boches déversent sur cette région surtout
autour des fermes de Folemprise, de Rouge-Maison et vers
notre nouveau PO. Des troupes du 359 qui étaient
en
Nuage de gaz
asphyxiants sur le front
Soldats au
dépôt - En bas à gauche : Jean, le
frère de Pierre Hamès
La chose la plus
agréable ici c'est la nourriture. Tout le monde le
reconnaît. Nous sommes nourris mieux que dans aucun
régiment.
Aujourd'hui pour la
fête nous avons eu des repas copieux. A midi : potage
- hors d'œuvre : jambon pommes sautées et bœuf
haricots - salade - confiture gâteaux - vin et
champagne, cigare. Ce soir nous venons d'avoir : potage -
haricots mouton - salade, prunes, pêches et demi litre
de vin.
Qui sait pendant ce
temps ce que sont en train de faire les carnages.
Peut-être selon leurs habitudes les Boches tentent-ils
des attaques.
Vraiment le secteur n'est pas bon.
Depuis que je suis arrivé le communiqué en a
parlé à plusieurs reprises et je me demande si
le pauvre régiment n'a pas encore souffert.
Peut-être seront-ils bientôt relevés. Il
va y avoir deux mois en effet qu'ils sont en
position.
* ID = Infanterie Divisionnaire
** Phlegmon : Inflammation pouvant mener à un abcès
*** Verzy, Marne (51)
Le 22 juillet 1917
Il est deux dates dont je me
souviendrai car je puis dire que j'ai été joyeux. Elles
n'ont aucun rapport avec la guerre cependant. Le 17 est un jour de
délivrance, un jour où j'ai pu enfin parler, où
mon cœur s'est ouvert comme je le souhaitais depuis longtemps. A
dater de ce jour les tristesses, les moments de découragement
disparaîtront car la barrière qui existait va tomber. Je
parle de façon énigmatique mais je serai compris quand
même car le 17 aura été un jour de bonheur pour
deux personnes et le 22, aujourd'hui, est la confirmation de toutes
les bonnes nouvelles du 17. Oui la tristesse, les doutes, les ennuis,
la timidité, ce sentiment stupide, qui m'ont retenu depuis
longtemps disparaîtront. Je serai tel que je dois être,
je serai moi-même.
Je l'ai promis et je saurais
tenir cette promesse sacrée d'où dépend le
bonheur de ces deux personnes. Voilà si longtemps que je
souhaitais voir ce jour et je n'osais le provoquer. Ah ! Si
j'étais à Dunkerque en ce moment ! quel serait mon
bonheur.
Je voudrais bien savoir ce qui va
se passer dans la région du Nord. Déjà durant ma
permission les déplacement de troupes étaient nombreux.
Les Anglais relevaient nos troupes jusque la mer. La division
gauloise, déjà célèbre, est venue dans la
région de Dunkerque. Le 20e et le 3e corps les y ont
suivi.
Depuis, les Boches ont
attaqué et avancé dans le secteur des dunes. Ces
jours-ci l'artillerie anglaise martèle le front Boche. De
Dunkerque je reçois des nouvelles me faisant prévoir un
mouvement prochain. Aura-t'il lieu et réussira-t-il, je me le
demande. Je voudrais tant qu'il y ai du changement. Dans le secteur
de Craonne* et de la Royère, la lutte est toujours
vive, le communiqué annonce chaque jour des attaques boches.
Je me demande ce qu'est devenu notre régiment. Que de pertes
il y a peut-être à cette heure. Les batteries
étaient toutes si bien repérées. Et les
compagnons téléphonistes qui prennent la
tranchée ou l'observatoire ne doivent pas être
heureux.
Pendant ce temps, je jouis du
mieux possible des quelques jours qu'il me reste encore à
passer à l'arrière.
* Craonne, Aisne
(02)
Le 28 juillet
Eh ! bien vrai, ils en ont du toupet
les Boches. Nous dormions tranquillement cette nuit quand vers 11
heures nous avons été réveillés en
sursaut par une explosion. Aussitôt levés nous sortimes.
Une quantité de projecteurs fouillaient le ciel tandis que
plusieurs avions survolaient le pays. A de courts intervalles
plusieurs bombes tombèrent ici à la Courneuve, assez
près du dépôt. Vraiment ce n'était pas
très rassurant, mais quelques instants plus tard les
explosions se firent entendre mais beaucoup plus
éloignées, sans doute aux environs de la Villette.
