OPERA DE NANCY
Les chorégraphies de Ribeiro : pleines de caractère
NOUVELOBS.COM | 19.12.2008 | 18:55
Il est si rare de découvrir un travail qui ait du caractère que cette chorégraphie pour le ballet de Lorraine est à marquer d’une pierre blanche.
Après le "coup" magnifique qu’a été pour le Ballet de Lorraine la présentation lors d’un même spectacle de deux versions chorégraphiques de "Noces" d’Igor Stravinsky, l’originale, celle créée pour les Ballets Russes par Bronislawa Nijinska, et qui est son chef d’œuvre, et une contemporaine, également saisissante, due au talent du chorégraphe finlandais Tero Saarinen ; après la très belle réussite que fut encore la reprise des "Petites pièces de Berlin" de Dominique Bagouet par ce même Ballet de Lorraine, voilà que la compagnie récidive avec une remarquable soirée due au chorégraphe portugais Paulo Ribeiro.
Il est si rare de découvrir un travail qui ait du caractère que cette soirée Ribeiro est à marquer d’une pierre blanche. Et du caractère, les deux ouvrages présentés en ce moment à l’Opéra de Nancy en ont beaucoup. Le premier, "White Feeling" (pourquoi ce titre en anglais du travail d’un Portugais pour une compagnie française ?), exclusivement dansé par des hommes, une dizaine, vêtus de noir ou à demi nus, est d’une tonicité extraordinaire. Le travail très graphique de Ribeiro rend son sens de l’espace des plus intéressants et des plus généreux. Et s’il se mêle un semblant de machisme dans ces joutes masculines, dans ces solos ou duos d’hommes qui sont des hommes, on découvre surtout un beau travail de mise en scène, des rythmes vigoureux et une espèce de jubilation qui rendent la pièce attachante. C’est d’ailleurs le metteur en scène, l’architecte de l’espace, plus que le chorégraphe à proprement parler qui séduit en Paulo Ribeiro. Et l’accompagnement musical dû à quatre accordéons du quatuor lusitanien Danças Ocultas soutient à merveille sa dynamique et son perfectionnisme spatial.
Le second ouvrage de Ribeiro, "Organic Beat", accompagné par les Percussions de Strasbourg interprétant de belles, mais peu connues compositions de John Cage, voit déferler sur scène l’ensemble du Ballet de Lorraine. Là aussi, le sens de l’espace du chorégraphe joue à plein, et les trente danseurs présents font l’effet d’une foule considérable. En maillots couleur chair qui donnent à penser qu’ils sont nus, sans imposer au regard les petites gênes de la nudité, les interprètes sont remarquables. Adonnés à une danse qui flirte parfois avec un certain primitivisme, ou fait penser à la modernité chorégraphique européenne des années 60, les jeunes artistes forment une troupe décidemment remarquable, homogène, régénérée, une troupe qui sert désormais mieux que jamais les œuvres qu’elle exécute. Parmi eux, on ne saurait ignorer un Fabio Dolce doté d’une grâce étrange, d’une présence intense qui lui confèrent une aura toute particulière. C’est la première fois, avec ce ballet, que Ribeiro a travaillé pour un groupe de danseurs aussi considérable. Il maîtrise si bien les grands ensembles, il les lance dans de si belles cavalcades épiques, ou les fige dans une diagonale si spectaculaire, doublée par une projection sur un écran géant, qu’on croirait tout au contraire que les vastes compositions ont toujours été dans son répertoire.
Une telle avalanche de réussites de la part du Ballet de Lorraine n’est évidemment pas le fruit du hasard. Mais celui de la judicieuse politique artistique de son directeur, Didier Deschamps, dont la maîtrise va croissant. Il affirme désormais des choix qui forcent l’admiration, ose des compositions de spectacles parfois audacieuses en mariant des œuvres dont l’union est si paradoxale qu’elle en est infiniment séduisante. C’est ce qui surviendra encore en juin prochain. Pour célébrer les trente ans de son installation à Nancy, dont naguère encore il portait le nom, le Ballet de Lorraine ose une folle alliance qui a elle seule annonce une réussite : celle de "Petrouchka", le mythique ballet d’Igor Stravinsky et de Michel Fokine où triompha Nijinski, à "Rave", la chorégraphie la plus furieusement drôle, la plus déjantée de la plus incendiaire des chorégraphes américaines : Karole Armitage.
Raphaël de Gubernatis
Les 19 et 20 décembre à 20h, le 21 à 15h. Opéra national de Lorraine.
Location : 03 83 85 69 01 ou Fnac 0 892 68 36 22 ou une demi-heure avant les spectacles aux guichets de l’Opéra.