C'est ce que révèlent les statistiques obtenues du ministère québécois des Ressources naturelles, des Forêts et de la Faune.
Au lendemain d'une manifestation où des militants de Greenpeace ont dénoncé la surexploitation de la forêt québécoise, Le Soleil a pris connaissance de données qui illustrent la profondeur de la crise affectant l'industrie de ce secteur et ses travailleurs.
Selon le ministère, les bûcherons ont coupé l'équivalent de 16,4 millions de mètres cubes de bois durant l'année se terminant en mars 2009. C'est le plus faible prélèvement depuis 1990-1991 lorsque le gouvernement a instauré ses contrats d'approvisionnement et d'aménagement forestier, les CAAF.
Le total de l'année qui vient de se terminer est deux fois inférieur à ce qui avait été coupé en 1999-2000 (33 millions de mètres cubes). Auparavant, le plus bas niveau de coupes en forêt s'était produit en 1991-1992; 17,5 millions de mètres cubes de bois avaient pris le chemin des scieries et des usines de pâtes et papiers. Ce creux des activités vaut aussi bien pour la récolte des résineux que celle des feuillus.
La mise en oeuvre des lignes directrices du rapport Coulombe, qui avait diminué la quantité de bois qui pouvait être abattu, n'est pas en cause, a indiqué un porte-parole du ministère. La contraction du marché pour les pâtes et papiers, la baisse des mises en chantier et l'appréciation du dollar canadien ont provoqué cette situation.
Les chiffres sur la récolte reflètent le bilan des pertes d'emplois que les Ressources naturelles publient depuis quelques années.
D'après le ministère, par rapport à avril 2005, pas moins de 9840 postes ont disparu de façon définitive dans un mouvement qui a touché 126 scieries, usines de transformation du bois ou encore installations de pâtes et papiers. Le nombre de personnes touchées par des fermetures temporaires atteint 7256, travaillant dans 99 usines.
Le décompte serait conservateur, s'est fait dire Le Soleil. Ainsi, le Conseil de l'industrie forestière du Québec estime qu'il faut ajouter au moins 10 000 pertes d'emplois dans le domaine de l'abattage du bois et du transport. «Ça se présente encore mal» pour 2009-2010, a commenté Renaud Gagné, le vice-président de la section québécoise du Syndicat canadien de l'énergie et du papier. «Nous nous attendons à d'autres mauvaises nouvelles», a mentionné le dirigeant de l'organisation syndicale qui a perdu, ces derniers mois, 5000 de ses 26 000 membres.
Les trois grands groupes forestiers que sont AbitibiBowater, Smurfit-Stone et Papiers Fraser se sont réfugiés derrière la Loi sur les arrangements avec les créanciers, a-t-il fait remarquer. «D'autres le feront peut-être pendant l'année», a poursuivi le syndicaliste. Le secteur du papier journal est en pleine décroissance, poussé vers le bas par des décisions comme celle du quotidien La Presse d'abandonner son numéro du dimanche, a-t-il noté.
«Il y a une production d'un million de tonnes de trop sur ce marché.»
Le Conseil de l'industrie forestière partage cette vision pessimiste. L'année en cours «pourrait être pire» que la précédente, au chapitre de la récolte, a répondu Germain Gaudreault, directeur des relations industrielles.
Une hausse des mises en chantier s'est produite aux États-Unis, a-t-il rapporté. «Mais c'est toujours au niveau plancher de l'an dernier et c'est toujours un creux historique. Ce n'est pas reparti du tout.»
Une véritable reprise ne se manifestera pas avant un an. Or, «certains [industriels] sont à bout de souffle». Le syndicaliste Renaud Gagné a signalé que le contexte n'est pas sans effet sur un autre aspect de la foresterie.
Le reboisement dépend des redevances versées par les entreprises qui coupent le bois, a mentionné le vice-président du SCEP.
Une coalition, forte de 14 groupes, comprenant notamment des leaders syndicaux, des industriels, des élus et des écologistes, réclame d'ailleurs que la refonte du régime forestier assure une meilleure stabilité des fonds pour le renouvellement des ressources, a souligné M. Renaud. Malheureusement, «c'est le trou noir [à cet égard] dans le projet de loi qu'a déposé le ministre Claude Béchard» et que défend maintenant sa collègue Nathalie Normandeau.