Puis on n'entendait plus rien. Il
y avait à ce moment plus de 160 de nos avions en l'air. Le ou
les boches ont du filer rapidement pour éviter la
descente.
Malgré le succès
ponctuel de leur entreprise, il est un fait acquis, c'est que Paris
est bien gardé. Nous avons pu nous en rendre compte. Les
aviateurs ont fait tout leur devoir.
Il y a eu très peu de
dégâts et seulement quelques blessés. C'est
heureux.
Le 29 juillet
Cette nuit nouvelle alerte, mais sans
conséquence. Sans doute le Boche n'a-t-il pu arriver jusque
Paris : tant mieux.
Reçu nouvelles parents de
Dunkerque. Les anglais martèlent sans relâche le front
des Flandres depuis un moment. Quand l'attaque va-t-elle se
déclencher.
Le 9 août 1917
J'ai quitté le D.E.C.* pour
rejoindre au matin mon régiment. Je suis arrivé
à la position le 7 et la première nouvelle apprise a
été assez mauvaise. Quelques jours après mon
évacuation l'ordre est arrivé de me diriger sur l'Ecole
de Fontainebleau. Mon départ est donc raté, tout au
moins cette fois ci.
J'ai retrouvé le secteur
beaucoup plus calme qu'il ne l'était il y a un mois. Tout de
même pendant mon absence il a du y avoir de durs moments car le
secteur est tout retourné.
Je suis aujourd'hui au PO qui est
très bien installé et nous venons de subir un
bombardement assez fort. Maintenant tout est redevenu calme. Je n'ai
plus qu'à recourir par les boyaux réparer mes lignes
qui ont été coupées.
* Dépot des
Eclopés de la Courneuve ?
Le 10 août 1917
Heureusement que je disais que le
secteur est calme.
Depuis ce matin à 4h Fritz bombarde tout le secteur. Il a
cherché à attaque de Panthéon à la ravine
de Chevregny* mais a échoué selon l'habitude. Pour
nous, le résultat a été le même : depuis
5h jusque 13h j'ai couru sur la ligne BK qui passe dans la
région de Rouge-maison, l'un des plus mauvais coins. J'ai
été accueilli par un violent bombardement.
Enfin la ligne a tout de
même marché jusque ce soir ou après un nouveau
bombardement il a fallu retourner réparer. Cette fois cela a
été plus facile et en peu de temps, BK et les 2 lignes
du PO ont remarché.
Ce matin 65 prisonniers sont
passés à la carrière arrivant des lignes
où ils ont été pris cette nuit.
* Chevregny, Aisne
(02)
Le 19 août
Pas beaucoup de changements dans la
situation. Les journées se succèdent avec des
alternatives de calme et d'attaques.
Nous avons changé de
secteur depuis plusieurs jours. Nous tirons maintenant plus à
droite c'est à dire sur les Bovettes et le Panthéon. Il
y aura sans doute attaque d'ici quelques jours. Depuis un moment il
se fait de grands préparatifs.
Depuis 2 jours c'est le calme
à peu près plat. Nous sommes donc un peu tranquilles.
Cela n'empêche pas que nous courons sur les lignes quand
même quand elles ne sont pas abîmées par les obus
se sont les piétons qui les coupent.
L'aviation ennemie est
très active en ce moment. Les avions ne cessent de survoler
nos lignes à de faibles altitudes.
En 2 jours, ils ont mis en feu 5
de nos saucisses. Je me demande si on en fait autant chez eux.
La 66e DI bleue (7e groupe CA)
doit quitter le secteur ces jours-ci. Les compagnies qui sont en
réserve dans la carrière Rochefort (PC Rochette) vont
au repos aux environs de Paris. Ce sera peut-être bientôt
notre tour aussi.
22 août 1917
Il y a quelques jours, les Boches se
sont acharnés sur notre secteur. Une matinée, ils ont
bombardé le PO qu'ils avaient sans doute repéré.
Toutes les lignes étaient coupées. Je suis parti de
Rochefort avec un autre téléphoniste. Nous avons pu
faire les réparations sur une partie de la ligne, mais aux
environs du PO impossible de passer, le barrage était trop
intense. Nous sommes restés plus d'une heure dans le boyau
à 50 m du PO.
Les coups tombaient de tous
côtés et les éclats venaient tomber près
de nous. Peu à peu les Boches transportaient leurs tirs sur
Rouge-Maison, alors rapidement nous avons couru jusqu'au PO mais quel
spectacle. La ligne était hachée tout le long, le boyau
était retourné. Plusieurs obus étaient
tombés sur la sape. Heureusement qu'elle est très
solide.
