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  La singularité vietnamienne en Francophonie

 par Dr Thi Hoai Trang Phan-Labays,
Maître de conférence associé de sciences politiques, mention « Francophonie et Mondialisation » à l’Université Jean Moulin Lyon 3

     

Le Vietnam n’est pas un pays francophone comme on le conçoit habituellement. L’environnement linguistique et culturel francophone y a quasi-totalement disparu. La langue française a cédé la place, et ceci depuis le départ de la France de l’Indochine il y a un demi-siècle, au « quôc ngu » devenu la langue nationale. Elle est, en particulier, la langue véhiculaire de l’ethnie majoritaire King qui compose 87% de la population. Le nombre de francophones et de francophones partiels au Vietnam est, pour sa part, estimé à moins de 1% de la population et le français est devenu une langue étrangère ; il est aujourd’hui largement dépassé par l’anglais, langue des affaires et de communication à la fois régionale et internationale.

La langue française s’est imposée au Vietnam avec la présence coloniale française. Elle a été, pendant l’administration coloniale, élevée au rang de langue administrative et d’enseignement. Evidemment, son essor a fait perdre l’influence séculaire du chinois, langue administrative et littéraire, utilisée encore jusqu’au début du XXè siècle par l’élite des lettrés confucéens du fait que la monarchie vietnamienne avait adopté la philosophie confucéenne venue de Chine comme doctrine officielle pour administrer le pays.

La langue française, qui n’était utilisée que par une minorité de Vietnamiens, fut pendant la colonisation un support incontestable pour la diffusion d’une culture venant de l’Occident lointain, certes imposée par le colonisateur mais en même temps attrayante. L’influence de la culture française, et de façon générale, de la culture francophone au Vietnam mérite des réflexions scientifiques et impartiales. Il est tout à fait fascinant de découvrir qu’à côté des effets destructifs du fait colonial au Vietnam, la culture occidentale, en l’occurrence la culture française, a forgé une certaine identité contemporaine vietnamienne.

Pour comprendre le comment de la construction de l’identité vietnamienne actuelle, il faut faire appel à l’histoire de la nation vietnamienne. Dès son origine, le peuple vietnamien a eu le plus souvent une attitude dualiste vis-à-vis des cultures de peuples dominateurs, faite à la fois de refus et de fascination. L’attitude de refus correspond à la volonté farouche de préservation de son identité culturelle et de ne pas être assimilé, à un moment ou à un autre, par une force étrangère. Celle de fascination, quant à elle, traduit la volonté de s’approprier les éléments culturels étrangers jugés meilleurs ou complémentaires pour enrichir sa propre culture. Ceci est la caractéristique d’une culture ouverte capable d’acculturation positive, d’une culture en mouvement, le contraire des cultures figées, souvent à tendance fondamentaliste et hostiles aux autres.

Ce caractère de la culture ouverte a favorisé un certain échange culturel franco-vietnamien qui, avec le temps, a façonné l’identité contemporaine vietnamienne. Dorénavant, dans la culture vietnamienne, il y a des éléments d’influence française. Ce point est essentiel. La Francophonie culturelle au Vietnam est donc non seulement reflétée par le côté visible des manifestations culturelles franco-vietnamiennes mais surtout par la présence d’une attitude francophone des Vietnamiens.

Les influences culturelles françaises pendant la colonisation furent nombreuses et concernaient tous les domaines : éducatif, littéraire, linguistique, économique, politique, culturel (mentalité, mode de vie, habillement…). On peut même prétendre que les bouleversements induits dans la société vietnamienne, particulièrement dans le domaine culturel dans les années 20 et 30 du siècle dernier, furent « révolutionnaires » par la naissance de la littérature moderne et de l’édition, par l’introduction de l’enseignement des sciences à l’école et la diffusion des idées de la révolution française…entre autres.

Un des produits exemplaires de la rencontre culturelle franco-vietnamienne est l’écriture nationale romanisée, le «quôc ngu  ». Cette écriture, que le Jésuite français Alexandre de Rhode eut le mérite de mettre au point, avec, certes, comme finalité première de servir le catéchisme, est devenue l’écriture nationale que les patriotes vietnamiens réclamaient dans leur lutte d’indépendance.

Alors que dans la plupart des colonies, la langue française fut l’unique véhicule de l’enseignement, au Vietnam, un certain équilibre linguistique fut réalisé, compte tenu de l’existence d’une écriture nationale créée par les Européens eux-mêmes, le « quoc ngu » et qui était plus abordable par le peuple que les idéogrammes et le français.

Tant les Français que les intellectuels vietnamiens, malgré leur divergence d’intérêt, ont alors éprouvé le besoin de le développer. Pour les Français, c’était un moyen plus rapide pour faire accéder les « indigènes » à la culture française. Pour les Vietnamiens, c’était un outil de modernité sur fond national et d’indépendance. La langue française fut, de plus, l’instrument d’enrichissement du « quoc ngu » qui devint, ainsi, de plus en plus perfectionné. Entre le français et le vietnamien, c’était donc la complémentarité qui primait. C’est pourquoi le style, l’esprit et la structure de la langue vietnamienne actuelle ont des éléments qui viennent de la langue française. Une des raisons indéniables de ce phénomène est que les linguistes Vietnamiens qui ont travaillé sur la langue vietnamienne au début du siècle dernier étaient tous des francophones. Ne s’agit-il pas là d’un bel exemple du dialogue des cultures ? Mais dire que l’influence française a profondément transformé la culture vietnamienne, serait pour le moins hâtif. En fait, cette influence culturelle s’est plutôt exercée dans les villes et beaucoup moins à la campagne où la culture millénaire vietnamienne persistait et l’acculturation positive finale en a été amoindrie.

Depuis quelques années, les coopérations bilatérales et multilatérales francophones dans le domaine culturel ont contribué et contribuent à réveiller ce gisement culturel francophone du Vietnam au travers de différents programmes de soutien aux activités culturelles et artistiques, aux éditions bilingues, à la mobilité des spécialistes et des artistes, voire à l’éducation et à la recherche. Un nouveau dialogue des cultures est en cours. La nouvelle génération de Vietnamiens francophones issue des classes bilingues et des filières universitaires francophones en sont et en seront des acteurs. Il est à souligner que les non- francophones ou les débutants en langue française peuvent se procurer des ouvrages en vietnamien traduits du français couvrant presque tous les domaines de la connaissance aussi bien en littérature qu’en sciences et technologie, sciences sociales, économie, droit…. La plupart de ces traductions sont publiées par les Éditions en langues étrangères « Le Monde ». Ces dernières publient aussi des collections en français sur la connaissance du Vietnam, des ouvrages et écrits vietnamiens traduits en français. Depuis peu, avec notamment le soutien de l’Ambassade de France à Hanoi et de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie, on remarque une présence notable de livres bilingues vietnamien-français. Cependant, les livres traduits en vietnamien des auteurs francophones restent proportionnellement faibles par rapport à ceux des auteurs anglophones.

La sensibilité culturelle francophone du Vietnam donne donc toute sa place à la présence du Vietnam au sein de la famille francophone. Mais attention, si la Francophonie ne décide pas d’y investir davantage, il est probable que la composante culturelle francophone de l’identité vietnamienne ne pourra réellement se remettre en mouvement et cela au profit d’autres composantes, l’américaine en particulier et au-delà, la chinoise.

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