L’hostilité à la culture américaine est une des sources les plus anciennes de l’anti-américanisme. Un exemple est le livre de Georges Duhamel paru en 1930, les Scènes de la vie future où, partant de l’hypothèse que «l’Amérique d’aujourd’hui, c’est notre monde de demain», l’écrivain fustige «l’omniprésence de l’automobile, le jazz (pas de musique aux Etats-Unis, sauf celle des “nègres monocordes”), les ascenseurs, l’horrible promiscuité de toutes les races du monde, le goût excessif du sport, la cuisine qui n’est pas naturelle». Prenons par exemple la création du parc Eurodisney à Marne-la-Vallée. Alors que la France a pesé pour que le parc d’attractions soit situé dans la région parisienne, les intellectuels français –l’anti-américanisme est avant tout véhiculé par les élites en France– se sont insurgés contre ce «Tchernobyl culturel» selon les mots de la metteure en scène Ariane Mnouchkine, l’historien Max Gallo estimant lui que «le parc bombarde la France de créations importées qui sont à la culture ce que le fast-food est à la gastronomie». La gastronomie, ou plutôt l'absence de gastronomie américaine, propre à une alimentation peu équilibrée, autre thème dont se nourrit l’anti-américanisme français et ses a priori. En tapant «les Américains sont… » sur Google (en français), la phrase «Les Américains sont obèses» est ainsi la première phrase suggérée. Ce double standard donne ainsi lieu à une autre forme d’anti-américanisme fondé sur l’image d’une Amérique de la décadence morale en perte de valeurs religieuses. Pour la blogueuse américaine Susannah Breslin, l’hypocrisie culturelle est manifeste quand des scandales sexuels impliquant des hommes ou femmes politiques surgissent, écrit-elle sur Forbes. Dans le sillon du discours de Dominique de Villepin aux Nations unies le 14 février 2003 rejetant la possibilité d’une intervention militaire française en Irak, l’anti-américanisme politique a connu un rebond sous le mandat de George W. Bush avec, notamment, la médiatisation des tortures d’Abou Ghraib ou le refus de ratification du protocole de Kyoto. Ce rejet de l’administration Bush s’accompagne d’une baisse de popularité des Américains en France, bien que l’on estime qu’en matière d’anti-américanisme, il faut faire la différence entre les actes des leaders et la perception d’une population. La candidature Obama à l’élection présidentielle de 2008 –largement plébiscitée en France et en Europe faisant même dire à son adversaire, le sénateur républicain John McCain que «c’est aux Etats-Unis que se joue l’élection, pas en Europe»– et le renforcement des relations transatlantiques initiée par Nicolas Sarkozy dès son élection en 2007 ont affaibli un anti-américanisme de nature politique, déjà dissipé avec la fin de la Guerre froide. Pour l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine, qui a développé la notion d’«hyper-pouvoir» pour qualifier la puissance américaine, l’évolution de l’anti-américanisme en Europe dépend de la «dose de multipolarité ou de multilatéralisme que Washington accepte» en matière de relations internationales. Autre version: tous les Américains sont capitalistes et ne jurent que par le modèle de la société de consommation. Lorsque José Bové choisit McDonald’s comme cible de sa contestation, le registre choisi est celui de la lutte contre la mondialisation, souvent assimilée à une tentative d’américanisation et d’uniformisation. Traduit en justice, il compare son acte à la Tea Party de Boston en 1773, événement symbolique de la Révolution américaine au cours duquel les migrants des colonies jetèrent des caisses de thé importées de Grande-Bretagne par-dessus bord pour demander que tout territoire taxé soit représenté au Parlement britannique (no taxation without representation). Au XXe siècle, l’anti-américanisme comme référence politique a été principalement utilisé par les marxistes à l’argumentaire anti-capitaliste et anti-matérialiste et les gaullistes avec une «certaine idée de la France» qui ne pouvait s’épanouir dans le cadre d’une hégémonie américaine. A la différence d’autres pays pour lesquels l’animosité à l’égard des Etats-Unis reste relativement récente, l’anti-américanisme français remonte même avant que les Etats-Unis ne soient constitués en Etat; notre animosité étant alors une extension géographique de la rivalité franco-britannique. Bien que s’opposant à l’Empire britannique, les colons américains, aux yeux des Français, sont tout autant britanniques. Par ailleurs, avance Sophie Meunier, l’anti-américanisme à la française recoupe les six différentes formes d’anti-américanisme qui ont pu être définies par les historiens et politologues: un anti-américanisme libéral contre le modèle économique, un anti-américanisme social contre le modèle sociétal, un anti-américanisme souverainiste qui rejette l’impérialisme américain, un anti-américanisme des islamistes radicaux, un anti-américanisme élitiste contre l’exportation de la culture de masse américaine et un anti-américanisme d’héritage qui se transmet de génération en génération fonctionnant comme un discours autonome. Article intéressant. Comme vous le soulignez, l'anti-américanisme francais est surtout le fait des élites intellectuelles et politiques.