Ce sont de rares incidents. Le
secteur est très calme.
Le 27 août 1917
Nous avons quitté la position
le 24 au soir et sommes descendu à l'échelon. La
relève vient enfin d'arriver en effet. C'est le 32e qui nous
remplace avec une division marocaine. La 13e DI était
déjà relevée depuis 2 jours. Le 25 dans la nuit
nous avons quitté Chassemy* et hier nous sommes arrivés
à Dommiers* à 12km de Soissons. Nous y resterons
quelques jours en attendant le 3e groupe qui n'est pas encore
relevé et ensuite nous irons plus loin. Le repos sera sans
doute de très courte durée. Peut-être
remonterons-nous dans le même secteur. Je vais enfin partir en
permission ces jours-ci et c'est là le plus
intéressant.
Dans la journée du 25 le
149 a fait un coup de mains. Une section de la 3e Bi tirait à
200 m des lignes. Le coup a réussi. 1 prisonnier a
été ramené. Les Boches n'ayant
déclenché leur barrage qu'au bout de 7 minutes il n'y a
eu aucune perte chez nous. La section d'artillerie vient d'être
citée à l'ordre du jour.
* Chassemy et Dommiers, Aisne
(02)
Le 12 septembre 1917
Parti en permission le 30, je suis
rentré hier à la batterie qui est maintenant à
Chaudun*. Les servants sont à Jouy en train de faire des
positions de batterie.
Nous allons sans doute remonter
dans le secteur ces jours-ci.
Cette fois, j'ai eu une
permission assez mouvementée. Les Boches sont venus à
plusieurs reprises jeter des bombes sur la ville et ont fait pas mal
de victimes et de dégâts. Malgré tout j'ai
passé 11 jours heureux. C'est dommage qu'ils soient
déjà finis. Il me faudra attendre maintenant de nouveau
4 mois.
* Chaudun, Aisne
(02)
20 septembre 1917
Je suis monté aux positions le
15 dans la nuit et depuis nous travaillons aux abris. Les batteries
seront installées le long de la route de Celles-Sancy*, au carrefour de Volvreux et de
Chantereine.
Le PC sera installé de
l'autre côté de la route dans un bois à 300m de
la ferme Vastiboule où se trouve le central de
l'armée.
Il va sûrement y avoir
attaque au commencement d'octobre. Les préparatifs se font de
tous côtés. Il y a déjà quantités
de batteries qui ont pris position et leur nombre augmente sans
cesse.
Les premiers jours de mon
arrivée tout était calme dans le secteur mais
maintenant l'activité croît. Les pièces lourdes
tirent à chaque instant et commencent aussi la
préparation d'attaque. Les Boches de leur côté
ont du amener de l'artillerie aussi car maintenant ils nous
bombardent. Ces jours-ci, ils s'en prennent particulièrement
au 222 qui est derrière nous, au 62e, aux lourds et au PC du
colonel qui sont sur la côte vers Chantereine au
Decauville** qui longe la route de Sancy, au 39e qui est
plus en avant vers Celles. Notre coin est le seul qui n'ai encore
rien eu.
Nous avons installé une
ligne avec PC Cable (PC Colonel) et une autre avec le PO qui se
trouve en avant de Jouy vers PC Caen (ID*** 43). Ces 2 lignes
trouveront sûrement de l'ouvrage les jours d'attaque car elles
passent dans de mauvais endroits.
* Celles et Sancy, Aisne
(02)
** Autorail Decauville
*** ID = Infanterie Divisionnaire
Le 27 septembre 1917
Enfin vais-je avoir tout de
même une meilleure situation. Tout porte à le croire
jusqu'ici. Pourvu que la désillusion ne survienne pas.
Je suis désigné en effet depuis longtemps pour partir
à Fontainebleau. Le jour du départ est enfin venu. Je
prends le train demain matin à Soissons et j'arriverais dans
la journée à Paris.
J'ai été
équipé complètement et depuis ce matin des
échelons, je suis allé à PC Cable me
présenter au colonel.
L'examen aura lieu d'ici une
huitaine de jours. Je voudrai bien le voir passé car j'ai peur
de ne pas réussir. Ce serait vraiment trop triste s'il me
fallait revenir au régiment et reprendre le métier de
téléphoniste.
