(département de La PAZ; BOLIVIE)
Ingénieurs sans Frontières-Besançon qui étudie un projet de barrage pour le petit village de Saya (à 1 journée de route de La Paz) avait demandé aux missionnaires H.S.F. en Bolivie d y faire une visite.
David GENOUX, jeune coopérant à l 'Observatoire sismique San Calixto (La Paz)-qui connaissait déjà le village- et Javier Ochoa technicien à l'Observatoire et originaire de Saya, nous ont accompagnés.
Depuis La Paz il faut une journée complète en 4 x 4, soit 10 à 11 h de route: 300 km dont 165 km sur des pistes de terres, cailloux, bordant souvent des ravins impressionnants. A la fin de la route, il reste encore 1 h 30 de marche sur un sentier à flanc de montagne pour atteindre le village.
Ses habitants ont déjà prouvé leur courage et leur ténacité en construisant eux-mêmes, à la pelle et à la pioche, depuis 1968 la route de 24 km " puisque le Gouvernement n'aide pas le village, il faut nous aider nous-mêmes". Tous les ouvriers du village -environ 100 hommes à tour de rôle- sont mobilisés quelques 2-3 mois par an. Là où il y a de la roche dure, il faut louer des compresseurs et acheter des explosifs et c'est toute la difficulté dans ce village qui vit en autarcie et a très peu d'échanges monétaires.
Il reste environ 6 km à faire pour désenclaver le village et permettre l'accès des camions: peut-être 3-4 ans de travail car il y a des passages de roches dures, mais avec les résultats déjà probants (murs de soutènement en pierres sèches impressionnants) on peut être confiant.
Le barrage se situe à 1000 m au-dessus du village (dont on parcourt environ une dénivelée de 700 m en mule: 1 h 30). Les paysans avaient construit un premier barrage, simple mur vertical en maçonneries de 3 m de hauteur en 1967 qui n'a pas résisté à la première mise en eau: des grosses pierres ont dévalé jusqu'au rio de la Paz, à 2000 m en contrebas. L'ouvrage actuel (1972),de 4,10 m de hauteur (épaisseur: 2 à 2,5 m à la base jusqu'à une hauteur de 2,5 m; de 2,5 m de hauteur jusqu'à 4,10 m, l'épaisseur diminue de 1 m jusqu'à 0,60 - 0,70 m), aurait déjà connu le même sort s'il n'était bloqué sur de solides appuis rocheux. Le barrage fuit, le canal fuit: 50 % de pertes en saison sèche, 80 % en saison des pluies.
Actuellement, les droits d'eau appartiennent seulement
à ceux qui ont construit le barrage existant (45 familles) et seules
25 % des terres sont irriguées (35 ha ?)(1).
80 familles -et notamment des jeunes- sont demandeurs.
Les
cultures s'étagent depuis le rio de la Paz (2000 m d'altitude,
climat quasi-tropical) jusqu'à 3800 m. Le village produit selon
l altitude des pommes de terre, du blé, des fèves, un peu
de café (pour leur propre consommation), des mangues, des agrumes
(mais qu'une maladie a décimés), des avocats, ...
Il ne semble pas y avoir de vaches laitières, seulement des bœufs pour le labour.
Pour utiliser au maximum les possibilités d'irrigation actuelles, les paysans se relaient nuit et jour aux champs.
L'économie est basée sur l'autoconsommation. A peine une cinquantaine de camions (de 20 t) de pommes de terre principalement (un peu de légumes) sont vendus chaque année ( En moyenne, 1 sac de 50 kg de pommes de terre est vendu 100 Bolivianos (= l00F). Lorsque la route sera terminée et l'eau d'irrigation disponible, les paysans espèrent doubler la production commercialisée.
La population (d'origine Aymara ou métis) est stable depuis une vingtaine d'années, nous dit-on (2) car la terre ne peut pas nourrir davantage de personnes. Et cependant, les femmes se marient jeunes ( environ 18 ans) et ont en moyenne 5 enfants. Les "excédentaires" vont à la ville et exercent de petits boulots (commerces de rues, artisans...). Environ 30 familles sont "expatriées" et participent par une "cotisation" aux travaux du village.
L'état sanitaire paraît correct -autant qu'on puisse en juger par un coup d'œil extérieur- et, quoique aucun médecin ou infirmier ne prenne en charge le village, la population ne nous signale pas de maladies particulières: diarrhées, grippes... On se soigne avec des herbes ; la consultation de médecin est inaccessible, et par l'éloignement et par le coût (100 B = 100 F). Impossible également d'avoir des données sur la mortalité périnatale.
Il n'existe pas de latrines, collectives ou familiales: tout le monde fait ses besoins n'importe où, sur les tas d'ordures, dans le caniveau des rues ou au bord des routes.
