Prenez Ingmar Bergman. Remplacez le silence de Dieu par Paul Anka, l'aube immaculée des Communiants par le bustier de Marilyn, Les Fraises sauvages par des soft drinks: vous obtenez la Scandinave des années 60, rock and roll et Coca-Cola. Sans doute lasse d'avoir dansé plus d'un été, à poil, avec Monika, elle adopte désormais le monokini et ne s'adonne plus qu'à des orgies de consommation.
Merveilleuses au bord des eaux d'un fjord en juillet-août, les femmes du formidable premier roman de Monika Fagerholm se réjouissent, à tort, de ce qui les attend en ville, retour de vacances: la soupe en brique, le canapé convertible ou la boîte Tupperware, qui font alors, depuis peu, la ménagère parfaite. A ces Pénélope, bronzées, de la pince à linge, leurs Vikings d'époux, changés en cow-boys Marlboro, offrent la machine à laver où délaver un jean devient un rêve. Pendant le rinçage, ces messieurs, par ailleurs tendres et bons pères, savourent My Funny Valentine par Chet Baker, parcourent un bon petit Carter Brown et, sur le téléviseur noir et blanc, s'identifient à J. F. K. plus encore qu'au commandant Cousteau.
C'est cela, la chronique romanesque de Fagerholm: l'abordage, pas toujours en douceur, de l'archipel finlandais par l'américanisation hystérique, dans un bruit de moteur Evinrude 18 chevaux. Une famille y succombe, l'espace de quelques étés entre pontons et forêts, une autre, peu à peu, entre en résistance. Les deux se révèlent, grâce au style de l'auteur, répétitif et envoûtant, également drôles, farfelues, attendrissantes, trop insouciantes. Une des mères se prend pour Jackie Kennedy avant Dallas, l'autre fut dans sa jeunesse sirène de parc d'attractions. Au coeur du livre, Thomas, 6 ans, grandit, pêche l'écrevisse, torture les chenilles, se trouve une bonne amie. Pas plus que les adultes il ne perçoit qu'un chien piétiné lors d'une cocktail party annonce une catastrophe pire encore...
Douée comme un Perec du Nord pour dire le quotidien immuable des semaines au soleil des loisirs, dans ces îles où les maisons sont rouges, les pensions bleues, la sensualité orange ou jaune comme un peignoir de bain entrouvert, Fagerholm ne s'abandonne pas à la nostalgie d'une époque que, née en 1961, elle n'a pas connue. Non, rappelle- t-elle avec force dans cet hommage lucide aux générations précédentes, non, la vraie vie n'était pas californienne, non, la modernisation trop rapide ne fit pas le bonheur des Scandinaves, âmes inquiètes, philosophes, irréductibles aux seuls biens matériels. Finlandaise, Fagerholm écrit en suédois. Pour ne pas succomber à l'isolement culturel? Le cinéma d'Aki Kaurismäki a montré combien l'esprit d'ouverture, le mazout et la chaleur humaine étaient rares à Helsinki...
Femmes merveilleuses au bord de l'eau, par Monika Fagerholm. Trad. par Anna Gibson. Gallimard, 380 p., 160 F.