DE LA SIGNIFICATION AU SENS - POUR UNE SÉMIOTIQUE SANS ONTOLOGIE

François RASTIER
C.N.R.S.

(Paru en italien : Dalla significazione al senso : per una semiotica senza ontologia,
in Eloquio del senso, a cura di Pierluigi Basso e Lucia Corrain, Costa & Nolan, Milan, 1999, pp. 213-240.
Inédit en français.)

Le “sens” est le rêve des insensés.
Pascal Quignard, Petits traités, I, xi, p. 217.

Deux problématiques nous paraissent dominer la tradition épistémologique des sciences du langage en Occident. Elles correspondent à deux préconceptions du langage : comme moyen de représentation ou comme moyen de communication. En bref, la première définit le sens comme une relation entre le sujet et l’objet, la seconde comme une relation entre sujets.

La problématique dominante, de tradition logique et grammaticale, privilégie dans le langage les signes et la syntaxe. Elle les rapporte aux lois de la pensée rationnelle. Elle est centrée sur la cognition, et le cognitivisme constitue son aboutissement contemporain.

L’autre problématique, de tradition rhétorique ou herméneutique, prend pour objet les textes et les discours dans leur production et leur interprétation. On peut considérer qu’elle est centrée sur la communication : la pragmatique (qui a repris certains thèmes de la rhétorique disparue) en a présenté un aperçu fort restreint, déterminé par le positivisme logique qui chez Morris et Carnap a présidé à la naissance de cette discipline.

Convenons que la signification est une propriété assignée aux signes, et le sens une “propriété” des textes. La notion transitoire de contexte peut servir à opposer ces deux problématiques. Si l’on approfondit la distinction entre sens et signification, un signe, du moins quand il est isolé, n’a pas de sens, et un texte n’a pas de signification. La signification résulte en effet d’un processus de décontextualisation, comme on le voit en sémantique lexicale et en terminologie : d’où son enjeu ontologique, puisque traditionnellement on caractérise l’Être par son identité à soi. En revanche, le sens suppose une contextualisation maximale aussi bien par la langue (le contexte, c’est tout le texte) que par la situation (qui se définit par une histoire et une culture, au-delà du hic et nunc seul considéré par la pragmatique). Aussi, alors que la signification est traditionnellement présentée comme une relation, le sens peut être représenté comme un parcours.

En privilégiant l’étude du sens, la sémantique interprétative [1] prend pour objet le texte, plutôt que le signe, et définit le sens comme interprétation. Elle peut s’articuler à deux sortes de théories : l’herméneutique philosophique et l’herméneutique philologique (ou herméneutique matérielle). Ayant à décrire de grandes diversités, elle est naturellement plus proche de la seconde, car là où la première recherche les conditions a priori de toute interprétation, la seconde cherche au contraire à spécifier l’incidence des pratiques sociales, et débouche sur une typologie des textes.

Si bien entendu l’étude des signes et celle des textes se complètent, les problématiques logico-grammaticale et rhétorique / herméneutique diffèrent grandement. La première a une grande autorité et une forte unité, car jusqu’à une date récente grammaire et logique se sont développées ensemble et autour des mêmes catégories (comme les concepts mêmes de catégorie, de prédication, de catégorèmes et syncatégorèmes, etc.). La seconde n’a guère d’unité, et apparemment, tout sépare la rhétorique et l’herméneutique.

Il est vraisemblable que le voisinage millénaire de la grammaire et de la logique au sein du trivium a fait beaucoup pour leur unité. Ces deux disciplines de base se succédaient au début des cursus scolaires, la rhétorique étant étudiée à la fin, et l’herméneutique restant réservée aux docteurs.

Quoi qu’il en soit, la tradition occidentale retient deux façons principales de définir le contenu linguistique :

1. La signification  est conçue comme relation entre les plans du signe (signifiant, signifié) ou les corrélats du signe (concept, référent). Même orientée, cette relation reste statique, typée, susceptible d’une expression logique. Dans la sémiotique de tradition logico-grammaticale sur laquelle on s’appuie alors, l’interprétation se définit comme l’identification d’une relation de représentation, simple ou complexe.

2. Le sens  est défini comme parcours entre les deux plans du texte (contenu et expression), et au sein de chaque plan. Un parcours est un processus dynamique, obéissant à des paramètres variables selon les situations particulières et les pratiques codifiées. Si bien que le sens n’est pas donné, mais résulte du parcours interprétatif normé par une pratique.

Certes, les concepts de sens et de signification ne sont pas systématiquement distingués, bien qu’ils n’aient pas la même histoire. Nous verrons que celui de signification est lié à la problématique grammaticale du signe et logique de la dénotation, unies dans le modèle aristotélicien présenté au début du Péri herméneias.

En revanche, le concept de sens provient vraisemblablement de l’herméneutique antique (notamment de l’allégorèse dans les lectures stoïciennes d’Homère). Il conduira, dans un contexte nouveau, à la théorie du double sens de l’Ecriture chez saint Paul, du triple sens chez Origène à la théorie des quatre sens de l’Écriture, telle que la résume Thomas d’Aquin. Dans l’herméneutique réformée, l’étagement des sens fut transposé en distinguant des types (grammatical, technique) et des moments de l’interprétation (comprendre, expliquer, appliquer).

Dans la première partie de cette étude, nous entendons montrer comment l’on peut passer, si l’on peut dire, d’une sémantique de la signification à une sémantique du sens,  par la médiation d’une réflexion sur l’interprétation [2].

I. La notion de signification et les trois relations sémiotiques

1. Pour définir la signification

C'est à la logica moderna de la fin du XIIème siècle que nous devons sans doute la notion moderne de signification [3] telle qu'elle s'est perpétuée dans divers contextes théoriques en philosophie du langage puis en grammaire et en linguistique.

Il reviendra aux grammairiens philosophes des Lumières de ne plus rapporter l'étude de la signification à la logique, mais à la grammaire, et de la distinguer du sens. Dumarsais affirme :"il est du ressort de la grammaire de faire entendre la véritable signification des mots, et en quel sens ils sont employés dans le discours" (Traité des tropes, I, v). Il sera suivi notamment par Beauzée, dans l'article Sens de l’Encyclopédie méthodique..

Dans l'herméneutique allemande des Lumières (de Ernesti à Schleiermacher), une distinction  en partie comparable s'établit entre Sinn  (signification) et Bedeutung  (sens). Dans tous les cas, la signification est définie comme une forme stable, indépendante ou peu dépendante des contextes, alors que le sens varie selon les contextes, et il n'est pas défini relativement à un signe isolé.

