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Comprendre la guitare acoustique

15/11/06


Pour faire évoluer la guitare, des simulations numériques dévoilent le champ sonore à l'intérieur et autour de l’instrument. Comment fabriquer une bonne guitare ?

Les éléments d'une guitare classique
Source : Pierre-Étienne Nataf / Wikipédia

Une corde vibre selon des harmonies naturelles, mais le son qu’elle émet est à peine audible. Pourquoi ? Car le diamètre de la corde est trop petit pour rayonner dans l’air. Le rôle de la guitare est d’amplifier ce son à l’aide d’un mécanisme acoustique. Les cordes de la guitare sont fixées d’un côté au manche et de l’autre au chevalet, lui-même collé sur la table d’harmonie, fine plaque de bois. Les vibrations de la corde sont transmises à la table d’harmonie, laquelle rayonne efficacement dans l’air grâce à sa large surface. Mais le son émis de part et d’autre de la table s’annule pour les grandes longueurs d’onde, à moins qu’on ne l’enferme dans une cavité. Pour renforcer la puissance dans les graves, on perce dans la table d’harmonie un trou, appelé rose (ou rosace), ce qui crée de nombreuses résonances à l’intérieur de la caisse, dont la plus grave est la fréquence de résonance de Helmholtz en savoir plus. C’est cette fréquence que l’on entend quand on souffle dans une bouteille vide. Ce même principe est utilisé pour construire les enceintes bass reflex. Au XVIe siècle, la vihuela espagnole, ancêtre de la guitare classique, possédait déjà ces caractéristiques.

Lorsqu’on pince une corde de guitare, l’essentiel de l’énergie produite se dissipe au sein de la corde, et seule une faible partie est transmise jusqu’à nos oreilles. Pour obtenir une plus grande puissance sonore, il suffit d'agrandir le corps de la guitare et d'affiner la table d’harmonie, ce qui favorise sa mobilité. La masse des cordes augmente alors, induisant ainsi l'augmentation de leur tension, afin de conserver la même hauteur de note. Ces transformations fragilisant l’instrument, un système de barrage réalisé à l’aide de baguettes de bois dur collées sous la table de l’instrument a permis de garantir sa solidité. C'est au luthier espagnol Antonio de Torres (1817-1892) que l'on doit cette contribution majeure.

Les luthiers cherchent en permanence à faire évoluer la guitare. Pour bien faire, une bonne connaissance du fonctionnement intime de l’instrument est nécessaire. Celle-ci repose principalement sur leur expérience personnelle et la transmission des savoir-faire techniques. La recherche scientifique contribue quant à elle à une meilleure compréhension de la physique de l’instrument.

Un modèle physique de guitare

Nous avons élaboré un modèle pour décrire les phénomènes vibro-acoustiques mis en jeu lorsqu’on pince une corde de guitare. La corde est modélisée par une équation de corde vibrante, excitée par le pincer. Le mouvement de la table d’harmonie est décrit par l’équation de plaque mince dite de Kirchhoff-Love en savoir plus pour un matériau orthotrope - c’est-à-dire qui possède des veines comme le bois - et hétérogène (pour prendre en compte le barrage). Les pertes au sein de la corde et de la table sont prises en compte à l’aide de termes d’amortissement, de sorte que les hautes fréquences s’atténuent plus vite que les basses fréquences. Ce phénomène caractérise entre autres le timbre de l’instrument. Quant au champ sonore à l’intérieur et à l’extérieur de la cavité, il est décrit par les équations classiques de propagation du son en trois dimensions. Il reste à écrire de quelle manière la caisse interagit avec la corde et l’air. On suppose que la corde est en contact permanent avec la table au chevalet et qu’elle exerce sur cette dernière une force proportionnelle à sa tension. En outre, la table subit les efforts de pression de l’air environnant et transmet sa propre vitesse aux particules d’air immédiatement voisines. Le reste du corps de la guitare (fond, bord, manche) est supposé rigide, l’air étant immobile à la surface.

