Le 20 février 1916, au soir, nous venions de nous endormir quand vers 10 heures et demi, nous fûmes réveillés brusquement. Alerte! Tous debout, en tenue et rassemblement dehors dans la cour de la caserne. Nous "poirautâmes" plus de deux heures (qu'importait pour les états-majors de nous imposer cette fatigue inutile). A 1 heure et demi le régiment s'ébranla. Où allions-nous? Bien entendu, nous n'en savions rien. Les bergers le dirent-ils au troupeau? Nous marchâmes ainsi plus de 20 kilomètres. Je dormais à moitié et à plusieurs reprises, par suite de ralentissement de la colonne, je butais dans celui qui me précédait. Comme d'usage, on faisait la pause tous les 4 kilomètres. Pendant quelques minutes, on s'allongeait tel quel, sac au dos, dans le fossé. Nous arrivâmes au matin au village de Parois et lûmes sur une borne : Verdun, 24 kilomètres. Pendant la marche, nous avions entendu se rapprocher en s'amplifiant, le bruit d'une canonnade ininterrompue dont les lueurs rougeoyaient le ciel. Je me souviens bien de cette marche nocturne effectuée tout juste au début de cette bataille de Verdun, le 21 février 1916. A Parois, nous cantonâmes dans les granges. Le bruit du canon se faisait de plus en plus fort, au nord et à l'est. Nous dormîmes là, mais pas très longtemps, car à 4 heures du matin (c'était donc le 22 février), départ. On s'arrêta dans des baraques sous bois, d'où à 17 heures on démarra pour les tranchées. Ah! Cette relève! (Quand on montait en ligne, c'était toujours pour remplacer, relever un autre régiment). Il neigeait. La nuit tombait. Nous prîmes d'abord un chemin qui se révéla bientôt être soumis aux tirs de barrage. Quand on sentait arriver un obus, automatiquement tout le monde allait au fossé. Puis on quitta la route, on entra sous bois, sous les tirs de barrage de plus en plus intenses dont les Allemands arrosaient tous les arrières de la zone de Verdun. Des obus lourds traversaient le ciel, avec un bruit roulant de wagons. Ils étaient sans doute destinés aux gares, dépôts, noeuds de communications. D'autres sifflaient avant d'éclater plus près de nous, mais nous fûmes surtout "arrosés" par des "fusants" qui éclataient en l'air. Ce tableau des soldats qui couraient à travers les arbres, sous la neige qui tombait drue et les éclairs des éclatements d'obus, me faisait penser aux poésies de Déroulède sur la guerre de 70! |
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Verdun 1916, page 1/5 | |
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