Dans la tradition logique, la signification reste souvent assimilée à la compréhension (ou intension) du concept signifié par le mot, et opposée à l'extension. La thèse de Frege que la signification détermine la dénotation en témoigne : “il est naturel d'associer à un signe [...], outre ce qu'on pourrait appeler sa dénotation (Bedeutung), ce que je voudrais appeler la signification du signe (Sinn), où est contenu le mode de donation de l'objet”(1971, p. 103). La sémantique dite intensionnelle contemporaine étudie la signification (Sinn) ainsi définie.

Abandonnant la problématique de la dénotation, la sémantique cognitive s’est concentrée sur la question des relations entre concepts au sein d’une même catégorie (ou classe). S’inspirant des travaux de Rosch en psychologie, elle a adopté le concept de prototype qu’elle définit tantôt comme exemplaire privilégié ou parangon (par exemple le canari serait le prototype de l’oiseau), tantôt comme un type abstrait dont les divers membres de la classe seraient des occurrences centrales ou périphériques (le canari serait un exemplaire central de la catégorie oiseau, et l’autruche un exemplaire périphérique).

Quant au statut des significations, trois problèmes demeurent : la signification relève-t-elle des langues, du langage, ou des contenus mentaux ? Est-elle attachée à l'expression linguistique des concepts, ou indépendante de cette expression ? Comment se relie-t-elle, dans la première hypothèse, au sens, et, dans la seconde, à la dénotation ? En règle générale, pour les auteurs se qui réclament de la sémantique cognitive les significations sont des contenus mentaux à caractère universel, soit par les primitives qui les composent (comme l’ont prétendu en intelligence artificielle Roger Schank ou Anna Wierzbicka en linguistique), soit par les opérations qui les constituent.

2. Les problématiques

Que la signification soit définie dans un cadre logique, et distinguée de la dénotation, ou dans un cadre linguistique, et opposée au sens, elle doit être rapportée aux différents paradigmes sémantiques propres à notre tradition.

A . La  triade : Le paradigme dominant est déterminé par la triade d'origine aristotélicienne Mot / Concept /Chose. Le début du Péri hermêneias toujours controversé et mille fois repris, présente un modèle triadique en opposant clairement la variété des signes vocaux et écrits à l'universalité des états de l'âme et des choses : c'est là le fondement de l'universalisme traditionnel en sémantique. Thomas d'Aquin reformule ainsi cette triade : “ Les paroles sont les signes des pensées et les pensées des similitudes (similitudines) des choses. D'où il suit que les paroles se réfèrent aux choses désignées moyennant les concepts ” (Somme théologique, I - ap, 2-13, a1, resp.).

La triade scolastique, des grammaires générales à Ogden et Richards (1921) et Lyons (1978), s'est perpétuée diversement jusqu'à nos jours. En philosophie du langage, elle demeure fort vivace. Comme les idées linguistiques dominantes dans les recherches cognitives en proviennent, la triade aristotélicienne sert de cadre conceptuel aux programmes de recherche. Par exemple, Philip Johnson-Laird définit  cet objectif général : “ Les logiciens n'ont fait que relier le langage à des modèles sous diverses formes ; et les psychologues ne l'ont lié qu'à lui-même. Or, ce dont il s'agit réellement, c'est de montrer comment le langage se rapporte au monde par l'intermédiaire de l'esprit ” (1988, p. 66).

B . L ’indice :  L'autre grand paradigme sémantique traditionnel peut être dit indiciaire. Reformulant la théorie rhétorique de l'indice, Aristote définit ainsi le sêméion : “ Le signe (to  sêméion ), entend être une prémisse démonstrative, nécessaire ou probable. La chose, dont l'existence ou la génération entraîne l'existence ou la génération d'une autre chose qui lui est antérieure ou postérieure, c'est ce qui constitue le signe de la génération ou de l'existence ” (Premiers Analytiques, II, 27 ; 70 a, 71). Cette définition résume un paradigme indiciaire qui s'est poursuivi dans la théorie des signes naturels chez saint Augustin (signa naturalia, cf. notamment De doctrina christiana, II, 1, 2) jusqu'aux grammaires générales (de Port-Royal à Condillac et à Tracy), voire dans la phanéroscopie de Peirce et jusqu’en philosophie de l’esprit.

Cependant, les mots et les langues ne sont pour rien dans le paradigme indiciaire ou du moins n'y tiennent pas une place spécifique.

C. Référence et inférence :  A la triade et à l’indice correspondent respectivement deux relations fondamentales, la référence et l'inférence, qui chacune fondent un type de sémantique et un mode d’interprétation.

La sémantique de la référence est primordiale pour notre tradition métaphysique, car elle décrit les conditions auxquelles le langage peut dire le vrai. Elle préoccupe notre philosophie depuis le Cratyle jusqu'à Word and Object (Quine) et Les mots et les choses (Foucault). La triade aristotélicienne a été presque unanimement reprise jusqu'à nos jours parce qu'elle constitue un système de visée du référent. De ses deux mouvements, passage du signifiant au concept, et passage du concept au référent, c'est évidemment le second qui a été privilégié, puisque la vérité se définit classiquement comme adaequatio rei et intellectus.

L'opération mentale qui établit la référence est bien distincte de l'opération qui établit le renvoi indiciaire et que l'on peut nommer inférence. La référence établit une relation entre deux ordres de réalité, concepts et objets. En revanche, l'inférence relie deux unités relevant du même ordre de réalité : deux objets, pour une conception référentialiste naïve de l'indice, ou deux concepts, selon le point de vue mentaliste.

Les relata n'ont cependant pas le même statut, car l'inférence a ceci de commun avec la référence qu'elle est orientée : un relatum est antécédent, l'autre conséquent – temporellement, causalement ou de toute autre manière. On dira donc que le premier est le signe de l'autre, comme un nuage est signe de pluie. Cette acception du mot signe demeure fort répandue et s'entend indépendamment du concept de système de signes, donc sans rapport particulier avec les langues.

D. La différence : Pour préciser les conditions d’une sémantique propre à distinguer les langues particulières, il faut étudier la problématique de la différence. C’est sans doute dans la réflexion sur la synonymie qu’allait se former la problématique propre à la sémantique linguistique [4]. Bréal, l'initiateur de la sémantique en France se référait à “ nos pères de l'école de Condillac ” (1897, p. 255), et les auteurs qui ont retracé dans la synonymique des Lumières l'origine du concept saussurien de valeur . Cette question est centrale pour notre propos : la signification  n'est pas (ou pas seulement) constitué par la référence à des choses, ou par l'inférence  entre concepts, mais aussi et d'abord par la différence  entre des unités linguistiques. Cela donnera lieu à la théorie de la valeur chez Saussure, qui rapportée à la signification, permet de rompre avec l'évidence traditionnelle qu'il existe un niveau conceptuel, autonome à l'égard du niveau linguistique, mais préexistant à ce niveau et prééminent sur lui. Elles imposent  une distinction entre signifié et concept [5].

