C'est entendu : la France irrite fréquemment Washington. Par ses velléités d'autonomie. Par ses prétentions universalistes. Par son activisme européen, qui finit par porter des fruits. Voire par ses maladresses. D'où des heurts, sous de Gaulle comme sous Pompidou, Mitterrand ou Jacques Chirac. Mais si, d'une décennie à l'autre, les escarmouches se ressemblent, le contexte a complètement changé. Ce que les Etats-Unis supportaient, bon gré mal gré, de la France lorsqu'ils devaient ménager leurs alliés dans l'affrontement Est-Ouest, ils ne le tolèrent plus lorsque mondialisation rime à leurs yeux avec américanisation. Pour s'ouvrir les marchés des autres (voir la colossale bataille en cours sur les technologies de l'information) et faire prévaloir leurs valeurs et leur arbitrage, ils entendent exercer un leadership mondial sans entraves. Le contrepoids européen est le seul possible. Mais il n'est mobilisable que lorsque nos partenaires estiment que leurs intérêts commerciaux sont gravement en jeu et qu'ils ne craignent pas d'être enrôlés par la France dans une croisade antiaméricaine, fût-ce sous le drapeau européen. Sinon, tout les paralyse : une abdication de la puissance, déjà ancienne ; une soumission acquise au plus fort ; une américanisation des esprits ; un doute sur le destin de l'Europe alimenté par la survivance des méfiances intraeuropéennes ; la peur des responsabilités, ou encore celles des marchés.