UN LONG CHEMIN MUSICAL JUSQU’AU BELE LEGLIZ
Dans l’Eglise de Martinique, que de chemin parcouru pour que ce membranophone : le tanbou bèlè soit accepté comme tout
autre instrument.
Le tambour a toujours été diabolisé, décrié, car le maître sentait bien qu’il recélait une force maîtrisée seulement par les esclaves. Il l’a tout simplement
interdit. Comme toute interdiction, elle fut contournée par le génie de l’homme pour donner le négro’spiritual dans les plantations du sud, le bouladjel en Guadeloupe. En Martinique il fut
simplement relégué dans les bois, repoussé dans les mornes avec cette dénomination honteuse de : tanbou vié neg.
En rejetant ce membranophone, c’est une partie du nègre dans sa dimension humaine qui était niée, car on niait par la même sa dimension culturelle. Le psaume 150
nous dit : « Loué le Seigneur au son des instruments…. » L’instrument en lui-même n’est pas « mauvais » mais c’est l’usage
que nous en faisons qui peut s’avérer préjudiciable. Comment pourrait-on éplucher son yanm sasa sans un bon couteau ? Instrument, en l’occurrence ustensile pour l’occasion, nécessaire. Mais
si l’on utilise pour piquer quelqu’un est-ce l’instrument ou l’usage qui en fait qui se trouve condamnable ?
Revenons à notre instrument, tanbou bèlè. Il n’est donc pas « mauvais » en soi, tout dépend de l’usage que nous en faisons ; instrument de
glorification ou arme de guerre pour gagner par exemple un danmié.
Contexte de décolonisation
Depuis les années 1965, après tout un mouvement de décolonisation et d’émancipation des peuples, l’on a vu apparaître des mouvements identitaires comme
l’antillanisation, la créolisation. Au niveau religieux, fort de la vague d’ouverture du concile Vacitan II qui préconisait une louange prenant plus en compte la dimension locale des peuples, les
cultures de la périphéries furent autrement considérées. Le latin fut abandonné au profit d’autres langues vernaculaires, Français, créole.
La création de Messe antillaise un peu dans le même esprit de la misa criolla de l’argentin Ariel Ramirez paru en 1963 va donc se faire jour et l’on aura des
compositions intéressantes.
C’est dans ce contexte que des jeunes prêtres Antoine Maxime, Louis Elie se sont battus pour l’introduction du tanbou dans la liturgie. Rappelez-vous la « Misa
antilla, la Messe Tam-Tam » d’Antoine Maxime, ses psaumes créoles et le gospel. Ces jeunes prêtres fraîchement issus de Rome ont sans doute rencontré d’autres jeunes ayant cet esprit d’un
meilleur ancrage dans leur culture.
Il existe une certaine propension à adopter ce qui vient de l’extérieur tout en niant nos richesses musicales. Ceci se rencontre du point de vue de la musique
spirituelle. Il a fallu que des compositeurs comme Odette Vercruisse pour nous faire « découvrir » le chant religieux rythmé en provenance des Etats-Unis pour être accepté comme non
sacrilège.
Le négro’spirituals introduit par des gens comme Paulette Nardal avec la Chorale « Joie de Chanter » en 1953 et aussi les chorales protestantes,
adventistes en particulier, ont fait découvrir le gospel.
Naissance d’une liturgie créole
C’est dans ce contexte de créations nouvelles que va naître une liturgie plus créole prenant en compte un peu plus la diversité de nos rythmes. Tous ces mouvements
vers une expressions plus « nègres », en tout cas plus authentique moins européo centrées vont donner lieu à de magnifique création musicale. Citons par exemple les messes créoles d’un
compositeur comme Germain Kanuti qui nous a composé une passion « Lè Bondié mò ». Toute une série de compositeurs (Mano Césaire, Claude
Confiant, Antoine Maxime…) vont produire des œuvres magnifiques (pas toujours magnifiées).
Personnellement, depuis 1991 je me suis inspiré de cet esprit pour composer pour la liturgie et proposer en 2002 le CD « Innocence » avec la Chorale L’Orchidée de Schoelcher.
De nombreux artistes en ont fait leur champ d’expression, Claudy Largen, Gertrude Seinin, Alfred Varasse, José Versol qui a même mis en place récemment « La
caravane de l’espoir » imprimant une louange créole dans l’expression à travers plusieurs communes. Des expressions originales, comme le Kréolspel d’Olivier Luap ont vu le jour toujours pour
trouver ses marques entre créole et gospel. Phénomène très en vogue aujourd’hui en Martinique.
Bèlè Légliz
C’est dans cette expression créole prenant la dimension fondamentale de notre expression qu’un autre groupe de prêtres (Pères Monconthour, Lafine, Gibon, Phanor,
Anderson) ont mis en place depuis plus de cinq ans environ : le concept de Bèlè Légliz. Ce mouvement est parti de la paroisse de Jossaud à Rivière Pilote pour se répandre à d’autres
paroisses (Lamentin, Balata, Rivière Salée…).
Incontestablement les deux représentations récentes du 22 et 23 décembre 09 au Grand Carbet Aimé Césaire furent d’une bonne facture pour démontrer que l’on pouvait
chanter noël autrement. Le producteur Fred Jean-Baptiste et Miziklabel ont réussi à montrer la richesse et la qualité d’artistes aussi prestigieux que : Victor Treffre, Kolo Barst, Kazo,
Stella Gonis le conteur Dédé Duguet et le chœur Exultet de Saint-Christophe, les chorales du François, de L’orchidée de Schoelcher. Il a même fait appel à l’ensemble vocal Didier Ramdine de
la Guadeloupe qui fait ce même travail de réappropriation de la musique groka et son introduction dans le champ religieux.
Deux concerts de grande qualité avec la musique de chez nous produite par des artistes voulant chanter et prier dans leur culture, en l’occurrence le chant bèlè
dans sa dimension de chant de danse et de partage.
Remercions le Père Monconthour pour sa persévérance et la mise en place de ce concept. Chanter et prier Dieu dans sa
culture, celle des mornes, le Bèlè, expression créole ancestrale oubliée qui réhabilite une part de notre riche culture.
Comme tout mouvement nouveau, il est décrié par certains : poutji yo ka mété bèlè an légliz la ? Bèlè sé bagay vié neg !
Il est aussi bien accueilli par d’autres comme ce public des deux soirées au Grand Carbet qui ont démontré que l’on pouvait chanter dans l’esprit de noël autrement
en s’adossant au verset du psaume 150 pour louer le Seigneur au son des instruments en particulier du tanbou bèlè.
Le psaume 96 nous exhorte à « chantez au Seigneur un chant nouveau, chantez au Seigneur terre entière » le disque Bèlè Lègliz est disponible pour
prolonger cet esprit et prodiguer l’allégresse et grandir dans la joie par ces temps de crise.
Pou fini, an nou kouté dé ti pawol Bèlè Légliz
Papa-nou
Nou ka di’w woulo bravo ba Bondié
Pas limiè Jézi toujou la
E jézi bien di-nou i kay vini.
Nou lé chanté Bélia, mi Nouvel-la
Chanté Bien nérez Mari
Pas nou sanblé pou la Bòn Nouvel
Pou kouté pawol Bondjé
Pou Gloriyé Bondjé.
Manmay la annou doubout
An nou sanblé
Pas Jézikri vivan
Pou tjè-nou toujou kontan
Pas sa ki matjé ka fet.