Cette distinction est inévitable si l'on convient du caractère différentiel des unités linguistiques, et notamment du caractère privatif des oppositions qui les définissent, de manière toute négative. Autant dire alors que pour la sémantique différentielle le signifié des langues, purement opératoire et sans contenu éidétique, ne réside pas dans les concepts, et plus généralement qu'il n'est pas constitué de représentations.

3. L’évolution de la problématique de la valeur

L’évolution à partir de la sémantique saussurienne peut se résumer en quatre étapes principales.

1 - Les sémanticiens du siècle dernier, en étudiant l’histoire sémantique des mots, avaient remarqué que la signification d’un mot évolue corrélativement à celle de ses voisins, au sein d’une même classe sémantique. D’où la mise en évidence d’un principe général, que l’on a appelé la loi de répartition.

2 - La définition par Saussure de la signification comme valeur résulte du caractère sys­tématique des langues. Elle transpose de fait le concept de répartition de la diachronie dans la synchronie : elle définit ainsi la signification des mots au sein d'un paradigme synchronique. 

3 - Dans une troisième phase, on peut et l’on doit définir une valeur en contexte. Par exemple, dans les cas d’antanaclase, le même mot est pris successivement dans deux acceptions différentes. On pourrait penser que les valeurs contextuelles ne font que modifier secondairement, par des nuances, la valeur en langue. En fait, la valeur en langue est au contraire surdéterminée par la valeur en contexte, et n’importe quel trait sémantique défini en langue peut être annulé ou virtualisé par le contexte, local voire global. La théorie des sèmes afférents (l’auteur, 1987) a été formulée pour rendre compte de ces phénomènes.

4 - Enfin, l’on peut définir la valeur comme résultat local d’un parcours interprétatif global : par exemple, la mise en rapport de passages parallèles permet, par la diffusion sémantique réciproque à laquelle conduit toute recontextualisation, de susciter de nouvelles valeurs contrastives et de nouveaux régimes de pertinence. Mais alors, même en restant au palier lexical, limite ordinaire des théories de la valeur, on doit reconnaître que l’identification des valeurs à ce palier dépend des structures textuelles.

4. Pour l’unification des problématiques de la signification

Si les théories logiques privilégient la référence, les théories pragmatiques l’inférence, la sémantique linguistique de tradition structurale privilégie la différence : ce sont des oppositions au sein de classes sémantiques et entre classes sémantiques qui permettent de définir les contenus lexicaux. La sémantique cognitive a reformulé partiellement la problématique de la différence, en introduisant ou en reconnaissant des inégalités quantitatives entre les membres des catégories (ou classes lexicales) et en introduisant des formes de gradualité dans l’organisation des catégories : mais attachée à une ontologie, elle n’envisage cependant pas de définition relationnelle des “concepts”.

La synthèse dont nous avons proposé le principe (cf. 1991, ch. III) consiste à déterminer l’inférence et la référence par la différence, puis à placer ces problématiques de la signification sous la rection de la problématique du sens, en admettant la détermination, en dernière instance, du global (le texte) sur le local (les signes). Il s'agit alors de traiter, dans le cadre d'une sémantique différentielle, de l'inférence et de la référence. L'inférence est traitée au palier microsémantique par la théorie des sèmes afférents (ceux dont l'actualisation résulte d'une contrainte contextuelle — par contraste avec les sèmes inhérents, qui sont hérités par défaut du type par l'occurrence). Les parcours interprétatifs qui optimisent ces contraintes peuvent comprendre toutes sortes d'inférences ( mettent en jeu des connaissances de tous ordres aux paliers de la phrase et du texte).

Pour ce qui concerne la référence, la sémantique différentielle en traite d’abord en décrivant les contraintes sémantiques sur les représentations. Les images mentales, notamment, sont des corrélats psychiques des signifiés. La question de la référence devient alors celle de la constitution des impressions référentielles, qui appelle une collaboration de la sémantique et de la psychologie.

Si l’on unifie les problématiques de la référence et de l’inférence sous celle de la différence, il faut ensuite présenter des propositions pour unifier ces trois problématiques de la signification sous celle du sens. Dès que la problématique de la différence est transposée de l’ordre paradigmatique à l’ordre syntagmatique, elle dépasse le problème de la signification et s’ouvre à la question du sens. Au palier microsémantique, la prééminence de la problématique du sens apparaît dans le fait que les sèmes inhérents ne sont actualisés qu’en fonction de licences ou prescriptions contextuelles, ce qui place en somme la signification sous le contrôle du sens.

La problématique de la différence peut aussi jouer un rôle médiateur si on la transpose du paradigme au syntagme, et du mot au texte, de façon à rendre compte de la catégorisation des formes sémantiques. On retrouve en effet au palier du texte les trois relations fondamentales, référence, inférence et différence, mais transposées avec de notables inflexions.

a) La référence fait certes difficulté. Pour les textes dits “non-fictionnels”, on pose dès le palier de la proposition le problème de la vérité ; mais on ne prétend cependant pas qu’un texte ait une valeur de vérité, à moins qu’il ne soit idéalement composé que de propositions vraies. Pour les textes “fictionnels”, le problème du réalisme (au sens non philosophique du terme, tel qu’il est employé dans la critique littéraire) doit être abordé en fonction de leur mode mimétique et des impressions référentielles qu’il induit. L’opposition entre fiction et “non fiction”, tenue pour acquise et utilisée sur le mode de l’évidence (par exemple dans la Text Encoding Initiative), nous semble cependant devoir être évitée tant qu’elle oblitère le problème des modes mimétiques. Et comme nous ne partageons pas ses attendus implicites, nous préférons écarter le problème de la vérité : philologiquement, un texte n’est ni vrai ni faux, mais authentique ou non. Le problème de la vérité dépend d’autres disciplines (histoire, théologie, etc.), qui le traitent chacune à leur manière.

