SOCIÉTÉ GÉNÉRALE • Au fond, Kerviel a un profil présidentiel
- Financial Times |
- Paul Betts |
- 7 février 2008
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Le scandale de la Société générale a réduit en cendres la crédibilité de l’une des banques les plus respectées du pays, celle de son président, Daniel Bouton, et enfin celle du capitalisme français dans son ensemble. C’est du moins l’impression qui prévaut hors de France. Comment un pays qui a toujours dénoncé les excès de Wall Street a-t-il pu succomber à ce qu’il se complaît à appeler le capitalisme sauvage* ? Après tout, même avec Nicolas Sarkozy, la France s’est toujours targuée d’avoir un système de gestion économique et sociale éclairé, antithèse du capitalisme anglo-saxon.
L’affaire de la Société générale reflète en réalité un phénomène plus profond : la France a beau craindre et détester le capitalisme et dénoncer le système anglo-saxon, non seulement elle s’américanise de plus en plus, mais elle a en fait toujours embrassé le rêve américain. Paris compte davantage d’avenues honorant des présidents américains que n’importe quelle autre ville d’Europe. Les Français ont toujours été les premiers à adopter les tendances venues d’Amérique, que ce soient les soap operas, les hamburgers ou les cafés Starbucks. La France est aussi le marché où McDonald’s réalise sa plus forte croissance. L’establishment économique français a toujours été irrésistiblement attiré par le système américain tout en prétendant défendre un modèle social étatique. Quant aux enfants prodiges des affaires, ils embrassent en France le rêve américain. C’était le cas dans les années 1980 de Bernard Tapie et, à la fin des années 1990, de Jean-Marie Messier.
Le moteur de la réussite à la française : la reconnaissance
M. Bouton, pour sa part, a un parcours classique : ENA, chef de cabinet* d’Alain Juppé, etc. En 1999, alors que la Société générale était au plus bas et qu’elle était vulnérable, il n’a pas hésité à adopter une stratégie que beaucoup considéraient à l’époque comme risquée. Il a décidé d’investir en Europe de l’Est, a intensifié l’offensive sur les produits dérivés et poussé les courtiers à prendre des risques et à se montrer plus agressifs, bref, des trucs typiques de Wall Street. Jusqu’à ce que le scandale Kerviel éclate, cette stratégie avait beaucoup rapporté. La Société générale était devenue l’une des banques les plus rentables au monde.
Le jeune courtier indélicat a mis tout cela en danger. Or, contrairement à ses équivalents new-yorkais, Jérôme Kerviel ne semble pas avoir agi pour s’enrichir personnellement mais par soif de reconnaissance. M. Kerviel a peut-être tout simplement poursuivi le rêve américain mais “à la française”, ce que nul n’a mieux fait que M. Sarkozy. Voilà un fils d’immigré, qui n’a pu entrer à l’ENA, qui s’est battu pour gravir les échelons politiques et qui, grâce à une ambition à toute épreuve, est parvenu au sommet du système français. A l’instar du courtier indélicat de la Société générale, il prend des positions risquées qui peuvent lui revenir en pleine figure. Mais, si ça marche, le moins qu’il puisse faire, c’est de sympathiser avec M. Kerviel. Après tout, les deux hommes ne sont pas si différents.
* En français dans le texte.
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