Le climat relativement sain permet sans doute d'échapper aux graves maladies infectieuses et l'on nous dit que l'espérance de vie est de 70 ans en moyenne (alors qu'elle est proche de 55 ans dans d'autres populations paysannes)
L'école scolarise une centaine d'enfants (en principe, tous les enfants) de 6 à 15 ans. une quarantaine irait ensuite à La Paz pour poursuivre des études au Colegio jusqu'au bac. Mais après, "pas de bourse pour les enfants de paysans à l'Université".
Nous avons rencontré plus longuement l'instituteur -Hugo Walter- et il nous a invités à venir visiter sa classe. C'est un jeune, fraîchement nommé (comme partout, aux " bleus " les conditions les plus ingrates: maisons d'adobe sans latrines, eau à la fontaine en bas du village...). Il ne se plaint pas de son sort mais plaide pour son école: la tempête a emporté le toit d'une classe et l'humidité ruine les murs de briques crues. Les villageois en construisent une autre mais il manque de quoi payer 50 sacs de ciment (à 50 B le sac) et 20 quintaux de tôle ondulée (* 200 B le quintal). Nous avons constaté que les enfants sont obligés de s'asseoir à 3 ou 4 sur des bancs prévus pour 2 car les salles restantes sont trop petites. Mais cela n'empêche pas les sourires d'éclater sur toutes ces frimousses !
Par chance, à notre retour à La Paz, nous avons pu contacter le Proviseur du Lycée franco-bolivien (Salvatore Origlio) très ouvert à ce type d'action et nous avons bon espoir qu'avec une aide de l'Ambassade de France (L'éducation fait partie de ses domaines d'intervention), la construction des 3 salles de classes nécessaires -et même une petite bibliothèque, le rêve de Hugo pourra être mené à bien.
Pour décider ensemble des actions à mener, une réunion générale eût lieu avec tout le village: femmes et bébés, enfants de l'école, des jeunes, des hommes d'une cinquantaine d'années ou plus et qui paraissaient être les vrais piliers du village et les plus engagés dans ce projet, les autorités (corregidor, représentant le Ministère de l'intérieur; agente municipal; représentant du Syndicat)... une bonne centaine de personnes y assistèrent. (dont 45 hommes adultes).
Brice, à l'aide de schémas sur le bout de tableau (fendu)
emprunté à l'école, expliqua les causes de rupture
du premier barrage et la situation du barrage actuel qui ne tient que grâce
aux appuis rocheux.
Il esquissa les possibilités d'un barrage futur: surélévation
de 3 m ou plus et extension jusqu'à des appuis en berges. Il faudra
ajouter 4 fois le volume actuel, soit 500 m3 en béton cyclopéen
(b.c.) avec des coffrages en bois Quelques explications suivirent sur le
b. c. à disposer par couches de 20 cm d'épaisseur; béton
très riche avec sables et graviers; les pierres propres doivent
être bien enveloppées dans le béton. Jusqu'à
2-3 m de hauteur. c'est facile. Au-delà. il faut placer des tubes
plastique avec des aciers à l'intérieur pour tenir le coffrage
amont . La prise d'eau actuelle est à réutiliser après
re-chemisage mais sa capacité d'évacuation devra être
doublée au moyen d'un siphon (ou 2).
Le travail pourrait se dérouler ainsi:
I ) dès que possible, construire une cabane de chantier pour le stockage de ciment pour 1 jour de travail (environ 100 sacs de ciment, même si le gros du stock reste dans le village)
- approvisionner en matériaux: pierres de 40 de côté, les plus cubiques possible (environ 200 m3); sables et graviers (environ 2()0 m3)
2) dès que l'eau commence à descendre nettoyer les rochers de fondation dans l'emprise du futur barrage.
Le temps de travail au barrage étant très court sans attendre d'argent il faut commencer cette première partie
3) le volume de travail par ouvrier/jour est estimé à lm3 de béton.
Après l'étude de 3 variantes possibles (barrages-poids, voûte multiple et enrochements avec masque amont en béton armé- c'est cette dernière qui semblerait la mieux adaptée au contexte de Saya car elle exige le maximum de main-d'œuvre et le minimum de ciment, donc de finances extérieures.
Avec un coût en ciment probablement inférieur, on devrait arriver à surélever Le barrage de 6 m et donc plus que tripler sa capacité... mais la topographie devra étre vérifiée
Cette variante aurait aussi l avantage d'être réalisable par étapes et donc détaler le financement.
Le coût du barrage a été évalué à 125000 F (il faut acheter 2500 sacs de ciment * 50 F/sac pour mettre en place 500 m3 de béton cyclopéen)
Ingénieurs sans Frontières et Hydraulique sans Frontières pourraient encadrer le chantier. On envisage un démarrage en juillet 97 avec une centaine de villageois, maçons et manœuvres qui se relaieraient à tour de rôle
(1) Les chiffres ici sont très aléatoires: les paysans ne connaissent pas bien la surface qu'ils cultivent en ha mais sont affirmatifs sur la proportion, 25 % des terres cultivables.
(2) Il n'a pas été possible de le vérifier car les registres d'Etat-civil sont centralisés à La Paz