En outre, le problème de la représentation doit  céder à celui de l’impression référentielle. Tout texte a un mode mimétique [6], défini principalement par le genre dont il relève. L’opposition entre textes fictionnels et non fictionnels ne va aucunement de soi, et sous le rapport de la constitution des impressions référentielles, tout texte peut être considéré comme fictionnel. Il faut cependant spécifier comment les discours qui prétendent à la vérité, qu’ils soient sapientiels, philosophiques ou scientifiques, structurent leur textes de façon à instituer des mimésis spécifiques.

b) L’inférence  a été traitée au palier textuel par les théories instructionnelles du sens (dont la plus connue est la sémantique procédurale) : elles s’appuient sur l’image des règles informatiques de production (si X, alors Y), et considèrent l’interprétation comme un calcul inférentiel [7]. La théorie de la pertinence (Sperber et Wilson) leur a simplement adjoint un principe a priori d’économie cognitive pour les réguler et leur assigner un terme. Les théories instructionnelles de l’interprétation issues de ce courant, comme celle de Eco, sont tout à la fois séduisantes et limitées, car le concept d’instruction est beaucoup trop fort, et si l’interprétation réglée peut comporter des procédures, elle ne s’y réduit pas : le problème reste de les définir, de les requérir, de les hiérarchiser et de les adapter aux objectifs de la pratique en cours.

c) Au palier textuel, la problématique de la différence intéresse la catégorisation réciproque des formes sémantiques. Les procédures interprétatives, comme le rapprochement de passages parallèles ou  l’homologation, visent à juxtaposer des parties du texte pour sélectionner, par des contextualisations nouvelles ou plus précises, les traits pertinents susceptibles de les caractériser.

L’articulation des problématiques de la signification et du sens est une condition nécessaire mais non suffisante pour le remembrement des sciences du langage ; en effet la légitimité de l’interprétation dépend du problème de la pertinence : il commande toute identification d’unités, et notamment des unités sémantiques. Or il n’y a pas de pertinence sémantique “en langue” : la langue propose une gamme de virtualités, le texte en retient une partie, mais ces virtualités ne sont actualisées en unités linguistiques que dans et par l’interprétation. Bref, la pertinence sémantique n’est définissable que dans une pratique interprétative.

Si le remembrement herméneutique des sciences du langage comporte la tâche de placer la problématique du signe sous la dépendance de la problématique du texte, il faut enfin spécifier le concept de parcours interprétatif : tracer un parcours interprétatif au palier du texte impose de faire coopérer toutes les problématiques sémantiques, d’une part pour tenir compte de la diversité sémiotique propre aux langues, d’autre part pour spécifier le fonctionnement sémiotique spécifique du texte, qui détermine son mode mimétique.

II. L’interprétation

  Prenons garde que le mot interprétation renvoie à des concepts fort différents selon les disciplines et les problématiques du signe et du texte : la problématique logico-grammaticale a produit les conceptions logiques de l’interprétation, dites sémantique et syntaxique, bien différentes de celle qui relève de la problématique rhétorique / herméneutique.

1. Représentation et interprétation

Les modèles de la signification sont principalement fondés sur la relation de représentation (d’où les métaphores récurrentes du voile, de la transparence, du miroir) et sur le palier du signe ; alors que les modèles du sens s’appuient sur l’action d’interprétation, au palier du texte. Aussi, les modèles de la représentation ne conviennent sans doute pas au texte : un texte ne (re)présente pas des choses, ni le monde, mais  des formations mimétiques, et au-delà, des conventions sociales et des formes de la doxa. Soit :

Unité de base

Relation fondamentale

Discipline

Signe

représentation

logique, grammaire

Phrase

représentation

sémantique vériconditionnelle

 

interprétation

pragmatique

Texte

interprétation

rhétorique/herméneutique

On remarque la position ambiguë de la phrase, qui réduite à une ou plusieurs propositions, relève de la problématique logico-grammaticale, mais, considérée comme une période, relève de la problématique rhétorique / herméneutique.  

2. Trois conceptions de l’interprétation

Comme la tradition grammaticale n’a pas produit de conception propre de l’interprétation, elle s’appuie traditionnellement sur la logique [8]. Plus techniquement, il faut distinguer les deux conceptions logiques de l’interprétation : la conception syntaxique et la conception sémantique.

(i) La conception syntaxique fait du sens le résultat d’une interprétation au sens syntaxique du terme, c’est-à-dire d’un transcodage. Il faut  alors postuler d’une part une séparation entre le syntaxique et le sémantique, et d’autre part une compatibilité des formats (les formalismes syntaxiques et les formats sémantiques, en général propositionnels, comme la forme logique chomskyenne, sont issus du même paradigme formel). L’interprétation se réduit ainsi à un transcodage du langage “naturel” dans un langage artificiel ; et l’on ne peut s’étonner alors que, chez Montague par exemple, la sémantique (intensionnelle) se réduise à un décalque de la syntaxe.

(ii) La conception sémantique (de tradition logique) repose sur la relation de représentation entre des symboles logiques et des objets. Cependant, elle n’offre aucune garantie linguistique, et ne relève pas de la linguistique, dans la mesure où elle est nécessairement fondée sur une ontologie — et qui plus est une ontologie discrète, telle que des objets puissent être représentés par des symboles et des états de choses par des propositions.

(iii) Par contraste, la conception rhétorique / herméneutique conduit à une définition non logique de l’interprétation : même si elle peut décrire des opérations logiques, elle s’appuie non sur la logique, mais sur les sciences sociales, psychologie, sociologie, anthropologie. Fondamentalement, l’interprétation est conçue comme un parcours dans un texte ou une performance sémiotique. Cela suppose quatre facteurs ignorés par les conceptions syntaxique et logico-sémantique de l’interprétation : (i) un sujet interprète situé, (ii) une pratique sociale, et donc (iii) une action et (iv) une temporalité [9].


III.
Le sens

L’opposition entre signification et sens ne peut suffit pas à conclure à l’unité du concept de sens. De manière révélatrice, Dumarsais et Beauzée, à l’article Sens de l’Encyclopédie (1765, XV, p. 16) opposent la signification au sens comme le contenu du mot isolé à celui du mot dans le contexte d’une expression ou d’une phrase ; quant au sens textuel, il est traité dans un autre article, qui suit immédiatement, Sens de l’Ecriture . On peut voir là — pour ainsi dire — une allégorie de la séparation entre deux conceptions du sens, grammaticale et herméneutique. Et l’on conçoit que nos deux grammairiens aient eu à cœur de les séparer soigneusement, conformément au programme des Lumières [10].

1. Le sens comme phénomène contextuel

Nous avons vu qu’en sémantique lexicale, on peut appeler signification le contenu supposé invariant du mot et désigner par sens ses acceptions ou ses emplois en contexte : la signification est alors un type, constitué à partir des sens observés dans le discours, qui ont le statut d’occurrences. Pour les théories classiques de la signification, et encore naguère pour certaines théories des prototypes lexicaux, un mot avait une signification  propre, constante, ou du moins privilégiée ; et par rapport à elle se définissaient les variations de sens ou acceptions, souvent considérées comme des accidents de cette substance, ou en termes plus modernes des sens périphériques au core-meaning ou au prototype.

