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Le Cirque d'Hiver retrouve sa façade d'origine : un festival de polychromie et bas-reliefs dessinés par l'architecte Jacques-Ignace Hittorf.
Jean-Jacques Ceccarini/Le Figaro |
En vue
Le Cirque d'Hiver entre en piste
Marie-Hélène JACQUIER (mercredi 31 octobre 2007)
Sur l’ancien boulevard du crime, la façade du Cirque d’Hiver a retrouvé sa splendeur d’origine. Émerveillement au-dehors et enchantement au-dedans avec le tout nouveau spectacle Bouglione.
Une façade d’apparat. Évidemment, vous en trouverez toujours dans le quartier pour regretter « l’époque où ça sentait le fauve, le foin, où l’on entendait au petit matin les hennissements des chevaux, où l’on croisait au Clown Bar la femme serpent et les nains qui faisaient tomber les plus belles filles ». Pourtant, aucun de ces nostalgiques n’a jamais vu le Cirque d’Hiver comme vous allez le voir : dans sa façade d’apparat originelle, tel qu’il était au moment de l’inauguration le 11 décembre 1852 par Napoléon III. Un festival de polychromie et bas-reliefs dessinés par l’architecte Jacques-Ignace Hittorf, concepteur notamment de la gare du Nord et de la Gaîté lyrique, aménageur de la place de la Concorde et des Champs-Élysées. Construit pour être le pendant du Cirque d’Été (sur les Champs-Élysées), celui qui s’appelait alors Cirque Napoléon était à l’époque une nouvelle forme de bâtiment dédié à un nouveau spectacle en vogue à l’époque depuis son lancement par le Britannique Philip Astley : le cirque. En bref, le Cirque d’Hiver fut en son temps le Zénith, la Géode...
Eau à tous les étages. Ce véritable manifeste de l’architecture néoclassique, qui fait partie de notre quotidien parisien, a eu chaud. La restauration a quasiment été un sauvetage selon l’architecte Romain-Louis Pérouse de Montclos (agence Anthony Bechu) qui dirige la rénovation. « Elle a duré plus longtemps que prévu, dit-il, car l’état sanitaire du bâtiment était plus grave qu’on ne l’imaginait. Des peintures plastiques empêchaient les eaux de pluie de s’évacuer, la pierre était devenue virulente, effritée, fragilisée. »
Alors, avec Francesco Bouglione, huitième génération de la célèbre famille dirigeant le cirque depuis 1934, on lève la tête et on admire ce monument singulier avec ses 42 mètres de diamètre et ses 40 fenêtres. Là, tout en haut, sur le couronnement du bâtiment, les lions de l’origine ont refait leur apparition. Sur les murs, les bas-reliefs mêlant scènes de cirque antique, moderne et mythologies ont retrouvé leurs volumes et leurs couleurs pour se lire comme un livre d’images. Les grilles et les lanternes de fonte, qui ont laissé passer et ont éclairé la faune humaine et animale la plus incroyable de chaque époque, repeintes en vert bronze, ont retrouvé leur prestige d’antan. Que le spectacle commence !
CRITIQUE.
Vestiges des chevaux, ces dieux du cirque
Ces kitchissimes anciennes stalles, à côté du magnifique abreuvoir en pierre, dit « Napoléon III », non loin du bar, sont devenues un banal élément décoratif. C’est un vestige des chevaux qui firent la gloire du cirque, bien avant les fauves et autres caniches ou éléphants à tricycle. La plus noble conquête de l’homme a même déterminé la scénographie du cirque. Si la piste est circulaire, c’est pour permettre le galop à vitesse constante, et ainsi à l’écuyer, légèrement penché vers l’intérieur, de pouvoir rester debout sur sa monture grâce à la force centrifuge. Et si son diamètre est de 13 m, c’est pour atteindre deux fois la longueur de la chambrière nécessaire
pour les guider. Aujourd’hui, en dehors des spectacles où ils vivent derrière le bâtiment, dans les écuries, plus de chevaux sur place : ils sont au vert, en Normandie !
La Marianne rendue politiquement correcte
La restauration de la façade a permis quelques heureuses découvertes comme cette Marianne écuyère, statue dominant l’entrée du cirque, sur la gauche. Sa coiffe vue du sol est un casque guerrier. En réalité, c’est un bonnet phrygien customisé à la hâte par l’ajout d’un cimier posé
grossièrement dessus. Pour déjouer définitivement toute mauvaise interprétation, les sculpteurs avaient même rajouté une lance guerrière. Un « politiquement correct » pour l’époque puisque, au moment de la construction du cirque, Louis Napoléon Bonaparte venait de faire son coup d’État pour réinstaurer l’Empire et qu’il valait mieux ne pas froisser sa susceptibilité en lui rappelant la République. Autre découverte :
l’aigle de couronnement au-dessus de la porte d’entrée est fracturé. Pour fêter cette fois-ci la chute de Napoléon III.
Décor d’apparat pour Monsieur Loyal
Surplombée de lustres, d’un ciel étoilé (qui à terme devrait être
également restauré), bordée de grands rideaux rouges, la piste
du Cirque d’Hiver en jette ! Avec son exceptionnel orchestre
de 12musiciens, cuivres et cordes, elle place le Cirque d’Hiver au rang des plus prestigieux dumonde. « Attention,mesdames et messieurs le spectacle va commencer »…lamagie opère sous la gouverne de son Monsieur Loyal devenue star internationale, Sergio, après être entré dans lamaison à l’âge de 15 ans. Dans son frac rouge, il lance la femme-canon, la troupe chinoise acrobatique, la roue de la mort, l’éléphanteMicky…Le public retient son souffle comme celui qui, en 1859, s’enthousiasma du spectacle de trapèze volant inventé ici. Il s’émerveille sans se douter que sous ses pieds se trouve une autre prouesse technique : une piscine de 600 000 litres d’eau ! Inaugurée en 1933 parMistinguett, elle est aujourd’hui utilisée par Irina Bouglione dans un numéromêlant trapèze et chorégraphie aquatique.
Au bar le spectacle continue
Lui, c’est le coeur des entractes. Il en a vu passer des beautés, des cabossés ! Ça sent le chaud, le sucré ;mais surtout, le nez en l’air, on admire la superbe et vieille frise rendant gloire aux métiers du cirque et du spectacle. On se perd en conjectures (« Ça ne peut pas dater de la création du cirque puisqu’il y a un Charlot ») et on lève son verre : « À l’artiste inconnu, le public reconnaissant ! »
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