Les mouvements de la table d'harmonie d'une guitare sont décomposés sur ses modes élémentaires de vibration. Il en existe une infinité. Ci-dessus les cinq premiers modes calculés par notre modèle. La couleur verte indique le niveau de la surface médiane, le rouge une surélévation (bosse) et le bleu un abaissement (creux).

Évolution du champ sonore dans l'air environnant la guitare juste après que le doigt a lâché la corde. On observe ici l'écart à la pression ambiante dans trois des plans de coupe passant par le centre de la guitare. La couleur bleue désigne une dépression de l'ordre de - 6 pascals, tandis que la rouge désigne une surpression de + 6 pascals. En tirant sur le chevalet, la corde crée une dépression locale à l'intérieur de la caisse et une surpression au-dessus de la table. Ces fluctuations de pression rayonnent vers l'extérieur et se déplacent à l'intérieur de la caisse en se réfléchissant sur les éclisses et le fond en faisant vibrer la table et en s'échappant partiellement par la rose.

Images : © INRIA / Projet ONDES et Arghyro Paouri

La résolution numérique

Déterminer la solution analytique de ce jeu complexe d’équations à l’aide d’un crayon et d’une feuille de papier, nous ne pouvons l'envisager ! Il nous faut mettre en œuvre une méthode numérique pour en calculer une approximation. Les équations décrivent les vibrations à chaque instant et en chaque point de l’instrument, donc en une infinité de points : le problème est continu. Un ordinateur ne pouvant traiter qu’un nombre fini de données, nous cherchons une approximation de la solution basée sur un nombre fini de valeurs : c’est la discrétisation du système continu. Pour approcher l’équation de corde, nous la découpons en un nombre fini de segments. La solution est alors calculée en chaque segment à des instants successifs séparés par une durée très courte appelée pas de temps (ici 20 microsecondes). De même, l’air est coupé en petits cubes. Comme pour la timbale (voir Le son des timbales de A. Chaigne, P. Joly et L. Rhaouti bientôt sur Interstices), on limite le volume de calculs en supposant les parois parfaitement absorbantes. La guitare a en quelque sorte disparu de ce maillage en cubes : on appelle cette méthode les domaines fictifs. Pour calculer l’interaction entre l’air et la guitare, on introduit un maillage de la surface de la caisse, constitué de triangles aux sommets desquels la différence entre les pressions interne et externe est calculée. Les mouvements de la table sont quant à eux décomposés sur ses cinquante premiers modes de vibration (figure du haut). Cela nous ramène à cinquante équations dépendant du temps, solvables « à la main ».

Le calcul le plus limitant est celui qui concerne l’air : il y a cent points sur la corde, 3 000 points pour calculer les modes de table et un million de points dans l’air. Calculer six secondes de son (300 000 pas de temps) nécessite deux heures de calcul sur un bon PC. Les simulations numériques obtenues à l’aide de ce modèle révèlent les vibrations de l’instrument au cours du temps lorsqu’on pince une de ses cordes et la pression dans l’air environnant la guitare (figure du bas). Suffisamment proche de la réalité, le modèle proposé simule un grand nombre de caractéristiques des guitares réelles, comme la puissance de l’instrument dans les différentes directions à une fréquence donnée (sa directivité), une donnée qui intéresse les preneurs de son. Le modèle informe en outre sur des phénomènes difficilement accessibles, tels le transfert d’énergie entre les diverses parties de l’instrument.

Ce modèle procure ainsi une aide à la conception et à l’innovation. Il permet en effet de tester l’influence d’une modification structurelle de l’instrument, par exemple pour l’adapter à la morphologie des enfants, mais aussi des matériaux nouveaux. Cette seconde problématique deviendra d'ailleurs une question cruciale dans les années à venir, en raison de la disparition de certaines essences de bois exotiques traditionnellement utilisées en lutherie, quelques-unes sont déjà interdites d’exploitation.

Si vous avez envie d'en savoir plus definition sur les simulations de la guitare acoustique.

Une première version de cet article est parue dans le dossier n°52 La modélisation informatique, exploration du réel de la revue Pour la Science document externe au site, numéro de juillet/septembre 2006.

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