La signification du mot était gagée sur le paradigme de la référence ; or, il ne peut rendre compte du sens, ni expliquer pourquoi et comment la référence varie avec les contextes, même en postulant que la signification s’y trouve déformée. Si l’on rapporte les sens lexicaux aux textes où ils sont occurrents, et ces textes aux genres et aux discours dont ils relèvent, on doit reconnaître que les “références” sont codifiées par les normes qui les gouvernent.

En somme, la hiérarchie entre sens et signification pourrait être inversée. Le sens n’est pas de la signification déformée par le contexte : la signification ne serait plus un type diversement déformé dans ses occurrences qui constituent les sens, mais du sens normalisé car coupé de son contexte. Le type devient alors une collection d’accidents, un résumé conventionnel des occurrences retenues comme pertinentes pour sa définition. Nous verrons en outre plus loin que le rapport (onto)logique entre type et occurrence ne convient sans doute point à la problématique du texte.

2. Le sens comme phénomène textuel

Une autre opposition intéresse les paliers de la description : on parle alors de la signification d’un mot et du sens d’un texte. Cette seconde distinction reflète alors la distinction entre les deux problématiques logico-grammaticale et herméneutique / rhétorique.

Précisons la question des paliers de description. Bizarrement, la plupart des théories de la signification en restent au signe isolé. Or le signe isolé est un artefact : le signe isolé n’est pas observé empiriquement et c’est une décision méthodologique d’isoler un signe. En revanche, les énoncés empiriques  sont des textes oraux ou écrits, ou des passages de ces textes.

Bien qu’elle occupe une position intermédiaire entre le signe et le texte, la phrase est traditionnellement conçue à partir du signe et non du texte. La pragmatique a certes essayé de restituer une forme de contextualité, mais la relation de représentation qui définit le sens littéral reste pour elle fondamentale : c’est à partir du sens littéral que l’on peut en effet inférer le sens dérivé [11]. Plus généralement, l’ambiguité de la notion de contexte tient au fait que c’est une zone d’extension, relativement au signe et à la phrase, mais une zone de restriction, relativement au texte.

3. Sens et sémiosis

Ce point nous engage à redéfinir la sémiosis (relation fondamentale qui unit les deux faces du signe). D’une part, elle doit être rapportée  aux deux plans du contenu et de l’expression des textes et des autres performances sémiotiques, et non plus définie comme une relation entre le signifiant et le signifié du signe. D’autre part, elle ne peut être définie par une relation logique simplement formulable, comme l’inférence dans la tradition intentionnaliste, ou la présupposition réciproque dans la tradition structuraliste. Enfin, le signifiant n’en est pas le point de départ, malgré les théories inférentielles ou associationnistes, car il a lui même à être reconnu.

En d’autres termes, les relations qui établissent le sens vont de signifié en signifié, aussi bien que du signifié vers le signifiant. Aussi, nous définissons la sémiosis à partir du réseau des relations entre signifiés au sein du texte — en considérant les signifiants comme des interprétants qui permettent de construire certaines de ces relations. Nous concevons ces relations comme des parcours orientés. On pourrait distinguer sans doute autant de sortes de sémiosis que de sortes de parcours élémentaires, mais il faut souligner que tous les signes linguistiques ne se prêtent pas aux mêmes parcours.

Enfin, la sémiosis ne peut être fixée que comme résultat de l’interprétation, non comme son départ. L’identification des signifiants semble un des points d’entrée dans le parcours interprétatif, mais elle est précédée par les attentes et présomptions que définissent le contrat propre au genre textuel de la pratique en cours ; aussi semble-t-elle également un point de retour.

Redéfinir ainsi la sémiosis la rapporte nécessairement au concept de parcours interprétatif. En d’autres termes, le sens n’est pas donné par un codage préalable qui associerait strictement un signifiant et un signifié ou une classe de signifiés (car la langue n’est pas une nomenclature) : il est produit dans des parcours qui discrétisent et unissent des signifiés entre eux, en passant par des signifiants.

Aussi, pour le linguiste-philologue, la signification d’un mot se confond avec l’histoire de ses interprétations. Pour le locuteur, elle se confond avec la tradition énonciative et interprétative dans laquelle il le situe, et qu’il perpétue à sa manière. Mais en aucun cas elle ne se réduit à une relation entre le signe, le concept et la chose, ni même au traditionnel aliquid stat pro aliquo sur lequel on voudrait fonder la sémiotique (cf. Eco, 1992).

En somme, les signes sont des interprétations réifiées, plus précisément ces moments des parcours interprétatifs qui apparient des présentations mentales à ces perceptions particulières que l’on nomme signaux.

4. Parcours interprétatif et sémiosis

Venons alors à la question cruciale et souvent omise, bien qu’elle commande l’unification de l’herméneutique et de la philologie : comment concevoir l’unité des deux plans du langage, mixte jugé intolérable de sensible et d’intelligible ? On peut bien entendu proposer une réponse fonctionnelle : le langage a de fait sinon par vocation une fonction médiatrice entre ces deux sphères [12]. Il faut encore que cette conception même fasse droit à l’unité des deux plans — ce que les théories génératives ne font pas, considérant l’expression comme une couche superficielle ultime.

Une conception non dualiste se doit d’intégrer signifiants et signifiés dans les mêmes  parcours : ils sont discrétisés d’ailleurs par les mêmes types d’opérations [13], et les signifiants ne sont pas plus “donnés” que les signifiés. Même si elle reste propre à la sémantique qui l’a produite, la notion de parcours interprétatif permet de rendre compte du lien problématique entre les deux plans du langage. En effet, la sémantique interprétative a maintes fois souligné que l’actualisation de traits sémantiques exigeait le passage par ces interprétants que sont selon elle les signifiants (par exemple, la rime est ordinairement l’indice d’une relation sémantique entre sémèmes).

5. Pour une refondation interprétative de la sémiotique

Toutes ces propositions convergent vers une refondation herméneutique de la sémantique, et au-delà, de la sémiotique, à partir de thèses qui intéressent le palier du signe et celui du texte.

(i) Un signe n’est qualifié que par un parcours interprétatif. Par exemple, un signe de ponctuation considéré comme une simple démarcation du signifiant peut être sémantisé en contexte, et fonctionner comme un morphème (un point d’exclamation peut signifier ‘brusquerie’ par exemple).

(ii) Aucun signe n’est par lui-même référentiel, inférentiel ou différentiel. Ces relations sont privilégiées par diverses théories, mais les parcours interprétatifs effectifs sont plus complexes, et leur analyse ne permet pas de retrouver des relations simplement qualifiables (par exemple, les inférences interprétatives ne sont pas formelles, mais relèvent de ce que Russell nommait l’inférence animale) ; autant dire que les parcours interprétatifs sont sans doute plus près des processus perceptifs de la reconnaissance de formes que du calcul.