Il faut absolument que je fasse
tout ce que je puis pour arriver. Espérons que la chance qui
jusqu'ici m'a toujours suivi ne m'abandonnera pas. Si je
réussis l'examen, je suivrais les cours de l'Ecole pendant
trois mois et après un nouveau concours, je sortirais
aspirant.
Le 7 octobre
Je suis arrivé à
Fontainebleau le 30 dans la matinée et aussitôt je me
suis fait inscrire à l'Ecole. Les cours ont commencé le
lendemain. Toute la semaine nous avons fait divers travaux
très intéressants. Pourtant nous n'avons pu y apporter
toute notre attention car il a fallu faire beaucoup de
mathématiques. Nous passons l'examen demain matin et toute la
semaine nous nous y sommes préparés. Je ne suis pas
fâché de voir cet examen arriver. Pourvu que je
réussisse. Je pourrais alors concentrer tous mes efforts sur
l'instruction nécessaire pour remplir mes futures
fonctions.
Les cours sont très
intéressants. J'apprends enfin tous les détails qui
étaient restés sans explications lors de mon passage au
dépôt. Nous avons un matériel tel qu'il nous est
aisé de travailler. L'étude du 79 est
particulièrement captivante. Nous en faisons 1 heure au moins
chaque jour et dans un moment ce sera encore élevé. Ce
qui me fait plaisir c'est que je constate que j'ai fait des
progrès à cheval. Au dépôt je n'ai jamais
pu faire de trot assis sans perdre l'équilibre ou sans prendre
une pose impossible à décrire. Maintenant je tiens
mieux et si je n'ai pas l'élégance d'une cavalier
accompli, j'arrive du moins à me tenir à peu
près comme il faut. Cette constatation a eu un effet heureux
pour moi. C'est que l'équitation me plait maintenant alors que
je l'avais prise en horreur. Je voudrais en faire d'avantage qu'on en
fait.
Nous sommes allés hier
après-midi faire du service en campagne en auto. Nous avons
traversé la forêt de Fontainebleau et sommes
allés faire de la topographie au delà de Moret
près de l'Aqueduc. Cette semaine nous devons avoir une
séance semblable mais à bicyclette. C'est donc
très agréable de travailler dans ces conditions. Dire
que si je réussis l'examen je mènerais cette vie
pendant 4 mois. C'est autrement agréable que d'installer des
lignes téléphoniques.
Le 11 octobre 1917
Enfin me voilà
libéré d'un grand poids. La liste des candidats devant
passer le repêchage vient d'être donnée. Je n'y
figure pas donc me voilà tranquille au sujet de l'examen. Je
vais pouvoir poursuivre mes cours durant 4 mois et je puis avoir
l'espoir de passer officier, ce qu'il faut à tout prix pour
que je puisse réaliser mes projets. En attendant ceux-ci
semblent prendre bonne tournure. Je voudrais connaître la
réponse à certaine lettre que je viens
d'expédier. Dire que peut-être d'ici quelques jours je
connaîtrais un des plus beaux jours de ma vie, du moins le plus
beau jusqu'ici. Aussi je suis bien impatient d'avoir cette lettre que
j'attends.
Nous continuons rapidement nos
cours et je m'y intéresse davantage tous les jours. C'est
dommage que nous ayons si peu de temps pour tout apprendre. Il y a
tant de choses qu'il serait utile de connaître en
détail.
Le 22 octobre
Les jours passent et m'apportent
toujours plus de joies. Samedi je recevais la lettre que j'attendais
tant. Elle ne m'annonce pas tout à fait ce que j'aurais
désiré, il y a eu en effet un léger retard, mais
tout de même, elle me permet d'avoir toute confiance dans
l'avenir car ce qui ne s'est pas réalisé tout de suite
le sera bientôt, peut-être à la fin de la
semaine.
Je suis allé passer la
journée d'hier à Paris. Je n'ai pas eu le temps de
m'ennuyer. Jamais je crois je n'ai éprouvé pareille
joie. Et dire que pendant 4 mois il en sera de même. Comment
n'aurais-je pas beaucoup de courage et d'espoir après
cela.
Nous avons un programme de plus
en plus chargé. Le travail ne nous manque. La semaine
dernière nous avons terminé les cours de dispersion et
d'effets du tir. Cette semaine nous commençons ceux de
fortification et de balistique.
En dehors de cela, l'instruction
sur le tir nous occupe beaucoup. C'est en effet pour nous
après les cibles à feu ce qu'il y a de plus important.
