Indice, Icone, Symbole
Les travaux de Peirce (1)
semblent offrir une certaine pertinence dans la compréhension et l'analyse
des formes actuelles de la communication audiovisuelle, en particulier
dans la définition des différents types de rapports que le signe entretien
avec la "chose dont il est le signe" et que Peirce a appelé : indice,
icone, symbole.
- L'indice est un signe qui entretient un rapport
physique, matériel avec la chose qu'il désigne. Les signes indiciels
sont des traces sensibles d'un phénomène, une expression directe de
la chose manifestée. Par exemple des empreintes de pas sur la neige
ou le poing brandi qui est indice de menace.
L'indice est lié (prélevé) sur la chose elle-même.
Un indice est un signe qui perdrait le caractère de signe si son objet
était supprimé.
- L'icone (2)
est un signe qui possède un rapport de ressemblance avec la chose
qu'il représente. Les signes iconiques sont des représentations analogiques
détachées des objets ou phénomènes représentés.
L'icone est un signe qui posséderait le caractère qui le rend signifiant,
même si l'objet n'existait pas.
- Le symbole concerne tout signe de nature arbitraire.
Les signes symboliques rompent toute ressemblance et toute contiguïté
avec la chose exprimée. C'est le cas de la langue (le mot chat n'a,
par exemple, aucun rapport graphique ni phonétique avec l'animal qu'il
désigne) ou de l'écriture mathématique. Ils nécessitent donc l'apprentissage
de codes, de conventions d'écriture et de lecture.
Un symbole est un signe qui perdrait le caractère qui en fait signe
s'il n'y avait pas d'interprétant.
_____________
Pour Daniel Bougnoux "L'accès au symbolique réprime l'indice : il élague
les sens (les sensations) au profit du sens (la signification)." L'apprentissage
de la culture est le chemin du détachement qui va de l'indice au symbolique.
"Plus on est éduqué, mieux on se passe d'indices et d'images dans la
communication."
"A l'inverse l'art, le rêve, l'imaginaire en général frayent le chemin
inverse à la culture, ils s'efforcent par désymbolisation de nos représentations
de retrouver l'icone en deà§à du symbole, et l'indice "sous" l'icone".
(3)
Selon lui : l'indice est le pà´le de l'attachement et de la
plénitude affirmative (il est très difficile de nier
par indices ou icones), et le symbole celui du détachement,
ou de l'esprit critique ; l'indice, affectif et participatif, réchauffe
la communication mais qu'il entraine et nous enchaine au phénomène;
alors que le symbole, toujours froid, nous place à distance.
_______________
Ce n'est sans doute pas un hasard si la sémiotique de Peirce a retrouvé
une certaine actualité avec le développement des images numériques.
D'un point de vue sémiologique, on peut dire en effet que la caractéristique
principale des images générées par le calcul est de ne pas posséder
de lien indiciel avec l'objet représenté. Ce qui les rapproche des
images photographiques "classiques" et les fait ressembler aux "anciennes"
c'est seulement leur iconicité.
Cette absence de liens indiciels des "nouvelles images" a fait resurgir,
par opposition, cette dimension cachée de l'image photographique et cinématographique
que l'on avait peut être un peu trop vite oublié. Le "à§a a été" de Roland
Barthes traduit d'une certaine faà§on la trace physique (indicielle) que
l'image photographique entretient avec ce qu'elle représente. Selon lui
: "La photo est littéralement une émanation du référent". (4)
Si, comme le dit Bougnoux, le chemin de la création esthétique est
celui qui prend le contre-pied de celui du savoir et qui va ainsi du
symbolique à l'indiciel on comprend mieux alors pourquoi certains artistes
du visuel numérique (tels Martin Hardouin Duparc ou Sylvie Marchand)
s'attachent, sous de multiples formes, à recréer du lien, de la trace,
de la contiguïté, ou à insérer le geste, le contact ou le corps dans
leurs ouvres.
Jean-Paul Achard - ENESAD - Dijon
^(1) prend
un accent circonflexe. Mais sous cette forme il a une signification
religieuse. D'où la préférence qu'on accorde
ici (par référence à l'anglais icon) à
icone, au masculin et sans accent.» D'après : GARDIES (André),
BESSALEL (Jean), 200 mots-clés de la théorie du cinéma,
Paris, Editions du Cerf, 1992.
^(2) PEIRCE
(Charles S.), Ecrits sur le signe, Paris, Seuil, 1978 (ouvre originale
1938).
^(3) BOUGNOUX
(Daniel), La communication par la bande. Introduction aux sciences de
l'information et de la communication, Paris, La découverte, 1991.
^(4) BARTHES
(Roland), La chambre claire, Paris, Ed. Gallimard - Le Seuil, Coll.
: Cahier du cinéma, 1980.
|