(iii) Le texte, ou la performance sémiotique, est l’unité fondamentale pour la problématique rhétorico-herméneutique. Il faut cependant se garder de confondre, comme le fait la problématique logico-grammaticale depuis les Stoïciens, de confondre le fondamental et l’élémentaire : si par exemple le signe linguistique (morphème) est une unité minimale, elle n’est pas pour autant fondamentale.

Si pour la problématique rhétorique / herméneutique le texte est l’unité fondamentale, l’unité linguistique maximale est le corpus de référence. Cette expression appelle deux précisions : a) Le corpus dépend du point de vue qui a présidé à sa constitution (qu’il s’agisse de limites contingentes comme celles d’une histoire conversationnelle, ou réfléchies comme un corpus textuel à l’intérieur d’un genre) [14]. b) La référence s’entend ici dans l’acception philologique — et non dans l’acceptions logique —, mais la seconde n’est en fait qu’une objectivation de l’autre, ce pourquoi nous avons affirmé que l’ordre herméneutique domine l’ordre référentiel. On ne réfère jamais qu’à une doxa, c’est-à-dire un ensemble d’axiomes normatifs localement établis par le corpus des textes oraux ou écrits faisant autorité dans la pratique en cours. Par exemple, la référence de la Cousine Bette n’est pas “directement” la France louis-philipparde, mais en premier lieu sinon exclusivement La Comédie Humaine, augmentée des romans d’Eugène Sue que Balzac voulait égaler et dépasser.

(iv) Ces formes d’incidence se composent, et l’on pourrait dire que le sens résulte de mises en relations internes et externes au texte, bref, de la rencontre d’un contexte et d’un intertexte. La détermination du local par le global s’entend en somme de deux façons : par l’incidence du texte sur ses parties, par l’incidence du corpus sur le texte. On pourrait certes objecter ici que la première sorte d’incidence est structurale, en quelque sorte immanente, et la seconde contingente, “imposée de l’extérieur”. Cependant, le texte pointe vers l’intertexte, que ce soit en général par les normes de son genre ou en particulier par des mentions ou citations.

Le rapport à une extériorité, qui fonde conventionnellement le processus d’objectivation, gageait la signification sur la représentation d’une altérité ontologique pleine, celle du monde des objets, et la fondait sur un “réel” qui n’est autre que la doxa des positivistes. Pour la problématique rhétorique / herméneutique, l’extérieur du texte est constituée d’autres textes et plus généralement d’autres performances sémiotiques : si, pour objectiver l’interprétation et le sens qui en résulte, le réquisit fondamental d’une altérité est maintenu par la référence au corpus, il n’impose plus le recours à une disparate ontologique, ni à un acte de foi qui subordonnerait l’apparence des signifiés à l’essence des choses.   


IV. La sémantique interprétative et la problématique  rhétorique / herméneutique

Malgré le regain d’intérêt qui entoure les nouvelles rhétoriques et les renouveaux de l’herméneutique, nous n’aurons pas l’impudence de prétendre restaurer deux disciplines jugées obsolètes sinon poussiéreuses : nous souhaitons simplement intégrer leurs acquis à une sémantique des textes. Elles ont en effet des mérites divers et complémentaires.

1. Les inégalités qualitatives

Là où la problématique logico-grammaticale ne peut discerner dans les propositions d’un texte que des différences de degré d’abstraction (chez  van Dijk et Kintsch, par exemple) ou de fonction argumentative (chez Ducrot comme dans l’école de Genève), la question des inégalités qualitatives est au centre des réflexions rhétoriques ou herméneutiques : les moments décisifs, les gestes énonciatifs, les éclaircissements et les énigmatisations, tout cela peut qualifier les formes significatives du texte, mais échappe aux procédures grammaticales de segmentation et d’analyse distributionnelle.

La problématique logico-grammaticale est dominée par le modèle entité-relation, qui suppose une distinction ontologique référentielle (elle a présidé à l’opposition entre catégorématiques et syncatégorématiques, prédicats et arguments, mots lexicaux et connecteurs, nœuds et liens des réseaux sémantiques et des graphes conceptuels).

Dans la problématique rhétorique / herméneutique, en première approximation, c’est l’opposition entre formes et fonds sémantiques qui l’emporte : les fonds sont des isotopies génériques (et il serait réducteur de résumer le sens textuel à ces seules isotopies, comme le font les théories des sens multiples), et les formes à des molécules sémiques (comme les thèmes ou les acteurs) [15].

Un texte ne se réduit pas à une suite de propositions, car les formes macrosémantiques ont leur propre significativité, par leur déroulement et par les  valorisations qui s’y attachent. Les parcours interprétatifs doivent en effet reconnaître les mouvements textuels, comme les crescendos, les ruptures, qui correspondent sans doute à ce que l’on peut appeler, à la suite de F. Douay, les gestes de l’énonciateur. Par ailleurs, des inégalités qualitatives marquent des lieux ou moments remarquables que l’on pourrait appeler des points nodaux sémantiques : ils sont définis par leur haut degré de connectivité. Les mieux connus sont aussi les plus faciles à isoler : répliques qui transforment la structure narrative, mots qui connectent plusieurs isotopies génériques. Ce sont généralement les cibles des gestes énonciatifs. Gestes et mouvements, points nodaux et moments critiques, tempo du rythme et phrasé des contours permettent de concevoir le texte comme un cours d’action sémiotique, au delà d’une concaténation de symboles. Le genre codifie la conduite de cette action, mais ce qu’on pourrait appeler le ductus  particularise un énonciateur, et permettrait de caractériser le style sémantique par des rythmes et des tracés particuliers des contours de formes.

Cette conception morphosémantique du texte échappe à l’atomisme de la tradition grammaticale. Mais surtout, elle permet de déployer le concept de parcours interprétatif. Peu importe ici que la représentation figure des dynamiques sur un espace, ou des rythmes dans le temps. Le problème fondamental de la segmentation se poserait ainsi : c’est le rythme qui permet de percevoir l’intervalle, et le mouvement qui permet de discrétiser la séquence. Ces concepts intermédiaires permettent de concevoir le rapport du global au local d’une façon moins simpliste et moins statique que celle qui unit l’élément à l’ensemble ou même la partie au tout. L’accès du global au local, dans la mémorisation par exemple — et toute interprétation suppose une mémorisation — est médiatisé par les formes sémantiques.

Au demeurant, cette conception morphosémantique peut être modélisée par la théorie des systèmes dynamiques, les fonds sémantiques apparaissant alors comme des suites de points réguliers, et les formes étant discrétisées par leurs points singuliers.

2. Le texte, de la situation à la tradition

Les liens du texte à l’intersubjectivité, à la société et à l’histoire (à deux moments complémentaires : celui de son énonciation et celui de son interprétation) restent en général impensables pour la problématique logico-grammaticale ; ou quand ils sont évoqués, ils ne le sont que de manière restrictive.

