La
décision du 14 janvier 2003 du TGI de Lons-le-Saunier
dans l'affaire Pere-Noel.fr., illustre la confusion
juridique enveloppant la notion de nom de domaine. Elle
démontre que la sécurité juridique impose que le choix
d'un nom de domaine fasse l'objet d'une véritable stratégie
de la disponibilité : construire la chaîne des antériorités
constitue un outil indispensable de management du risque
juridique.
Bref
rappel des faits
- le 20 juillet 1998, la société
Aricia réserve le nom de domaine Pere-Noel.com;
- le 30 juin 1999, la société Pere-Noel.fr s'immatricule
au registre du commerce et des sociétés;
- le 6 septembre 1999, la société Pere-Noel.fr réserve
le nom de domaine PNR qu'elle exploite sur Internet
à compter de décembre 1999;
-au plus tard en décembre 1999, la société Aricia exploite
son nom de domaine;
-le 20 mars 2000, la société Aricia cède son nom de
domaine à MM. de Repaire et de Montesquiou;
-le 14 avril 2000, la société Aricia dépose la marque
Pere-Noel.com.
-les 15 et 18 mai 2000, la société Pere-Noel.fr dépose
les marques Pere-Noel.com et Pere-Noel.fr.
Le
20 juillet 2001, la société Pere-Noel.fr assigne la
société Aricia en nullité de la marque Pere-Noel.com
et en paiement de 20.000 francs à titre de dommages-intérêts.
Le 16 mai 2002, Messieurs de Repaire et de Montesquiou
demandent que la société Pere-Noel.fr soit déboutée
de ses demandes, qu'il lui soit interdit d'utiliser
le nom de domaine Pere-Noel.fr ainsi que sa raison sociale,
que ses marques Pere-Noel.fr et Pere-Noel.com soient
annulées et qu'elle soit condamnée à 50.000 francs de
D.I.
Le tribunal a donné raison
à la société Pere-Noel.fr, en annulant la marque Pere-Noel.com
déposée par la société Aricia, mais aussi à MM. de Repaire
et de Montesquiou, en annulant les marques Pere-Noel.com
et Pere-Noel.fr. de la société Pere-Noel.fr.
La société Aricia soutenait
que la raison sociale de société Pere-Noel.fr violait
ses droits, créant un risque de confusion entre les
deux entreprises. La société Pere-Noel.fr ne pouvait
défendre sa raison sociale face à la marque Pere-Noel.com
déposée par la société Aricia, cette raison sociale
ayant été elle-même acquise en violation des droits
conférés à la société Aricia par sa réservation du nom
de domaine avant l'immatriculation. Nul ne peut, en
effet, se créer un droit en violant les droits d'autrui.
Le tribunal estime que "cette
marque (la marque Pere-Noel.com déposée par la société
Aricia) est la reproduction identique dans son élément
distinctif "pere-noel" et quasi identique dans sa globalité
de la raison sociale de la Pere-Noel.fr ". Il ajoute
que "la société Aricia ne saurait être titulaire d'un
nom de domaine antérieur à la marque Pere-Noel.com,
enregistré le 20 juillet 1998, dès lors qu'elle n'en
est plus détentrice pour l'avoir cédé le 14 avril 2000
à Messieurs de Repaire et de Montesquiou.". Pourtant,
pour apprécier si l'expression "pere-noel" pouvait être
utilisée dans la raison sociale de la société Pere-Noel.fr,
il faut se placer à la date de son immatriculation.
Or, au 30 juin 1999, la société Aricia était bien titulaire
du nom de domaine Pere-Noel.com. Que ce nom de domaine
ait été ensuite cédé ne diminue en rien les droits de
la société Aricia avant cession.
Il aurait fallu contester l'existence
de droits de la société Aricia, du fait de la non-exploitation
de son nom de domaine, pour poursuivre l'annulation
de la marque. Réservation ne signifie pas exploitation.
L'exploitation du nom de domaine implique qu'un site
Web soit ouvert sous ce nom et fonctionne réellement,
viennent d'affirmer deux récents jugements (TGI Paris,
9/7/ 2002 et TGI Nanterre, 4/11/2002). Si la société
Aricia avait exploité un site Internet sous le nom de
domaine Pere-Noel.com avant immatriculation de la raison
sociale Pere-Noel.fr, elle aurait pu invoquer ses droits
sur l'expression "pere-noel" et demander d'interdire
à la société Pere-Noel.fr d'utiliser cette expression
dans sa raison sociale, ses noms de domaine ou ses marques.
Toutefois, cette exploitation effective ne semble remonter
qu'à décembre 1999, soit après l'immatriculation. Ce
qui justifie la décision du tribunal.
Trois
leçons à en tirer
Tout d'abord, avant tout dépôt,
il faut tracer la chaîne des antériorités pour éviter
un conflit avec le titulaire de droits antérieurs identiques
ou similaires. Une recherche d'antériorité permet de
savoir si le signe envisagé est disponible.
Ensuite, il faut savoir que
le nom de domaine bénéficie d'une protection plus faible,
conditionnée par l'exploitation effective du nom de
domaine et effective qu'au démarrage de cette exploitation.
La protection de la marque est effective dès la demande
d'enregistrement de la marque et ne disparaît que si
la marque n'est pas exploitée pendant cinq ans. Quant
à la dénomination sociale, aucune disposition légale
ne limite sa protection comme "signe distinctif" même
si la jurisprudence subordonne cette protection à l'existence
d'une confusion dommageable.
Pour y remédier, il faut déposer
le nom de domaine comme marque (même non exploité, il
sera protégé par le droit des marques pendant au moins
les cinq ans précédant une déchéance possible) ou invoquer
le droit d'auteur s'il a une suffisante originalité
(même sans dépôt, ni exploitation, il sera protégé dés
sa création). .
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