24 janvier 2013 | Mise à jour 16h57

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Régis Debray : Le « chef » semblait n'être plus à la mode à l'âge de la démocratie participative. Or Nicolas Sarkozy marque l'avènement d'un « hyperprésident » omniprésent et omnipotent... Depuis une trentaine d'années, le mot « chef » était tabou. Voire fasciste. On disait manager, coach, animateur, arbitre. Influence, oui. Autorité, non. Immense hypocrisie. C'est contre cette fausse pudeur que nous, les médiologues, avons décidé de prendre le taureau par les cornes, avec un séminaire d'un an pour sortir ce numéro de Médium (1). Avant que Sarkozy n'entre en piste. Il a compris, lui, le besoin latent du prince, sinon du principe unificateur. Le désir de chef apparaît quand une société se délite, perd ses repères, ne s'y retrouve plus. La raison d'être du chef est de permettre le passage du tas au tout, qui fait l'essence du politique. Le chef, c'est celui qui, par la parole, recompose une cohésion sociale, ou plutôt empêche in extremis le pire, la décomposition.

Le Point : Se comporte-t-il comme un guide, un bâtisseur, un rassembleur... ?
Le troupeau de droite a choisi un berger. Il découvre un tisserand. Mauvaise surprise pour lui, mais pas mauvaise en soi. Le troupeau de gauche a connu cette déconvenue avec Mitterrand sur la fin. Ce sont les deux modèles classiques de la chefferie, vieux comme Platon. Le modèle sémitique du pasteur, du grand homme à la tête de ses ouailles, qui va de Moïse à Bonaparte. Ou le modèle hellénique du tisserand, qui fait patiemment l'unité de la cité en entrecroisant, comme chaîne et trame, les deux vertus antagonistes, les deux types universels de caractères, les circonspects et les casse-cou, droite et gauche. De Gaulle a cumulé les deux rôles. Il a été Bonaparte en 1940 et 1958 et Henri IV en 1945 et 1959. Chapeau ! Mais si la IVe République faisait dans le métier à tisser, comme l'Italie d'aujourd'hui avec la combinazione , la Ve fait plutôt dans le pastoral et le pyramidal. L'unité nationale s'incarne dans une personne, la seule élue par tous, le président. Il y a sans doute, si je puis dire, du métissage à faire entre les deux modèles, entre la houlette et la navette. Du pain pour la réforme.

N'incarne-t-il pas une américanisation de la fonction présidentielle ?
Oui, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur : la décontraction, la vitesse, l'informalité, la prise directe. Le pire : la tyrannie superficielle de l'intimité, de la proximité et de l'instantanéité. L'américanisation du style de conduite est inhérente à la vidéosphère. Le modèle d'identification du président des images a quitté le théâtre héroïque pour la télé du quotidien. Pour la première fois, et comme aux Etats-Unis, les Français ont élu une vedette du petit écran, non un personnage de roman. Le lien avec les humanités, avec la chose écrite, est coupé. Look et jogging. Pour moi, c'est l'exil intérieur, mais rassurez-vous, je ne suis pas représentatif.

Un président de la République peut-il se comporter comme les people ? Le chef ne doit-il pas au contraire être silencieux, mystérieux, sacralisé ?
Oui, on ne peut pas, sur le long terme, rompre avec la sacralité de la fonction, qui implique un rôle de représentation, et donc un minimum de distance. A trop écraser la carte sur le territoire, la fonction publique sur la personne privée, on risque le galvaudage et la décroyance, alors que toute autorité digne de ce nom est un fait de croyance, et pas seulement de propagande ou de publicité. Une star parmi cent, mille autres, ça n'est plus une clé de voûte, un point focal et fixe. N'oubliez pas qu'en Amérique le show-biz et le strass peuvent entrer à la Maison-Blanche parce que Billy Graham assure le lien avec le Bon Dieu, qui est le vrai et le seul fédérateur des Etats-Unis. La France a une tout autre histoire. La République n'a pas de « In God we Trust ». Elle n'a que l'Etat, la langue et son histoire pour maintenir son unité et surmonter le tout-à-l'ego, qui risque de faire des ravages.

Comment jugez-vous le ralliement d'intellectuels de gauche à sa personne ?
J'ai du mal à appeler « intellectuels » ceux qui passent plus de temps à la télévision qu'en bibliothèque, et « intellectuels de gauche » ceux qui applaudissent l'« enrichissez-vous » de Neuilly, ont soutenu l'écrasement colonial de l'Irak ou ferment les yeux sur l'asphyxie méthodique des Palestiniens. Vous voyez à quel point je suis archéo (parfois, une façon d'avoir un peu d'avance). Cela dit, pas de moraline, assez de manichéisme ! Chacun fait comme il peut avec sa vie et ses envies, ses saisons et ses raisons. Arrêtons de juger. La politique n'est plus un sacerdoce ni une appartenance collective, c'est une structure d'opportunité pour des trajectoires individuelles. Ce n'est pas un mal, c'est un signe des temps. Je trouve même cela plutôt amusant, la course au mât de cocagne. Pourvu qu'on se rallie à une cause plutôt qu'à une personne et qu'on fasse de ce ralliement quelque chose d'utile au pays ou à l'humanité...

Propos recueillis par François Dufay

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