(i) La situation. — La situation a été certes étudiée par la pragmatique : alors que la pragmatique formelle cherchait à paramétrer abstraitement ses facteurs, le courant microsociologique cherchait à la détailler. Mais dans tous les cas, elle en reste au hic et nunc de l’échange, confond les personnages et les personnes, aussi bien par la théorie des indexicaux que dans celle des actes de langage, ne distingue pas le temps physique et le temps sémiotique, rabat la persuasion sur l’argumentation, etc. Par contraste, la rhétorique a su définir les composantes de l’interaction (actio et narratio) subordonner l’argumentation à la persuasion, s’appuyer sur les substrats émotifs de l’interaction (théories de l’éthos et du pathos), et penser, par la théorie du kairos, les inégalités qualitatives du temps sémiotique.

(ii) La pratique. — Toute situation communicative, et la situation d’interprétation notamment, relève d’une pratique socialisée, que le genre textuel concrétise, au niveau sémiotique. D’où son lien avec l’éthique, et le problème de la responsabilité : celle du locuteur ou de l’auteur comme de l’auditeur ou du lecteur. En deçà du problème éthique, ce qu’on appelle aujourd’hui le “réglage” de l’interaction a été traité, aussi bien en  rhétorique qu’en herméneutique par la théorie de l’accommodatio, qui décrit le contrat implicite entre les figures du locuteur ou de l’auteur comme de l’auditeur ou du lecteur, et pose le problème de la représentation réciproque, dans le texte, de ces instances. Cette question dépasse évidemment le propos de la tradition logico-grammaticale, qui ne peut distinguer, par exemple, la fausseté du mensonge.

(iii) La tradition. — Chaque pratique est prise dans une tradition, qui permet de la vivre, de la comprendre et de la caractériser par rapport aux occurrences canoniques antérieures. Si bien que le problème de la typicité (typicality) doit  être posé selon nous en termes de canonicité. Là encore, la problématique logico-grammaticale reste évasive, alors que les herméneutiques philologique et philosophique ont de longue date élaboré des théories de la transmission et de la tradition.


V. Ontologies et ontogonies

1. Le problème du type

On estime ordinairement qu’interpréter un signe, c’est subsumer son occurrence sous un type, et  identifier ainsi sa signification. Cette activité de catégorisation, à la base des recherches contemporaines sur la polysémie (Lakoff, Victorri), joue un rôle fondamental dans la tradition aristotélicienne, au point qu’on en a fait le modèle de toute cognition, et que l’on a édifié sur elle la conception taxinomique de la science (qui reste fort présente dans les sciences du langage). Elle suppose cependant : (i) une ontologie positive des types, fondée selon la métaphysique aristotélicienne sur l’essence des choses, si bien que les mots auraient un sens parce que les choses ont un être (comme l’affirme Aristote dans sa Métaphysique) ; (ii) une relative transparence des occurrences, de manière que l’on puisse rationnellement les subsumer sous des types. Le nominalisme occamien puis lockien, dont le positivisme logique et la philosophie du langage contemporaine sont les héritiers, n’ont rompu qu’avec le réalisme des concepts généraux, pour promouvoir un réalisme des concepts individuels. A ce réalisme modéré qui a usurpé le nom de nominalisme, nous opposerions volontiers un nominalisme radical, qui est tout simplement un non-réalisme.

a) Les types sont des reconstructions transitoires, selon les objectifs de la pratique en cours, et ne jouissent d’aucune prééminence ontologique sur les occurrences.

b) L’opposition entre type et occurrence est de la plus grande importance pour les sciences du langage, car elle touche le problème de l’opposition entre entre langue et parole (au sens saussurien). L’opposition entre sens et signification traduit au plan sémantique cette opposition faussement présentée par la vulgate antisaussurienne comme une antinomie, source inépuisable d’apories imaginaires. Le rapport complexe entre type et occurrence, entre signification et sens, reflète en effet la contradiction entre les deux problématiques : la problématique logico-grammaticale qui préside à l’institution du type, et la problématique rhétorique / herméneutique qui préside à l’interprétation de ses occurrences.

Aussi, l’opposition entre type et occurrence doit, dans la problématique rhétorique / herméneutique, le céder à l’opposition entre occurrence-source et reprise. Les occurrences-sources peuvent devenir canoniques, et se trouver promues au rang de parangons. Et puisque de fait le changement des contextes rend toute répétition impossible, les reprises modifient et transforment les sources. Le rapport entre occurrences est alors médiatisé par une série de réécritures (et d’interprétations qu’elles concrétisent). Si bien que le problème de l’interprétation ne trouve plus à se poser à propos du rapport atemporel entre type et occurrence, mais mais dans un rapport traditional, qui s’exprime dans une temporalité narrative, valuée. Ainsi, un thème littéraire n’est pas un type (au sens onto-logique), mais une famille de transformations dont la “formule topique” énonce les invariants. La textualité elle-même est faite de ces expositions, développements, reprises et variations.

2. Les ontogonies

Les problématiques du sens et de la signification correspondent à des ontologies différentes.

Il semble que le sens comme totalité a un rapport privilégié avec une ontologie du global (le divin, par exemple) : en effet, il suppose un principe unificateur du texte, la divine inspiration de l’Ecriture, et plus tard le style de l’Auteur. Cette totalité se traduit par des principes structuraux, comme les principes patristiques de l’acolouthie et de l’initiale prégnante.

En revanche, la signification a un rapport privilégié avec une ontolologie du local, celle des objets, généralement identifiés à des choses, ce qui anticipe le nominalisme et l’apparition d’essences singulières.

Aussi, et ce dernier propos n’indique qu’une direction de recherche, les problématiques de la signification et du sens supposent deux formes de la mimésis, respectivement : (i) une mimésis passive des objets, supposant une ontologie discrète préétablie, dont le langage serait une représentation, médiate ou non ; (ii) une mimésis active des mondes, qui établit une ontologie, ou plus exactement une impression référentielle à un ou plusieurs mondes (pour une typologie des modes de mimésis textuelle, cf. l’auteur, 1992).

Les préconceptions propres aux deux problématiques diffèrent évidemment. La première, en décrivant ce qu’on a appelé le “mobilier ontologique du monde”, suppose acquis les principes d’identité à soi, de non-contradiction et de tiers exclu, qui sont à la base de la tradition parménidienne. Ces principes instituent une isonomie qui se traduit par l’égalité qualitative des objets. Si bien qu’en quelque sorte la signification résulte du démembrement du texte en mots, et du monde en objets.

