Pourquoi trinque-t-on au moment de l’apéritif ?
6 commentairesDaniel Lacotte répond à cette question
Chacun aura remarqué cette curieuse habitude qui consiste à entrechoquer les verres avant de commencer à boire. Et certains jettent un œil sévère à celui qui enfreint la règle en portant directement la coupe à ses lèvres. Un peu comme si cette précipitation trahissait la peur de trinquer. Et nous touchons là au cœur de l’explication.Pendant le Moyen Âge et la Renaissance, sous couvert d’un métier honnête (par exemple joaillier ou parfumeur), des aigrefins se lancent à l’assaut d’une clientèle huppée (notables, seigneurs, gentilshommes et gens de cour). Mais ces filous ne proposent pas seulement de guérir : ils peuvent aussi tuer. Soit par l’envoûtement, soit en vendant des potions magiques, c’est-à-dire du poison.
Ainsi, dans ce contexte où rôdent et se mêlent ésotérisme, religion, superstition, dénonciations et peur de l’autre, chacun se sent à la merci d’un hypothétique ennemi. Même lorsqu’il doit partager avec lui un repas. Car lors d’une rencontre entre seigneurs, les accolades pouvaient se muer en coups de poignards. À moins que l’hôte ait l’idée d’offrir à son invité un breuvage... empoisonné.
Une amusante parade va donc s’installer. Afin de prouver sa bonne foi, le maître des lieux prendra l’habitude de verser une petite quantité de sa boisson dans le « verre » (récipient d’argent ou de terre) de son interlocuteur. Celui-ci devant répondre par le même geste en signe de confiance réciproque. Dans ces conditions, plus de doute possible sur la teneur inoffensive du breuvage. Car si l’un des deux récipients contenait à l’origine une potion mortelle, ce rituel anodin avait mélangé le poison dans les deux ustensiles. Ne restait plus qu’à boire simultanément la première gorgée en se regardant droit dans les yeux.
Par la suite, les protagonistes se contentèrent de cogner l’ustensile voisin. Objectif : que le liquide, souvent rempli à ras bord, éclabousse et atteigne l’autre récipient. Là encore, pour obtenir le but recherché, chacun devait frapper la coupe opposée à tour de rôle. Aujourd’hui encore, certaines personnes ne se contentent pas d’un petit tintinnabulement simultané des verres, elles tiennent à marquer clairement « leur » choc et attende le vôtre en retour. À la bonne vôtre !
Daniel Lacotte
© Daniel Lacotte Le Pourquoi du Comment 2. Éditions Albin Michel 2006
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