Nous sommes allés aujourd'hui au delà d'Episy* chercher
des emplacements de batteries et d'observatoires. Le service en
campagne devient ainsi plus intéressant. Demain nous allons au
polygone pour une séance pratique de topographie. A la fin de
la semaine nous aurons la première composition. Elle portera
sur l'instruction militaire.
J'ai eu indirectement des
nouvelles de mon régiment. Les pauvres n'ont pas le beau
rôle là-bas où je les ai laissés. La lutte
d'artillerie est très vive dans le secteur. Il y a quelques
jours, les Boches ont bombardé les échelons qui se
trouvaient derrière Sermoize**. Il y a eu paraît-il 4
ordonnances et plusieurs maréchaux tués dans mon
groupe.
* Episy, Seine et Marne
(77)
** Sermoize = Sermoise, Aisne (02)
Le 5 janvier 1918
Depuis trois mois je n'ai pas
touché à mes notes. C'est que si les jours se sont
écoulés bien rares ont été nos instants
de loisirs. Depuis huit jours nous avons terminé toutes nos
compositions et maintenant nous attendons les résultats. La
date de sortie est fixée jusqu'ici au 24. Je suis presque
certain de ne pas retourner au 12e. Nous avons pu intercepter
quelques renseignements.
Il est de coutume ici, dans
chaque nouvelle promotion, d'aller au moment de la sortie fouiller
dans le bureau du capitaine pour avoir toutes les notes. L'officier
n'est d'ailleurs pas sans le savoir : mais il ferme les yeux avec
complaisance. Cela n'a pas manqué de se produire dans notre
groupe. Il y a de quoi s'amuser le soir à voir les ombres
circuler autour du bureau, les lampes de poche s'allumer et tout le
monde fouiller dans les tiroirs.
J'ai ainsi appris que j'avais la
moyenne dans les compositions corrigées jusqu'ici.
C'est dommage que j'aie
raté un jour une école à feu. Cela me vaudra 1
000 à 1 500 points de moins et mon classement s'en ressentira
sûrement. Enfin un résultat est acquis : je ne serais
plus téléphoniste.
Ce qui me fait davantage de
plaisir, c'est de pouvoir désormais envisager l'avenir.
Dans un mois j'aurais rejoint le
front comme aspirant. J'ignore toujours ce que sera mon affectation,
sera-ce l'artillerie de campagne, l'artillerie de tranchée,
d'assaut ou l'artillerie lourde ? Quel que soit l'endroit je serais
plus heureux qu'autrefois. Certes je sais quelles lourdes
responsabilités j'aurais à assumer et je suis
prêt à faire tout mon devoir et à me montrer
à hauteur de ma tâche. Mais ce à quoi je pense
depuis longtemps, ce que j'ai déjà exprimé ici,
c'est que je vais pouvoir travailler à ma situation. Cette
chose me fait particulièrement plaisir.
Depuis le mois d'octobre j'ai eu
tant de raisons d'espérer. Tout ce que je souhaitais s'est
réalisé.
Je suis maintenant très
heureux puisque je puis voir librement celle qui est ma vie.
19 janvier 1918
Etre aimé de ce qu'on aime est
le premier des biens. Vivre avec ceux qu'on aime c'est plus que
vivre. Chez la femme, le cœur parle plus souvent que l'esprit ; chez
l'homme c'est le contraire.
On n'aime bien qu'une seule fois
dans sa vie (d'amour s'entend).
Un bon mari est pour une femme
vertueuse ce qu'est le soleil pour la terre.
Une bonne femme est pour un mari
vertueux une providence.
Aimer beaucoup c'est jouir et
souffrir tout ensemble.
Deux époux vertueux que
l'amour et l'amitié unissent sont l'image ici-bas d'une
félicité parfaite.
Ceux qui se laissent aimer sans
aimer ne sont pas longtemps aimés ; l'amour ne vit que de
réciprocité.
Le seul vrai bien pour la femme
serait d'être heureuse épouse et heureuse mère ;
mais combien peu jouissent de ce privilège. Les tristes ??? ne
sont bien souvent qu'une déception cruelle. Que de gens se
plaignent de n'être pas aimés alors qu'ils ne font rien
pour l'être ; l'indifférence engendre
l'indifférence.
Le 29 janvier 1918
Sorti le 9e de la série sur
140 j'ai pu choisir encore mon arme et j'ai obtenu comme je voulais
une place dans l'A.T.* Ce n'est peut-être pas
* AT = Artillerie de
Tranchée
Ce carnet se termine par cette phrase inachevée. Le suivant commence au 17 février 1918.
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