Durant la dernière décennie, l’effort de recherche dédié à l'étude du comportement des matériaux au travers d'études à l'échelle atomique s'est considérablement intensifié. En science des matériaux des progrès importants ont pu être ainsi réalisés en combinant la simulation numérique à plusieurs échelles et les expérimentations. C’est dans ce contexte effervescent que Guillaume Anciaux* de l’équipe-projet SCALAPPLIX (INRIA Futurs/LaBRI) a collaboré avec le CEA pour concevoir un prototype d'environnement de simulation informatique de couplage de codes qui permettrait de tirer parti de logiciels génériques déjà existants afin de réaliser une simulation multi-échelles de solides. Le résultat de cette collaboration est LibMultiScale, une plate-forme distribuée sous licence libre. Zoom sur un outil innovant parfaitement adapté pour scruter le comportement à l’échelle atomique.
Le terme de nanotechnologie est généralement utilisé pour qualifier la recherche et l'utilisation technologique des propriétés de la matière à des échelles inférieures à un millier de nanomètres. Les microscopes électroniques à haute résolution qui sont aujourd'hui disponibles permettent de discerner les atomes, et la manipulation de ces différents atomes est désormais rendue possible par l'utilisation des techniques de sonde à balayage. De plus, les techniques permettant de synthétiser des objets nanométriques existent bel et bien et la technologie nécessaire pour concevoir des systèmes tels que de petites molécules est aujourd'hui une réalité.
Le terme nano-mécanique est lui typiquement associé à l'étude et à la caractérisation du comportement mécanique d'un groupe d'atomes, à des systèmes à l'échelle atomique et aux structures résultantes de l'application de divers types de force ou de condition de charge. La nature spécifique de la recherche en nano-mécanique varie généralement en fonction de la discipline étudiée. On peut citer par exemple l'étude de l'impact de la fissuration sur les matériaux, l'étude des propriétés mécaniques des nano-composites, l'étude des écoulements à l'échelle atomique ou encore l'étude des membranes des cellules biologiques.
En science des matériaux des progrès importants ont pu être réalisés en combinant la simulation numérique à plusieurs échelles et les expérimentations. En effet, grâce à l'augmentation permanente de la puissance des supercalculateurs ainsi que de la connaissance grandissante des comportements des matériaux, les méthodes multi-échelles ont récemment émergé comme étant un outil de choix pour relier le comportement mécanique des matériaux à l'échelle atomique la plus fine avec l'échelle macroscopique. Les méthodes multi-échelles permettront certainement d'allier approche expérimentale, approche théorique et simulation numériques dans le but de mieux comprendre le comportement des matériaux.
En ce qui concerne les solides, les recherches sur le comportement à l'échelle atomique ont d'ores et déjà conduit à certains succès dans la conception de composants nanométriques, dont les nanotubes de carbone en sont un exemple. Les approches « tout atomique », valables pour des objets isolés, ne sont en général pas utilisables pour déduire par la simulation le comportement des matériaux homogènes, qu'ils soient cristallins ou amorphes. Bien que l'échelle pertinente soit l'échelle atomique pour la plupart des mécanismes impliqués dans le comportement de ces matériaux (par exemple la formation de microfissures, la propagation de défauts du cristal), l'échelle nécessaire pour obtenir un comportement « moyen » représentatif est en général bien supérieure aux capacités de calculs actuelles. En effet, les méthodes de dynamique moléculaire classiques permettent tout juste d'atteindre le micromètre cube sur les calculateurs les plus puissants, une échelle encore inférieure à celle nécessaire pour décrire un comportement représentatif pour la plupart des matériaux.
La plupart des défauts impliqués dans le comportement des matériaux font intervenir à la fois des mécanismes à l’échelle atomique et des champs à très longue portée à l'échelle de plusieurs microns.C'est par exemple le cas des microfissures dans les matériaux cristallins, dont la propagation se fait par une modification complexe de la structure atomique en pointe de fissure mais dont les champs « rayonnent » bien au delà de la zone perturbée atomiquement. De tels systèmes, qui ne peuvent pas être modélisés ni de manière 100\% atomique (en raison du poids du calcul) ni de manière 100\% continue (le mécanisme étant fondamentalement atomique et discret) peuvent cependant être abordée par des techniques récemment développées de couplage d'échelles/méthodes multi-échelles.
Guillaume Anciaux de l’équipe SCALAPPLIX (INRIA Futurs/LaBRI) a donc collaboré avec le CEA pour concevoir un prototype d'environnement de simulation informatique de couplage de codes qui permettrait de tirer parti de logiciels génériques déjà existants afin de réaliser une simulation multi-échelles de solides. Le résultat de cette collaboration est LibMultiScale. Développé en C++, cette plate-forme informatique est dédiée à la simulation mécanique des solides. Elle permet notamment de manipuler des codes de dynamique moléculaire et des codes d'éléments finis afin de les coupler ensemble.Cet environnement prend la forme d’une librairie qui fournit une API (Application Programming Interface), rendant plus aisée la programmation de simulations de solides couplés. Ainsi, LibMultiScale fournit des interfaces templatées, réduisant considérablement le travail d’intégration de tels codes de simulation. A l’heure actuelle, la seule implémentation stable pour le couplage qui est utilisable dans LibMultiScale est basée sur la Bridging Method de T. Belytschko et S. Xiao. LibMultiScale a déjà fait l’objet de premières validations sur différents cas tests. Par exemple, les problématiques de la propagation d’onde et de la fissuration de la matière condensée ont été considérées.
De plus, LibMultiScale est distribuée sous la licence libre CECILL-C, permettant ainsi à la communauté scientifique de contribuer aux succès de ce programme. S’inscrivant dans un contexte de demande croissante de logiciels libres et ouverts, la licence CECILL-C, issue de la collaboration entre le CEA, le CNRS et l’INRIA, a été conçue comme un outil juridiquement efficace et original au service de la communauté des développeurs de logiciels libres, des entreprises et organismes qui désirent les utiliser avec une meilleure sécurité juridique.
* Ce texte a été rédigé principalement grâce aux contributions de Guillaume Anciaux.