La seconde est moins unifiée, et nous ne mentionnerons que son alternative principale. Soit le sens textuel est censé témoigner d’une totalité, comme le veut l’ontologie romantique dont le formalisme russe et le structuralisme ont discrètement hérité [16] : le sens est alors décrit fondamentalement comme une isotopie ou un étagements d’isotopies, ce qui établit une forme d’isonomie (qui peut avoir des raisons dogmatiques, comme pour l’allégorisme patristique). Soit au contraire, une conception polémique, paradoxale, fait de l’Etre une totalisation contradictoire, voire rompt avec le concept de totalité, et alors le sens textuel est conçu comme hétéronomique [17]; d’où  sans doute le caractère rhapsodique ou fragmentaire d’une grande part de la littérature moderne.

3. Les modes de révélation

Les théories du sens linguistique diffèrent enfin dans la manière dont elles présument, explicitement ou non, du mode de sa révélation. Deux  thèses principales s’affrontent dans l’histoire occidentale : soit le sens est déjà donné, comme l’affirment les religions révélées, soit il est à révéler par l’activité rationnelle des sciences. Mais cette opposition est fausse doublement.

Le rationalisme lui-même est révélationnel : la révélation des lois de la raison permet de d’acquérir le sens considéré comme reflet d’une Encyclopédie ordonnée (voir chez Eco les chiasmes fréquents sur le Livre du Monde et le Monde du Livre — par exemple 1992, p. 369).

Même si une révélation a eu lieu, elle reste à retrouver ou à élucider (et par exemple le néo-platonisme n’a cessé de reconstruire Platon) ; il reste donc toujours à construire, soit collectivement, par le magistère dogmatique d’une église ou d’une école, soit individuellement par l’effort du scoliaste, du commentateur ou du croyant.

Aussi, contradictoirement en apparence, la problématique la de signification affirme, et celle du sens questionne. Le tradition logico-grammaticale est dogmatique, la tradition herméneutique est critique, notamment par l’apport de la philologie. C’est d’ailleurs de la critique des textes qu’est issu ce que la pensée des sciences sociales depuis la Renaissance a apporté de meilleur, y compris la critique des dogmes religieux ou scientifiques.

***

Bref, les problématiques de la signification et du sens diffèrent pour ce qui concerne le palier principal d’étude (signe vs texte), la définition de l’interprétation (identification de relation vs parcours), la discipline de référence (sémiotique vs sémantique), le mode d’acquisition de l’objectivité (positivisme vs constructivisme), l’ontologie implicite (atomisme vs holisme), le statut gnoséologique (théorétique vs praxéologique) : l’approfondissement de la réflexion sur ces points nous paraît mériter d’être poursuivie, car elle intéresse le statut de toutes les sciences sociales.


NOTES

[1] Cf. l’auteur, 1987. Le statut de la sémantique reste naturellement l’objet d’interrogations et de controverses.

[2] L’opposition entre signification et sens a une portée plus générale et peut être étendue à d’autres sémiotiques. Ainsi, il semble qu’elle recoupe la distinction entre l’iconographie et l’iconologie proposée par Panofsky (Essais d’iconologie, 1967, p. 26 sq.).

[3] La significatio est une propriété des termes catégorématiques. Selon Guillaume de Sherwood, elle se définit comme la présentation d'une forme à l'intellect. Elle confère au terme son appellatio, c'est-à-dire sa capacité à s'appliquer à des objets. La significatio du terme est en elle-même stable ; cependant, elle est modifiée dans la proposition par diverses suppositiones. La signification est ainsi définie en dehors de tout contexte comme le renvoi à une “nature commune”, alors que la supposition est une référence en contexte à certains individus compris dans la significatio.
Si la distinction entre appellation et supposition ne se maintient pas toujours (par exemple chez Occam), la notion de signification va demeurer, car elle est confortée tour à tour par les diverses formes de référentialisme qui caractérisent notre philosophie du langage.

[4] Systématisant pour les dépasser des observations éparses chez Prodicos,Varron, Donat, Servius et, parmi les modernes, chez le père Vavasseur, Scioppius, Henri Étienne, l’abbé Girard ose écrire dans son Traité de la justesse de la langue française qu’il “ n’y a point de mots synonymes en aucune langue ” (1718, p. 28), et ouvre ainsi à nos yeux le paradigme différentiel en sémantique.

[5] Hjelmslev la reformule par l’opposition entre forme et substance linguistiques.

[6] Nous proposons de distinguer trois modes de la textualité : génétique, mimétique, et herméneutique. Ils ne sont pas déterminés par un modèle abstrait du signe dont serait dérivé un modèle de la communication correspondant aux trois pôles de l’émetteur, du référent ou du récepteur ; mais par des normes pratiques, au premier rang desquelles le genre, qui contraignent de manière concertée la production et la compréhension du texte, comme la formation des impressions référentielles.

[7] La problématique de la psycholinguistique se rattache aussi à ce courant. Les recherches s’attachent à la typologie des inférences et à leur enchaînement, dans l’hypothèse que la compréhension de texte est affaire de raisonnement.

[8] Si l’approche logique du langage a toujours été de règle depuis Aristote, ce siècle aura permis un effort de formalisation, lié à l’essor de la logique formelle (Montague).

[9] Les théories logico-grammaticales en vue négligent délibérément ces quatre facteurs : cela leur permet d’objectiver le sens pour le réduire à la signification.

[10] Après la Révolution, Fontanier substituera au sens spirituel le sens intellectuel.

[11] Définie au sein du positivisme logique, la pragmatique met en œuvre la problématique logico-grammaticale, comme en témoignent par exemple des théories comme celle de l’argumentation dans la langue.

[12] Cf. l’auteur, 1996.

[13] Nous avons détaillé par ailleurs, en étudiant les relations sémantiques en contexte, les analogies entre le traitement des contrastes en perception visuelle et auditive et en perception sémantique (cf. 1991, ch. VIII).

[14] Hjelmslev voyait dans l’œuvre la plus grande unité linguistique : hardie et pénétrante, cette opinion rappelle cependant la mystique de l’individu qui a présidé à la formation de la stylistique, et fait la part plus belle à l’auteur — littéraire — qu’à l’interprète.

[15] Je reprends ici des éléments de mon étude de 1997.

[16] Jakobson reconnaissait tardivement avoir emprunté à Novalis son concept de structure.

[17] Outre bien sûr les Fragments de L’Athenaüm, deux écrits de F. Schlegel pourraient ici servir d’exemple : son essai Sur l’impossibilité de comprendre, et son roman Lucinde.


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©  juin-septembre 2003 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique : RASTIER, François. De la signification au sens. Pour une sémiotique sans ontologie. Texto ! juin-sept. 2003 [en ligne]. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Inedits/Rastier/Rastier_Semiotique-ontologie.html>. (Consultée le ...).